lundi 21 septembre 2009

Inapplicabilité du sursis pour vol qualifié - Distinction entre 2 types de peine, soit de prononcer une peine de sursis ou une sentence suspendue

R. c. Lavoie, 2009 QCCA 662 (CanLII)

[11] En effet, le 31 mai 2007, le Parlement canadien adoptait la Loi modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis). Cette loi est entrée en vigueur le 30 novembre 2007 et elle exclut l’emprisonnement avec sursis des peines susceptibles d’être infligées pour certains types d’infractions. (...)
Bien que la rédaction française de ces dispositions n’en facilite pas la compréhension, il me paraît ne faire aucun doute que l’intimé ne pouvait bénéficier ici d’une peine avec sursis.

[12] Il en est ainsi parce que l’expression « punissabl[e] … d’un emprisonnement d’au moins dix ans » correspond en anglais aux mots « may be sentenced to imprisonment for ten years or more ». Cela suffit pour écarter une interprétation fallacieuse, que l’on pourrait être tenté de proposer, selon laquelle seules les infractions pour lesquelles la loi impose un minimum de dix ans d’incarcération seraient visées par le sous-alinéa 752 a) (i) reproduit ci-dessus. En d’autres termes, dans la version française du Code criminel, il est nécessairement erroné d’associer la notion de « peine minimale d’emprison­nement » qui apparaît à l’article 742.1 avec celle d’un « emprisonnement d’au moins dix ans » qui apparaît dans la définition de « sévices graves à la personne » à l’article 752. D’ailleurs, l’interprétation fallacieuse que je viens de décrire est logiquement incompatible avec la mention des infractions de haute trahison, de meurtre au premier degré et de meurtre au deuxième degré contenues dans la même définition. « [P]unissabl[e] d’un emprisonnement d’au moins dix ans » signifie donc ici, et ne peut que signifier, « passible d’un emprisonnement de dix ans ou plus ».

[13] Passible entre autres d’une peine d’emprisonnement à perpétuité en vertu de l’alinéa 344(1) b) C.cr. relatif au vol qualifié, l’intimé tombait sous le coup de l’article 752 et ne pouvait aux termes de l’article 742.1 bénéficier d’une peine avec sursis. Bien que la situation soit peut-être moins claire pour ce qui concerne la séquestration, dont la peine est fixée par le paragraphe 279(2) C.cr., nous n’avons pas à vider cette dernière question pour décider du pourvoi.

[32] Quant à l’intimé, il se heurte à un obstacle d’un autre ordre mais qui ressort avec égale netteté des motifs du juge en chef. S’interrogeant sur ce qui permet de distinguer deux types de décisions sur la peine, soit de prononcer une peine d’emprisonnement avec sursis ou de surseoir au prononcé de la peine pour imposer une probation, le juge Lamer écrit :

[…] il existe une distinction importante entre ces deux sanctions. Alors que le sursis au prononcé de la peine avec mise en probation est principalement une mesure de réinsertion sociale, il semblerait que le législateur entendait que le sursis à l’emprisonnement vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale.

[…]

Malgré les similitudes qui existent entre les dispositions qui régissent ces deux types de mesures et le fait que la sanction applicable en cas de manquement à une ordonnance de probation pourrait être plus sévère que celle applicable en cas de manquement à une ordonnance de sursis à l’empri­sonnement, il y a de fortes indications que le législateur a voulu que l’emprisonnement avec sursis ait un effet plus punitif que la probation. Suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire. Il serait absurde que le législateur ait voulu que le sursis à l’emprisonnement équivaille simplement à une ordonnance de probation sous un autre nom. Quoique cet argument ne soit évidemment pas décisif, il tend à indiquer que le législateur voulait qu’il y ait une distinction utile entre les deux sanctions. Je vais maintenant examiner des arguments plus spécifiques au soutien de cette thèse.

[…]

Par ailleurs, rappelle aussi le juge en chef, les ordonnances de probation ne peuvent être punitives :

De nombreuses cours d’appel ont invalidé des conditions de probation qui avaient été imposées dans le but de punir le délinquant plutôt que de favoriser sa réinsertion sociale: voir R. c. Ziatas (1973), 13 C.C.C. (2d) 287 (C.A. Ont.), à la p. 288; R. c. Caja (1977), 36 C.C.C. (2d) 401 (C.A. Ont.), aux pp. 402 et 403; R. c. Lavender reflex, (1981), 59 C.C.C. (2d) 551 (C.A.C.-B.), aux pp. 552 et 553, et R. c. L. reflex, (1986), 50 C.R. (3d) 398 (C.A. Alb.), aux pp. 399 et 400. Les conditions de l’ordonnance de probation contestées dans ces affaires avaient été imposées en application de la clause résiduaire qui était en vigueur à l’époque et dont le texte était virtuellement identique à celui de l’actuel al. 742.3(2)f).

[…]

Le juge qui rend une ordonnance de sursis à l’emprisonnement sans l’assortir de conditions punitives devrait exposer la raison particulière expliquant cette décision. En effet, le juge qui détermine la peine ne doit jamais oublier que le sursis à l’emprisonnement ne doit être prononcé qu’à l’égard des délinquants qui autrement iraient en prison. S’il est d’avis qu’il est inutile d’imposer des conditions punitives, c’est alors la probation, et non le sursis à l’emprisonnement, qui est selon toute vraisemblance la mesure appropriée.

Il est vrai que l’intimé, comme le souligne son avocate, a déjà purgé la majeure partie du premier tiers de sa peine, soit le tiers comportant le plus de restrictions à sa liberté. Mais cette forme de privation de liberté demeure qualitativement différente d’une incarcération. On ne peut sérieusement soutenir en l’occurrence qu’une privation de liberté dans la collectivité d’une durée de cinq mois (au cours de laquelle l’intimé devait « être chez [lui] vingt-quatre heures sur vingt-quatre (24/24), excepté pour aller travailler, un travail légitime et rémunéré, etc. »), suivie d’une ordonnance de probation non punitive, équivaudrait à ce que le législateur recherchait en adoptant les récentes modifications aux articles 742.1 et 752 C.Cr.

[33] Sachant que l’incarcération est maintenant la règle pour ce type d’infractions, quelle est ici la peine appropriée?

[34] Il est clair que le juge de première instance a attaché une importance particulière aux perspectives de réhabilitation et de réinsertion de l’intimé. Il semble en effet que celui-ci s’était déjà largement repris en mains au moment du prononcé de la peine, même s’il sentait toujours le besoin de continuer ses démarches en ce sens. Voici ce que disait le juge à ce sujet en imposant la peine:

Je tiens compte du fait que vous avez été six (6) mois en cure de désintoxication, que vous avez passé à travers vos difficultés, que vous avez fait des démarches. Et je me souviens que vous aviez même fait des démarches avant de commettre ces crimes-là, parce que vous ne vous sentiez pas bien dans votre peau.

Dans un cas comme celui-ci, plus la peine d’incarcération sera longue, plus elle risquera de compromettre le résultat actuel des efforts louables accomplis par l’intimé pour se réhabiliter. Comme le mentionnait le juge en chef dans l’arrêt Proulx, « [i]l est notoire que le fait de condamner un délinquant à l’incarcération par suite d’une infraction reliée à la dépendance à la drogue sans s’attaquer à ce problème n’aboutira probablement pas à la réinsertion sociale de l’intéressé ».

[35] Militent également en faveur d’une peine plutôt clémente le fait que l’intimé a plaidé coupable, qu’il travaille et apporte un soutien à sa conjointe, que les rapports versés au dossier sur ses chances de réhabilitation sont favorables et que ses antécédents judiciaires, qui remontent à plus de vingt ans, sont comparativement mineurs.

[36] En revanche, la gravité objective des infractions, envisagée sous l’angle de la dissuasion générale, commande une mesure plus sévère.

[37] Si je compare l’ensemble de ces éléments avec ceux qui ressortent d’arrêts récents prononcés par notre Cour sur des peines pour vols qualifiés (notamment les arrêts R. c. Fabre et St-Pierre c. R.), j’en viens à la conclusion qu’une peine de dix mois d’emprisonnement serait appropriée.

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