R. c. Borris, 2013 QCCQ 1825 (CanLII)
[30] Le complot peut être défini comme une entente entre plusieurs personnes d'agir ensemble dans la poursuite d'un but commun. Dans le cas d'une accusation de complot, il s'agit donc de déterminer si "les actes des accusés visaient une fin criminelle qu'ils poursuivaient ensemble":
46 Le mot "conspirer" vient de deux mots latins "con" et "spirare" qui signifient "souffler ensemble". Conspirer c'est s'entendre. L'essence du complot criminel est la preuve de l'entente. Dans une accusation de complot, l'entente en soi est la substance de l'infraction […]. L'actus reus est le fait de l'entente […]. L'entente à laquelle parviennent les conspirateurs peut envisager plusieurs actes ou infractions. Le nombre de participants n'est pas limité. De nouvelles personnes peuvent se joindre au projet en cours alors que d'autres peuvent l'abandonner. Aussi longtemps qu'il existe un plan général ininterrompu, des changements peuvent intervenir quant aux méthodes, aux conspirateurs ou aux victimes, sans que le complot prenne fin. L'enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l'entente, mais plutôt sur la question de savoir s'il existe vraiment une entente commune dont les actes découlent et à laquelle participent tous les présumés responsables. Dans R. v. Meyrick and Ribuffi, (1929), 21 Cr. App. R. 94 (C.C.A.), à la p. 102, il s'agissait de savoir si [TRADUCTION] "les actes des accusés visaient une fin criminelle qu'ils poursuivaient ensemble", et dans 11 Halsbury (4e éd.), à la p. 44, on lit:
[TRADUCTION] Il ne suffit pas que deux ou plusieurs personnes poursuivent le même objet illégal, en même temps ou au même endroit; il faut démontrer qu'il y a eu accord des volontés, un consensus visant une fin illégale.
La preuve doit établir, hors de tout doute raisonnable, que les conspirateurs présumés ont agi de concert pour atteindre un but commun.
(Mes soulignements)
[31] Dans l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Dynar, la majorité de la Cour suprême formule les éléments requis pour qu'il y ait complot: (1) une intention de s'entendre; (2) la conclusion d'une entente et (3) un projet commun:
86 Dans l'arrêt R. c. O'Brien, 1954 CanLII 42 (SCC), [1954] R.C.S. 666, aux pp. 668 et 669, notre Cour a fait sienne la définition du complot énoncée dans l'arrêt anglais Mulcahy c. The Queen (1868), L.R. 3 H.L. 306, à la p. 317:
[Traduction] Un complot ne réside pas seulement dans l'intention de deux ou plusieurs personnes, mais dans l'entente conclue entre deux ou plusieurs personnes en vue de commettre un acte illégal, ou d'accomplir un acte légal par des moyens illégaux. Tant qu'un tel projet reste au stade de l'intention, il ne peut faire l'objet de poursuites. Lorsque deux personnes conviennent de le mettre à exécution, le projet lui-même devient un acte distinct, et l'acte de chaque partie [...] devient punissable s'il vise un but criminel.
L'intention de conclure une entente, la conclusion d'une entente et l'existence d'un projet commun sont essentiels. Dans l'arrêt O'Brien, précité, le juge Taschereau a ajouté, à la p. 668:
[Traduction] Il n'est pas nécessaire qu'un acte manifeste soit accompli pour mettre le complot à exécution et commettre le crime, mais j'ai la certitude qu'il doit exister une intention de mettre le projet commun à exécution. Un projet commun implique nécessairement une intention. Ce sont des synonymes. L'intention ne peut consister qu'en la volonté de réaliser l'objet de l'entente.
(Soulignements ajoutés)
[32] Afin de déclarer un accusé coupable de complot, il ne suffit donc pas pour la poursuite de prouver qu'il y a eu une entente, mais il faut de plus qu'il y ait une preuve que l'accusé a consenti à participer à l'achèvement du but illégal:
40 Prévu par l'article 465 C.cr., le crime de complot en est un d'intention dont l'essence est la preuve de l'entente […]. Les éléments matériel et moral de l'infraction se chevauchent, l'actus reus étant le fait de s'entendre alors que la mens rea est l'intention réelle de s'entendre pour mettre à exécution le projet criminel.
41 […] [P]our prouver l'intention d'adhérer à un complot existant, il ne suffit pas de prouver que l'accusé avait connaissance d'un plan illégal. Il faut démontrer qu'il l'a fait sien et a consenti à participer à son achèvement [...] :
Adhérer à un complot existant, c'est beaucoup plus qu'en avoir connaissance, en discuter, avoir un intérêt dans sa réalisation ou même y donner son approbation; un complot ne constitue pas seulement une entente, il doit se manifester par "consent ... and the agreement to co-operate in the attaining of the evil end" […]. Notre Cour, dans Regina v. Lessard reflex, (1982), 10 C.C.C. (3d) 61, sous la plume du juge Bisson, approuvait cette définition selon laquelle l'entente "... must be to participate together in the co-operative pursuit of a common object" (p. 87). […]
42 En lisant cet extrait, on constate que le crime de complot ne peut se commettre par simple insouciance quant à l'objet de l'entente […].
(Références omises et soulignements ajoutés)
[33] Tout d'abord, il convient de souligner que la participation de l'accusé à l'un des "segments" du complot ne le rend pas nécessairement partie au complot, puisqu'il est possible que celui-ci ignorait (ou ne souhaitait pas) réaliser l'objet principal du complot. Il peut toutefois être possible d'inférer une telle volonté:
8.320 Participation in a subsidiary object of a conspiracy does not make a person a party to the conspiracy to achieve the principal object specified in the indictment. Thus, participation in the transportation of narcotics once in Canada does not in itself render the transporter a party to a charge of conspiracy to import narcotics […]. However, involvement in events following the importation may lead to an inference that the person was a party to conspiracy to import, as where a person attends a meeting to discuss the police seizure of the drugs.
(Soulignements ajoutés)
[34] Toutefois, cela ne signifie pas que la Couronne doive démontrer que l'accusé connaissait tous les "segments" du complot. Il est suffisant qu'il soit mis en preuve que l'accusé connaissait la nature du plan et que ce dernier avait sciemment décidé d'y participer:
8.1280 The Crown is not required to prove that an accused had knowledge of all details or phases of a conspiracy. Rather, it is sufficient to show participation in the conspiracy with knowledge of the essential nature of the plan. […]
8.1360 It is also important to note that it is not necessarily true that a person who performs only one of several overt acts of a conspiracy is a party to the conspiracy: the primary question is whether he or she has agreed that effect be given to the objects or purposes of the conspiracy (so that the overt act gives partial effect to those objects or purposes), or wheter the person's agreement is limited to part only of those objects or purposes.[…]
8.1380 […] For the same reasons, the fact that an accused has knowledge of a conspiracy to import and an interest in its successful completion does not necessarily make the accused a party to that conspiracy; he or she may only be a party to a conspiracy to traffic the drug after it arrives […].
(Soulignements ajoutés)
[35] Le juge du procès doit donc décider s’il existe une preuve suffisante des éléments constitutifs du crime, à savoir :
a) Une entente entre une ou plusieurs personnes afin d’accomplir un objet illégal (l’existence du complot);
b) La connaissance par la personne accusée de la nature générale du complot;
c) L’intention de cette personne d’adhérer au complot pour en réaliser l’objet.
[36] L’infraction de complot est une infraction distincte du crime substantif que deux ou plusieurs personnes ont tenté de commettre ou commis. « Conspirer », c’est s’entendre pour commettre un crime et l’entente est l’élément déterminant. Il faut de plus que le ministère public établisse l’intention de la personne accusée de conclure une entente, d’y participer et de réaliser l’objet de cette entente.
[37] Un agent provocateur ou un agent d’infiltration qui tend un piège ne peut être partie à un complot; faute d’intention, la conspiration est impossible.
[38] De plus, la commission d’un crime par plusieurs personnes n'entraîne pas nécessairement une conclusion de l’existence d’une entente. L’enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l’entente, mais plutôt sur la question de savoir s’il existe vraiment une entente.
[39] En matière de complot, la preuve d'actes manifestes est une exception à la règle du ouï-dire, puisqu'elle peut constituer une preuve incriminante, contre tous les membres du complot, et ce, même s'ils sont absents au moment du déroulement de ces actes. Dans l’arrêt R. c.Carter, la Cour suprême du Canada a élaboré une procédure en trois étapes encadrant la preuve d'actes manifestes, qui se résume comme suit:
En définitive, toutefois, pour que l'exception à la règle du ouï-dire puisse s'appliquer, la preuve relative à la question préliminaire de la participation de l'accusé au complot doit être présente. Dans son exposé au jury sur cette question, le juge du procès doit lui dire de décider si l'ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l'existence du complot reproché dans l'acte d'accusation. Si le jury n'en est pas convaincu, il doit alors acquitter l'accusé qui est inculpé d'avoir participé au complot. Si, toutefois, le jury conclut qu'il y a eu complot, comme on le prétend, il doit alors examiner la preuve et décider si, d'après la preuve directement recevable contre l'accusé, il est probable qu'il ait participé au complot. Si c'est là sa conclusion, le jury peut alors appliquer l'exception à la règle du ouï-direet considérer comme recevable contre l'accusé, relativement à la question de sa culpabilité, la preuve des actes posés et des déclarations faites par les coconspirateurs en vue de réaliser les objets du complot. Cette preuve, ajoutée aux autres éléments de preuve, peut suffire pour convaincre le jury hors de tout doute raisonnable que l'accusé a participé au complot et qu'il est donc coupable.
[Soulignements ajoutés]
[40] L’arrêt R. c. Carter propose la démarche analytique suivante pour déterminer la culpabilité d’une personne accusée à un complot :
a) Premièrement, existe-t-il une preuve hors de tout doute raisonnable de l’existence d’un complot?
b) Deuxièmement, si oui, existe-t-il une preuve directement recevable (c'est-à-dire exception faite des actes ou des déclarations des coconspirateurs) contre la personne accusée qui rend probable la participation de la personne accusée au complot?
c) Troisièmement, si oui, l’ensemble de la preuve établit-elle hors de tout doute raisonnable la culpabilité de la personne accusée à l’infraction qui lui est reprochée?
[41] Lorsqu’il existe une preuve directement admissible de l’existence d’un complot et du caractère probable que la personne accusée est l’un des conspirateurs, la preuve par ouï-dire devient admissible. Cela ne veut pas dire que, dans le but d’établir l’existence d’un complot ou le fait qu’un crime a été commis par deux ou plusieurs personnes, le ministère public ne peut pas faire la preuve d’un acte posé ou d’une parole prononcée par un tiers hors la présence de la personne accusée, si cet acte ou cette parole ne constitue pas du ouï-dire. Par ailleurs, les paroles prononcées par une personne impliquant directement ou nommément une autre personne accusée constituent du ouï-dire.
[42] À la première étape de l’analyse de type Carter, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable, l’existence du complot tel qu’énoncé au chef d’accusation. À cette étape, il ne s’agit pas de déterminer qui fait partie du complot, mais si l’ensemble de la preuve permet de conclure hors de tout doute raisonnable à l’existence du complot mentionné dans l’acte d’accusation. Toute preuve pertinente est admissible pour démontrer l’existence du complot, incluant les actes manifestes et les déclarations des conspirateurs.
[43] L’existence de l’entente peut être inférée de la preuve.
[44] À cette étape, il n’est pas nécessaire de connaître l’identité de tous les conspirateurs.
[45] De même, il n’est pas nécessaire que tous les membres du complot connaissent l’identité et le rôle joué par tous les autres membres du complot. Il suffit que les membres aient la connaissance de la nature générale du complot.
[46] Les actes et les déclarations de conspirateurs dans la poursuite du but commun, survenus avant que l’accusé ne joigne le complot, sont admissibles pour établir l’existence, la nature ou l’origine du complot, mais non sa participation.
[47] De la même manière, dans le cadre de la deuxième étape de l’arrêt Carter, le contenu d’une communication interceptée est admissible contre le déclarant alors que la connaissance de son contenu peut être imputée au récepteur.
[48] À la seconde étape de l’analyse de type Carter, le ministère public doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, la participation de la personne accusée. La participation probable de la personne accusée est déterminée en regardant uniquement la preuve directement recevable contre l’accusé lui-même. Cette preuve doit cependant être examinée en considérant le contexte. À cet égard, la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard a écrit :
13. […] It is also important to bear in mind that the words and actions of the accused ought to be interpreted and considered in the context of the surrounding circumstances in which they occur. Although an accused can only become a member of a conspiracy by his own acts or declarations, that does not mean that what he says or does is to be viewed in isolation or without reference to the milieu in which they occur or that they cannot be interpreted against the picture provided by the acts of the alleged co-conspirators. In order to give meaning or to gain a proper appreciation of an accused’s own acts and declarations, it is permissible for the trier of fact to consider them in the context of the interaction with and among others.
[49] Ainsi, les paroles et les gestes d’une personne accusée doivent être analysés en fonction des paroles et des gestes des autres personnes avec lesquelles elle interagissait. Les paroles et les gestes des autres servent à comprendre le sens de ceux de la personne accusée. De plus, les paroles des autres peuvent constituer une exception au ouï-dire dans la mesure où elles ont été prononcées en présence de la personne accusée et que celle-ci par son attitude et ses répliques adopte le contenu de ce que disent ces personnes. À ce titre, elles seraient admissibles contre la personne accusée à la deuxième étape de l’arrêt Carter.
[50] À la deuxième étape de l’analyse Carter, le contenu d’un document est admissible contre son auteur. Par ailleurs, la connaissance du contenu du document est admissible contre la personne l’ayant en sa possession.
[51] Enfin, à la troisième étape de l’analyse Carter, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable la participation de la personne accusée au complot. À cette étape, l’exception à la règle du ouï-dire s’applique et les actes posés et les déclarations faites par les coconspirateurs en vue de réaliser les objets du complot sont recevables contre la personne accusée. Il s’agit de l’exception communément connue sous le nom « l’exception au ouï-dire, les actes manifestes ».
[52] Pour déclarer un accusé coupable de complot, le Tribunal doit donc être convaincu hors de tout doute raisonnable que le complot a eu lieu et que l'accusé y a participé. L'exception au ouï-dire peut être invoquée seulement lorsqu'une preuve directement recevable contre l'accusé établit la probabilité de sa participation au complot.
[53] Un geste ou une déclaration fait par un conspirateur non accusé, appelé ou non comme témoin au procès, est admissible à la troisième étape de l’analyse Carter uniquement s’il est probable que ce dernier ait participé au complot tel qu’exigé par la deuxième étape de l’analyse Carter.
[54] À la troisième étape, un document, s’il a été confectionné en vue de réaliser un ou des objets du complot, est recevable contre tous les conspirateurs. À la troisième étape, la communication interceptée est admissible contre les conspirateurs n’ayant pas participé à la communication en tant que telle, pourvu que celle-ci ait été faite en vue de réaliser l’un des objets du complot.
[55] La confession que fait un coconspirateur, après son arrestation ne vaut qu’à son endroit. De même, l’exception du ouï-dire ne vaut pas pour la déclaration qui ne fait pas avancer la conspiration et qui est purement narrative d’un événement survenu durant l’existence du complot.
[56] Si une personne adhère à un complot existant, elle devra avoir la connaissance de la nature du complot et l’intention de réaliser l’objet illégal. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’elle connaisse toutes les modalités d’exécution du projet.
[57] La poursuite doit prouver l’existence d’un accord entre les parties au complot. Les discussions préalables dans le but d’arriver à une entente criminelle sont donc insuffisantes pour constituer l’infraction, mais elles pourront contribuer à prouver l’entente intervenue subséquemment. De la même manière, la preuve qu’une personne connaît l’existence d’un complot et qu’elle accomplit certains actes ayant pour effet de le faire progresser est insatisfaisante pour entraîner une déclaration de culpabilité : on doit faire la preuve d’une entente.
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