R. c. Normandin, 2009 QCCQ 1220 (CanLII)
[17] Pour revendiquer un bien qui serait normalement confisqué en vertu de l'article 16 de la L.r.d.s., il faut que la partie requérante fonde son droit de revendication sur les provisions des articles 18 à 19.1 de cette même Loi. Dans la présente cause, la requérante, madame Normandin, réclame le bien infractionnel en s'appuyant sur l'article 19(3) de la L.r.d.s. qui se lit ainsi:
Le tribunal peut ordonner que des biens qui autrement seraient confisqués en vertu du paragraphe 16(1) ou 17(2) soient restitués en tout ou en partie à une personne – autre que celle qui est accusée d'une infraction désignée ou celle qui a obtenu un titre ou un droit de possession sur ces biens de la personne accusée d'une telle infraction dans des circonstances telles qu'elles permettent raisonnablement d'induire que l'opération a été effectuée dans l'intention d'éviter la confiscation des biens – à condition d'être convaincu que cette personne en est le propriétaire légitime ou a droit à leurs possessions et semble innocente de toute complicité ou collusion à l'égard de l'infraction.
[18] Essentiellement, l'article 19(3) de la L.r.d.s. prévoit que le Tribunal peut ordonner la restitution du bien infractionnel à une tierce partie si celle-ci est capable de convaincre le Tribunal qu'elle répond à chacune des conditions suivantes:
1. Elle n'a pas acquis son titre dans le but de soustraire le bien infractionnel d'une confiscation inévitable au profit du procureur général;
2. La tierce personne doit être le propriétaire du bien ou être en mesure de revendiquer des droits de possession sur le bien infractionnel;
3. Elle semble innocente de toute complicité ou collusion à l'égard de l'infraction.
[19] Le premier critère s'adresse à la tierce partie qui a acquis le bien afin de déjouer le régime obligatoire de confiscation du bien infractionnel tel que prévu à l'article 16 de la L.r.d.s. On imagine, par exemple, la situation où un accusé vend le bien infractionnel à une partie complaisante afin de permettre à cette dernière de présenter une requête en restitution. En somme, la tierce partie qui revendique un bien infractionnel doit être de bonne foi.
[20] En ce qui concerne le deuxième critère de l'article 19(3), une requérante peut se décharger de cette preuve en produisant un titre de propriété valide, tel un certificat d'immatriculation dans le cas d'une automobile. Elle pourrait également présenter toute preuve documentaire ou testimoniale à l'effet qu'elle a un droit de propriété ou de possession sur le bien en litige.
[21] Un coacquéreur du bien infractionnel ainsi que toute partie qui détient un droit de possession conjointe dans le bien infractionnel peut présenter une demande de restitution dudit bien. Ainsi, un co-acheteur d'une maison ou d'une auto peut se prévaloir des dispositions de l'article 19(3) de la L.r.d.s. De même, un colocataire qui détient un droit de possession dans le bien infractionnel peut faire valoir ses droits de restitution.
[22] Quant au troisième critère, il y a lieu de faire quelques commentaires sur le fardeau de la preuve que la Loi impose à une tierce partie voulant revendiquer un bien infractionnel. Il y a lieu de souligner, tout d'abord, que le législateur utilise le mot "semble" pour qualifier l'innocence de la partie requérante de toute complicité ou collusion avec l'accusé. Dans le Petit Robert, on définit le verbe "sembler" comme suit: "avoir l'air…donner l'impression." Ainsi, la partie requérante n'a pas à prouver son innocence selon le standard de hors de tout doute raisonnable qu'on impose au Ministère public dans un procès criminel. Elle n'a que l'obligation de démontrer qu'elle "semble" ou "apparaît" innocente de toute complicité ou collusion.
[23] Dans la cause de Procureur Général du Québec c. Larochelle, la Cour d'appel du Québec a clairement indiqué que dans une requête de restitution suivant l'article 19(3) de la L.r.d.s., il appartient à la partie requérante de démontrer par prépondérance de preuve qu'elle est innocente de toute complicité ou de collusion dans l'infraction:
Le fardeau de preuve de la personne qui revendique le bien, en l'instance l'intimée, est donc d'établir par prépondérance des probabilités, c'est-à-dire selon le fardeau civil, qu'elle n'est non seulement pas une complice, mais aussi qu'il n'y a pas eu collusion entre l'accusé et elle. (par. 10 du jugement)
[24] Avant de terminer cette section du jugement, il y a lieu de s'attarder quelques instants sur la distinction entre la complicité et la collusion. Dans l'affaire de Villeneuve c. La Reine, le juge Robert de la Cour d'appel du Québec, tel qu'il était à l'époque, a émis les commentaires suivants au nom de la cour sur les principes de complicité et de collusion:
La complicité est un concept bien connu et bien défini en droit criminel; la collusion au contraire, est un concept de droit civil, dont on doit définir la portée.
Gérard Cornu, dans son vocabulaire juridique, définit la (collusion) ainsi:
"Entente secrète entre deux ou plusieurs personnes en vue d'en tromper une ou plusieurs autres."
Le Dictionary of Canadian Law, quant à lui, en donne la définition suivante:
"Coming together to commit fraud to deceive."
Hubert Reid propose la définition qui suit:
"Entente secrète entre deux ou plusieurs personnes dans le but de causer un préjudice à une ou plusieurs personnes ou d'atteindre un objectif prohibé par la Loi."
[25] En somme, la collusion comporte deux éléments: d'abord une entente et ensuite un but de tromper une ou plusieurs personnes ou l'intention d'atteindre un objectif illégal. La collusion peut s'établir à partir d'une preuve directe ou elle peut s'inférer du comportement des parties. Selon le juge Robert dans la Cause de Villeneuve, "l'aveuglement volontaire peut constituer un comportement à considérer non pour établir en soi s'il y a aveuglement volontaire mais plutôt pour établir s'il y a collusion." Nous allons revenir sur le concept d'aveuglement volontaire dans la dernière partie de ce jugement.
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