samedi 30 novembre 2013

Définition de la notion de preuve circonstancielle par la Cour d'appel du Québec

Lacroix c. R., 2008 QCCA 78 (CanLII)


[33] Dans Reference Re R. c. Truscott, la Cour suprême définit ainsi la notion de preuve circonstancielle :
The circumstantial evidence case is built piece by piece until the final evidentiary structure completely entraps the prisoner in a situation from which he cannot escape. There may be missing from that structure a piece here and there and certain imperfections may be discernible, but the entrapping mesh taken as a whole must be continuous and consistent.
[34] Dans R. c. Charemski et R. c. Cooper, la Cour suprême enseigne qu'en présence d'une preuve uniquement circonstancielle, le juge du procès doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la culpabilité de l'accusé est la seule conclusion logique ou rationnelle.

Les perquisitions et les saisies de documents dans des cabinets d'avocats

R. c. Drummie, 2007 NBBR 241 (CanLII)


[10] L'article 488.1 du Code criminel prévoyait, pour les perquisitions et les saisies de documents dans des cabinets d'avocats, une méthode par laquelle devait être protégé le secret professionnel. La Cour suprême du Canada a annulé cette disposition du Code criminel, dont elle a conclu qu'elle était inconstitutionnelle dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général)2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209; [2002] A.C.S. no 61. La juge Arbour, au nom des juges majoritaires, a statué ainsi au par. 46 :
46 Pour ces motifs, je conclus que l'art. 488.1 porte atteinte de façon plus que minimale au secret professionnel de l'avocat et qu'il équivaut donc à une fouille, à une perquisition et à une saisie abusives, contrairement à l'art. 8de la Charte. Les appelants n'ont présenté aucune observation sur la question de savoir si l'art. 488.1 pouvait être justifié par l'article premier de la Charte dans l'hypothèse où on le jugerait inconstitutionnel, comme je l'ai fait. Bien que la Cour ait prévu la possibilité que des violations des art. 7 et 8 puissent être justifiées par l'article premier dans des cas exceptionnels, il ne s'agit clairement pas d'un tel cas en l'espèce. Voir les arrêts suivants : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., précité; Hunter, précité, et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2002 CSC 1 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, par. 78. Voir également D. Stuart, Charter Justice in Canadian Criminal Law (3e éd. 2001), p. 24-25 et 245. En particulier, si, comme en l'espèce, la violation de l'art. 8 est jugée constituer une atteinte injustifiable au droit à la vie privée protégé par cette disposition, toute autre chose à part, il est difficile de concevoir que cette violation puisse résister au volet de l'atteinte minimale du critère de l'arrêt Oakes. Voir R. c. Heywood1994 CanLII 34 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 761, p. 802-803. Je conclus donc que l'art. 488.1 ne peut pas être justifié par l'article premier : bien que l'efficacité des enquêtes policières soit incontestablement une préoccupation de fond urgente, on ne peut pas dire que l'art. 488.1 prévoit des moyens proportionnés pour atteindre cet objectif dans la mesure où il porte atteinte au secret professionnel de l'avocat d'une façon plus que minimale.

[11] Cependant, la Cour suprême du Canada a formulé ensuite, au par. 49, des principes généraux régissant la légalité des perquisitions menées dans des bureaux d'avocats :

49 Entre-temps, je formule les principes généraux régissant la légalité, en common law, des perquisitions dans des bureaux d'avocats jusqu'à ce que le législateur juge bon d'adopter de nouvelles dispositions législatives sur la question. Ces principes généraux doivent aussi guider les choix législatifs que le législateur peut vouloir examiner à cet égard. Comme celles qui ont été formulées dans Descôteaux, précité [1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860], les lignes directrices qui suivent visent à refléter les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l'avocat et à régir à la fois l'autorisation des perquisitions et la manière générale dont elles doivent être effectuées; à cet égard, cependant, elles ne visent pas à privilégier une méthode procédurale particulière en vue de respecter ces normes. Enfin, je tiens à répéter que, si le législateur décide de nouveau d'adopter un régime procédural dont l'application se limite à la perquisition dans des bureaux d'avocats, les juges de paix auront, par voie de conséquence, l'obligation de protéger le secret professionnel de l'avocat en appliquant les principes suivants concernant la délivrance des mandats de perquisition :
1. Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l'avocat.
2. Avant de perquisitionner dans un bureau d'avocats, les autorités chargées de l'enquête doivent convaincre le juge saisi de la demande de mandat qu'il n'existe aucune solution de rechange raisonnable.
3. Lorsqu'il permet la perquisition dans un bureau d'avocats, le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant, de manière à conférer la plus grande protection possible à la confidentialité des communications entre client et avocat.
4. Sauf lorsque le mandat autorise expressément l'analyse, la copie et la saisie immédiates d'un document précis, tous les documents en la possession d'un avocat doivent être scellés avant d'être examinés ou de lui être enlevés.
5. Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l'avocat et le client au moment de l'exécution du mandat de perquisition. Lorsque l'avocat ou le client ne peut être joint, on devrait permettre à un représentant du Barreau de superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.
6. L'enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.

7. S'il est impossible d'aviser les détenteurs potentiels du privilège, l'avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.
8. Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d'examiner les documents à l'avance. L'autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu'un juge conclut qu'ils ne sont pas privilégiés.
9. Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l'enquête.
10. Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour.
Le secret professionnel de l'avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu'un principe de justice fondamentale en droit canadien. Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l'intégrité de la relation avocat-client. Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l'administration de la justice dans un système contradictoire. Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu'a le public dans l'équité du système de justice criminelle. C'est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications.

[12] Il ne s'ensuit pas de l'annulation de l'article 488.1 du Code criminel une perte de compétence de notre Cour. Dans la deuxième édition deCriminal Pleadings & Practices in Canada, E. G. Ewaschuk écrit ce qui suit (1:0035) :
[TRADUCTION]
Une cour supérieure a compétence de première instance, et pleine compétence, en matière tant civile que pénale, à moins qu'une loi n'exclue expressément sa juridiction.
J'estime donc avoir compétence en l'espèce.

[13] Toutefois, avant de passer aux autres questions en litige, il convient que je m'arrête aux principes généraux de l'annulation d'un mandat. La présomption de validité du mandat de perquisition et de la dénonciation sur laquelle il repose est l'un de ces principes généraux (R. c. Collins 1989 CanLII 264 (ON CA), (1989), 48 C.C.C. (3d) 343).

[14] Ewaschuk traite du rôle que joue la cour supérieure qui examine la délivrance d'un mandat (3:1360) :
[TRADUCTION]
Le rôle d'une cour supérieure qui examine la délivrance d'un mandat de perquisition, lorsque aucune accusation n'a été portée, ne consiste pas à tenir une audience « de novo », mais plutôt à déterminer si les renseignements fournis au juge lui permettaient, dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour décerner le mandat de perquisition. Il n'appartient pas au juge de la cour supérieure de substituer son opinion à celle du juge qui a décerné le mandat. Un mandat de perquisition ne peut être annulé qu'en cas d'erreur de compétence.
[...]
Le tribunal de révision doit déterminer si, après avoir écarté les parties invalides de la dénonciation, il restait des éléments de preuve sur lesquels le juge aurait pu se fonder pour décerner le mandat. Le tribunal de révision doit tenir compte de la « totalité des circonstances » présentées au juge ayant décerné le mandat, [...] sans les éléments de preuve illégalement obtenus. En outre, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les « nouveaux éléments de preuve » présentés à l'audience sont tous des aspects pertinents lorsqu'il s'agit de déterminer s'il « restait des éléments de preuve » capables de justifier la délivrance du mandat de perquisition.
[...]
Les « éléments entachés de violation de la Charte » doivent être supprimés de la dénonciation produite à l'appui de la demande de mandat de perquisition, mais les éléments trompeurs ou inexacts n'ont pas tous à être supprimés, sauf tromperie délibérée ou fraude. Il semble, par ailleurs, que le tribunal de révision puisse examiner une « preuve nouvelle » introduite lors de l'audience, de sorte qu'il détermine ensuite si l'autorisation pouvait être donnée compte tenu du « dossier complété », ou rectifié, à l'égard d'éléments non divulgués ou d'éléments trompeurs mais non frauduleux.
[...]

Ainsi, le tribunal de révision peut conclure à une erreur de compétence lorsque le dénonciateur a agi frauduleusement, en ce sens qu'il a fait délibérément de fausses déclarations, ou agi de façon abusive, en ce sens qu'il a fait des divulgations téméraires et trompeuses ou encore omis témérairement une divulgation substantielle.
[...]
En revanche, la non-divulgation de faits substantiels n'invalidera probablement pas le mandat en l'absence de mauvaise foi de la part du dénonciateur, [...] mauvaise foi manifestée par une intention délibérée de tromper le juge de paix ou par une insouciance téméraire à l'égard de la vérité.
(Les renvois à la jurisprudence ne sont pas reproduits.)

Perquisition et saisie dans un bureau d'avocats

[15] Il est permis d'affirmer que l'obtention d'un mandat autorisant à perquisitionner dans un bureau d'avocats requiert de satisfaire à des exigences plus rigoureuses qu'à l'ordinaire. Ewaschuk formule des observations sur ce point également (3:1620) :
[TRADUCTION]
Le secret professionnel de l'avocat constitue une « règle de preuve », un droit civil important ainsi qu'un principe de « justice fondamentale » en droit canadien.
[...]
Malgré que l'art. 488.1 soit inapplicable, un « mandat de perquisition ordinaire » peut octroyer une autorisation valide de perquisition et de saisie de documents dans un « bureau d'avocats ».
[...]

Les affidavits à l'appui de la demande de mandat, lorsqu'on sollicite l'autorisation de perquisitionner dans un bureau d'avocats, doivent fournir au juge saisi de la demande une « information honnête et suffisante ». Le juge est tenu de s'assurer que la demande démontre adéquatement « l'absence de solution de rechange raisonnable » et il doit définir des modalités d'exécution de la perquisition qui préservent le secret professionnel dans toute la mesure possible. Il faut, dans le contexte d'atteintes possibles, convaincre le juge que l'obligation de minimisation peut être respectée dans le cadre de la procédure envisagée. Exécuter le mandat durant les heures de bureau, en raflant une quantité considérable de documents, pourrait ne pas respecter l'obligation de minimisation. Le juge saisi de la demande d'autorisation a l'obligation d'imposer les « mesures utiles » pour limiter les atteintes au secret professionnel. Il faut se rappeler que le juge ne peut décerner un mandat de perquisition visant des « documents privilégiés », à moins que les documents que lui soumet le dénonciateur ne démontrent l'existence d'une exception à ce privilège.
(Les renvois à la jurisprudence ne sont pas reproduits.)

[16] L'arrêt Maranda c. Richer2003 CSC 67 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 193; [2003] A.C.S. no 69, est pertinent. Les faits diffèrent de ceux de l'espèce à certains égards. Le client de Me Maranda était soupçonné de blanchiment d'argent et de trafic de stupéfiants. Il était affirmé, dans l'affidavit de la police, qu'une perquisition au bureau de Me Maranda permettrait de trouver des informations relatives aux crimes de son client. L'affidavit ne comportait pas d'allégation de participation de Me Maranda aux crimes de son client.

[17] Sans avis préalable à Me Maranda, encore que le syndic du Barreau du Québec, alerté, fût présent, la police a procédé à une perquisition de treize heures et demie dans son bureau. Des boîtes et des livres comptables nombreux ont été emportés; des classeurs et des étagères ont été vidés de leur contenu. Il importe de noter que la police cherchait entre autres des pièces attestant la facturation d'honoraires par Me Maranda à son client. Il était admis que ces documents étaient protégés par le secret professionnel de l'avocat.

[18] La Cour supérieure du Québec entendait une requête en certiorari lorsque le ministère public a décidé de ne pas porter d'accusations contre le client de Me Maranda. Néanmoins, le juge Béliveau a décidé de poursuivre l'audition de la requête, vu son importance, et y a ensuite fait droit. La Cour d'appel du Québec a choisi d'entendre l'appel, malgré un débat désormais sans objet. Elle a infirmé la décision du juge Béliveau, mais la Cour suprême du Canada a accueilli le pourvoi formé par la suite. Le juge LeBel a confirmé l'arrêt prononcé par la juge Arbour, dans Lavallee, en ce qui concerne les principes à appliquer.

[19] Le juge LeBel a ajouté ce qui suit, aux par. 17, 19 et 20 :

17 L'existence de ce principe de minimisation doit se refléter dans la rédaction de la demande d'autorisation et, en particulier, dans celle des affidavits présentés à l'appui. L'affidavit doit comporter des allégations suffisamment précises et complètes pour permettre au juge de l'autorisation d'exercer sa compétence en connaissance de cause. À cet égard, les principes posés par notre Cour dans l'arrêt R. c. Araujo2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, à propos des écoutes électroniques, où s'applique un principe de minimisation des atteintes à la vie privée, paraissent pertinents. Comme le rappelle cet arrêt, sans verser dans une prolixité inutile, ces affidavits doivent fournir au juge saisi de la demande d'autorisation une information honnête et suffisante, qui lui permette de remplir pleinement son rôle (voir Araujo, par. 46-47). Il lui appartient alors d'exercer sa compétence avec attention, pour s'assurer que la demande d'autorisation démontre adéquatement l'absence de solution de rechange raisonnable et pour définir des modalités d'exécution de la perquisition qui préservent le secret professionnel, dans toute la mesure possible. Il ne s'agit pas de remplir des formalités ou d'aligner des allégations rituelles. Il faut, dans le contexte de ces atteintes possibles, convaincre le juge que l'obligation de minimisation peut être respectée dans le cadre de la procédure envisagée.
19 On pourrait sans doute tolérer une procédure au cours de laquelle on obtiendrait de l'avocat une quantité relativement minime d'informations qui auraient pu être recueillies par d'autres moyens. Une procédure de saisie et de perquisition qui vise des informations qui, pour moitié, pouvaient être obtenues de façon différente viole l'obligation de minimisation. L'exécution de la perquisition durant les heures de bureau, en raflant une quantité considérable de documents, ne respectait pas non plus le principe de minimisation, alors que l'on affirmait ne rechercher qu'une information sur les honoraires et débours payés à Me Maranda et certains renseignements relatifs à la cession d'une automobile. L'absence de toute tentative de communication préalable avec l'avocat en cause aggravait encore cette violation.

20 Tel qu'indiqué plus haut, l'arrêt Lavallee, Rackel & Heintz a rappelé la nécessité de cette communication avec l'avocat visé par la procédure de saisie et de perquisition. Si utiles que paraissent le contact avec le Barreau et la présence de son représentant, l'obligation d'informer l'avocat et les intéressés demeure, dans l'objectif d'assurer la protection efficace du privilège avocat-client. En raison de l'existence de cette règle, la demande d'autorisation et cette dernière elle-même doivent prévoir une méthode d'information pour prévenir l'avocat de l'opération projetée dans son cabinet. Toutefois, des circonstances peuvent survenir où cette information compromettrait l'enquête criminelle en cours et la saisie projetée. En pareil cas, il reviendra au juge qui accorde l'autorisation d'exercer son pouvoir d'appréciation et de prévoir les mesures utiles pour limiter les atteintes au secret professionnel. Le Barreau auquel appartient l'avocat devra alors être informé en temps opportun, pour que son représentant puisse assister à la perquisition et faire les démarches nécessaires pour éviter une violation du privilège avocat-client. En l'espèce, aucun avis n'a été donné à Me Maranda. Rien dans la demande d'autorisation ne justifie pourquoi cette communication ne devait ou ne pouvait avoir lieu. Comme l'a conclu le juge Béliveau, ce vice affectait la validité de la procédure d'autorisation de la perquisition et l'exécution de celle-ci. Elle contribuait à donner à l'opération son caractère abusif et déraisonnable au sens de l'art. 8 de la Charte.

[20] Enfin, le juge LeBel a indiqué ce qui suit, aux par. 37 et 38 :
37 Malgré les circonstances dans lesquelles le juge de première instance a décidé de demeurer saisi de cette affaire, ses conclusions me paraissent conformes à l'orientation générale de la jurisprudence de notre Cour. Celle-ci demeure soucieuse de protéger le secret professionnel de l'avocat, qui joue un rôle fondamental dans la conduite de la justice pénale. La confidentialité des rapports entre l'avocat et son client demeure essentielle à la conduite de la justice pénale et à la protection des droits constitutionnels des accusés. Il importe d'éviter que le cabinet de l'avocat, tenu conformément à des normes déontologiques strictes, devienne un dépôt d'archives au service de la poursuite.

Premier arrêt de principe de la Cour suprême en matière de fraude

R. c. Olan et al., 1978 CanLII 9 (CSC)


Il ressort de l'arrêt Cox et Paton que la preuve de la supercherie n'est pas essentielle pour pouvoir prononcer une condamnation en vertu du par. 338(1). Quand on allègue que les administrateurs ont fraudé leur compagnie, la supercherie ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction. Les mots «autres moyens dolosifs» au par. 338(1) couvrent les moyens qui ne sont ni des mensonges ni des supercheries; ils comprennent tous les autres moyens qu'on peut proprement qualifier de malhonnêtes. 

Les tribunaux ont de bonnes raisons d'hésiter à définir de façon exhaustive le mot «frauder» (frustrer), mais on peut sans crainte dire que deux éléments sont essentiels: la «malhonnêteté» et la «privation». L'utilisation des biens d'une compagnie à des fins personnelles plutôt qu'à l'avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l'on accuse des administrateurs de fraude. On établit la privation si l'on prouve un dommage, un préjudice ou un risque de préjudice; il n'est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle. 

D'après les faits, le jury pouvait conclure qu'il y avait une nette disproportion dans l'échange du portefeuille de Langley contre le prêt. La Cour d'appel a commis une erreur en examinant, relativement à chaque accusé, l'applicabilité et la portée des principes de droits énoncés dans l'arrêt Cox et Paton c. La Reine et en décidant qu'il n'y avait aucune preuve de fraude à soumettre au jury.

Les tribunaux ont de bonnes raisons d'hésiter à définir de façon exhaustive le mot «frauder» (frustrer), mais on peut sans crainte dire que, selon la jurisprudence, deux éléments sont essentiels: la «malhonnêteté» et la «privation». Pour avoir gain de cause, le ministère public doit donc prouver la privation malhonnête.

L'utilisation des biens d'une compagnie à des fins personnelles plutôt qu'à l'avantage de celle-ci peut constituer un acte malhonnête si l'on accuse ses administrateurs de fraude. L'arrêt Cox et Paton appuie ce principe.

On établit la privation si l'on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard. Il n'est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle. L'extrait suivant, tiré de l'arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre,R. v. Allsop, décrit bien, à mon avis, l'état du droit sur le rôle de la perte pécuniaire dans la fraude (aux pp. 31 et 32):

[TRADUCTION] En général, un fraudeur veut avant tout se procurer un avantage. Le tort causé à sa victime est secondaire et incident. Il n'est «intentionnel» que parce qu'il fait partie du résultat prévu de la fraude. Si la supercherie met en péril les intérêts pécuniaires de la personne induite en erreur, cela suffit pour constituer une fraude, même s'il n'en résulte aucune perte réelle et même si le fraudeur n'a pas eu l'intention de causer une perte réelle.

A notre avis, rien dans les motifs de lord Diplock [dans Scott] ne suggère une opinion différente. La «perte pécuniaire» peut être éphémère et temporaire ou éventuelle sans être réelle, mais même une simple menace de préjudice financier, pendant qu'elle existe, peut être évaluée monétairement…

Des intérêts mis en péril ont moins de valeur en termes monétaires que des intérêts protégés et en sécurité. Quiconque a l'intention d'inciter par une supercherie une autre personne à agir de manière à compromettre ses intérêts pécuniaires se rend coupable de fraude même s'il ne prévoit, ni ne veut que l'autre subisse finalement une perte réelle.

vendredi 29 novembre 2013

En matière de fraude, toute ambiguïté d'interprétation donnant naissance à une croyance raisonnable d'une interprétation légitime doit donc bénéficier à l'accusé

R. c. Mongeau, 1999 CanLII 13679 (QC CA)

Lien vers la décision

Il faut bien comprendre que nous sommes ici non pas sur requête en jugement déclaratoire visant à faire trancher entre plusieurs interprétations possibles de ces textes.  Nous ne sommes pas ici, non plus en matière civile où le fardeau de la preuve serait celui de la simple prépondérance.  Nous sommes ici en matière criminelle où la Couronne doit faire preuve de tous et chacun des éléments constitutifs de l'infraction et où ce fardeau est beaucoup plus onéreux parce qu'il doit être déchargé au-delà du doute raisonnable.  Toute ambiguïté d'interprétation donnant naissance à une croyance raisonnable d'une interprétation légitime doit donc bénéficier à l'accusé.


En outre, et il convient peut-être de le rappeler ici, le procès criminel n'est pas le forum approprié pour faire interpréter une loi civile ou un contrat.  Comme l'écrivait mon collègue monsieur le juge Claude Vallerand dans Syndicat démocratique des salariés de la Scierie Leduc c. Daishowa Inc. [1991] R.J.Q. 2677:

Bref, le moins qu'on puisse dire, c'est que la plainte pénale n'est pas un moyen acceptable d'obtenir l'interprétation judiciaire d'un texte de loi ambigu.
                              (p. 2483)

Les arrêts R. c. Théroux 1993 CanLII 134 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 5 et R. c. Zlatic 1993 CanLII 135 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 29, se référant à l'arrêt R. c. Olan 1978 CanLII 9 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1175, ont énoncé les principes suivants relativement aux qualités composantes de l'élément matériel de l'infraction de fraude criminelle:

Étant donné que la mens rea d'une infraction est liée à son actus reus, il est utile d'entamer l'analyse par l'étude de l'actus reus de l'infraction de fraude.  Au sujet de l'actus reus de cette infraction, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a énoncé les principes suivants dans l'arrêt Olan:

(i)   l'infraction compte deux éléments:  l'acte malhonnête et une privation;


(ii)  l'acte malhonnête est établi par la preuve d'une supercherie, d'un mensonge ou d'un «autre moyen dolosif»;

(iii) l'élément de privation est établi si l'on prouve qu'en raison de l'acte malhonnête, les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu'il y a risque de préjudice à leur égard.
                          (R. c. Théroux précité p. 15)

Quant à l'élément moral de cette infraction, ces mêmes arrêts ont clairement indiqué que la preuve de la Couronne devait établir de la part de l'accusé la connaissance subjective de l'acte prohibé et la connaissance subjective que cet acte pouvait causer une privation à autrui.

Comme l'écrivait mon collègue M. le juge Louis LeBel dans R. c. Champagne, J.E. 87-1200:


Il faut donc dégager, au départ, un élément intentionnel portant sur une conduite ou des attitudes malhonnêtes.  Le texte même de l'article 338(1) C.cr., comme le constate la Cour suprême, exige la preuve d'une intention bien déterminée, spécifique, celle de tromper, d'induire en erreur par des moyens que l'on sait ou que l'on doit connaître comme malhonnêtes.

Si on applique ces règles bien connues à l'espèce, et je dis ceci en toute déférence pour l'opinion contraire du juge de première instance, il m'apparaît que l'interprétation (fut-elle erronée) que l'appelant a donnée aux textes ci-haut mentionnés ne saurait être qualifiée par une personne raisonnable d'acte malhonnête en soi.  La preuve révèle, au contraire, que loin de soupçonner que tel puisse avoir été le cas, l'appelant croyait sincèrement et honnêtement que, travaillant en groupe, et partageant avec d'autres les tâches d'examen et de diagnostic, il pouvait, sans violer les textes, attribuer l'honoraire non pas exclusivement au praticien qui avait interprété les épreuves et dicté le rapport final, mais à l'un de ceux assigné à l'une des tâches reliée à cet examen.


En outre, et même si j'arrivais à la conclusion que le critère de répartition des honoraires professionnels pouvait constituer un acte malhonnête (ce que je ne crois pas), l'interprétation que l'appelant a donnée à la loi pouvait être justifiée dans les circonstances.  Il suffit de relire attentivement les textes précités pour s'en convaincre.

Les rubriques d’une loi peuvent, à bon droit, être prises en considération pour déterminer les intentions du législateur

R. c. Lucas, 1998 CanLII 815 (CSC), [1998] 1 RCS 439

Lien vers la décision

47                           Les rubriques d’une loi peuvent, à bon droit, être prises en considération pour déterminer les intentions du législateur (Law Society of Upper Canada c. Skapinker1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357, à la p. 377; R. c. Wigglesworth1987 CanLII 41 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 541).  En réalité, on y a eu recours pour interpréter des dispositions du Code criminel (Skoke‑Graham c. La Reine1985 CanLII 60 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 106, aux pp. 119 à 121; R. c. Kelly1992 CanLII 62 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 170, à la p. 189).  Le fait que l’art. 300 se trouve dans cette partie du Code peut être mis en contraste avec la disposition concernant la «diffusion de fausses nouvelles» qui, comme on l’a fait remarquer dans Zundel, précité, à la p. 763, se trouve sous la rubrique «Nuisances».  Finalement, le fait qu’il existe, sous la rubrique «Infractions contre l’ordre public», une disposition précise interdisant les duels (art. 71) confirme que l’objectif premier que le législateur poursuivait en adoptant l’art. 300 était de protéger la réputation plutôt que d’empêcher les violations de la paix.

Revue de l'état du droit par la Cour fédérale sur l’admissibilité des pièces commerciales

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Seifert, 2006 CF 270 (CanLII)


[11]           L’argument principal du demandeur est que la majorité des documents mis à la disposition de la Cour constituent des pièces commerciales, admissibles en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5. (Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’Annexe A.) Selon le demandeur, il s’agit de documents qui ont été établis « dans le cours ordinaire des affaires » (paragraphe 30(1)). De plus, dans les cas où l’original d’un document n’était pas disponible, le demandeur a fourni un affidavit pour expliquer pourquoi l’original ne pouvait être produit (il ne pouvait être retiré des archives publiques, par exemple), indiquer le lieu où se trouve le document, attester son authenticité et répondre de l’exactitude des copies, comme le permet le paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada

[12]           Le défendeur a opposé plusieurs objections au fait que le demandeur invoque l’exception relative aux pièces commerciales. J’ai rejeté cinq d’entre elles, mais j’ai examiné les autres avec attention. En premier lieu, le défendeur soutient que de nombreux documents débordent le cadre prévu par l’article 30 parce qu’ils contiennent des opinions et analyses − ils ne se résument pas à des faits consignés dans un dossier ou un tableau (comme c’était le cas dans l’arrêt Ares c. Venner1970 CanLII 5 (CSC), [1970] R.C.S. 608). Cependant, je suis convaincu que des documents qui comportent des opinions peuvent néanmoins constituer des pièces commerciales et être admissibles en vertu de l’article 30 en vue de faire foi de leur contenu (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Markham, Butterworths, 1999, page 229, §6.163). Naturellement, cela ne signifie nullement que je suis lié par les opinions qui peuvent être exprimées dans ces documents.

[13]           Deuxièmement, le défendeur prétend que les documents qui proviennent des ministères ou organismes gouvernementaux ne peuvent constituer des « pièces commerciales ». Toutefois, compte tenu du libellé très large de la définition du terme « affaires » qui figure au paragraphe 30(12) de la Loi sur la preuve au Canada, j’estime que les documents établis dans le cours ordinaire des affaires d’une activité gouvernementale ou d’opérations gouvernementales peuvent être considérés comme des pièces commerciales et être admissibles en vertu de l’article 30 pour faire foi de leur contenu. Le paragraphe 30(12), en effet, prévoit précisément que le terme « affaires » comprend « toute activité exercée ou opération effectuée, au Canada ou à l’étranger, par un gouvernement, par un ministère, une direction, un conseil, une commission ou un organisme d’un gouvernement, par un tribunal ou par un autre organisme ou une autre autorité exerçant une fonction gouvernementale ».

[14]           Troisièmement, le défendeur allègue que de nombreux affidavits présentés par le demandeur au soutien des documents sont irréguliers et ne respectent pas les exigences du paragraphe 30(3). Le défendeur avance, plus particulièrement, qu’il est inapproprié qu’un archiviste déclare qu’un document a été préparé dans le cours ordinaire des affaires dans le seul but de satisfaire aux exigences de l’article 30. Je conviens que l’opinion d’un archiviste sur la question de savoir si un document a été préparé « dans le cours ordinaire des affaires » ne peut tenir lieu de la décision du tribunal à cet égard pour l’application de l’article 30 de la Loi (comparer Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast2003 CF 1139 (CanLII), 2003 CF 1139, [2003] A.C.F. no 1428, (1re inst.) (QL), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander1998 CanLII 9094 (CF), [1999] 1 C.F. 88, [1998] A.C.F. no 1380 (1re inst.) (QL)). En revanche, le fait qu’un archiviste ait émis une opinion sur le sujet ne rend pas pour autant son affidavit inadmissible ni dépourvu de pertinence pour ce qui est des autres questions.

[15]           Quatrièmement, le défendeur est d’avis qu’aucun document ne peut être admis aux termes de l’article 30 si le déclarant est décédé. Suivant le sous-alinéa 30(10)a)(iv), une pièce reproduisant une déclaration faite par une personne qui n’est pas habile et contraignable à témoigner dans la procédure judiciaire ne peut être admise à titre de pièce commerciale. Cette disposition précise aussi qu’une pièce reproduisant une déclaration faite par une personne qui, si elle était vivante et saine d’esprit, ne serait pas habile et contraignable à témoigner dans la procédure judiciaire, ne peut non plus être admise à titre de preuve commerciale. On me demande de conclure que cette règle interdit l’admission de documents établis par des personnes désormais décédées et qui, dès lors, ne sont pas contraignables comme témoins dans la présente instance. Telle n’est pas mon interprétation de cette disposition. Celle-ci, à mon avis, dispose simplement que l’exception relative aux pièces commerciales énoncée au paragraphe 30(1)ne peut être invoquée pour présenter la preuve d’une personne qui, qu’elle soit vivante ou décédée, ne pourrait pas témoigner dans la procédure (voir R. c. Heilman, [1983] M.J. no 390, (1983), 22 Man. R. (2d) 173 (Cour de comté.)).

[16]           Cinquièmement, le défendeur prétend que tous les documents relatifs aux politiques et aux pratiques entourant la sélection des candidats à l’immigration au Canada après la Deuxième Guerre mondiale sont inadmissibles du fait que, par définition, ils se rapportent à une investigation ou à une enquête, à la préparation ou à la prestation de conseils juridiques ou ont été établis en vue d’une procédure judiciaire et qu’en conséquence, ils sont visés par les exceptions décrites aux sous‑alinéas 30(1)a)(i) et (ii) à la règle relative aux pièces commerciales. Je ne crois pas que tous les documents qui se rapportent à la sélection des immigrants soient, par définition, visés par ces exceptions à la règle; cependant, je me suis penché sur la question de savoir si certains documents pouvaient être inadmissibles pour ce motif (voir par exemple R. c. Palma 2000 CanLII 22806 (ON SC), (2000), 149 C.C.C. (3d) 169 (C.S.J. Ont.)).

[17]           De manière générale, je conviens avec le défendeur que de nombreux documents du demandeur ne peuvent être considérés comme des pièces commerciales. Notamment, les documents énonçant des politiques, les mémoires et les lettres personnelles ne m’apparaissent pas faire partie des documents admissibles à titre de pièces commerciales en application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Par ailleurs, les diverses exceptions formulées au paragraphe 30(10) de la Loi n’interdisent pas l’admission en preuve de documents qui ne sont pas des pièces commerciales.

La notion de préjudice reliée au concept de fiabilité (ouï-dire)

R. v. L.B., 1997 CanLII 3187 (ON CA)

Lien vers la décision


If the proposed evidence does not discredit the accused, it is admissible unless it triggers the application of some other exclusionary rule of evidence. Where the other conduct is sufficiently discreditable that it may prejudice the trier of fact against the accused, the similar fact evidence rule applies and the probative value of the evidence of the prior discreditable conduct must outweigh its prejudicial effect before it will be admitted.

Prejudice, in this context, does not mean that the evidence might increase the chances of conviction, but rather that the evidence might be improperly used by the trier of fact. It is the unfair, not the unfortunate, effect of the evidence which is to be guarded against.

In assessing the probative value of the proposed evidence, consideration should be given to such matters as: the strength of the evidence; the extent to which the proposed evidence supports the inference sought to be made from it (a factor which will often correspond to the degree of similarity between the prior misconduct and the conduct forming the subject-matter of the charge); and the extent to which the matters it tends to prove are at issue in the proceedings.

In assessing the prejudicial effect of the proposed evidence, consideration should be given to such matters as: how discreditable it is; the extent to which it may support an inference of guilt based solely on bad character; the extent to which it may confuse issues; and the accused's ability to respond to it.

jeudi 14 novembre 2013

L'immunité contre les poursuites

Commission de réforme du droit du Canada
L'immunité contre les poursuites
Document de travail 64 (1992)
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