jeudi 7 juin 2018

Un appel par le ministère public soulevant des questions de droit, mixtes ou même des questions de fait n'est pas apprécié par le même forum et le ministère public doit en être conscient dans la formulation de son avis d'appel

R. c. Lafortune, 2018 QCCA 16 (CanLII)

Lien vers la décision

[17]        Vu la conclusion de la Cour quant au caractère tardif de l’appel, il y a lieu de statuer sur la requête de bene esse du ministère public pour prorogation du délai d’appel en application du paragr. 678(2) C.cr. Essentiellement, il soutient, d’une part, avoir agi à l’intérieur du délai de 30 jours de la décision du jury du 1er juillet 2016, manifestant ainsi son intention de respecter le délai qu’il croyait erronément applicable en l’espèce et, d’autre part, avoir des motifs sérieux d’appel à faire valoir. L’intimé conteste ce point de vue et fait, de surcroît valoir que les moyens d’appel énoncés par l’avis d’appel du ministère public ne soulèvent que des questions de fait ou mixtes de droit et de fait, d’où sa seconde requête en rejet d’appel.
[18]        Il s’agit d’appliquer les critères bien connus des arrêts R. c. Lamontagne[5], et, par analogie, R. c. Roberge[6].
[19]        Sur les premier et troisième critères, le ministère public a agi dans le délai de 30 jours qu’elle croyait erronément applicable. Il faut également reconnaître que la question soulevée ici quant au point de départ du délai d’appel est nouvelle. Dans un tel contexte, il est difficile de lui reprocher un manque de diligence, à tout le moins quant à la manifestation de son intention de contester les verdicts dirigés d’acquittement. On ne peut cependant en dire autant quant au dépôt de la requête de bene esse en prorogation du délai que le ministère public aurait dû produire de façon diligente après avoir été informé de la position de l’intimé sur le caractère tardif de l’appel, et non pas dans les jours précédant l’audition de la requête en rejet d’appel.
[20]        Demeure le second critère, soit qu’il entend soulever des motifs d’appel sérieux. Le ministère public qualifie son appel de « type incident, tel que reconnu dans l’arrêt R. c. Seth[7] ». Celui-ci cherche, dans l’éventualité où un second procès serait ordonné à la suite de l’appel de l’intimé sur sa déclaration de culpabilité sur le chef 1 (complot), à préserver les accusations qui ont été écartées par la juge.
[21]        L’avis d’appel, rédigé avant que les motifs du jugement ne soient connus, est succinct et détaille brièvement les reproches adressés à la juge du procès. Voici les moyens d’appel qui y sont énoncés :
4.         L’appelante poursuivante se pourvoit à l’encontre de ces verdicts dirigés d’acquittement pour les motifs de droit suivants :
A)         La juge du procès a erré en droit en concluant qu’il y avait absence totale de preuve à l’égard d’au moins un des éléments essentiels de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité, alors que la preuve circonstancielle était suffisante pour être soumise à l’appréciation du jury;
B)        La juge du procès a erré en droit en concluant qu’il y avait absence totale de preuve à l’égard d’au moins un des éléments essentiels de l’infraction de recyclage des produits de la criminalité commise au profit, sous la direction ou en association avec une organisation criminelle, alors que la preuve circonstancielle était suffisante pour être soumise à l’appréciation du jury;
C)        La juge du procès a erré en droit en excluant de son analyse les gestes posés par l’intimé accusé postérieurement à son implication directe dans les chefs nos 3 et 8, alors qu’il revenait aux jurés d’apprécier l’effet rétroactif de cette preuve circonstancielle et de tirer les inférences en découlant;
D)        Les verdicts dirigés d’acquittement sur les chefs nos. 3 et 9 démontrent que la juge d’instance n’a pas effectivement appliqué le critère de l’« absence totale de preuve » lorsqu’elle a évalué le caractère raisonnable des écarts inférentiels qui pouvaient être tirés de l’ensemble de la preuve circonstancielle analysée globalement.


[22]        À première vue, l’avis d’appel soulève des questions de droit, comme l’enseigne la Cour suprême dans R. c. Barros[8], où le juge Binnie écrit :
[48] Le juge ne peut imposer un verdict s’il existe un quelconque élément de preuve directe ou circonstancielle admissible qui, s’il était accepté par un jury correctement instruit agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité : R. c. Charemski1998 CanLII 819 (CSC)[1998] 1 R.C.S. 679, par.1-4; R. c. Bigras2004 CanLII 21267 (ON CA)2004 CanLII 21267 (C.A.Ont.), par. 10-17. La question de savoir si le critère juridique est satisfait eu égard aux faits est une question de droit qui ne commande pas, en appel, de déférence envers le juge du procès. Selon l’article 676 du Code criminel, le ministère public peut introduire un recours devant la Cour d’appel si une erreur de droit a été commise.
[23]        Toutefois, il se pourrait que le traitement qui en serait fait par le ministère public soulève des questions mixtes ou même des questions de fait, ce qu’une formation serait mieux à même d’évaluer au vu du mémoire du ministère public. Une certaine retenue s’impose ici avant de statuer sur cette question compte tenu du caractère succinct de l’avis d’appel. Cela dit, il demeure, à ce stade-ci, et sans se prononcer sur l’issue de l’appel, le ministère public s’est néanmoins déchargé de son fardeau de faire valoir l’existence de moyens soutenables en appel (arguable grounds of appeal[9]) au regard notamment des arrêts R. c. Charemski[10] et R. c. Arcuri[11].
[24]        Somme toute, malgré le délai encouru avant le dépôt de la requête en prorogation de délai, il y a lieu de faire droit à la demande du ministère public. De même, vu les constats de la Cour au paragraphe précédent, il y a lieu de déférer à la formation qui sera saisie du fond de l’appel la requête de l’intimé en rejet d’appel en ce qui concerne l’absence alléguée de questions de droit.

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