vendredi 24 janvier 2014

La «défense traîtresse» VS le procès conjoint

R. c. Crawford, 1995 CanLII 138 (CSC), [1995] 1 RCS 858


XXX.         Il existe cependant de solides raisons de principe pour que les personnes accusées d'infractions qui découlent d'un même événement ou d'une même suite d'événements subissent leur procès conjointement.  Ces raisons valent autant sinon plus lorsque chacun des coaccusés rejette le blâme sur l'autre, situation qualifiée de «défense traîtresse».  La tenue de procès distincts en pareil cas fait courir le risque de verdicts contradictoires.  Elliott, loc. cit., résume, à la p. 17, les principes qui militent contre la tenue de procès distincts:

                  [TRADUCTION]  La situation pose un dilemme qui ne pourrait être évité que par la tenue de procès distincts.  Or, des procès distincts ne seront pas préconisés, car outre les frais supplémentaires et les délais qu'ils supposent, il est indéniable que toute la vérité sur un événement est beaucoup plus susceptible d'être dévoilée si chacun des prétendus participants donne sa version des faits à une même occasion.  Si ces derniers étaient poursuivis séparément, il serait manifestement très difficile d'obtenir le même résultat sans accorder l'immunité à l'un d'eux.  Partant, sauf dans les cas exceptionnels, un procès conjoint aura lieu malgré l'impasse qui en découle nécessairement.

XXXI.         Même si le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner la tenue de procès distincts, il doit exercer ce pouvoir en tenant compte de principes juridiques, y compris celui voulant que la tenue de procès distincts ne soit ordonnée que s'il est établi qu'un procès conjoint causerait une injustice à l'accusé.  Le seul fait qu'un coaccusé a recours à une défense «traîtresse» n'est pas suffisant en soi.  Dans l'arrêt Pelletier, précité, on a autorisé un accusé à contre‑interroger un coaccusé relativement à la déclaration qu'il avait faite à la police et dont le caractère volontaire n'avait pas été établi.  En appel de sa déclaration de culpabilité, il a soutenu que, s'il avait été poursuivi séparément, le contre‑interrogatoire n'aurait pas été autorisé.  Il a donc fait valoir que la tenue de procès distincts aurait dû être ordonnée.  En rejetant ce moyen, le juge Hinkson dit ce qui suit au nom de la cour, à la p. 539:

                  [TRADUCTION]  Il faut se rappeler, à cet égard, que le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de faire droit ou non à une demande de procès distincts.  La règle générale en la matière veut que les personnes qui ont pris part à une entreprise commune soient jugées conjointement, sauf si l'on peut démontrer qu'un procès conjoint causerait une injustice à l'une d'elles:  R. c. Black and six othersreflex, [1970] 4 C.C.C. 251, aux pp. 267 et 268, 10 C.R.N.S. 17, aux pp. 35 et 36, 72 W.W.R. 407.  En l'espèce, le juge du procès n'était pas convaincu qu'il était opportun d'ordonner la tenue de procès distincts.  Je ne conclus pas qu'il a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

XXXII.        Comme je l'ai mentionné précédemment, aucune des parties au présent pourvoi ne prétend que la solution du problème réside dans la tenue de procès distincts chaque fois que le plein exercice du droit d'un accusé de présenter une défense pleine et entière paraît entrer en conflit avec les garanties dont bénéficie habituellement un accusé qui fait face seul au ministère public.  Cette position est compatible avec les principes énoncés précédemment.  La règle générale veut donc que la question des droits respectifs des coaccusés soit réglée sur la base que le procès sera conjoint.  Cela ne signifie cependant pas que le juge du procès est dépouillé de son pouvoir discrétionnaire d'ordonner la tenue de procès distincts.  Il demeure investi de ce pouvoir et peut l'exercer s'il appert que les efforts visant à concilier les droits respectifs des coaccusés causent une injustice à l'un de ceux‑ci.

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