dimanche 18 octobre 2015

L’exécution de l’obligation de divulgation de la preuve par le ministère public



59                              Les règles encadrant l’obligation de divulgation de la preuve incombant au ministère public, après une période de développement graduel par les cours d’appel  provinciales dans les dernières décennies, ont été précisées et consolidées par notre Cour dans l’arrêt Stinchcombe. Ces règles se résument en quelques propositions. Le ministère public doit divulguer à l’accusé tous les renseignements pertinents, qu’ils soient inculpatoires ou disculpatoires, sous réserve de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministère public de refuser de divulguer des renseignements privilégiés ou encore manifestement non pertinents. La pertinence s’apprécie tant à l’égard de l’accusation elle-même que des défenses raisonnablement possibles. Les renseignements pertinents doivent être divulgués, que le ministère public ait ou non l’intention de les produire en preuve et ce, avant que l’accusé n’ait été appelé à choisir son mode de procès ou à présenter son plaidoyer (p. 343). En outre, toute déclaration obtenue de personnes qui ont fourni des renseignements pertinents aux autorités devrait être produite, même si le ministère public n’a pas l’intention de citer ces personnes comme témoins à charge (p. 345). Notre Cour a d’ailleurs défini largement la notion de pertinence dans l’arrêt R. c. Egger1993 CanLII 98 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 451, p. 467 :


Une façon de mesurer la pertinence d’un renseignement dont dispose le ministère public est de déterminer son utilité pour la défense : s’il a une certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué — Stinchcombe, précité, à la p. 345. Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si l’accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d’avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve.

60                              Tel que défini par la jurisprudence, ce concept de pertinence favorise la divulgation de preuve. Peu de renseignements seront soustraits à l’obligation de communication de la preuve imposée à la poursuite. Comme l’affirmait notre Cour dans l’arrêt Dixon, précité, « le critère préliminaire fixé pour la divulgation [de la preuve] est fort peu élevé. [. . .] L’obligation de divulguer du ministère public est donc déclenchée chaque fois qu’il y a une possibilité raisonnable que le renseignement soit utile à l’accusé pour présenter une défense pleine et entière » (par. 21; voir également R. c. Chaplin1995 CanLII 126 (CSC)[1995] 1 R.C.S. 727, par. 26-27). « Si le ministère public pèche, ce doit être par inclusion. Il n’est toutefois pas tenu de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence » (Stinchcombe, précité, p. 339). 

61                              Ce droit a un caractère constitutionnel. Protégé par l’art. 7 de la Charte, il contribue à assurer l’exercice du droit de l’accusé à une défense pleine et entière; voir R. c. Carosella1997 CanLII 402 (CSC)[1997] 1 R.C.S. 80, par. 37; Dixon, précité, par. 22. Tel que l’écrivait le juge Cory, au nom de notre Cour, dans ce dernier arrêt, au par. 22 :

. . . lorsqu’un accusé démontre l’existence d’une possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués auraient été utilisés pour réfuter la preuve du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou, par ailleurs, pour prendre une décision qui aurait pu avoir une incidence sur la façon de présenter la défense, il se trouve également à établir l’existence d’une atteinte au droit à la divulgation que lui garantit la Charte. [Souligné dans l’original.]


62                              En l’espèce, tel qu’en convient l’intimée, les renseignements non divulgués par la police ou par le substitut du procureur général responsable de la conduite des poursuites remplissent le critère préliminaire de Stinchcombe. Je discuterai en détail du contenu et de l’utilité potentielle de la preuve non divulguée lorsque j’évaluerai si le droit des appelants à une défense pleine et entière a été violé. Il suffit pour l’instant de préciser que les déclarations antérieures de certains témoins auraient pu servir à miner la crédibilité de leur témoignage au procès. Certaines déclarations non divulguées auraient pu être utilisées afin de mettre en doute la crédibilité de la thèse du ministère public quant au déroulement des événements survenus durant la nuit du meurtre. En outre, elles auraient été susceptibles d’appuyer la défense d’alibi présentée par les appelants. Enfin, la divulgation opportune de certains éléments de preuve aurait permis la découverte et l’exploration de nouvelles pistes d’enquête. En conséquence, selon les règles actuelles encadrant l’obligation de divulgation de la preuve, les renseignements composant la nouvelle preuve auraient dû être divulgués aux appelants

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