samedi 20 septembre 2014

Il existe des principes jurisprudentiels qui interdisent les contestations incidentes des jugements des tribunaux (attaque collatérale)

Québec (Procureur général) c. Laroche, [2002] 3 RCS 708, 2002 CSC 72 (CanLII)

Lien vers la décision

73                              Il existe indéniablement des principes jurisprudentiels bien établis qui interdisent, en règle générale, les contestations indirectes ou incidentes des jugements des tribunaux.  Un jugement demeure valable et lie les parties aussi longtemps qu’il n’est pas modifié ou cassé à la suite de l’exercice des droits d’appel ou de correction pertinents, comme le rappelait le juge McIntyre dans des commentaires toujours pertinents :

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée.  De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement.  Lorsqu’on a épuisé toutes les possibilités d’appel et que les autres moyens d’attaquer directement un jugement ou une ordonnance, comme par exemple les procédures par brefs de prérogative ou celles visant un contrôle judiciaire, se sont révélés inefficaces, le seul recours qui s’offre à une personne qui veut faire annuler l’ordonnance d’une cour est une action en révision devant la Haute Cour, lorsqu’il y a des motifs de le faire.

(Wilson c. La Reine, 1983 CanLII 35 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 594 p. 599-600; voir aussi R. c. Meltzer1989 CanLII 68 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1764; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor1990 CanLII 26 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 892, p. 972-973, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef).)


74                              Ces jugements de notre Cour n’encouragent certainement pas les contestations dites « collatérales » ou indirectes  (R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 179, le juge L’Heureux-Dubé (dissidente sur cette question)).  Cependant, dans l’arrêt Wilson, le juge McIntyre admettait la possibilité d’exceptions à la prohibition générale, en mentionnant les cas de fraude ou de vice apparent à la face même de l’autorisation contestée.  D’autres décisions ont aussi apporté des atténuations limitées à ce principe.  Ainsi dans l’arrêt R. c. Litchfield1993 CanLII 44 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 333, le juge Iacobucci avait reconnu la possibilité de réviser une ordonnance préparatoire relative à la division d’un procès.  Il permettrait à une cour, dans une matière qui concernait le contrôle de sa propre procédure et la conduite de ses affaires de remédier à une décision si erronée qu’elle vicierait fondamentalement le processus judiciaire.  La forme ne devait pas l’emporter sur le fond (voir Litchfield, précité, p. 348-350; voir au même effet :Dagenais c. Société Radio-Canada1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, p. 870-872; R. c. Beaulac1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, par. 11, le juge Bastarache).


75                              Une analyse particulièrement intéressante de la portée de la prohibition des contestations indirectes se retrouve dans un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, dans R. c. Domm 1996 CanLII 1331 (ON CA), (1996), 111 C.C.C. (3d) 449.  Dans cette affaire, la Cour d’appel rejeta une contestation incidente d’une ordonnance de non-publication rendue dans un procès criminel très médiatisé.  Condamné pour violation de cette ordonnance, Domm tenta de plaider l’invalidité constitutionnelle de l’ordonnance en défense aux accusations portées contre lui, alors qu’il aurait pu l’obtenir dans le débat relatif à celle-ci et dans un appel éventuel.  Sa contestation échoua.  Le juge de première instance et la Cour d’appel invoquèrent les règles interdisant les contestations indirectes.  Cependant, le juge Doherty, auteur de l’opinion unanime de la Cour d’appel, souligna que ce principe devait connaître des exceptions au nom des intérêts fondamentaux du système d’administration de la justice, notamment, pour assurer le respect de la règle de droit.  Cet objectif exige alors de préserver la réputation de la justice, en garantissant son fonctionnement ordonné et efficace.  Dans la mesure où elles contribuent à préserver ces valeurs, des limites restreintes peuvent être apportées à l’interdiction des contestations indirectes comme on le voit, selon lui, dans les jugements de notre Cour, comme l’arrêt Litchfield, auxquels il renvoyait pour illustrer ses réflexions (Domm, p. 460-462).  Le juge Doherty rappelait à ce propos que, pour préserver l’intégrité de la règle de droit, il convient d’assurer un accès utile à des tribunaux indépendants capables d’accorder des réparations  appropriées aux individus dont les droits ont été violés (Domm, p. 455).  Il ajoutait que cet aspect des valeurs impliquées prenait une importance particulière dans le cas d’une violation de la Constitution qui représente l’élément fondateur de l’ordre juridique de notre pays : [TRADUCTION]  « lorsque des droits constitutionnels sont en jeu, le tribunal doit prêter une attention particulière à la possibilité d’accorder une réparation efficace autre que l’attaque indirecte, lorsqu’il se demande s’il y a lieu de faire exception à la règle interdisant l’attaque indirecte » (Domm, p. 460).  Il importait alors d’éviter de rendre des décisions judiciaires imperméables à toute forme de révision ou de contrôle (Domm, p. 462).

76                              Des exceptions limitées et contrôlées par les tribunaux à l’interdiction des contestations incidentes ne portent pas atteinte au principe de stabilité des décisions judiciaires qui demeure un élément central d’une saine administration de la justice et d’un système juridique ordonné.  Leur reconnaissance permet par contre de préserver également l’intégrité de la règle de droit fondamentale, en assurant son respect dans des situations où des droits constitutionnels seraient autrement lésés de façon grave, à défaut d’un tel remède.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...