mardi 16 octobre 2012

Appréciation des délais (dé)raisonnables / Lorsqu'un délai découle d'un acte de l'accusé, il faut en tenir compte dans l'exercice de pondération et attribuer le délai en résultant à ce dernier et non au système

R. c. Jean-Jacques, 2012 QCCA 1628 (CanLII)

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[5] Les principes applicables sont bien connus. Dans l'arrêt Morin, la Cour suprême a pondéré sa jurisprudence relative à l'article 11 b) de la Charte, énoncée initialement dans les arrêts Smith et Askov. Par la suite, elle a interprété dans l'arrêt Godin les principes dégagés de l'arrêt Morin précité. Lues ensemble, ces décisions font ressortir trois constantes : la difficulté que pose l'évaluation du préjudice, l'importance à accorder à l'ensemble du dossier dans l'exercice de pondération requis ainsi que la nécessaire conciliation des intérêts de l'accusé avec ceux de la société :

[18] Notre Cour a établi le cadre juridique applicable en l'espèce dans Morin, aux p. 786-789. Pour déterminer si un délai est déraisonnable, il faut considérer la longueur du délai, déduction faite des périodes auxquelles la défense a renoncé, puis examiner les raisons du délai, le préjudice subi par l'accusé et les intérêts que l'al. 11b) vise à protéger. Par la force des choses, cette démarche demande souvent un examen minutieux de différentes périodes et d'une foule de questions factuelles concernant les raisons de certains retards. Toutefois, au cours de cet examen minutieux, il faut veiller à ce que l'attention que nous portons aux détails ne nous fasse pas perdre de vue l'ensemble de la situation.

[6] L'intimé prétend que la norme d'intervention applicable en pareille matière fait en sorte que les tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une retenue considérable. Il a tort. À cet égard, il convient de citer la Cour d'appel de l'Ontario :

[5] Second, the respondent’s counsel submitted that the trial judge’s findings are findings of fact deserving of deference, absent palpable or overriding error. I do not agree. In R. v. Chatwell 1998 CanLII 3560 (ON CA), (1998), 122 C.C.C. (3d) 162 (Ont. C.A.), appeal to S.C.C. quashed 1998 CanLII 784 (SCC), (1998), 125 C.C.C. (3d) 433 (S.C.C.), this court applied the normal standard of review to the assessment of institutional delay. The court said (at para. 10):

The determination of whether certain factors constitute institutional delay for the purpose of an analysis pursuant to s. 11(b) of the Charter is one which, in our opinion, attracts the normal standard of appellate scrutiny. The adjudication of the s. 11(b) rights of an accused is not akin to the exercise of judicial discretion.

[6] In R. v. Qureshi, 2004 CanLII 40657 (ON CA), (2004), 190 C.C.C. (3d) 453 at para. 27 (Ont. C.A.), Laskin J.A. stated that a trial judge’s accounting of the inherent time requirements is to be reviewed on a standard of correctness. In my view, this applies to the process of assessing the various periods of delay, ascribing legal character to them and allocating them to the various categories set out in R. v. Morin, 1992 CanLII 89 (SCC), (1992), 71 C.C.C. (3d) 1 (S.C.C.). For example, whether the Crown had produced documents by a certain date is a question of fact. However, the questions of whether the failure to produce those documents constitutes a failure of the Crown’s duty of disclosure and whether such failure makes the Crown responsible for ensuing delay, involve the application of legal principles. The questions raised by this appeal primarily involve alleged errors in the way the trial judge accounted for various time periods, which is reviewable on a standard of correctness.
[7] En somme, s'il est acquis qu'il faut faire preuve d'une grande déférence quant aux conclusions de fait du juge de première instance, il en va autrement de la qualification des délais. Quant à l'évaluation du préjudice, il s'agit d'une question pouvant donner lieu à une erreur mixte de fait et de droit.

[8] En l'espèce, bien que le juge de première instance ait correctement identifié les principes applicables, la Cour est d'avis qu'il a commis des erreurs révisables dans la qualification de certains délais et l'application de la grille d'analyse relative à l'évaluation du préjudice.

[9] Lorsqu'un délai découle d'un acte de l'accusé, il faut en tenir compte dans l'exercice de pondération et attribuer le délai en résultant à ce dernier et non au système. C'est le cas, notamment, de l'accusé qui change d'avocat, qui demande une remise pour mieux se préparer, qui demande une enquête préliminaire ce qui ne pourra que reporter la date de tenue du procès, qui demande un report du procès pour quelque raison que ce soit (ce qui entraînera, vraisemblablement, un nouveau délai institutionnel), etc. Il ne s'agit pas alors de blâmer l'accusé, mais de reconnaître que l'exercice d'un tel droit est susceptible d'engendrer des délais dont il ne peut ensuite légitimement se plaindre (dans la mesure où ceux-ci sont normaux dans le cas de délais institutionnels).

[13] En somme, une qualification correcte des délais donne le résultat suivant : délais inhérent : 6 mois, délais institutionnels : 21 mois, délais imputables à l'intimé : 15 mois. De plus, aucun n'est attribuable au ministère public. Des délais institutionnels de 21 mois peuvent sembler longs, mais ils s'expliquent par la procédure en deux étapes (enquête préliminaire (à la demande de l'accusé malgré la simplicité de l'affaire) et procès; nécessité de reporter le procès pour une circonstance imprévisible (maladie)).

[14] Quant à la question du préjudice subi par l'intimé, un examen de la preuve permet de conclure que la longueur du délai n'est pas ici une source d'un préjudice sérieux. La perte de l'emploi lucratif résulte de l'accusation et non des délais. Quant aux restrictions imposées lors de la remise en liberté, certes elles imposaient des contraintes sur la vie sociale de l'intimé, mais il demeure qu'il pouvait en demander la modification si elles l'empêchaient d'occuper un emploi, ce qu'il n'a fait que deux ans après leur imposition. Quant à la présomption qu'un délai excessif est susceptible d'entraîner un préjudice, rien ne démontre en l'espèce une possibilité d'une quelconque atteinte au droit à une défense pleine et entière. Il faut aussi souligner qu'en aucun moment l'intimé n'a manifesté un empressement quant à la tenue de son procès.

[15] Enfin, vu la gravité du crime reproché (que le juge reconnaît à deux reprises dans son jugement), les intérêts de l'intimé devaient être contrebalancés avec ceux de la société. Ceux qui sont accusés d'avoir transgressé la loi doivent être traduits en justice, sauf dans des circonstances incontestablement préjudiciables à un accusé. Les circonstances de la présente affaire ne sont pas de cet ordre.

[16] Si le juge de première instance avait correctement qualifié les délais et pris en considération tous les autres éléments mentionnés précédemment, il est manifeste qu'il aurait rejeté la requête en arrêt des procédures, une réparation exceptionnelle.

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