R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (C.S.C.)
Résumé des faits
L’accusé était âgé de 17 ans lorsqu’il a été arrêté, en 1991, pour le meurtre brutal d’une adolescente. Au poste de police, les avocats de l’accusé ont remis aux policiers une lettre les informant que l’accusé refusait de fournir quelque échantillon de substance corporelle que ce soit, comme des cheveux et des poils, et des empreintes dentaires, ou de faire une déclaration. Une fois les avocats partis, les policiers ont prélevé des échantillons de cheveux de l’accusé après avoir menacé de recourir à la force, et ils l’ont forcé à s’arracher des poils pubiens. Des empreintes à la plasticine ont également été prises de sa dentition. Un policier a ensuite interrogé l’accusé pendant une heure dans le but d’obtenir une déclaration. L’accusé a sangloté pendant tout l’interrogatoire et, après qu’on lui eut permis de téléphoner à son avocat, il est allé aux toilettes, escorté d’un policier, où il a utilisé un papier‑mouchoir pour se moucher. Il a jeté le papier‑mouchoir dans la poubelle. Le policier a saisi le papier‑mouchoir contenant des mucosités, qui a été utilisé pour effectuer une analyse d’empreintes génétiques.
Analyse
Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient à l’art. 8 de la Charte. Les échantillons de substances corporelles et les empreintes n’ont pas été saisis conformément au Code criminel qui, au moment de l’arrestation de l’accusé, n’autorisait pas la fouille d’une personne ni la saisie de parties du corps d’une personne. Ils n’ont pas été saisis non plus conformément au pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation légale. L’arrestation de l’accusé était légale étant donné que les policiers avaient subjectivement l’impression d’avoir des motifs raisonnables de croire que l’accusé avait commis le meurtre, et que, d’un point de vue objectif, ils avaient des raisons sérieuses et suffisantes d’en arriver à cette conclusion.
Toutefois, le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne va pas au‑delà de l’objectif de protection des policiers qui effectuent une arrestation contre des suspects armés ou dangereux, ou de préservation des éléments de preuve qui autrement pourraient être détruits ou perdus. La fouille effectuée en l’espèce est allée bien plus loin que la fouille sommaire qui accompagne habituellement une arrestation. Le prélèvement d’échantillons de substances corporelles et la prise d’empreintes dentaires étaient des actes très envahissants. De plus, en dépit des exigences de la Loi sur les jeunes contrevenants qu’un parent ou un avocat assiste à l’interrogatoire d’un adolescent soupçonné d’avoir commis une infraction, et en l’absence de tout conseiller adulte et contrairement aux directives explicites des avocats de l’accusé, la police a longuement interrogé ce dernier et a, en menaçant de recourir à la force, prélevé des échantillons de substances corporelles et pris des empreintes dentaires. Elle s’est ainsi livrée à un exercice abusif de force physique brute.
Le pouvoir de common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne peut pas être large au point de viser la saisie d’échantillons de substances corporelles effectuée sans autorisation légale valide et malgré un refus de les fournir. Ces échantillons ne risquent pas habituellement de disparaître. Si ce pouvoir est large à ce point, alors la règle de common law elle‑même est abusive parce qu’elle est trop générale et ne pondère pas adéquatement les droits qui s’opposent. Il est clair qu’en l’espèce il y a eu violation grave du droit de l’accusé à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives. Étant donné que la fouille et la saisie des échantillons de substances corporelles n’étaient autorisées ni par une loi ni par la common law, elles ne pouvaient qu’être abusives.
Le prélèvement d’échantillons de cheveux et de poils, la prise d’empreintes dentaires et les prélèvements faits dans la bouche contrevenaient aussi à l’art. 7 de la Charte, étant donné qu’ils violaient le droit à la sécurité de la personne d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale. Ils constituaient l’atteinte la plus grave à la vie privée de l’accusé et violaient l’intégrité du corps, qui est essentielle à la dignité humaine. Les actions policières qui sont accomplies sans consentement ni autorisation et qui portent une atteinte plus que minimale au corps d’une personne violent l’art. 7.
La saisie du papier‑mouchoir jeté contrevenait à l’art. 8 de la Charte. Lorsqu’un accusé qui n’est pas détenu se défait d’un objet qui peut constituer un élément de preuve utile pour établir son profil génétique, la police peut normalement recueillir cet objet et le faire analyser, sans avoir à se soucier d’obtenir un consentement, étant donné que, dans les circonstances, l’accusé a abandonné cet objet et a cessé d’avoir une attente raisonnable en matière de vie privée à son sujet. La situation est toutefois différente lorsqu’un accusé est détenu. La question de savoir si la situation est telle que l’accusé a abandonné un objet et renoncé à tout droit à ce qu’il demeure confidentiel devra être tranchée en fonction des faits particuliers de chaque affaire. En l’espèce, l’accusé avait fait savoir par ses avocats qu’il ne consentirait pas au prélèvement d’échantillons de ses substances corporelles. Les policiers étaient au courant de cette décision, mais en dépit de cela, ils se sont emparés du papier‑mouchoir que l’accusé avait jeté alors qu’il était détenu. Dans ces circonstances, la saisie était abusive. En l’espèce, l’attente de l’accusé en matière de vie privée, bien qu’elle ait diminué à la suite de son arrestation, n’était pas faible au point de permettre la saisie du papier‑mouchoir. Cette attente ne devrait pas être réduite au point de justifier les saisies d’échantillons de substances corporelles effectuées sans consentement, particulièrement dans le cas des personnes qui sont détenues alors qu’elles sont encore présumées innocentes.
Le but premier de l’examen du facteur de l’équité du procès dans l’analyse fondée sur le par. 24(2) est d’empêcher qu’un accusé, dont les droits garantis par la Charte ont été violés, soit mobilisé contre lui‑même ou forcé de fournir, au profit de l’État, des éléments de preuve sous forme de confessions, de déclarations ou de substances corporelles. Ainsi, pour examiner le facteur de l’équité du procès, il est nécessaire de qualifier la preuve soit de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, soit de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, selon la manière dont elle a été obtenue.
Si l’accusé n’a pas été forcé de participer à la constitution ou à la découverte de la preuve, la preuve sera qualifiée de preuve non obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même. Son utilisation ne rendra pas le procès inéquitable et le tribunal passera à l’examen de la gravité de la violation et de l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice. Si la preuve a été obtenue dans des conditions qui violent la Charte, en forçant l’accusé à s’incriminer lui‑même par une déclaration ou par l’utilisation en preuve de son corps ou de ses substances corporelles, elle sera qualifiée de preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même. L’utilisation non autorisée du corps d’une personne ou de ses substances corporelles constitue, tout autant qu’une déclaration forcée, un «témoignage» forcé susceptible de rendre le procès inéquitable. La sécurité du corps mérite donc tout autant que les déclarations d’être protégée contre les atteintes de l’État visant à obtenir de force une auto‑incrimination. Si l’on conclut que la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même, ce qui, dans le cas de déclarations, comprend la preuve dérivée, et si le ministère public démontre, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même -- lorsque la preuve peut être tirée d’une source indépendante ou lorsque sa découverte était inévitable --, son utilisation ne rendra alors généralement pas le procès inéquitable.
Cependant, il faudra examiner la gravité de la violation de la Charte et l’incidence de l’exclusion de cette preuve sur la considération dont jouit l’administration de la justice. Si la preuve a été obtenue en mobilisant l’accusé contre lui‑même et que le ministère public ne démontre pas, suivant la prépondérance des probabilités, qu’elle aurait été découverte par un autre moyen non fondé sur la mobilisation de l’accusé contre lui‑même, son utilisation rendra alors le procès inéquitable. En règle générale, le tribunal écartera la preuve sans examiner la gravité de la violation ni l’incidence de son exclusion sur la considération dont jouit l’administration de la justice. Il doit en être ainsi puisqu’un procès inéquitable déconsidérerait nécessairement l’administration de la justice.
En l’espèce, en examinant comment l’utilisation de la preuve compromettrait l’équité du procès, le juge du procès a conclu à tort que les échantillons de cheveux et de poils et les empreintes dentaires existaient indépendamment de toute violation de la Charte et qu’ils étaient donc admissibles en preuve. Les échantillons de substances corporelles et les empreintes de l’accusé constituaient des éléments de preuve «matérielle», mais les policiers, par leurs paroles et leurs actions, ont contraint l’accusé à fournir des éléments de preuve provenant de son corps. Ces éléments de preuve ont été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui‑même. La preuve contestée n’aurait pas été découverte si l’accusé n’avait pas été mobilisé contre lui‑même en violation de ses droits garantis par la Charte et il n’y avait aucune source indépendante d’où la police aurait pu tirer la preuve. Il s’ensuit que son utilisation rendrait le procès inéquitable. Cette conclusion suffit pour répondre à la question du par. 24(2), étant donné que la preuve doit être écartée.
De toute façon, les violations de la Charte qui ont permis d’obtenir la preuve en question sont de nature très grave. La police a fait preuve d’un mépris flagrant pour les droits fondamentaux de l’accusé. Malgré le refus explicite de ce dernier de fournir des échantillons de substances corporelles ou de faire une déclaration, les policiers ont délibérément attendu le départ de ses avocats pour commencer, en recourant à la force, aux menaces et à la contrainte, à prélever des échantillons de ses substances corporelles et à l’interroger dans le but d’obtenir une déclaration. La police savait également que l’accusé était à l’époque un jeune contrevenant et qu’il avait droit à la protection spéciale de la Loi sur les jeunes contrevenants. Finalement, le fait que la police se soit moquée du refus d’un jeune contrevenant de fournir des échantillons de ses substances corporelles choquerait sûrement la conscience de tous les citoyens équitables. L’utilisation de la preuve serait donc susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Cependant, le papier‑mouchoir contenant les mucosités ne devrait pas être écarté. La police n’a pas forcé l’accusé à fournir un échantillon de ses mucosités, et ne lui a même pas demandé de le faire. Bien que la police ait agi subrepticement, au mépris du refus explicite de l’accusé de lui fournir des échantillons de substances corporelles, les droits que la Charte garantissait à ce dernier relativement au papier‑mouchoir n’ont pas été gravement violés. La saisie n’a pas porté atteinte à l’intégrité physique de l’accusé et ne lui a fait perdre sa dignité d’aucune manière. De toute façon, la police pouvait obtenir et aurait obtenu le papier‑mouchoir jeté. Il pouvait être découvert et l’administration de la justice ne serait pas déconsidérée si la preuve constituée par l’échantillon de mucosités était utilisée.
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