vendredi 26 mars 2010

Principes devant présider le pouvoir discrétionnaire du tribunal de faire droit ou non à la demande présentée par un avocat pour cesser d’occuper

R. c. Cunningham, 2010 CSC 10

[46] Les principes suivants devraient présider à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de faire droit ou non à la demande présentée par un avocat pour cesser d’occuper.

[47] Le tribunal devrait faire droit à la demande qui est présentée suffisamment à l’avance pour que la procédure inscrite au rôle ne doive pas être reportée. Il n’y a pas lieu alors d’examiner le fondement de la demande ni d’exiger que l’avocat continue de représenter son client.

[48] Lorsque le délai est plus serré, le tribunal est justifié de pousser l’examen. Tant qu’il ne manque pas au secret professionnel, l’avocat peut révéler qu’il veut cesser d’occuper pour des motifs d’ordre déontologique, pour cause de non‑paiement de ses honoraires ou pour une autre raison (sa charge de travail, p. ex.). S’il invoque le respect de la déontologie, c’est que sa relation avec son client a évolué de telle sorte qu’il ne peut en conscience continuer de le représenter. L’avocat peut invoquer des « motifs d’ordre déontologique » lorsque, par exemple, l’accusé lui demande de manquer à ses obligations professionnelles (voir, p. ex., Barreau du Haut‑Canada, règles 2.09(7)b) et d); barreau de l’Alberta, ch. 14, règle 2; barreau de la Colombie‑Britannique, ch. 10, règle 1) ou qu’il ne suit pas ses conseils sur un point important lié au procès (voir, p. ex., Barreau du Haut‑Canada, règle 2.09(2); barreau de l’Alberta, ch. 14, règle 1; barreau de la Colombie‑Britannique, ch. 10, règle 2). Lorsque la véritable raison à l’origine de la demande est le non‑paiement des honoraires, l’avocat ne peut invoquer la déontologie. Toutefois, que l’un ou l’autre soit invoqué, le tribunal doit s’en tenir à l’explication donnée et s’abstenir de pousser l’examen afin de ne pas compromettre le secret professionnel.

[49] La demande d’autorisation de cesser d’occuper présentée pour un motif d’ordre déontologique doit être accueillie (voir les arrêts C. (D.D.), p. 328, et Deschamps, par. 23). Lorsqu’un problème d’ordre éthique se pose dans sa relation avec le client, l’avocat peut être tenu de se retirer du dossier pour se conformer à ses obligations professionnelles. Le tribunal ne saurait exiger qu’il continue d’occuper au mépris de celles‑ci.

[50] Lorsque le non‑paiement de ses honoraires est à l’origine de la demande de l’avocat, le tribunal peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la rejeter. Il peut également recourir à son pouvoir en matière d’outrage au tribunal pour faire respecter sa décision de ne pas autoriser l’avocat à cesser d’occuper (C. (D.D.), p. 327). Voici une liste non exhaustive des éléments dont il peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de faire droit ou non à la demande :

· la possibilité que l’accusé se défende lui‑même;

· l’existence d’autres avenues pour que l’accusé soit représenté;

· les conséquences pour l’accusé d’un délai dans le déroulement de la procédure, spécialement lorsque l’accusé est en détention;

· la conduite de l’avocat (p. ex., s’il a informé l’accusé suffisamment à l’avance pour qu’il puisse trouver un autre représentant ou s’il a demandé dès que possible au tribunal l’autorisation de cesser d’occuper);

· l’incidence sur le ministère public et sur un coaccusé;

· l’incidence sur les plaignants, les témoins et les jurés;

· l’équité envers l’avocat de la défense, compte tenu notamment de la durée prévue de l’instance et de sa complexité;

· l’historique du dossier, y compris le changement d’avocat à répétition.

Ces éléments étant tous étrangers à la relation avocat‑client, leur examen ne saurait violer le secret professionnel. Le tribunal doit déterminer, au regard de ces éléments, si l’autorisation de cesser d’occuper porterait sérieusement atteinte à l’administration de la justice. Dans l’affirmative, il peut la refuser.

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