jeudi 12 décembre 2013

Le droit à un avocat compétent est lié aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière et à un procès juste et équitable

R. c. Delisle, 1999 CanLII 13578 (QC CA)


Comme je l'ai souligné plus haut, le droit à un avocat compétent est lié aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière et à un procès juste et équitable.  Il ne suffit donc pas d'établir simplement l'incompétence de l'avocat.  Il faut en plus démontrer que celle-ci a dans la réalité brimé l'accusé dans ses droits.  L'aspect causal de l'incompétence constitue donc l'élément fondamental de l'analyse.


En appel, puisque le rôle de la Cour consiste à s'assurer que l'appelant a subi un procès juste et équitable, toute allégation d'incompétence de l'avocat, même amplement démontrée, ne justifie une intervention que dans la mesure où l'appelant établit un lien entre cette incompétence et un déni de justice (art. 686(1)b)iii) C.cr.).  En d'autres termes, en raison de la conduite blâmable de l'avocat, l'accusé doit avoir été privé de son droit à une défense pleine et entière ou à un procès juste et équitable.  Cette proposition a été constamment évoquée par cette Cour et ne fait pas l'objet de controverse en jurisprudence canadienne.

Par voie de conséquence, il est logique pour la cour d'analyser d'abord le préjudice ou l'effet de la conduite de l'avocat sur l'équité du procès.  Si la Cour arrive à la conclusion que ce préjudice est inexistant, toute discussion subséquente est superflue et inutile.   Pourquoi alors discuter des motifs pour lesquels l'avocat de la défense n'a pas contre-interrogé la plaignante au sujet de ses antécédents judiciaires si, à la lumière de l'ensemble de la preuve et des plaidoiries, il s'avère qu'aucun préjudice n'a pu résulter de cette omission: R. v. Sauvé 1997 CanLII 12544 (BC CA), (1997), 121 C.C.C. (3d) 225 (C.A. C.-B.)?


L'arrêt R. v. Joanisse, supra, rendu par la Cour d'appel d'Ontario, constitue un exemple de l'inconvénient (cela dit avec tous les égards pour l'opinion contraire), de blâmer la conduite de l'avocat pour ensuite conclure que même si celui-ci avait agi autrement, le même verdict de culpabilité aurait été rendu.  Dans cette affaire, l'appelant, qui avait décidé, à la dernière minute, de ne pas témoigner à son procès pour le meurtre de sa conjointe, reprochait à son avocat de ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables pour le convaincre néanmoins de témoigner.  En se fondant sur une nouvelle preuve constituée d'affidavits produits de part et d'autre, le juge Doherty a reproché à l'avocat de ne pas avoir pris tous les moyens pour s'assurer que son client comprenait bien les conséquences de sa décision, mais a néanmoins conclu que l'appelant n'avait pas démontré que dans les circonstances le verdict eût pu être différent.  Contrairement à leur collègue, les juges Robins et Austin, sous la plume du juge Austin, ont exprimé leur approbation de la conduite de l'avocat, avec le résultat que le pourvoi fut rejeté unanimement.


Comme l'ont souligné les juges majoritaires, une cour d'appel qui doit trancher une allégation d'incompétence sur la base d'une preuve constituée d'affidavits de personnes qui présentent des versions contradictoires, n'est sûrement pas des mieux placées («is ill-equipped») pour évaluer cette question avec justesse.  J'ajouterais que l'avocat n'étant pas partie au litige, il n'obtient pas le droit d'être confronté par le tribunal aux aspects qui font problème.  Il ne lui est pas donné, non plus, l'occasion de réfuter ou d'expliquer, soit viva voce ou par d'autres témoins, ce qui pourrait militer en sa faveur.

Dans ce contexte, il me paraît donc plus prudent pour une cour d'appel qui n'est pas en mesure de rejeter d'entrée de jeu une allégation d'incompétence manifestement mal fondée, de ne pas s'engager d'abord à un examen de la question de compétence, lorsque par ailleurs elle est convaincue que de toute façon aucun préjudice n'en a résulté.  En effet, la seule véritable question demeure celle de savoir si l'appelant a subi un préjudice irréparable.


(...)


C'est sans hésitation que je me range à cette école de pensée puisque notre Cour, dès 1982, dans Marinello c. La Reine, C.A. Montréal no 500-10-000181-808, 25 novembre 1982 (les juges Lajoie, Bélanger et Jacques), et en 1984, dans Toussaint c. R., 40 C.R. (3d) 230, a adopté cette même approche.  Dans l'arrêt Toussaint, le juge Vallerand approuvait la proposition énoncée dans l'arrêtMarinello (erronément cité comme Minichello dans l'arrêt Toussaint) à savoir que:

Le rôle de la Cour d'appel est principalement de veiller à ce que tout accusé soit jugé selon la loi et que son procès soit mené de façon juste et équitable.

Si l'on démontre à la Cour, ou si la Cour elle-même constate que la conduite tant du procureur de la Couronne que celle du procureur de l'accusé a causé à ce dernier un tort important ou constitue une erreur judiciaire grave, la Cour se doit d'intervenir.
(mes soulignements)

Je désire enfin souligner que dans l'arrêt Brigham, supra, aucun des membres de la formation n'a jugé opportun de préciser la norme applicable, tellement était flagrante l'incompétence reprochée à l'avocat.


Concluant donc sur ce troisième point, je crois que l'on peut affirmer que si les deux méthodes d'analyse se rejoignent ultimement en exigeant la démonstration d'un tort irréparable ou d'un préjudice qui a rendu le procès inéquitable, ils se distinguent par leur approche dans l'examen du degré d'incompétence et de la norme applicable.  En cherchant à nuancer le degré de compétence en fonction d'une norme, sans garder à l'esprit la portée pratique de cette évaluation, on se bute aux difficultés que j'ai exposées ci-haut.  C'est pourquoi, avec égards, je préfère la technique adoptée par la jurisprudence du Commonwealth de même que par notre Cour dans les arrêts Marinello etToussaint, supra.

Quelle que soit la démarche choisie, il y a toutefois lieu de préciser maintenant certains principes qui doivent guider les tribunaux dans la détermination de ces deux questions fondamentales.

En premier lieu, il n'est pas inutile de rappeler le principe bien connu de la stabilité des jugements qui, tant en droit civil qu'en droit pénal, constitue une fin de non-recevoir, sauf circonstances exceptionnelles, à toute tentative d'une partie non satisfaite d'un jugement de vouloir obtenir une seconde chance en s'en prenant aux décisions ou aux conseils de son avocat en première instance.


En principe, la règle se retrouve dans plusieurs systèmes de droit qui reposent sur les mêmes valeurs fondamentales, «the State could not normally be held responsible for the actions or decisions of an accused's lawyer.  It followed from the independence of the legal profession that the conduct of the defence was essentially a matter between the defendant and his representatives» (La Cour Européenne des Droits de l'Homme dans Stanford v. U.K., the Times Law Reports, 8 mars 1994, cité dans Shiels, «Current Topic Blaming the Lawyer», supra, p. 744).

En deuxième lieu, la moindre faute, la moindre maladresse, la plus petite erreur de jugement ou de stratégie ne saurait, en principe, permettre de faire réviser, ex post facto, la décision de l'avocat au bénéfice de la partie qui a échoué.


En troisième lieu, et je rejoins ici les considérations énumérées antérieurement, l'avocat dont la conduite est en cause doit avoir eu l'opportunité de s'expliquer.  Une détermination judicieuse de la conduite d'un avocat requiert en effet de la cour d'appel de procéder avec déférence à un examen objectif et juste qui commande d'éviter le piège de l'«hindsight», de reconstituer le mieux possible les événements reliés à la conduite reprochée et enfin d'évaluer celle-ci dans la perspective de celui dont la conduite est en cause.

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