lundi 7 septembre 2009

L'absence d'un mandat de perquisition

R. c. Côté, 2008 QCCS 3749 (CanLII)

[127] La preuve présentée par la poursuite est troublante. L'intervention policière nocturne a eu lieu sans autorisation judiciaire. Elle est donc présumée abusive au sens de l'article 8 de la Charte.

[128] Aucun policier ne semble s'être préoccupé du caractère nocturne de l'intervention, de l'absence d'un mandat de perquisition ou des limites inhérentes que comportent les pouvoirs d'intervention sans mandat reconnus par les tribunaux. Pas plus que les exigences rigoureuses relatives à l'obtention d'un consentement à une fouille ou une perquisition.

[129] Ces questions se posent quant à l'entrée sur le terrain [de l’adresse A], l'autorisation d'entrer dans la maison, la fouille de la maison, la fouille périphérique du terrain, la fouille du gazebo.

[130] Ce n'est qu'à 5 h 25, plus de cinq heures après l'intervention initiale que la préparation de demandes pour des mandats de perquisition a été effectuée.

[131] Compte tenu de l'absence d'un mandat de perquisition autorisant l'entrée des policiers sur le terrain [de l’adresse A] et surtout du fait que personne ne semble s'être souciée de cette question avant plus de cinq heures après l'intervention initiale, il est nécessaire de rappeler certains autres principes de base dans le domaine des fouilles et des perquisitions.

[132] En 1984, la Cour suprême décide dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. que l'article 8 de la Charte protège les attentes raisonnables en matière de vie privée.

[133] Le juge Dickson y affirme dans cet arrêt de principe «qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi».

[134] Cette appréciation doit être effectuée avant l'intrusion dans la vie privée par le biais d'une autorisation judiciaire préalable. Le juge Dickson en décrit la nature:

L'exigence d'une autorisation préalable, qui prend habituellement la forme d'un mandat valide, a toujours été la condition préalable d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie valides sous le régime de la common law et de la plupart des lois. Une telle exigence impose à l'état l'obligation de démontrer la supériorité de son droit par rapport à celui du particulier. Comme telle, elle est conforme à l'esprit apparent de la Charte qui est de préférer, lorsque cela est possible, le droit des particuliers de ne pas subir l'ingérence de l'état au droit de ce dernier de poursuivre ses fins par une telle ingérence.

Je reconnais qu'il n'est peut-être pas raisonnable dans tous les cas d'insister sur l'autorisation préalable aux fins de valider des atteintes du gouvernement aux expectatives des particuliers en matière de vie privée. Néanmoins, je suis d'avis de conclure qu'une telle autorisation, lorsqu'elle peut être obtenue, est une condition préalable de la validité d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie.

Ici encore, l'arrêt Katz, précité, est pertinent. Dans l'arrêt United States v. Rabinowitz, 339 U.S. 56 (1950), la Cour suprême des États-Unis avait jugé qu'une perquisition sans mandat n'était pas ipso facto abusive. Mais dix-sept ans plus tard, le juge Stewart a conclu dans l'arrêt Katz qu'une perquisition sans mandat était à première vue "abusive" en vertu du Quatrième amendement. Les termes de ce Quatrième amendement diffèrent de ceux de l'art. 8 et on ne peut transposer les décisions américaines dans le contexte canadien qu'avec énormément de prudence. Avec égards, néanmoins, je suis d'avis d'adopter en l'espèce la formulation du juge Stewart qui s'applique pareillement au concept du "caractère abusif" que l'on trouve à l'art. 8, et j'estime que la partie qui veut justifier une perquisition sans mandat doit réfuter cette présomption du caractère abusif.

[135] Le juge Lamer précise le cadre d'analyse de l'art. 8 dans l'arrêt R. c. Caslake:

Pour ne pas être abusive, la fouille ou perquisition doit être autorisée par la loi. La raison de cette exigence est claire: tant en vertu de la Charte que de la common law, les mandataires de l’État ne peuvent se rendre chez quelqu’un ou y saisir un bien que si la loi le permet précisément. Autrement dit, ils sont assujettis aux mêmes règles en matière d’intrusion et de vol que n’importe quelle autre personne. Une fouille ou perquisition peut ne pas satisfaire à cette exigence de trois manières. Premièrement, le mandataire de l’État qui effectue la fouille ou perquisition doit être en mesure d’indiquer une loi ou règle de common law particulière qui autorise la fouille ou perquisition. S’il ne peut le faire, on ne saurait dire que cette fouille ou perquisition est autorisée par la loi. Deuxièmement, la fouille ou perquisition doit être effectuée conformément aux exigences procédurales et substantielles que la loi prescrit. Par exemple, l’art. 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, autorise les fouilles ou perquisitions, mais seulement conformément à un mandat délivré par un juge de paix sur la foi d’une dénonciation sous serment énonçant des motifs raisonnables et probables. Le défaut de satisfaire à l’une de ces exigences fera en sorte que la fouille ou perquisition ne sera pas autorisée par la loi. Troisièmement, dans la même veine, l’étendue de la fouille ou perquisition est limitée au secteur et aux objets à l’égard desquels elle est autorisée par la loi. Dans la mesure où une fouille ou perquisition excède ces limites, elle n’est pas autorisée par la loi.

[136] Dans l'arrêt Tessling, le juge Binnie souligne que la maison d'un citoyen est le lieu où les attentes du citoyen en matière de vie privée sont les plus grandes:

La notion initiale de la vie privée qui a trait aux lieux ([traduction] « la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse » : Semayne’s Case, [1558-1774] All E.R. Rep. 62 (1604), p. 63) a évolué pour faire place à une hiérarchie plus nuancée visant d’abord la vie privée dans la résidence, le lieu où nos activités les plus intimes et privées sont le plus susceptibles de se dérouler (Evans, précité, par. 42; R. c. Silveira, 1995 CanLII 89 (C.S.C.), [1995] 2 R.C.S. 297, par. 140, le juge Cory : « —i—l n’existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa “maison d’habitation” »; R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 43), puis, dans une moindre mesure, dans le périmètre entourant la résidence (R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 3; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (C.S.C.), [1993] 3 R.C.S. 223, p. 237 et 241; R. c. Wiley, 1993 CanLII 69 (C.S.C.), [1993] 3 R.C.S. 263, p. 273), dans les locaux commerciaux (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 425, p. 517-519; R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 627, p. 641 et suiv.), dans les véhicules privés (Wise, précité, p. 533; R. c. Mellenthin, 1992 CanLII 50 (C.S.C.), [1992] 3 R.C.S. 615), dans les écoles (R. c. M. (M.R.), 1998 CanLII 770 (C.S.C.), [1998] 3 R.C.S. 393, par. 32), et même, au bas de l’échelle, dans les prisons (Weatherall c. Canada (Procureur général), 1993 CanLII 112 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 872, p. 877). Cette hiérarchie des lieux n’est pas contraire au principe sous-jacent selon lequel l’art. 8 protège « les personnes et non les lieux », mais elle emploie la notion de lieu comme instrument d’évaluation du caractère raisonnable de l’attente en matière de vie privée.

[137] Il est clairement établi depuis l’arrêt Colet c. La Reine que les policiers ne peuvent pénétrer sur une propriété privée sans autorisation judiciaire. Dans l'arrêt R. c. Kokesch[44] où la Cour suprême a décidé qu'une fouille périphérique, autour du périmètre d'une maison d'habitation exige une autorisation judiciaire, le juge en chef Dickson, dissident, s’exprime ainsi :

L'intimée a également allégué que la «perquisition périphérique» avait été effectuée légitimement en vertu des pouvoirs que la common law reconnaît à la police et n'était pas une intrusion illicite sur une propriété privée. À mon avis, cet argument est sans fondement. Notre Cour a toujours dit que les droits que la common law reconnaît au détenteur d'un bien de ne pas subir d'intrusion policière ne peuvent être restreints que par des pouvoirs conférés par des dispositions législatives claires. Dans l'arrêt Colet c. La Reine, 1981 CanLII 11 (C.S.C.), [1981] 1 R.C.S. 2, notre Cour a examiné la validité d'un mandat qui autorisait la police à «saisir» des armes à feu. Le juge Ritchie, au nom de la Cour, a conclu que le pouvoir de saisir doit recevoir une interprétation stricte pour empêcher la police d'entrer dans une propriété privée et d'y effectuer une perquisition générale, aux pp. 9 et 10:

On présume que tous les articles du Code criminel sont adoptés «dans l'intérêt public» et, à mon avis, il serait très dangereux de conclure que les droits privés d'une personne à la jouissance exclusive de sa propriété doivent être assujettis au droit des policiers d'y entrer de force chaque fois qu'ils prétendent agir en vue d'appliquer un article du Code criminel, même s'ils ne sont pas munis d'une autorisation expresse qui justifie leurs actes.
. . .

Comme je l'ai mentionné, j'estime qu'une disposition de la loi qui autorise les policiers à pénétrer sur la propriété d'autrui sans invitation ni permission constitue un empiétement sur les droits que la common law reconnaît au propriétaire. En cas d'ambiguïté, cette disposition doit recevoir une interprétation stricte qui favorise les droits que la common law reconnaît au propriétaire.

[138] Après avoir référé aux propos du juge Ritchie dans Eccles c. Bourque, le juge Dickson formule sa conclusion ainsi :

Étant donné ces affirmations claires, il n'y a, à mon avis, aucun fondement à l'argument que la common law reconnaissait à la police le pouvoir d'entrer sur la propriété privée de l'appelant pour y effectuer une perquisition.

Pour ces motifs, je suis d'avis de conclure que la perquisition périphérique sans mandat de la maison d'habitation de l'appelant a été effectuée sans autorisation légitime de la loi ou de la common law. En l'absence d'autorisation légitime, la perquisition périphérique doit être déclarée abusive: R. c. Debot, 1989 CanLII 13 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1147, le juge Lamer. Vu cette conclusion, il ne m'est pas nécessaire, à proprement parler, d'examiner les deuxième et les troisième critères du caractère raisonnable établis dans l'arrêt Collins, précité. Cependant, il me semble bien, indépendamment de la question de l'autorisation légitime, que la police ne possède pas un droit illimité du point de vue constitutionnel d'entrer sur une propriété privée. À mon avis, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a commis une erreur dans sa conclusion que la perquisition, bien qu'effectuée sans autorisation légitime, était néanmoins raisonnable. Par conséquent, je suis d'avis de conclure que les droits que l'art. 8 de la Charte reconnaît à l'appelant ont été violés par la perquisition périphérique sans mandat de sa maison d'habitation.

[139] En pénétrant sur le terrain de la résidence où habitait Mme Côté sans autorisation légitime (par la loi ou la common law), même si c'était pour avoir accès à la porte de la maison pour communiquer avec l'occupant, les policiers ont posé une série de gestes qui exige un examen de la constitutionnalité de cette intervention. La suite malheureuse fut une série de violations constitutionnelles qui se sont succédées pendant plusieurs heures sans que personne n'ait eu la lucidité d'y remédier.

[140] En raison de l'absence d'une autorisation judiciaire, la poursuite doit donc réfuter le caractère abusif de l'«intrusion illicite sur une propriété privée», en établissant que la fouille ou la perquisition était autorisée par la loi ou qu’ils avaient une invitation ou une permission selon les termes de l’arrêt Colet.

[141] Dans ses représentations écrites et orales, la poursuite estime que la présence initiale des policiers ne saurait être qualifiée de fouille ou de perquisition.

[142] Selon la poursuite, les policiers se sont rendus [à l’adresse A] suite à l'appel 911, dans le but de valider l'appel et voir ce qui s'est passé. Ils sont entrés avec la permission de Mme Côté. La poursuite soutient que les policiers interviennent alors en vertu du pouvoir qui a été reconnu par la Cour suprême dans R. c. Godoy en matière d'appel 911 ou en vertu de l'urgence de la situation qui se présentait aux policiers.

[143] De plus, la poursuite estime que la Cour suprême a reconnu dans l'arrêt R. c. Evans que les policiers peuvent se «rendre à la porte d'une résidence dans la mesure où le but est autorisé», en l'occurrence, l'appel 911.

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