mercredi 23 février 2011

Revue de la jurisprudence sur la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur par le juge Pierre Belisle

R. c. Brière, 2011 QCCQ 422 (CanLII)

[16] La preuve établit que l’accusé était assis à la place réservée au conducteur du véhicule. En vertu de l’al. 258(1)a) du Code criminel, il est réputé en avoir eu la garde ou le contrôle à moins qu’il n’établisse par prépondérance qu’il n’occupait pas cette position dans le but de le mettre en marche. L’on doit donner à ce dernier terme le sens de « mouvement » suivant l’expression anglaise “set in motion” utilisée à l’al. 258(1)a). Ainsi, lorsque le moteur tourne, le véhicule est en marche, mais il n’est pas encore en mouvement.

[18] Ainsi, en établissant qu’il n’a pas pris place dans le véhicule dans l’intention de conduire, l’accusé a repoussé la présomption édictée par l’al. 258(1)a) du Code criminel. Par conséquent, la poursuite doit présenter des éléments de preuve autrement que par l’effet de la présomption : R. c. Toews, 1985 CanLII 46 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 119, p. 125; R. c. Ford, [1987] 1 R.C.S. 231.

[19] Dans le cadre de cette infraction, la poursuite doit donc démontrer la présence d'actes comportant une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires ou encore une conduite quelconque à l'égard de ce véhicule qui comporte un risque de danger, compte tenu de la possibilité qu'il soit mis en mouvement : voir R. c. Rousseau, J.E. 98-168(C.A.), AZ-98011040 (C.A.); R. c. Rioux, REJB 2000-19176 (C.A.).

[20] Dans R. c. Penno, 1990 CanLII 88 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 865, 877, le juge Lamer résumait ainsi la règle consacrée par l'arrêt Toews, précité :

Par contre, la loi ne manque pas totalement de souplesse et ne va pas jusqu'à punir la simple présence dans un véhicule à moteur d'une personne dont la capacité de conduire est affaiblie. En réalité, l'arrêt Toews consacre la règle que, lorsque l'utilisation du véhicule à moteur ne comporte aucun risque de le mettre en marche et de le rendre dangereux, les cours de justice devraient conclure qu'il y a absence d'actus reus.

[21] Quant au fait que l'accusé n'avait pas l'intention de quitter les lieux avec son véhicule, il ne s'agit pas d'un moyen de défense. C'est la possibilité de quitter les lieux et de mettre en mouvement le véhicule, par une personne en état d'ébriété, qui établit la notion de garde et contrôle : voir R. c. Miron, [2007] QCCA 1783; R. c. Sergerie, [2005] QCCA 1227 et R. c. Rioux, précité, permission refusée à la Cour suprême à [2001] 1 R.C.S. xvii.

[22] Dans R. c. Olivier, [1998] J.Q.No 1954, la Cour d’appel du Québec, au paragr. 18, refuse de conclure mécaniquement à la culpabilité d’un individu assis derrière le volant en état d’ébriété avec la clef dans le contact :

18. La proposition de l’appelante suivant laquelle le fait pour un conducteur d’être assis derrière le volant d’une voiture, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que ce conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolu : dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c’est le cas, mais, devant un jeu de circonstances donné, le tribunal pourra, sans errer en droit, conclure que ce n’est pas le cas;

[23] Dans R. c. Farcy, 2010 QCCQ 5764 (CanLII), 2010 QCCQ 5764, le juge Lacoursière a estimé qu’il n’y avait pas de risque réaliste qu’une dame mette son véhicule en mouvement de telle sorte qu’il puisse devenir dangereux lorsqu’elle a été retrouvée endormie en état d’ébriété avancé au volant d’une voiture située sous un abri d’auto attenant à sa résidence et dont le moteur était en marche après avoir été expulsée par le locataire des lieux où elle habitait.

[24] Dans R. c. Decker 2002 NFCA 9 (CanLII), (2002), 162 C.C.C. (3d) 503 (C.A.T.-N.), autorisation d’appel refusée à [2002] 4 R.C.S. vii, la Cour d’appel de Terre-Neuve a estimé que le juge du procès pouvait conclure à l’absence de risque de danger puisque l’accusé ne pouvait mettre le véhicule en mouvement qu’en accomplissant une série de manœuvres précises et non un simple geste. Dans cette affaire, l’accusé a été trouvé endormi au volant de son véhicule en état d’ébriété avancé pendant que le moteur tournait. Il avait l’habitude de se rendre en taxi chez un ami pour y passer la nuit et retourner chez lui le lendemain. Étant donné son absence, il s’est couché sur le siège du conducteur et s’est endormi après avoir démarré le moteur à l’aide d’un démarreur à distance. La Cour d’appel a statué qu’en règle générale, le danger est un élément essentiel de l’infraction et a accepté le moyen de défense fondé sur l’existence d’un projet bien arrêté.

[25] Après avoir effectué une revue exhaustive de la jurisprudence, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans R. c. Mallery, 2008 NBCA 18 (CanLII), (2008), 231 C.C.C. (3d) 203, 2008 NBCA 18, paragr. 33, a reconnu que le danger est un élément essentiel de l’infraction à une exception près :

46 […] Dans les cas où le ministère public invoque la présomption législative et où l’accusé est incapable de la réfuter, ce dernier est réputé avoir eu la garde ou le contrôle du véhicule conformément à l’alinéa 258(1)a) du Code criminel. Il est donc inutile de s’interroger sur l’existence d’un danger.

[26] La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick ajoute, au paragr. 33, que finalement dans l’arrêt R. c. Shuparski, 2003 SKCA 22 (CanLII), 173 C.C.C. (3d) 97, 2003 SKCA 22, autorisation d’appel refusée, [2003] C.S.C.R. no 167, la Cour d’appel de la Saskatchewan a statué, au paragr. 18, que [TRADUCTION] “[t]out doute qui a pu être soulevé dans la jurisprudence en ce qui concerne la nécessité d’un élément de “danger” a, à mon humble avis, été dissipé par les arrêts [Wren, Decker et Burbella]”.

[27] Ainsi, « on peut tenir pour acquis, sans crainte de se tromper, que le danger est présent dès lors qu’il est établi qu’[un] accusé a été trouvé assis au volant pendant que le moteur tournait, compte tenu du risque que l’accusé change d’avis et décide de conduire », sauf s’il « a invoqué le moyen de défense fondé sur l’existence d’un projet bien arrêté » (Mallery, précité, paragr. 45).

[29] Il avait établi un plan bien précis, soit de quitter son véhicule à pied le matin pour se rendre au restaurant situé à 200 mètres du lieu où il a été arrêté. Sa crédibilité n’est pas en doute sur ce point. Il avait pris les mesures de sécurité nécessaires pour éviter d’être impliqué dans un accident. D’ailleurs, s’il avait voulu conduire en état d’ébriété, il aurait pu le faire en sortant du bar à 3 heures. Il a plutôt décidé qu’il était préférable, pour la sécurité publique, de passer la nuit dans son véhicule. Dans les circonstances, il n’y avait aucun danger qu’il change d’avis et qu’il parte au volant du véhicule. Il n’existait donc pas de possibilité réelle (par opposition à théorique) ou de risque véritable (par opposition à hypothétique) qu’il mette volontairement ou involontairement son véhicule en mouvement ou qu’un danger immédiat pour la sécurité publique soit créé d’une autre façon.

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