Andrade c. R., 2010 NBCA 62 (CanLII)
[13] La toute dernière fois que la Cour suprême a confirmé la règle de Coke, ce fut dans l’arrêt R. c. Skolnick, 1982 CanLII 54 (S.C.C.), [1982] 2 S.C.R. 47, où elle a cité abondamment, en marquant son approbation, la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Cheetham, [1980] O.J. No. 721 (C.A.) (QL), laquelle s’appuyait elle‑même sur une décision plus ancienne rendue au Nouveau‑Brunswick, la décision The King c. O’Brien: Ex parte Chamberlain (1908), 38 N.B.R. 381, où l’on invoquait la décision Ex parte Miller (1875), 15 N.B.R. 485.
[14] Essentiellement, le principe de Coke veut que l’on ne puisse infliger une peine plus sévère relativement à une deuxième infraction à moins que le délinquant n’ait été condamné pour la première infraction avant la perpétration de la deuxième. La raison de principe qui sous‑tend l’existence de cette règle est bien établie et elle trouve sa meilleure formulation sous la plume du juge d’appel Blair dans l’arrêt R. c. Cheetham : [TRADUCTION] « On veut que la déclaration de culpabilité et la peine infligée pour la première infraction de même que le risque d’une peine plus sévère pour une infraction subséquente soient présents à l’esprit de l’accusé et qu’ils influencent sa conduite à l’avenir » (par. 19). Comme on peut s’y attendre, toutefois, cette règle n’est pas absolue. La déclaration de culpabilité relative à la première infraction ou à l’infraction antérieure peut être utilisée pour d’autres fins liées à la détermination de la peine. Par exemple, bien que l’on ne puisse tenir compte de la première infraction au moment d’infliger une peine relativement à la deuxième, la déclaration de culpabilité prononcée au titre de la première peut servir à réfuter, notamment, une présomption selon laquelle le délinquant est un bon candidat à une peine visant la réinsertion sociale. Une grande partie de la jurisprudence pertinente est exposée dans la décision R. c. Turner, 2010 NBBR 93, [2010] A.N.‑B. no 81 (QL).
[15] Habituellement, l’application de la règle de Coke est invoquée dans le contexte des dispositions du Code criminel qui prévoient une peine plus sévère dans le cas d’une deuxième déclaration de culpabilité ou d’une déclaration de culpabilité subséquente pour conduite avec facultés affaiblies ou refus de fournir un échantillon d’haleine. Cela nous amène à nous demander si, sous sa forme originale, la règle de Coke était une règle d’interprétation législative issue de la common law qui devait être appliquée dans le contexte des lois pénales prévoyant des peines plus sévères pour une deuxième infraction et une infraction subséquente à une disposition législative précise. Je reconnais que l’on trouve, dans l’arrêt R. c. Skolnick, des énoncés généraux qui, lus isolément, pourraient nous amener à conclure que la règle de Coke est davantage qu’une règle d’interprétation législative. Ainsi, à la page 58 [R.C.S.], le juge en chef Laskin, qui rendait jugement au nom de la Cour suprême, a écrit ceci : « La conclusion que je tire de l’analyse de la jurisprudence est que la règle de Coke ou, si l’on veut, la ligne de conduite qu’elle exprime, existe depuis trop longtemps dans notre droit pour qu’on puisse l’écarter sans une disposition législative expresse ou, à tout le moins, sans qu’on puisse le faire par déduction nécessaire ». De plus, le résumé des règles pertinentes que l’on trouve à la même page, témoigne de la généralité de la règle de Coke :
(1) En soi, le nombre de condamnations n’est pas déterminant sur la question de savoir si la règle de Coke s’applique.
(2) La règle générale veut que pour qu’on puisse imposer une sentence plus sévère pour une deuxième infraction ou une infraction subséquente, la deuxième infraction ou l’infraction subséquente doit avoir été commise après la première ou la deuxième condamnation, selon le cas, et la deuxième condamnation ou la condamnation subséquente doit être prononcée après la première ou la deuxième condamnation, selon le cas.
(3) Lorsque deux infractions découlant des mêmes faits sont jugées ensemble et qu’une condamnation est prononcée pour chacune à l’issue du procès, il faut les considérer comme une seule pour déterminer si une peine plus sévère s’applique à cause d’une condamnation antérieure ou à cause d’une condamnation subséquente.
(4) La règle joue même lorsque deux infractions qui découlent de faits distincts sont jugées ensemble et que les condamnations sont prononcées en même temps.
[16] Considérés isolément, les passages cités ci‑dessus pourraient nous amener à conclure que la règle de Coke est en réalité un principe général de détermination de la peine et non une règle d’interprétation législative. Il ne faut pas oublier, toutefois, que dans l’arrêt R. c. Skolnick, il était question de l’application de la règle de Coke dans le contexte d’une déclaration de culpabilité pour conduite avec facultés affaiblies et de l’infliction de la peine minimale prévue par la loi dans les cas de récidive. Dans cette affaire, le délinquant avait été déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies et de refus de fournir un échantillon d’haleine. Les deux condamnations découlaient des mêmes faits. Trois ans plus tard, le délinquant avait été déclaré coupable d’avoir conduit en état d’ébriété et condamné pour une troisième infraction. Ni la Cour d’appel de l’Ontario ni la Cour suprême n’ont souscrit à cette décision. Elles ont statué que la condamnation la plus récente aurait dû être considérée comme une deuxième infraction. Les deux déclarations de culpabilité antérieures auraient dû être considérées comme une seule condamnation.
[17] Une lecture attentive de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Skolnick ne laisse aucun doute quant au fait que la Cour a considéré l’application de la règle de Coke comme l’application d’une règle d’interprétation législative. La Cour a cité, en marquant son approbation, l’arrêt O’Hara c. Harrington, [1962] Tas. S.R. 165, dans lequel le juge en chef Burbury a dit ceci, à la p. 169, à propos de la règle de Coke : [TRADUCTION] « Cette règle d’interprétation des dispositions pénales du même genre, [qui remonte à] trois siècles, se fonde en somme sur un principe et ne dépend pas du texte précis d’une loi ». La Cour suprême a également invoqué, en marquant son approbation, l’arrêt R. c. Cheetham où l’on invoquait et citait le juge en chef Madden dans l’arrêt australien Christie c. Britnell (1895), 21 V.L.R. 71 qui citait le passage pertinent tiré de Coke’s Institutes : [TRADUCTION] « […] la deuxième infraction doit avoir été commise après la première déclaration de culpabilité et la troisième après la deuxième déclaration de culpabilité et des jugements distincts rendus; parce qu’il faut ainsi interpréter les autres lois du Parlement où il y a une gradation des peines [infligées] pour la première, la deuxième et la troisième infraction etc. […] » (p. 51 et 52 [R.C.S.]).
[18] En résumé, la règle de Coke a été formulée comme principe d’interprétation législative en common law qui est applicable aux lois pénales qui prévoient des peines plus sévères en cas de récidive (voir l’arrêt Skybar Ltd. c. British Columbia (General manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2006 BCCA 62 (CanLII), 2006 BCCA 62, [2006] B.C.J. No. 289 (QL)). La question qui reste consiste à savoir s’il y a lieu d’étendre la portée de la règle de Coke afin d’en faire une règle ou un principe général de détermination de la peine.
[19] Il y a quelques décisions qui appuient la proposition voulant que la règle de Coke s’applique en dehors du contexte des peines minimales prescrites par la loi. Toutefois, aucune instance ne traite de la question de savoir si cette règle est tout simplement une règle d’interprétation législative. La jurisprudence ne fait non plus état d’aucune raison de principe qui justifierait la reformulation de cette règle pour en faire une règle ou un principe général de détermination de la peine (voir les arrêts R. c. Stoddart, [2005] O.J. No. 6076 (C.A.) (QL) au par. 12; R. c. Johnson, [1998] B.C.J. No. 2924 (C.A.) (QL) au par. 21; R. c. Sparkes, [1978] N.J. No. 40 (C.A.) (QL) à la p. 371; et la décision R. c. Finelli [2008] O.J. No. 2537 (C.S.J.) (QL) au par. 31). S’appuyant sur ces décisions, Clayton C. Ruby, dans son ouvrage intitulé Sentencing, 7e éd. (Markham (Ont.) : Lexis/Nexis Canada Inc., 2008) considère la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Skolnick comme davantage que la simple confirmation de la règle de Coke comme règle d’interprétation législative. Il invoque cet arrêt à l’appui de l’existence d’un principe général et bien établi de détermination de la peine qu’il faudrait prendre en compte au moment d’examiner les antécédents judiciaires d’un délinquant : [TRADUCTION] « Puisqu’une première infraction donne lieu à un traitement aussi léger que possible et qu’une infraction subséquente peut être considérée d’un œil plus sévère, il importe de déterminer si une condamnation précise a été prononcée avant que n’ait été perpétrée l’infraction dont la Cour est saisie » (p. 382). Ensuite, Me Ruby explique ainsi les considérations de principe qui sous‑tendent cette attitude : [TRADUCTION] « [L]e fait qu’un délinquant récidive après avoir été, pour ainsi dire, “averti” et “mis en garde” par l’infliction d’une peine antérieure, peut, en l’absence d’une explication, être considéré sous un œil plus sévère qu’une première infraction » (p. 382).
[20] En toute déférence, il me semble inutile d’étendre la portée de la règle de Coke au‑delà de son objet initial et ce, pour la raison suivante. En résumé, le droit avait besoin d’une méthode simple et efficace permettant de déterminer ce qui constitue une deuxième infraction ou une infraction subséquente. C’est exactement ce que fait la règle de Coke. Certes, elle favorise le délinquant, mais il en est ainsi en raison du prononcé obligatoire d’une peine fixe ou minimale; peine qui écarte l’élément discrétionnaire au profit d’une peine que la cour n’aurait peut‑être pas par ailleurs infligée. D’un autre côté, il n’existe aucune règle ou principe obligatoire voulant qu’une deuxième déclaration de culpabilité ou une déclaration de culpabilité subséquente pour une infraction identique doive donner lieu à une peine plus sévère. Les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de décider si des condamnations antérieures seront considérées comme une circonstance aggravante. Habituellement, une déclaration de culpabilité subséquente sera considérée d’un œil plus sévère du fait de l’existence d’une déclaration de culpabilité antérieure, mais il ne s’ensuit pas automatiquement que cela soit vrai dans tous les cas. De plus, le juge qui détermine la peine se laissera guider par le principe de la gradation des peines, lequel prévoit une augmentation progressive de la durée des peines infligées en cas de récidive pour la même infraction. Une des préoccupations de la cour consiste à s’assurer que le délinquant n’est pas puni une nouvelle fois pour des infractions passées. Dans l’arrêt R. c. Muyser (C.N.), 2009 ABCA 116 (CanLII), 2009 ABCA 116, [2009] A.J. No. 323 (QL), la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé l’interprétation que je retiens ici en se reportant à Coke’s Institutes, R. c. Skolick et R. c Cheetham. À mon avis, la notion voulant que la déclaration de culpabilité antérieure ne doive pas être considérée comme faisant partie des antécédents judiciaires du délinquant pour les fins de la détermination de la peine, parce que celui‑ci n’a pas été convenablement mis en garde avant de commettre la deuxième infraction ou l’infraction subséquente, est un concept hypothétique par trop éloigné de la réalité de ce que pensent les récidivistes et de l’objet qui sous‑tend la règle de Coke. La question de savoir ce qui constitue ou non une circonstance aggravante et la façon dont il faut considérer les antécédents judiciaires du délinquant sont des choses qu’il vaut mieux laisser au juge chargé de déterminer la peine afin qu’il les tranche en fonction de la situation factuelle dont il est saisi.
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