dimanche 29 octobre 2017

Un accusé n'a pas un droit constitutionnel à une enquête policière de qualité relativement aux accusations auxquelles il fait face

R. c. Durand, 2011 QCCS 6762 (CanLII)

Lien vers la décision

[31]            D'abord, le Tribunal ne peut conclure que l'enquête policière a été bâclée du fait que certaines vérifications n'ont pas été faites auprès de certains témoins.
[32]            L'enquête policière n'a pas à être parfaite. La défense a reçu la divulgation de la preuve et pourra, si elle le juge à propos, faire le nécessaire pour contester cette preuve.
[33]            À ce sujet, le Tribunal réfère à une décision rendue par la juge Sophie Bourque, le 27 septembre 2011, dans la cause Sa Majesté la Reine c. Frank Antoine Joseph qui renvoie à l'arrêt R. v. Darwish :
[29]      An accused does not have a freestanding constitutional right to an adequate investigation of the charges against him or her: R. v. Barnes2009 ONCA 432 (CanLII), 2009 ONCA 432, at para. 1.  Inadequacies in an investigation may lead to the ultimate failure of the prosecution, to a specific breach of a Charter right or to a civil remedy.  Those inadequacies do not, however, in-and-of-themselves constitute a denial of the right to make full answer and defence.
[30]      An accused also does not have a constitutional right to direct the conduct of the criminal investigation of which he or she is the target.  As Hill J. put it in R. v. West[2001] O.J. No. 3406 (S.C.), at para. 75, the defence cannot, through a disguised-disclosure demand, “conscript the police to undertake investigatory work for the accused”.  See also:  R. v. Schmidt 2001 BCCA 3 (CanLII), (2001), 151 C.C.C. (3d) 74 (B.C.C.A.), at para. 19.  That is not to say that the police and the Crown should not give serious consideration to investigative requests made on behalf of an accused.  Clearly, they must.  However, it is the prosecutorial authorities that carry the ultimate responsibility for determining the course of the investigation.  Criminal investigations involve the use of public resources and the exercise of intrusive powers in the public interest.  Responsibility for the proper use of those resources and powers rests with those in the service of the prosecution, and not with the defence. 
 [31]      Nor does the disclosure right, as broad as that right is, extend so far as to require the police to investigate potential defences.  The Crown’s disclosure obligation was recently described in R. v. McNeil2009 SCC 3 (CanLII)[2009] 1 S.C.R. 66.  The court, at para. 22, reiterated the Crown’s obligation, subject to very limited exceptions, to make timely disclosure to an accused of all relevant material “in the possession or control of the Crown”.  The Crown’s disclosure obligation will also require the Crown, in response to defence requests, to take reasonable steps to inquire about and obtain relevant information in the possession of some third parties.  Charron J. described this aspect of the disclosure obligation at para. 49:
The Crown is not an ordinary litigant.  As a minister of justice, the Crown’s undivided loyalty is to the proper administration of justice.  As such, Crown counsel who is put on notice of the existence of relevant information cannot simply disregard the matter.  Unless the notice appears unfounded, Crown counsel will not be able to fully assess the merits of the case and fulfil its duty as an officer of the court without inquiring further and obtaining the information if it is reasonably feasible to do so. 
 [32]      I see a vast difference between requiring the Crown to take reasonable steps to assist an accused in obtaining disclosure of relevant material in the possession of a third party, and requiring the Crown to conduct investigations that may assist the defence.  The former recognizes an accused’s right to relevant information and the practical advantage that the Crown may have over the defence when it comes to obtaining that information from some third parties.  The latter would require the prosecution to effectively surrender control of the investigation to the defence, or ultimately face a stay of the criminal charges. 
[33]      The disclosure obligation rests on the premise that material in possession of the prosecutorial authorities that is relevant to a criminal prosecution is not the “property” of the Crown, but is rather “the property of the public to be used to ensure that justice is done”:  R.v. Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC)1991 CanLII 45 (SCC)[1991] 3 S.C.R. 326, at p. 333 .  This rationale fully justifies the broad disclosure obligations imposed on the prosecution with respect to material that is in existence.   It does not justify an approach that would permit the defence to dictate the course of the investigation to prosecutorial authorities.
[…]
[39]      An interpretation of the right to make full answer and defence that imposes a duty on the prosecution to investigate possible defences is also irreconcilable with the basic features of the criminal justice system.  No doubt, the Crown has obligations to an accused and to the administration of justice that go beyond those normally imposed on opposing counsel in litigation.  However, the criminal justice system remains essentially an accusatorial and adversarial one.  The prosecution, which includes the Crown and the police, is charged with the responsibility of investigating and prosecuting crime in the public interest.  To do so the prosecution must investigate allegations, lay charges and prove those charges in a criminal proceeding.  To properly perform these functions the prosecution must decide on the nature and scope of an investigation.  The accused is entitled to the product of that investigation, but is not entitled to dictate the nature or scope of that investigation.
[34]            Un accusé n'a pas de droit constitutionnel autonome d'avoir une enquête policière adéquate relativement aux accusations portées contre lui.
[35]            Le ministère public n'est pas tenu de faire entendre un témoin qu'il considère ne pas être utile pour établir sa preuve. Dans Jolivet, au paragraphe 14, la cour Suprême reprenant la cause de Cook établit, en se référant également à la cause de Lemay v. The King confirmé par Yebes, que le ministère public n'est pas tenu de faire entendre un témoin qu'il ne considère pas nécessaire pour établir sa preuve.

Un accusé ne possède pas le droit constitutionnel à la meilleure enquête policière concernant les accusations dont il fait l’objet

Lafond c. R., 2014 QCCS 3575 (CanLII)

Lien vers la décision

[20]      Ce qui précède justifie le rejet de la requête. D’ailleurs, y faire droit obligerait la poursuivante (procureurs et policiers) à effectuer un travail considérable pour le bénéfice de la défense. L’obligation de communication de la preuve par le ministère public ne va pas jusque-là.
[21]      Dans l’arrêt R. c. Darwish (2010 ONCA 124 (CanLII)), la Cour d’appel de l’Ontario rappelle qu’un accusé ne possède pas le droit constitutionnel à la meilleure enquête policière concernant les accusations dont il fait l’objet (par. 29). Elle ajoute qu’il n’appartient pas à l’accusé de diriger l’enquête (par. 30) et que l’obligation de divulgation de la preuve, aussi vaste soit-elle, ne va pas jusqu’à exiger de la police qu’elle enquête sur de possibles moyens de défense (par. 31).

Détermination de la peine dans le cas d’une accusation de conduite d’un véhicule à moteur alors que les capacités de conduire étaient affectées par l’effet de l’alcool et causant des lésions corporelles

R. c. Brassard, 2016 QCCQ 5940 (CanLII)

Lien vers la décision

[59]        En cours de délibéré, la Cour d’appel, dans l’arrêt Lemaire, s’est prononcée concernant la fourchette de peines applicables dans le cas d’une accusation de conduite d’un véhicule à moteur alors que les capacités de conduire étaient affectées par l’effet de l’alcool et causant des lésions corporelles.
[60]        Elle établit la fourchette de peines entre 90 jours à deux ans d’emprisonnement et s’exprime comme suit :
[8] Il faut rappeler que, très souvent, pour ce type d’infraction, la peine va d’un emprisonnement de 90 jours à deux ans d’emprisonnement1, comme le soutenait l’avocate de l’intimé en première instance, sans nier qu’il existe aussi des cas où la peine fut plus clémente ou plus sévère, selon les circonstances de l’infraction ou selon la situation de l’accusé…
[61]        Dans son affirmation que la peine va d’un emprisonnement de 90 jours à deux ans d’emprisonnement, la Cour d’appel cite ces jurisprudences : R. c. Zurnic, R. c. Ayotte, R. c. Blanchette-Jannard R. c. Shaharias, R. c. Taylor, R. c. Delaunière,Dansereau-Rochot c. R., R. c. Boileau, R. c. Michaud et R. c. Landry, de même que la doctrine de Hugues Parent et Julie Desrochers.
Jurisprudence de la poursuite
[62]        Au soutien de sa prétention, la poursuite soumet, entre autres, un arrêt de la Cour d’appel rendu en 2014, soit R. c. Silbande où la Cour d’appel établit une fourchette de peines entre 12 et 36 mois pour des infractions de conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles, ou autres crimes analogues, même si les accusés sont jeunes et sans antécédent.
[63]        Elle soumet également la décision du juge Valmont Beaulieu, R. c. Hamel dans laquelle il procède à l’étude de plusieurs décisions dont celle de la Cour d’appel dans Ferland c. R. à laquelle un tableau de peines est annexé.
[64]        L’analyse des 16 décisions rendues entre 2012 et 2014 soumises par la défense dans la décision Hamel précitée, révèle des peines variant entre une amende (1 décision) et 12 mois d’emprisonnement avec une majorité, soit 10 décisions, allant de 8 à 12 mois.
[65]        Le juge Beaulieu cite également les décisions suivantes :
-      R. c. Dubé où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions très sévères, est condamné à 15 mois de détention;
-      R. c. Landry où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions très sévères, est condamné à 15 mois de détention;
-      Paré c. R. où la Cour d’appel réduit de 5 à 3 ans la peine pour une conduite avec les facultés affaiblies causant la mort;
-      Hakim c. R. où la Cour d’appel confirme la peine de 18 mois pour une infraction de conduite dangereuse causant des lésions. La victime est dans un état végétatif.
-      R. c. Busque où l’accusé qui a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles a été condamné à 4 ans d’emprisonnement. La victime est impotente.
[66]        La procureure en poursuite soumet également la décision Beaulieu où l’accusé a plaidé coupable de conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions corporelles et de délit de fuite sachant que des lésions avaient été causées, est condamné à des peines de 15 mois et de 4 mois d’emprisonnement consécutifs respectivement.
Jurisprudence de l’accusé
[67]        Le procureur de Pascal Brassard a soumis au Tribunal les jurisprudences qui suivent où les accusés ont reçu des peines de 90 jours d’emprisonnement:
R. c. Bellemarredans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions corporelles à deux personnes, sans séquelle permanente; 
R. c. Gauthier, dans laquelle madame Gauthier a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant la mort dans une situation de car-surfing. Elle a aussi reçu une peine de 240 heures de travaux communautaires. Il s’agit toutefois d’une situation très particulière;
R. c. Fréchettedans laquelle l’accusée s’est fait arrêter pour conduite avec les facultés affaiblies à 15h23, qu’elle est retournée chez elle et, quelques heures plus tard, a pris son véhicule, encore avec les facultés affaiblies et a eu un accident causant lésions. La peine reçue a été de 1 500 $ d’amende pour la conduite avec les facultés affaiblies et 2 000 $ d’amende pour la conduite avec les facultés affaiblies causant lésions de même que 5 000 $ en dédommagement à la victime. Les blessures sont légères;
R. c. Durand, dans laquelle l’accusée a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Elle a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires et un don de 500 $. Les blessures sont sévères, mais de courte durée; aucune séquelle permanente;
R. c. Zurnic, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions à deux personnes. Elle a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires. Les blessures sont légères et sans séquelle;
R. c. Ayotte, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Il a été aussi condamné à verser un don de 3 000 $. Les blessures sont graves avec séquelles;
R. c. Roy, dans laquelle l’accusé a été déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort et de délit de fuite et a reçu une peine d’emprisonnement de 90 jours en plus de 200 heures de travaux communautaires. La victime participait à une course lorsqu’elle a eu l’accident et est décédée;
R. c. Taylor, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions. Les blessures sont sérieuses avec séquelles;
R. c. Deschênes, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable de conduite avec les facultés affaiblies causant lésions corporelles et a aussi reçu une peine de 200 heures de travaux communautaires. La victime a perdu l’usage de ses mains et de ses jambes. C’est un dossier très particulier, comme le dit le juge;
R. c. Pelletier, dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et a aussi reçu une peine de 150 heures de travaux communautaires et un don de 2 000 $. Les blessures sont sévères avec séquelles.
[68]        Conscient de la demande de la poursuite, le procureur en défense a soumis également de la jurisprudence de façon subsidiaire qui impose des peines au-delà de ses prétentions, mais qui sont en-dessous de celles soumises par la poursuite, à savoir :
R. c. De Launière dans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et a reçu une peine de six mois d’emprisonnement;
R. c. Gagnon-McKenzieoù l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et a reçu une sentence de six mois d’emprisonnement;
R. c. Leblancoù l’accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse causant lésions et pour laquelle une suggestion commune de neuf mois d’emprisonnement a été demandée et, après une longue analyse, accueillie par le Tribunal;
R. c. Lebel, où l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies avec lésions et a reçu une peine de neuf mois d’emprisonnement;
R. c. Beaulnedans laquelle l’accusé a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et reçu une peine de huit mois d’emprisonnement;
Directeur des poursuites pénales et criminelles c. Richarddans laquelle l’accusée a plaidé coupable à une conduite avec les facultés affaiblies causant lésions et a reçu une peine d’emprisonnement de sept mois suite à une suggestion commune considérée, après analyse, comme n’étant pas déraisonnable.
[69]        Cette différence de peines démontrée par les décisions précédemment citées confirme que la détermination d’une peine est un exercice délicat qui oblige le Tribunal à trouver un juste équilibre entre tous les facteurs le guidant dans la détermination de la peine.
[70]        La suggestion de la défense s’inscrit à l’extérieur de la fourchette suggérée par la Cour d’appel concernant la conduite avec les facultés affaiblies causant des lésions.
[71]        Toutefois, comme l’a établi la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Nasogaluak, le Tribunal a discrétion lors de la détermination de la peine et les fourchettes de peines ne sont pas des règles absolues mais sont plutôt des lignes directrices.
[72]        La Cour suprême, dans cet arrêt, rappelle que la peine est un processus individualisé qui oblige le Tribunal à soupeser les objectifs de détermination d’une peine de façon à tenir compte des circonstances de l’affaire.
[73]        Or, justement, les circonstances de l’affaire amènent le Tribunal à ne pas considérer raisonnable la suggestion de la défense et y voir des différences avec la jurisprudence soumise.

samedi 21 octobre 2017

Le droit de s’opposer à une arrestation illégale est reconnu

Lacasse c. R., 2017 QCCA 808 (CanLII)

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[52]        L’intimée convient que l’appelant était justifié de résister à son arrestation si celle-ci était illégale.
[53]        Je partage son point de vue.
[54]        Le droit de s’opposer à une arrestation illégale est reconnu et n’est tempéré que par l’obligation de ne pas faire preuve de violence excédant les limites raisonnables.
[55]        La poussée au torse de l’agent, avec la main ouverte, à laquelle l’appelant s’est livré ne constitue certes pas une manœuvre violente qui excède les limites raisonnables.

Des policiers, qui ne sont ni invités ni munis d’un mandat, sont-ils justifiés de pénétrer dans le domicile d’un citoyen qui fait du bruit excessif lorsque celui-ci ne les entend pas alors qu’ils cognent à la porte?

Lacasse c. R., 2017 QCCA 808 (CanLII)

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[34]        Nul ne remet en question le principe voulant que chacun a droit au respect de sa vie privée dans l’intimité de son foyer qui est tenu pour inviolable. Chacun reconnaît toutefois qu’il existe des circonstances particulières permettant aux agents de la paix, dans l’exercice de leurs pouvoirs, d’en faire fi et de pénétrer de force dans une résidence. Le législateur le permet expressément dans certaines situations alors que la common law le permet dans d’autres. Ces exceptions, quoique nécessaires, doivent être interprétées strictement puisqu’elles constituent une atteinte à un droit protégé. Une entrée sans mandat étant présumée abusive, c’est d’ailleurs au ministère public qu’est imposé le fardeau de démontrer qu’elle était nécessaire et raisonnable.
[35]        Pour déterminer si une telle exception au principe de l’inviolabilité du domicile s’applique ici, il faut utiliser le test en deux étapes établi par l’arrêt R. v. Waterfield et repris depuis dans plusieurs arrêts de la Cour suprême. Celui-ci consiste à rechercher a) si la conduite des policiers entre dans le cadre d’un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que s’inscrivant dans le cadre d’un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir relié à ce devoir.
[36]        C’est au moment où les policiers pénètrent dans la résidence de l’appelant qu’il faut se placer pour répondre aux questions que pose ce test.
[37]        Rappelons qu’au moment où ils se présentent chez l’appelant, tout ce dont ils sont informés est que celui-ci aurait injurié un enfant sur la rue et fait du bruit en faisant jouer de la musique à tue-tête. Les policiers ne pouvant raisonnablement croire qu’il a commis une infraction criminelle ni que la situation présente un danger immédiat pour la sécurité d’autrui, ils ne peuvent alors se fonder sur les articles 495(1)529.1 et 529.3 C.cr. pour justifier leur conduite.
[38]        La cause de leur intervention initiale suggère plutôt qu’ils agissent en vertu des pouvoirs qui leur sont dévolus par le Code de procédure pénale, qui régit les poursuites visant à sanctionner des infractions aux lois telles que des infractions aux règlements municipaux relatifs aux nuisances ou au bruit[10] et en vertu de leurs pouvoirs généraux énoncés à l’article 48 de la Loi sur la police.
[39]        Or, le Code de procédure pénale prévoit expressément qu’en principe les agents de la paix ne peuvent pénétrer dans un endroit qui n’est pas accessible au public. Il tempère toutefois cette interdiction lorsque l’agent de la paix est dans l’une ou l’autre des deux situations suivantes :
1)   Il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne est en train d’y commettre une infraction qui risque de mettre en danger la vie ou la santé des personnes ou la sécurité des personnes ou des biens et que l’arrestation de cette personne est le seul moyen raisonnable pour y mettre fin;
2)   Il a des motifs de croire qu’une personne s’enfuit pour échapper à son arrestation, auquel cas il peut la poursuivre jusque dans l’endroit où elle se réfugie.
[40]        Ici, il m’apparaît manifeste que les policiers n’étaient ni dans l’une ni dans l’autre.
[41]        L’infraction qu’ils soupçonnent l’appelant d’avoir commise, qu’elle soit reliée à l’injure proférée ou au bruit excessif causé, ne leur permet certainement pas de croire que la vie ou la santé de personnes ou la sécurité de personnes ou de biens est en danger. L’enfant n’est plus présent au moment de leur intervention, ce qui élimine tout risque, alors que le bruit occasionné, qui peut entraîner un fort désagrément, ne constitue certainement pas, dans les circonstances, une menace à la santé ou à la sécurité.
[42]        L’appelant ne s’enfuit pas non plus. Quoiqu’il semble le faire trop bruyamment, il est chez lui à danser et à chanter et n’a pas encore même aperçu les policiers.
[43]        Quoique je sois d’avis que cela devrait suffire pour répondre à la question soulevée, l’intimée invoque les pouvoirs généraux conférés par la common law aux policiers pour maintenir la paix, prévenir le crime, protéger la vie des personnes et des biens, repris à l’article 48 de la Loi sur la police, comme source de leur pouvoir de pénétrer dans la résidence de l’appelant. Cette intrusion était nécessaire, selon elle, pour leur permettre d’exercer leur devoir de maintenir la paix et elle n’a pas été faite de façon déraisonnable.
[44]        Bien que je doute fortement qu’un pouvoir général puisse, dans les circonstances, attribuer aux policiers plus de pouvoirs que ceux qui leur sont expressément conférés par le Code de procédure pénale, il n’est pas nécessaire ici de répondre à cette question. Je suis en effet d’avis que le pouvoir de maintenir la paix est, quoi qu’il en soit, à lui seul insuffisant pour justifier une exception au principe de l’inviolabilité du domicile. Accepter qu’un pouvoir aussi général puisse justifier une intrusion dans un domicile, sans autre exigence, ferait en sorte, selon moi, que ce principe rétrécirait comme peau de chagrin.
[45]        En l’absence d’un pouvoir législatif exprès, les tribunaux n’ont reconnu ce pouvoir de pénétrer dans un domicile que dans des situations urgentes, pouvant mettre en péril la vie ou la sécurité d’une ou de plusieurs personnes ou dans lesquelles la preuve d’une infraction sérieuse pouvait disparaître incessamment.
[46]        C’est ainsi qu’appelé à déterminer si la preuve obtenue lors d’une perquisition d’une résidence effectuée sans mandat aux termes de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances le juge Brown, aux motifs duquel souscrivent la juge en chef McLachlin et les juges Abella, Karakatsanis et Wagner, a récemment écrit :
Les policiers ne sont pas intervenus dans un contexte juridique inconnu : leur intention d’effectuer une saisie « sans poursuite » importait peu en droit compte tenu des principes juridiques bien établis qui régissent le pouvoir des policiers d’entrer sans mandat dans une résidence. Le caractère déraisonnable présumé d’une perquisition sans mandat et l’attente élevée en matière de vie privée d’une personne à l’égard de sa résidence sous‑tendent depuis longtemps notre conception des justes rapports entre les citoyens et l’État. Qui plus est, la Cour exige depuis longtemps (voir les arrêts Grant 1993, Silveira et Feeney), en ce qui concerne l’urgence de la situation entraînant une entrée sans mandat, que le ministère public démontre l’existence d’une situation d’urgence, spécialement lorsque la perquisition est effectuée dans une résidence. Comme le fait observer la Cour dans l’arrêt Silveira, « [i]l n’existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa “maison d’habitation” » (par. 140). Dans le même ordre d’idées, le juge La Forest (dissident, mais non sur ce point) rappelle la grande valeur que la loi accorde à la protection de la maison d’une personne contre l’intrusion de l’État (par. 41) : il s’agit selon lui d’« un rempart assurant la protection du particulier contre l’État [qui] procure à l’individu une certaine mesure de vie privée et de tranquillité vis‑à‑vis du pouvoir atterrant de l’État ».
[47]        Cette notion d’urgence est, selon moi, toujours nécessaire pour qu’il soit justifié de mettre de côté le caractère sacré du domicile de chacun. Je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de permettre à des policiers de pénétrer dans une résidence, sans mandat et sans y être invités, en l’absence d’une réelle urgence. Un mandat peut être délivré rapidement lorsque nécessaire, et sans même avoir à se déplacer puisqu’il est possible de l’obtenir par téléphone. Ce n’est que lorsque même ce court délai est susceptible d’être trop long et d’entraîner un dommage important qu’il peut y avoir lieu, à mon avis, de faire échec au principe d’inviolabilité du domicile.
[48]        Ici, aucune urgence ne justifiait que les policiers pénètrent chez l’appelant. La preuve révèle qu’ils cognent contre le cadre de la porte pour tenter d’attirer son attention, mais n’attendent qu’une quinzaine de secondes avant que l’un d’eux pénètre dans les lieux. Ils auraient pourtant très bien pu attendre que l’appelant, qui ne semblait pas les entendre, se tourne vers eux et les voie. Rien ne permet d’ailleurs de croire qu’il aurait alors refusé de leur parler et de baisser le son de sa musique.
[49]        Il n’y avait aucune circonstance pressante pouvant justifier leur intrusion et celle‑ci était déraisonnable. Le fait qu’ils aient agi de bonne foi ou simplement dans le but d’établir un contact avec l’appelant n’y change rien. Ils ont porté atteinte aux droits de l’appelant sans justification.

dimanche 15 octobre 2017

Les délais pré-inculpatoires et le droit à une défense pleine et entière

Corriveau c. R., 2016 QCCS 5799 (CanLII)

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[81]            L’arrêt Jordan n’a pas d’impact sur ce volet.
[82]            Alors que Jordan évacue de l’équation la question du préjudice pour les délais post-inculpatoires, il en va autrement dans le cas des délais pré-inculpatoires qui font l’objet d’un volet distinct de la requête en arrêt des procédures où l’accusé a le fardeau de prouver un préjudice réel susceptible d’affecter l’équité du procès.
[83]            Le seul écoulement du temps qui précède l’inculpation ne permet pas de conclure à l’établissement d’un préjudice.
[84]            Il n’y a pas de prescription en matière criminelle.
[85]            Il se trouve que ce volet relatif aux délais pré-inculpatoires et à la violation alléguée de la garantie de l’article 7 de la Charte a déjà fait l’objet d’une requête antérieure de décembre 2015, similaire à la présente quoique moins élaborée, qui a fait par la suite l’objet d’un désistement.

Décision récente de la Cour d'appel du Québec concluant que le paragraphe 255(2.1) C.cr. exige la démonstration que l’accusé a causé l’accident et affirme qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve du lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident

R. c. Gaulin, 2017 QCCA 705 (CanLII)

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[20]      L’alinéa 253(1)a) concerne l’infraction de conduite avec les capacités affaiblies alors que l’alinéa 253(1)b) traite de la conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise (80 mg/100 ml de sang).
Première question : Quel est le fardeau relatif à l’infraction prévue au paragraphe 255(3.1) C.cr.?
[21]      L’appelante soutient que pour faire la preuve de l’infraction codifiée au paragraphe 255(3.1) C.cr., il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident ayant occasionné la mort de la victime. Elle nous invite à conclure, comme le fait la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt R. v. Koma, que la seule preuve d’un lien « temporel » entre ces deux éléments suffit.
[23]      Il est utile de rappeler que l’infraction prévue au paragraphe 255(3) C.cr. et qui concerne la conduite avec capacités affaiblies, que ce soit par l’effet de l’alcool, de la drogue ou de la combinaison des deux, a été introduite au Code criminel en 1985 et que ses balises sont bien établies.
[24]      Le libellé du paragraphe 255(3) C.cr. prescrit que quiconque conduit avec des capacités affaiblies et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable de l’infraction. En anglais, « Causes the death of another person as a result ». La nécessité de démontrer le lien de causalité entre les capacités affaiblies et la mort d’une autre personne apparaît clairement.
[25]      D’ailleurs, la jurisprudence québécoise et canadienne qui applique le paragraphe 255(3) C.cr. est claire. Le ministère public doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule avec les capacités affaiblies et que l’affaiblissement de ses capacités, par l’alcool ou la drogue, a contribué de façon appréciable à la mort d’une autre personne. Un lien entre les capacités affaiblies et le décès doit donc être démontré.
[26]      L’infraction prévue au paragraphe 255(3.1) C.cr. est d’origine plus récente, n’ayant été introduite au Code criminel qu’en 2008 et cible les cas où, alors qu’il conduit ou garde et contrôle un véhicule avec une alcoolémie supérieure à la limite permise, un conducteur cause un accident occasionnant le décès d’un tiers.
[27]      Il faut reconnaître que le législateur a utilisé un libellé différent pour la nouvelle infraction prévue à 255(3.1) C.cr. que pour celle prévue à 255(3) C.cr., au sujet de laquelle la jurisprudence est bien établie quant à la nécessité de démontrer un lien de causalité entre la conduite avec les capacités affaiblies et la mort.
[28]      Les amendements législatifs de 2008 visaient plusieurs objectifs, dont celui de faciliter la détection et l’enquête des cas de conduite avec capacités affaiblies par l’effet d’une drogue et relever les peines minimales prévues pour la conduite avec capacités affaiblies. Plus particulièrement, les policiers ayant reçu la formation voulue sont autorisés à soumettre une personne à des épreuves et des examens en vue de déterminer si les facultés de celle-ci sont affaiblies par l’effet d’une drogue ou par l’effet combiné de l’alcool et d’une drogue. Par ailleurs, l’un des buts de l’ajout législatif était d’alourdir les peines liées à la conduite avec capacités affaiblies et, en ce qui concerne la conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool, de limiter les contestations du résultat du test d’alcoolémie. Dans la même veine, le législateur a introduit deux nouvelles infractions, dont celle qui nous concerne au paragraphe 255(3.1) C.cr. Tout en procédant à l’adoption de cette nouvelle mesure législative, le législateur fédéral a modifié la version anglaise du paragraphe 255(3) C.cr. en y substituant le mot « thereby » par les mots « as a result ».
[29]      L’on comprend des travaux parlementaires qu’en adoptant le paragraphe 255(3.1) C.cr., le législateur a voulu alléger le fardeau de preuve du ministère public qui devait, comme ce fut le cas ici, faire témoigner un expert toxicologue pour établir que la personne qui a plus de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang a les capacités affaiblies.
[30]      La jurisprudence canadienne semble divisée sur la façon d’appliquer la nouvelle disposition. Étonnamment, au Québec, très peu a été écrit sur le sujet.
[31]      Pour ce qui est de la doctrine, les professeurs Solomon et Chamberlain se disent d’avis que la nouvelle disposition dispense le ministère public de démontrer le lien de causalité entre l’alcoolémie et l’accident.
[32]      En 2012, dans l’arrêt R. v. Jagoe, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick exprime l’idée que le paragraphe 255(3.1) C.cr. exige la preuve que l’alcoolémie de l’accusé a contribué de façon significative à l’accident occasionnant la mort.
[33]      Dans cette affaire, le juge de première instance avait exigé que le ministère public démontre que l’alcoolémie de l’accusé a contribué à la mort de la victime. En appel, le juge Bell se dit d’avis que si le ministère public n’a pas à établir que la conduite avec une alcoolémie supérieure a causé la mort, elle doit néanmoins établir qu’il s’agit d’un facteur ayant causé l’accident : « The "over 80 driving" must, in order to convict, be a real factor in the cause of the accident. ». Cette affirmation relève toutefois de l’obiter considérant que la Cour conclut à l’absence d’accident au sens de la disposition.
[34]      En l’espèce, le juge a appliqué une variante de cet obiter et exigé la preuve que, malgré son alcoolémie, l’intimée avait également les capacités affaiblies par l’alcool et que cet état a contribué à l’accident. Un expert toxicologue a d’ailleurs témoigné sur la question.
[35]      Or, cette façon de voir ne respecte pas la volonté exprimée par le législateur en rédigeant la disposition. À moins que le législateur fédéral n’ait parlé pour ne rien dire ou n’ait créé une infraction inutile, l’introduction du paragraphe 255(3.1) C.cr. doit vouloir prévoir une infraction différente de celle déjà édictée au paragraphe 255(3) C.cr. Par ailleurs, la rédaction même de la nouvelle disposition contredit cette approche.
[36]      En 2015, dans l’arrêt R. v. Koma, la Cour d’appel de la Saskatchewan se prononce spécifiquement sur la question (mais dans le contexte du paragraphe 255(2.1)C.cr.) et décide que le ministère public n’a pas à démontrer de lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et les blessures de la victime ou encore l’accident. Elle n’a qu’à établir un lien temporel entre les deux éléments :
[27]      On a plain and ordinary reading, and in its grammatical and ordinary sense, the wording of the offence under s. 255(2.1) requires the Crown to prove three things beyond a reasonable doubt so as to justify a conviction:
a)    the accused had a blood alcohol concentration of over .08 while operating a motor vehicle or having care or control of a motor vehicle, which is the offence under s. 253(1)(b) of the Criminal Code;
b)    the accused caused an accident while so operating a motor vehicle or having care or control of a motor vehicle; and
c)    the accident resulted in bodily harm to another individual.
On this straightforward reading, the Crown must establish a temporal link between an accused’s prohibited blood alcohol concentration and the occurrence of an accident that has resulted in bodily harm to another, but it need not establish a causal link between those two elements.
[28]      This is the interpretation given to s. 255(2.1) by the judge in this case and by the Court in R v Carver2013 ABPC 140 (CanLII)558 AR 50 [Carver], where Rosborough P.C.J. observed:
[60]      Subsection 255(2.1) C.C. does not causally link the “underlying offence” of operating a motor vehicle with a proscribed blood/alcohol concentration with the additional element of causing an accident that brings about bodily harm. Rather, it conjoins two separate proof elements: (1) proof of operating a vehicle with a proscribed blood/alcohol concentration; and (2) proof that the accused caused an accident resulting in bodily harm to a person. The prosecution must prove beyond a reasonable doubt that the accused caused an accident resulting in bodily harm but there is no requirement of proof that the accused’s proscribed blood/alcohol concentration in any way brought about or contributed to that accident.
[29]      This observation is well-founded because the plain and ordinary meaning of s. 255(2.1) is not altered by context. Parliament has used different language to describe the causation requirements for other consequence-related offences involving the use of a motor vehicle. As Rosborough P.C.J. noted in Carver, the word thereby or its equivalent is conspicuously absent from s. 255(2.1); whereas, as the judge in this case observed, the offence of dangerous driving causing bodily harm, for example, is committed when an individual drives dangerously and thereby causes bodily harm. The absence of thereby or its equivalent from s. 255(2.1) cannot be an oversight by Parliament.
[…]
[31]      The absence from s. 255(2.1) of a causal connection similar to that found in s. 255(2) reflects the difficulty of requiring the Crown to prove an individual has caused an accident because he or she was over .08, without the Crown leading some form of expert evidence as to the effect of blood alcohol concentrations in excess of .08 on that individual’s ability to operate a motor vehicle that is causally tied to the accident in question. However, this kind of evidentiary difficulty does not arise in cases of impaired driving or dangerous driving where objective indicia of an individual’s impairment or recklessness provide an evidentiary basis for a court to conclude the causes of an accident might include an inability to operate a motor vehicle brought on by impairment, negligence or recklessness. For this reason, the causation element of the offence of impaired driving causing bodily harm (s. 255(2)) is different. There, the Crown has to prove a causal link between an individual’s impaired operation of a motor vehicle and bodily harm to another person.
[32]      Thus, for a conviction to lie under s. 255(2.1) of the Criminal Code, I conclude the Crown must prove beyond a reasonable doubt that an individual, while operating a motor vehicle or in care or control of a motor vehicle, had a blood alcohol concentration exceeding 80 mg of alcohol in 100 mL of blood and the individual caused an accident that resulted in bodily harm to another; but, s. 255(2.1) does not require the Crown to prove the individual’s over .08 blood alcohol concentration caused the accident. The judge made no error when she concluded similarly.
[37]      Ce faisant, la Cour d’appel de la Saskatchewan reprend la décision R. v. Carver rendue par la Cour provinciale de l’Alberta en 2013. Dans cette décision, le juge Rosborough conclut que le paragraphe 255(2.1) C.cr. exige la démonstration que l’accusé a causé l’accident et affirme qu’il n’est pas nécessaire de faire la preuve du lien causal entre l’alcoolémie de l’accusé et l’accident. Ce courant a été suivi au Québec par la juge Anouk Desaulniers de la Cour du Québec dans deux dossiers.
[38]      À mon avis, il s’agit de l’approche qui est la plus appropriée.
[39]      J’estime toutefois qu’il faut plus qu’un lien temporel entre la conduite avec une alcoolémie interdite et l’accident.
[40]      Il doit y avoir une démonstration d’un double lien de causalité. D’abord, que le conducteur a causé l’accident. Ensuite, que l’accident a occasionné les blessures ou la mort d’une personne. L’utilisation du mot « cause » indique que le législateur entendait exclure les cas où l’on ne peut rattacher une conduite fautive du conducteur à l’accident. Le conducteur doit nécessairement être la cause effective de l’accident.
[41]      Cette interprétation respecte le texte de la disposition législative et le choix du législateur lorsqu’il rédige différemment, en 2008, le libellé de la nouvelle infraction.
[42]      Cette interprétation permet aussi de s’assurer du comportement blâmable de l’accusé par rapport à la conséquence prohibée. En effet, il faut éviter qu’une personne puisse être condamnée simplement parce que, tandis qu’elle conduisait avec une alcoolémie supérieure à la limite permise, elle a été impliquée dans un accident qui ne lui est par ailleurs aucunement imputable.
[43]      L’accusé doit, par son comportement ou sa conduite, avoir posé des gestes ou omis de poser des gestes qui ont causé un accident. Sa conduite doit être évaluée par rapport à celle d’un conducteur raisonnable. 
[44]      Un élément fautif doit être attribuable à l’accusé qui doit donc être responsable de façon appréciable de l’accident. Sur ce point, les critères adoptés par la juge Arbour dans R. c. Nette et par la juge Karakatsanis dans R. c. Maybin sont généralement utilisés.
[45]      En bref, l’accusé doit avoir contribué de façon appréciable à l’accident, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que la conduite de celui-ci soit la cause unique de l’accident.
[46]      Les auteurs Manning et Sankoff affirment d’ailleurs que les problèmes qui pourraient découler du standard relativement peu élevé de la « cause ayant contribué de manière appréciable » peuvent être compensés dans le cadre du prononcé de la peine. Ils ajoutent que c’est à ce stade des procédures que devrait être prise en considération toute faiblesse dans la chaîne de causalité :
Weaknesses in the chain of causation are regarded as a matter to be assessed as a factor in the sentencing process. […] It should be recognized that most problems created by a low causal standard can be rectified, for the most part, in the sentencing process, where the accused’s level of moral responsibility can be more sensitively addressed.
[47]      Par ailleurs, à la lecture du jugement de première instance, on constate qu’exiger la démonstration du lien de causalité entre l’alcoolémie et le décès engendre une incongruité.
[48]      En effet, il est depuis longtemps reconnu que l’infraction d’avoir conduit avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang ne requiert pas la preuve que les capacités de l’accusé sont affaiblies par l’alcool. La preuve d’absence de symptômes n’est pas pertinente. Si, en application de l’alinéa 253(1)b) C.cr., la preuve des symptômes n’est pas pertinente, elle ne devrait pas plus l’être en application du paragraphe 255(3.1) C.cr., qui nécessite la preuve que l’infraction incluse a été commise.
[49]      Dans le cadre de son examen du paragraphe 255(3.1) C.cr., le juge n’avait donc pas à déterminer si l’intimée avait les facultés affaiblies.
[50]      Il devait plutôt se demander si :
-     L’intimée a conduit un véhicule automobile avec une alcoolémie supérieure à la limite permise; en fait, si elle a contrevenu à l’alinéa 253(1) b) C.cr.;
-     Elle a causé un accident, en ce qu’elle a contribué de façon appréciable à l’accident, par sa conduite, les gestes qu’elle a posés ou omis de poser, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que sa conduite soit la cause unique de cet accident;
-     L’accident a engendré la mort d’une autre personne.
[51]      Contrairement à l’infraction codifiée au paragraphe 255(3) C.cr. où le législateur exige la preuve du lien causal entre les capacités affaiblies et la mort d’une tierce personne, ici, le lien à faire se situe 1) entre l’accusé et la cause de l’accident, et 2) entre l’accident et le décès d’une personne.