jeudi 30 novembre 2023

La résistance visée à l’al. 129a) est une résistance physique active

Martin c. R, 2021 NBCA 53

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[7]     L’appelant soutient que la résistance visée à l’al. 129a) est une résistance physique active. La Cour d’appel de l’Ontario abonde dans ce sens dans l’arrêt R. c. Kennedy2016 ONCA 879[2016] O.J. No. 6105 (QL) :

 

[TRADUCTION]

Pour que l’on puisse prouver l’accusation d’avoir résisté à l’arrestation, les actes de l’accusé doivent constituer une « résistance active » et non une « résistance passive ». Dans R. c. Alaimo (1974), 1974 CanLII 1552 (ON CJ), 27 C.C.C. (2d) 491 (C.J. Ont.), le tribunal a conclu, sur le fondement de plusieurs définitions tirées de dictionnaires, que l’infraction exige une altercation physique directe entre le sujet et la police et l’exercice d’au moins un degré minimal de force. Le Black’s Law Dictionary indique que le mot [TRADUCTION] « décrit à juste titre une opposition par une action directe et des moyens ressortissant presque à l’usage de la force ».

 

Dans R. c. Stortini (1978), 1978 CanLII 2552 (ON CJ), 42 C.C.C. (2d) 214 (C.J. Ont.), l’accusé avait été informé qu’il était en état d’arrestation par suite d’un mandat non exécuté. Il a refusé d’accompagner les policiers. En conséquence, les policiers ont soulevé l’accusé en le prenant sous les bras et l’ont transporté au véhicule de police. Il n’a pas exercé de force physique directe à l’endroit des policiers. Le juge du procès a dit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

[L]e mot « résiste » décrit plus exactement des actes d’opposition aux efforts du policier qui se manifestent par une activité physique directe de la part de l’accusé. Il doit être démontré que celui-ci a exercé une certaine mesure de force. Autrement dit, la conduite de l’accusé doit comprendre davantage que ce que l’on qualifiait autrefois de résistance passive, c’est-à-dire une résistance sans une certaine mesure de force ou de violence, quelque minime soit-elle, avant que l’on puisse dire que l’accusé a commis l’infraction d’avoir résisté. Sans une telle résistance positive, sa conduite peut fort bien constituer une entrave au policier, mais, à mon avis, elle ne constitue pas une résistance au sens de la disposition législative.

 

De même, dans R. c. Bentley[2003] J.Q. n16091 (C.S.), l’accusé n’a pas réagi lorsqu’on lui a demandé de retirer les clés du contact de sa voiture et de sortir du véhicule. Après avoir répété la demande, et n’obtenant aucune réponse, le policier a enlevé l’accusé de son véhicule de force. Pendant qu’on le sortait de sa voiture, l’accusé a placé ses mains fermement sur le volant pour indiquer qu’il n’avait aucunement l’intention de quitter la voiture. Au par. 33, le tribunal a interprété les termes « résistance passive » comme étant [TRADUCTION] « l’absence de toute résistance physique » et a conclu qu’une résistance passive ne constituait pas une résistance pour l’application de l’art. 129 du Code criminel. Le tribunal a toutefois conclu que les actes de l’accusé ne constituaient pas une résistance passive, puisqu’il [TRADUCTION] « a utilisé une force physique pour empêcher qu’on l’enlève de sa voiture » : par. 51. En fin de compte, l’accusé a été acquitté, puisqu’il avait été accusé d’entrave et non de résistance.

 

Dans R. c. Marcocchio2002 NSPC 7, 213 N.S.R. (2d) 86, au par. 113, le tribunal est arrivé à une conclusion semblable :

 

[TRADUCTION]

 

Des actes de résistance physique positive équivalant à ce que l’on appelle « l’utilisation de force » de la part d’un accusé envers un agent de police dans l’exécution de ses fonctions constituent le genre de résistance visé par l’art. 129 du Code criminel. Par contre, l’on considère habituellement que la conduite que l’on qualifie souvent de « résistance passive », c’est-à-dire une résistance sans utilisation de force, ne tombe pas sous le coup de l’art. 129 et n’est pas passible de sanctions pénales.

 

Dans R. c. M.L.M.2007 ABCA 283, 52 M.V.R. (5th) 52, l’accusé a été détenu par des agents de police alors qu’il était assis dans sa voiture. Il n’a pas obtempéré à des ordres de placer ses mains sur le tableau de bord et a plutôt démarré la voiture, a mis celle-ci en marche arrière et a appuyé sur l’accélérateur. L’appelant a soutenu que, bien que sa conduite équivalût à un manque de coopération, elle ne constituait pas de la résistance, parce qu’il n’y a pas eu affrontement physique direct avec les policiers. En rejetant l’appel, le tribunal a conclu, au par. 9, que les actes de l’accusé constituaient davantage qu’une résistance passive et constituaient une [TRADUCTION] « utilisation active de force » à l’endroit d’un agent de la paix.

 

À mon avis, l’infraction de résister à un agent de la paix exige davantage que le manque de coopération; il faut une résistance physique active. […] [par. 31 à 36]

 

[8]                                                               Je fais miennes ces conclusions interprétatives.

mardi 28 novembre 2023

La défense de la croyance sincère mais erronée

Lafrance c. R., 2017 QCCA 1642

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[81]        Il est vrai que la défense d’erreur n’a pas à être alléguée spécifiquement par l’accusé et que le fait, pour un accusé, de soulever la question du consentement équivaut à plaider une croyance sincère au consentement[38]. L’accusé a droit à ce que la Cour examine tous les moyens de défense auxquels les faits donnent ouverture.

[82]        Cela dit, la défense ne sera considérée que si elle possède un air de vraisemblance[39]. Dans l’arrêt R. c. Davis, le juge en chef Lamer écrivait à ce sujet :

[81]      Avant que la défense puisse être examinée, il faut qu'il y ait suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir convaincre un juge des faits raisonnable (1) que le plaignant n'a pas consenti aux attouchements sexuels, et (2) que l'accusé a néanmoins cru sincèrement, mais erronément qu'il était consentant: voir R. c. Osolin1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595, à la p. 648, le juge McLachlin. En d'autres termes, compte tenu de la preuve, il doit être possible pour un juge des faits raisonnable de conclure que l'actus reus est établi, mais que la mens rea ne l'est pas. Dans ces circonstances, on dit que la défense a une certaine «vraisemblance» et le juge des faits, qu'il s'agisse d'un juge ou d'un jury, doit l'examiner. Par contre, lorsque la défense n'a aucune vraisemblance, il ne faut pas en tenir compte puisque aucun juge des faits raisonnable ne pourrait prononcer un verdict d'acquittement sur ce fondement: voir R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836, au par. 11.[40]

[Soulignement dans l’original]

[83]        Dans cette même affaire, la Cour suprême a pris le soin de préciser qu’il ne suffit pas pour l’accusé d’alléguer l’erreur pour conférer à la défense un air de vraisemblance[41]. Dans Ewanchuk, le juge Major notait aussi que « les affaires qui soulèvent un véritable malentendu entre les parties à une rencontre sexuelle ne sont pas fréquentes »[42]. Dans Davis, le juge Lamer était d’ailleurs du même avis et il précisait en outre que « l’agression sexuelle n’est pas un crime qui survient généralement par accident ». Il écrivait :

[84] […] Dans la plupart des cas, la question qui se posera sera celle du «consentement ou de l'absence de consentement», et il n'y aura qu'une alternative. Soit le plaignant a consenti, auquel cas il n'y a pas d'actus reus. Soit le plaignant n'a pas consenti et l'accusé avait une connaissance subjective de ce fait. Dans ce cas, l'actus reus est établi et la mens rea s'ensuit simplement.

[85]      Par exemple, supposons que le plaignant et l'accusé relatent des faits diamétralement opposés. Le plaignant allègue avoir été victime d'une agression sexuelle brutale et y avoir résisté vigoureusement tandis que l'accusé affirme qu'il s'agissait de rapports sexuels consensuels. Supposons en outre qu'il est impossible de combiner les éléments de preuve pour créer une troisième version des faits suivant laquelle l'accusé a cru sincèrement mais erronément que le plaignant avait donné son consentement. Dans de telles circonstances, il s'agit essentiellement au procès d'une simple question de crédibilité. Si on croit le plaignant, l'actus reus est établi et la mens rea s'ensuit simplement. Si on croit l'accusé, ou s'il y a un doute raisonnable quant à la version des faits du plaignant, il n'y a pas d'actus reus. Il n'y a pas de troisième possibilité, savoir une croyance sincère mais erronée au consentement, même si l'accusé affirme que le plaignant a consenti: Park, précité aux par. 25 et 26.[43]

[Soulignement ajouté]

[84]        En fait, la défense de la croyance sincère mais erronée ne peut être soulevée que s’il existe une certaine ambiguïté dans le rapport entre l’accusé et la plaignante, comme le soulignait la juge McLachlin dans l’arrêt R. c. Esau :

[63] […] Non seulement il doit y avoir une preuve d'absence de consentement et de croyance au consentement, mais il doit aussi y avoir une preuve susceptible d'expliquer comment l'accusé a pu se méprendre sur l'absence de consentement du plaignant et croire sincèrement qu'il consentait. Autrement, ce moyen de défense ne peut pas être valablement soulevé. Bref, il doit y avoir une preuve d'une situation d'ambiguïté dans laquelle l'accusé aurait sincèrement pu comprendre à tort que le plaignant consentait à l'activité sexuelle en question.[44] 

[85]        Bien que dissidente dans cette affaire, le principe qu’elle évoquait était cité avec approbation par la Cour suprême dans Davis[45], un arrêt unanime rendu la même année. Ce principe est également repris par l’auteure Julie Desrosiers dans son ouvrage L’Agression sexuelle en droit canadien[46].

[86]        Ainsi, le simple fait pour l’accusé de croire que le silence, la passivité ou le comportement ambigu de la plaignante valent consentement de sa part ne constitue pas un moyen de défense[47].

Les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle

Lafrance c. R., 2017 QCCA 1642 

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[78]        Les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle sont connus. Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, le juge Major les décrit ainsi :

[23]      Pour qu'un accusé soit déclaré coupable d'agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable: qu'il a commis l'actus reus et qu'il avait la mens rea requise. L'actus reus de l'agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. La mens rea est l'intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n'y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à l'égard de cette absence de consentement.[32] 

[79]        De fait, l’actus reus est établi par la preuve des trois éléments suivants : (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts et, (iii) l’absence de consentement. Les attouchements et la nature sexuelle des contacts sont des éléments objectifs, alors que l’absence de consentement « est subjective et déterminée par rapport à l’état d’esprit subjectif dans lequel se trouvait en son for intérieur la plaignante à l’égard des attouchements, lorsqu’ils ont eu lieu »[33].

[80]        La mens rea comporte pour sa part deux éléments : (i) l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et, (ii) la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard[34]. La défense d’erreur sur le consentement ne vise que la dénégation de la mens rea sur le second élément. Elle peut découler de la preuve principale du poursuivant, du témoignage de la plaignante, ou de celui de l’accusé, le cas échéant[35]. Cette preuve doit démontrer que l’accusé croyait sincèrement que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle, que ce soit par ses paroles ou son comportement[36]. C’est ce que précise le juge Major, dans l’arrêt Ewanchuk :

[46]      Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question. Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que le plaignant souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense. Les suppositions de l’accusé relativement à ce qui se passait dans l’esprit de la plaignante ne constituent pas un moyen de défense.[37]

La notion de responsabilité en tant que coauteur d’une infraction (propos du juge Lebel)

R. c. Pickton, 2010 CSC 32

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[63]                          Dans certaines circonstances, l’incertitude quant à la participation d’autres personnes — connues ou inconnues — en tant que coauteurs peut également s’avérer non pertinente sur le plan juridique.  La notion de responsabilité en tant que coauteur d’une infraction a été inscrite, dans les termes suivants, à l’al. 21(1)a) du Code criminel : « Participent à une infraction : quiconque la commet réellement ».  Cette forme de responsabilité s’applique chaque fois que deux personnes ou plus « commettent réellement » une infraction, et elle rend chacune d’elles individuellement responsable de ce crime.  Elle s’applique également lorsque deux personnes ou plus forment le projet de commettre ensemble une infraction, sont présentes lorsque le crime est commis et contribuent à sa perpétration, et ce, même si tous les éléments essentiels de l’infraction ne peuvent être imputés à chacune de ces personnes (R. c. Mena (1987), 1987 CanLII 2868 (ON CA), 34 C.C.C. (3d) 304 (C.A. Ont.), p. 316).  Si le juge des faits est convaincu hors de tout doute raisonnable que tous les éléments du crime reproché à l’accusé ont été établis, il importe peu qu’une autre personne ait elle aussi commis ce crime.

Qu'est-ce qu'une question suggestive?

R. c. E.M.W., 2011 CSC 31

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[9]                              Nous ne pouvons souscrire à la conclusion des juges majoritaires de la Cour d’appel que le procureur de la Couronne a posé à la plaignante des questions suggestives inadmissibles.  Une question suggestive est une question qui suggère une réponse ou présume un état de fait qui est par ailleurs contesté.  En l’espèce, les questions du procureur de la Couronne à la plaignante lors de l’interrogatoire principal n’ont pas franchi ce seuil.  En présence d’une enfant réticente à répondre, le procureur a posé à celle‑ci des questions à caractère binaire, qui lui laissaient le choix entre deux réponses.  Ces questions ne suggéraient toutefois pas une réponse précise.  Les principaux éléments de l’infraction ont été obtenus de la plaignante par des questions non suggestives.  Nous ne sommes pas convaincus que le témoignage de cette dernière, considéré globalement, a été obtenu irrégulièrement au moyen de questions suggestives.

dimanche 26 novembre 2023

La partie qui cherche à présenter un élément de preuve doit être prête à convaincre le tribunal de sa pertinence et de son admissibilité

R. c. Darrach, 2000 CSC 46

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37                              Un accusé n’a jamais eu le droit de produire des éléments de preuve non pertinents.  Il n’a pas non plus le droit de produire des éléments de preuve trompeurs pour étayer des déductions illégitimes:  «il n’est pas permis à l’accusé de fausser la fonction de recherche de la vérité du processus judiciaire» (Mills, précité, au par. 74).  Comme le par. 276(1) établit une règle de preuve qui n’exclut que les éléments de preuve non pertinents, il ne peut pas porter atteinte au droit de l’accusé à une défense pleine et entière.  Le paragraphe 276(2) est plus compliqué et je vais maintenant l’examiner.

46                              Une règle de preuve fondamentale veut que la partie qui cherche à présenter un élément de preuve soit prête à convaincre le tribunal de sa pertinence et de son admissibilité.  Dans R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740, à la p. 800, le juge en chef Lamer a indiqué que le fardeau de preuve applicable en matière de voir-dire à cet égard (dans ce cas, des déclarations antérieures incompatibles) est celui de «la prépondérance des probabilités, le fardeau habituel incombant à la partie qui cherche à faire admettre une preuve» (je souligne).  Tout comme pour la preuve par ouï‑dire, la preuve de moralité et la preuve de faits similaires, l’admissibilité de la preuve du comportement sexuel antérieur fait l’objet de restrictions.  La défense qui cherche à présenter une telle preuve doit établir qu’elle étaye au moins une déduction pertinente quelconque.  Le législateur a énoncé des critères d’admissibilité au par. 276(2) afin de guider les juges du procès dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire à cet égard.

Une déclaration extrajudiciaire inadmissble selon la règle des confessions peut néanmoins servir aux fins d'un voir‑dire constitutionnel

R. c. Paterson, 2017 CSC 15

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[18]                          À mon avis, la portée de la règle des confessions ne devrait pas être accrue comme le préconise l’appelant. Plus particulièrement, et pour les raisons qui suivent, la règle ne devrait pas s’appliquer aux déclarations considérées lors d’un voir‑dire constitutionnel.

[19]                          Premièrement, les prétentions de l’appelant méconnaissent l’objet de l’examen auquel se livre le tribunal lors d’un voir‑dire constitutionnel et le fait que cet objet se distingue de celui d’un procès criminel, lequel se soucie de la culpabilité ou de la non‑culpabilité de la personne accusée d’une infraction, alors que le voir‑dire constitutionnel ne s’attache pas à la culpabilité de l’accusé, mais plutôt au respect ou non de ses droits constitutionnels. Le voir‑dire constitutionnel suppose donc l’analyse de la totalité des circonstances connues du représentant de l’État et sur lesquelles ce dernier s’est fondé au moment de prendre la mesure en cause. Plus précisément, seuls sont considérés l’état d’esprit et la conduite du représentant de l’État à ce moment précis, et la véracité de la déclaration à partir de laquelle il a agi ne l’est pas. C’est pourquoi la véracité d’une déclaration n’a pas d’incidence sur son admissibilité; l’examen s’attache plutôt à la question de savoir s’il était raisonnable que le représentant de l’État voie dans la déclaration un motif justifiant la mesure.

mercredi 8 novembre 2023

La preuve circonstancielle pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel

Bakalis c. R., 2021 QCCS 3990 

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[18]        Pour prouver l’infraction énoncée à l’al. 320.14 (1) b) du Code criminel, la Couronne doit, bien évidemment, prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a conduit un véhicule. Elle doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a eu, dans les deux heures suivant le moment où il a cessé de conduire, une alcoolémie égale ou supérieure à la limite prescrite par la loi. Il s’agit de la substance même de l’infraction.

[19]        En matière de preuve circonstancielle, l’arrêt R. c. Villaroman2016 CSC 33 de la Cour suprême du Canada enseigne que l’analyse consiste à examiner les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve circonstancielle pour déterminer si ces inférences établissent la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. L’examen doit être fondé sur la logique et le bon sens. Ainsi, il importe de se mettre en garde contre le risque de combler les vides ou de sauter trop rapidement aux conclusions. De même, il faut se demander si la preuve circonstancielle supporte d’autres thèses ou possibilités raisonnables que la culpabilité, car un doute raisonnable peut émaner d’une inférence raisonnable incompatible avec la culpabilité. Cependant, une telle inférence disculpatoire doit être raisonnable, c’est-à-dire logiquement fondée sur la preuve ou sur une lacune dans la preuve. Les conjectures et hypothèses imaginaires ne peuvent pas susciter un doute raisonnable (voir aussi R. c. Mayuran2012 CSC 31, para. 38R. c. Griffin2009 CSC 28, para. 33R. c. Cooper1977 CanLII 11 (CSC)[1978] 1 RCS 860, p. 881; Sheikh c. R., 2020 QCCA 1266, para. 37, motifs dissidents approuvés à 2021 CSC 13; McClelland c. R., 2020 QCCA 324, para. 64-68Proulx c. R., 2016 QCCA 1425, para. 78-80R. c. Robinson2017 BCCA 6, para. 20-30).

[20]        M. Bakalis plaide que la preuve circonstancielle présentée au procès était insuffisante. Il soutient que le fait que la preuve n’a pas révélé qu’il était en possession des clés du véhicule au moment de son interpellation. Aussi, il reproche au juge d’avoir fait montre d’incohérence en affirmant, d’une part, que le conducteur ne pouvait être personne d’autre que M. Bakalis considérant la faible densité de la circulation à cette heure matinale et, d’autre part, qu’il n’a pas pu s’écouler une longue période avant que l’accident soit signalé par un automobiliste passant par là. Par ailleurs, il est acquis que l’appel à la police constituait du ouï-dire et ne prouvait ni l’accident ni le moment de celle-ci.

[21]        Il demeure que la situation de M. Bakalis, telle que décrite par la policière ayant témoigné, permettait amplement au juge du procès d’inférer hors de tout doute raisonnable que M. Bakalis était le conducteur du véhicule. Ensuite, cette preuve, bien qu’elle n’établissait pas l’heure précise de l’accident, permettait au juge d’inférer hors de tout doute raisonnable que cet accident était récent. La preuve du délai de deux heures pouvait être faite sans prouver exactement le moment de la cessation de la conduite. Au passage, mentionnons que le para. 320.31 (4) du Code criminel prévoit que l’alcoolémie dans ce délai peut être déterminée au moyen d’un rétrocalcul. Rappelons que M. Bakalis a été trouvé au petit matin, au milieu d’une autoroute, à Laval, à côté d’un véhicule accidenté enregistré à son adresse de résidence. Tout scénario disculpatoire relève de la spéculation ou de l’hypothèse imaginaire.

[22]        Les conclusions du juge du procès eu égard à la preuve circonstancielle sont raisonnables et doivent être considérées avec déférence en appel (Domond c. R., 2021 QCCA 412, para. 38-40Bélanger c. R., 2020 QCCA 431, para. 41-45Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, para. 17-22).

La mens rea de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie & la défense d’intoxication involontaire

Garneau c. R., 2023 QCCA 131

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[26]      La mens rea de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie « réside dans le fait de s’intoxiquer volontairement »[12]. L’accusé doit être acquitté lorsque sa défense d’intoxication involontaire est retenue, c’est-à-dire « si une preuve soulève un doute raisonnable sur la capacité qu’avait cette personne, au moment où elle a décidé de conduire, de réaliser le caractère sérieux et inadéquat de son état sans une faute de sa part »[13].

[27]      Dans l’arrêt The Queen c. King, la Cour suprême, sous la plume du juge Ritchie, est venue préciser que la démonstration des éléments de l’infraction de conduite avec capacité affaiblie donne lieu à une présomption d’intoxication volontaire pouvant être réfutée par le biais d’une preuve soulevant un doute raisonnable :

The existence of mens rea as an essential ingredient of an offence and the method of proving the existence of that ingredient are two different things, and I am of opinion that when it has been proved that a driver was driving a motor vehicle while his ability to do so was impaired by alcohol or a drug, then a rebuttable presumption arises that his condition was voluntarily induced and that he is guilty of the offence created by s. 223 [now s. 320.14(1)a) of the Criminal Code] and must be convicted unless other evidence is adduced which raises a reasonable doubt as to whether he was, through no fault of his own, disabled when he undertook to drive and drove, from being able to appreciate and know that he was or might become impaired.[14]

[28]      Ainsi, lorsqu’un accusé soulève une défense d’intoxication involontaire, il assume un fardeau de présentation pour démontrer que sa défense satisfait le critère de vraisemblance. Il ne s’agit pas d’un fardeau de persuasion, puisqu’il revient au ministère public d’établir les éléments de l’infraction, dont l’intention coupable hors de tout doute raisonnable. L’accusé pourra ainsi être acquitté si la preuve soulève un doute raisonnable sur le caractère volontaire de son intoxication[15]. Il n’aura toutefois pas à faire la démonstration par preuve prépondérante d’une intoxication involontaire. Si, sur la base de l’ensemble de la preuve, le tribunal entretient un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’intoxication, l’accusé devra alors être acquitté.

L’intoxication n’a pas à être la seule cause de l’affaiblissement des capacités de conduire, d’autres facteurs contributifs pouvaient être présents

Borja c. R., 2023 QCCS 3975

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[3]           La juge du procès devait décider si la Couronne avait prouvé hors de tout doute raisonnable que la capacité de conduire de l’accusé était affaiblie à un degré quelconque par l’effet de l’intoxication, comme l’enseigne l’arrêt R. c. Stellato1994 CanLII 94 (CSC), [1994] 2 RCS 478 et plusieurs arrêts de la Cour d’appel, notamment R. c. Aubé1993 CanLII 4143 et R. c. Laprise1996 CanLII 6000.

[7]           La juge du procès n’a pas imposé le fardeau de la preuve à l’accusé en soulignant certaines failles dans son témoignage. Une telle erreur n’apparait aucunement des motifs de la juge. L’accusé a présenté une défense selon laquelle son état n’était pas causé par l’ivresse, mais plutôt par la fatigue et les blessures provoquées par l’accident. Dans ce contexte, la juge pouvait certainement considérer les lacunes dans les explications de l’accusé pour décider si sa version soulevait un doute raisonnable et si la Couronne avait prouvé l’infraction hors de tout doute raisonnable. Essentiellement, l’accusé soulève une divergence de point de vue avec la juge relativement à l’appréciation des explications qu’il a données dans son témoignage à propos des symptômes qu’il présentait. Il reproche à la juge de ne pas avoir accepté sa version, en particulier concernant sa démarche difficile considérant qu’il souffrait d’une blessure à la jambe. Mais, la juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante à ce propos. Elle pouvait considérer que la version de l’accusé comportait des imprécisions. Comme c’est pratiquement toujours le cas en cette matière, la preuve des effets de l’alcool était circonstancielle. La juge pouvait déduire que les symptômes observés chez l’accusé, incluant sa démarche, indiquaient un affaiblissement de la capacité de conduire causé par l’alcool. La juge devait apprécier la suffisance des explications de l’accusé pour déterminer les inférences pouvant être tirées de la preuve dans son ensemble. Dans l’arrêt Aubé, mentionné précédemment, la Cour d’appel affirmait ceci à ce sujet :

« Ce n'est qu'exceptionnellement que l'état de boisson d'un conducteur se prouve autrement que par une preuve circonstancielle, comprenant un certain nombre de manifestations physiques distinctes touchant l'apparence de l'individu, sa façon de parler et de marcher, soit des manifestations anormales qui, à défaut d'explication ou de justification, permettent l'inférence certaine d'un affaiblissement de la capacité de conduire par l'alcool ou une drogue ».

[8]           Ensuite, la fatigue, la douleur ou l’état de choc ne disculpaient pas l’accusé. L’infraction pouvait être commise si l’affaiblissement de la capacité de conduire était causé par l’effet combiné de l’alcool et de la fatigue. L’intoxication n’avait pas à être la seule cause de l’affaiblissement, d’autres facteurs contributifs pouvaient être présents. De même, les symptômes observés après l’accident pouvaient être causés, à la fois, par les effets de l’alcool et ceux de l’accident. Ces éléments n’étaient pas mutuellement exclusifs. Il revenait à la juge du procès, dans son rôle de juge des faits, d’apprécier la preuve relative aux divers facteurs en cause pour décider si la capacité de conduire de l’accusé était affaiblie par l’effet de l’alcool. L’examen en appel à cet égard doit être mené avec déférence, car il s’agit essentiellement d’une question factuelle. Il ressort des motifs de la juge qu’elle a correctement évalué la preuve dans son ensemble et que ses conclusions sont raisonnables. Sur l’effet combiné et l’analyse globale des facteurs et symptômes liés aux effets de l’alcool, voir notamment: Belle-Isle c. R., 2021 QCCA 600, par. 93Lépine c. R., 2007 QCCA 69, par. 22R. c. Blais1996 CanLII 6313, p. 7; Provost Blanchard c. R., 2022 QCCS 4189, par. 57Fournier c. R., 2017 QCCS 5361, par. 48R. c. Goldblatt2011 ONCA 301, par. 3R. c. Poulin2008 QCCQ 7791, par. 30.

[9]           Enfin, la juge ne s’est pas basée sur des facteurs non pertinents pour conclure que la capacité de conduire de l’accusé était affaiblie par l’alcool. Elle pouvait considérer que le comportement et les décisions de l’accusé au cours de la soirée et de la nuit – incluant la conduite de son véhicule avec le régulateur de vitesse alors qu’il était fatigué – démontraient que sa faculté de jugement était diminuée et qu’il s’agissait d’un indice d’intoxication. Selon l’arrêt R. c. Laprise1996 CanLII 6000 de la Cour d’appel, « L'affaiblissement des facultés de conduire s'entend généralement de l'altération du jugement et de la diminution de l'habilité physique ».