mercredi 28 août 2024

Il existe des cas où la simple présence d'empreintes digitales justifie un verdict de culpabilité

Ben Hariz c. R., 2019 QCCA 267

Lien vers la décision


[47]        Selon l’appelant, la simple présence d’une empreinte digitale ne suffit pas pour obtenir une condamnation. Or, la jurisprudence a adopté une position beaucoup plus nuancée.

[48]        Déjà il y a plus de cinquante ans, une formation de cinq juges de la Cour du Banc de la Reine du Québec, procédant à une revue de la jurisprudence, énonçait ce qui suit :

II. Il y a en effet des cas où les seules empreintes digitales justifient un verdict de culpabilité (Rex v. Castleton (1909), 3 Cr. App. R. 74Rex v. Buckingham and Vickers1943 CanLII 420 (BC SC), [1946] 1 W.W.R. 425, 86 C.C.C. 76; Pelletier v. Le Roi[1952] B.R. 633Goguen v. The Queen (1956), 1956 CanLII 489 (NB CA), 116 C.C.C. 306. Il y a évidemment d'autres cas où les empreintes n'ont aucune signification, v.g. si l'objet sur lequel elles sont relevées appartient à l'accusé ou si cet objet lui est généralement accessible, ou encore si l'objet n'a aucun rapport avec le délit. Tel n'est pas le cas qui nous occupe.[24]

[Caractères gras ajoutés]

[49]        Plus récemment, dans l’arrêt Hoppe, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu qu’une seule empreinte digitale pouvait supporter un verdict de culpabilité, en l’absence d’une autre explication raisonnable :

[12] As the cases indicate, a single fingerprint can support a conviction: see R. v. O’Neill (1996), 1996 CanLII 976 (BC CA), 71 B.C.A.C. 295; R. v. Gauthier2009 BCCA 24, 264 B.C.A.C. 298; R. v. Chudley2015 BCCA 315In the absence of a credible explanation for how Mr. Hoppe’s fingerprint came to be on the underside of the cash register, it was open to the trial judge to find that it was placed there when Mr. Hoppe moved the cash register away from the front counter of the restaurant.[25]

[Caractères gras ajoutés]

[50]        La force probante d’une preuve circonstancielle constituée d’une empreinte digitale comporte bien sûr des limites. Dans l’arrêt Mars sur lequel s’appuie l’appelant, le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario énonce le principe suivant quant à l’appréciation d’un tel élément de preuve :

[19] The probative value of fingerprint evidence depends on the totality of the evidence. Fingerprint evidence will almost always afford cogent evidence that the person whose fingerprint is left on the object touched that object. However, the ability of the fingerprint evidence to connect an accused to the crime charged will depend on whether there is other evidence capable of establishing that the accused touched the object at the relevant time and place so as to connect the accused to the crime.[26]

[51]        La jurisprudence regorge de cas où des accusations étaient fondées principalement sur une preuve d’empreinte digitale. En cette matière, il est impossible d’adopter une règle absolue, la force probante d’une telle preuve étant susceptible de varier selon les circonstances de chaque cas[27].

[52]        Dans l’arrêt D.D.T., la Cour d’appel de l’Ontario, réitérant les enseignements de l’arrêt Mars, propose une analyse en deux étapes afin de juger en appel du caractère raisonnable d’un verdict de culpabilité fondé sur la seule preuve d’une empreinte digitale :

[15] The above principles suggest a two-stage approach for appellate review of the reasonableness of a verdict in cases where fingerprints provide the sole evidence capable of identifying the perpetrator. The first stage involves an examination of the reasonableness of the inference that the fingerprints were placed on the object with connection to the crime, at the relevant time and place. The second stage involves an examination of the soundness of the conclusion that the totality of the evidence and reasonable inferences available to the trial judge were sufficient to prove the appellant's guilt beyond a reasonable doubt.[28]

[53]        Dans le présent cas, le gobelet sur lequel l’empreinte a été prélevée est apparu sur les lieux du crime de façon très contemporaine à sa perpétration. Cela permet d’inférer une relation entre l’empreinte et le crime et, partant, de franchir la première étape.

[54]        Pour ce qui est de la seconde étape, le juge rejette l’hypothèse voulant que le gobelet ait pu être placé dans la maison à un autre moment ou par une autre personne que l’appelant. Il conclut que la seule inférence raisonnable qu’il peut tirer de la preuve est que l’appelant s’est introduit dans la maison et y a commis le vol. Selon lui, « [t]oute autre conclusion serait de la pure spéculation et même irrationnelle ».

[55]        Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Villaroman, « il appartient fondamentalement au juge des faits de tracer dans chaque cas la ligne de démarcation entre le doute raisonnable et les conjonctures »[29]. En l’espèce, l’appréciation du juge n’est pas déraisonnable.

[56]        D’autres cours d’appel au pays ont avalisé un raisonnement similaire à celui suivi par le juge.

[57]        Dans l’arrêt MacFadden[30], l’accusé était inculpé pour introduction par effraction dans une maison mobile. Ses empreintes digitales avaient été prélevées sur une bouteille de bière trouvée dans la résidence le lendemain de l’infraction alors qu’elle n’y était pas la veille. Une majorité de juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé le verdict de culpabilité prononcé en première instance :

Counsel for the appellant submitted that the verdict was unreasonable and could not be supported by the evidence. In support of that submission it was contended that the presence of the appellant's fingerprints on the beer bottle established only that, at some point, the accused handled the beer bottle. It was argued that the fingerprints do not link the accused to the scene of the offence, let alone to participation in the offence itself. […]

In my view, that whole line of reasoning is fallacious. To begin with there is no evidence to support the drawing of inferences consistent with the innocence of the accused. In the absence of such evidence the Court would not be engaged in drawing inferences but rather in speculating. Secondly, it seems to me that an inference that can be drawn from the presence of the beer bottle in the trailer with the fingerprints of the accused upon it is that the accused was present in the trailer and that he gained entry to the trailer by breaking and entering.[31]

[Caractères gras ajoutés]

[58]        Dans l’arrêt Nicholl, la Cour d’appel de l’Ontario explique bien le raisonnement suivi dans MacFadden :

[11] […] The proximity in time between the discovery of the beer bottle, which bore the accused’s fingerprints, and the break and enter of the mobile home rendered the probability of innocent explanations for the presence of the beer bottle unlikely and gave rise to the strong inference that the appellant had been in the premises in question.[32]

[59]        L’arrêt Keller[33] se rapproche également du présent dossier. Dans cette affaire, l’accusé était inculpé pour une introduction par effraction dans un magasin et du vol d’une somme d’argent gardée dans un coffre-fort. Ce dernier avait été ouvert à l’aide d’un chalumeau. Le lendemain, les policiers ont découvert sur le plancher, près du coffre-fort, un paquet d’allumettes sur lequel se trouvait l’empreinte digitale de l’accusé. Il s’agissait de la seule preuve liant ce dernier à l’infraction. La Cour d’appel de la Saskatchewan, sous la plume du juge en chef Culliton, a rejeté le pourvoi de l’accusé en ces termes :

In my respectful view, a careful review of all of the evidence satisfies me, as it did the learned trial Judge, that the presence of the finger-print of the appellant on the match-cover is consistent with the conclusion that the appellant committed the offence and inconsistent with any other rational conclusion than that the appellant is the guilty party. The evidence, in my opinion, is such as to prove the charge beyond any reasonable doubt.[34]

[60]        Enfin, dans l’arrêt Gauthier[35], l’accusé était inculpé pour introduction par effraction. Une maison avait été cambriolée et une bouteille de bière portant son empreinte digitale avait été trouvée sur le lit du propriétaire. L’accusé a fait appel de sa déclaration de culpabilité au motif que le véritable intrus aurait pu amener avec lui la bouteille de bière après qu’il l’ait lui-même manipulée. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté le pourvoi, notant que les hypothèses avancées en défense relevaient de la spéculation :

[11] In my opinion, these theories do not rise above speculation. There is no evidence that any friend of Mr. Yuill [le propriétaire] had an association with the appellant or that the appellant might have innocently handled the beer bottle at some other time and place. The significant facts are that the beer bottle was found in the bed with items that had been strewn around by the intruder. It might or might not have come from the beer box that was on the freezer. But its position on the bed with a fingerprint on it clearly linked it to the offender and the fingerprint had been placed there by the appellant. No other explanation for the presence of the beer bottle on the bed and the fingerprint on the bottle reasonably emerges from the evidence.

[12] In all the circumstances, the only reasonable inference to be drawn from the proven facts is that the appellant was the person who broke into the trailer and who relocated many items in it, including the beer bottle. Without speculation, no other conclusion arises.[36]

[Caractères gras ajoutés]

Aucun commentaire:

Publier un commentaire