R. c. Ledoux, 2017 QCCA 1041
[39] L’article 19 du Code criminel prévoit :
19. L’ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n’excuse pas la perpétration de l’infraction. | 19. Ignorance of the law by a person who commits an offence is not an excuse for committing that offence. |
[40] Comme l’explique si bien le professeur Hugues Parent dans son Traité de droit criminel, Tome I — L’imputabilité, 4e éd., Montréal, Thémis, 2015, par. 503 :
Si une erreur de fait implique « une représentation inexacte de la réalité matérielle » (soit que l’individu croit à l’existence de faits inexistants ou à l’inexistence de faits existants), l’erreur de droit suppose, pour sa part, une mauvaise interprétation de sa signification au point de vue juridique (soit que l’individu ignore la règle de droit ou se méprend sur son contenu, sa portée ou son application).
[41] Cet énoncé est conforme au droit. La Cour suprême, dans l’arrêt R. c. Molis, 1980 CanLII 8 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 356, 362 tranche :
… Parliament has by the clear and unequivocal language of s. 19 chosen not to make any distinction between ignorance of the existence of the law and that as to its meaning, scope or application. Parliament has also clearly expressed the will that s. 19 of the Criminal Code be a bar to any such defence…
[42] Le professeur Don Stuart dans son traité Canadian Criminal Law, Fifth Edition, Thomson-Carswell, 2007, p. 366-371 (ci-après: « Stuart »), reprend la même idée, illustrant le caractère parfois limite de la distinction entre erreur de droit et erreur de fait. Pour illustrer la démarcation, il rapporte les propos de Glainville Williams dans Criminal Law (the General Part), 2nd Ed., Stevens & Sons, 1961 qui avance que l’erreur de fait est reliée au sens de la personne, tandis que l’erreur de droit est celle qui découle de sa pensée.
[43] Une lecture des savants auteurs fait immédiatement ressortir que l’erreur de droit ou de fait et le droit criminel suivent une dynamique qui n’est ni claire ni simple. Aussi, une fois le principe clairement affirmé, ça se complique.
[44] L’arrêt R. c. Prue; R. c. Baril, 1979 CanLII 227 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 547 est un arrêt important. La Cour était saisie d’une infraction criminalisant le seul fait de violer une interdiction de conduire imposée par la loi provinciale. La Cour décide que cette dernière interdiction de conduire « provinciale » devenait un « fait » dans l’économie du droit criminel et, par conséquent, son ignorance offrait une défense d’erreur de fait. Quelques années plus tard, la Cour qualifie une telle méprise, dans un contexte similaire, d’erreur de droit : R. c. MacDougall, 1982 CanLII 212 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 605, ce qui fait dire à l’auteur Stuart que la logique n’est pas toujours au rendez-vous, les deux arrêts étant selon lui irréconciliables : Stuart, p. 370.
[45] L’analogie avec la présente affaire tient à ce que l’erreur de l’intimé porterait sur le concept d’interception de communication privée dans un contexte de droit du travail. Le raisonnement veut que l’erreur portant sur un concept étranger au droit criminel devienne un fait en rapport avec ce dernier et donne donc ouverture à l’erreur de fait.
[46] Ce raisonnement est reconnu en doctrine, mais il est critiqué lorsqu’il excède les cas où une défense d’apparence de droit est prévue par la loi : voir Stuart, p. 353. À titre d’exemple, et en simplifiant, un vol n’est consommé que si un bien est pris sans apparence de droit : art. 322 C.cr., de sorte qu’une personne peut se tromper sur son « droit » de posséder cette chose : R. c. Lilly, 1983 CanLII 153 (CSC), [1983] 1 R.C.S. 794.
[47] Cela dit, le droit évolue et tente de se raffiner, voire d’atténuer l’affirmation péremptoire de l’article 19 C.cr. Dans R. c. Klundert, 2004 CanLII 21268 (C.A.O.) (ci-après: « Klundert »), le juge Doherty conclut qu’une erreur de droit peut parfois nier la mens rea lorsque la perpétration de l’infraction exige la démonstration que l’accusé a agi dans le but d’atteindre un objectif spécifique ("in relation to the achievement of a purpose"). Se référant à R. c. Docherty, 1989 CanLII 45 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 941, le juge Doherty explique que l’utilisation du mot « wilfullly » (en français, « volontairement ») peut signifier l’atteinte de l’objectif décrit dans la loi. Il écrit, dans l’arrêt Klundert, au par. 44 : « [w]hile the word “wilfully” refers to a culpable mental state, the exact meaning of the word will depend on the context in which it is used…».
[48] Dans le contexte d’une infraction au paragraphe 239(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1, le juge Doherty illustre de façon éloquente le rôle de l’erreur dans l’évaluation de la mens rea. L’erreur peut être une erreur de fait, une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit. Cela étant, seule l’erreur de droit ne peut constituer une défense. Il écrit :
[49] The requisite knowledge or purpose may be negated by a mistaken belief. A tax payer may through arithmetic error misstate the amount of tax owing, or she may be unaware of the statutory definition of income, or she may have come to a mistaken conclusion as to the application of that definition to her affairs. The first of these errors is factual, the second, legal, and the third is a mixture of both.
[50] Factual errors can negate the fault requirement of an offence requiring knowledge and purpose. Purely legal errors raise a more difficult problem. A mistake of law does not excuse the commission of a criminal offence: Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46, s. 19. The fault element of a crime may, however, be defined so as to make various kinds of errors, including purely legal errors relevant to the existence of the required culpable mental state: A. Mewett and M. Manning, Criminal Law, 3rd ed. (Toronto: Butterworths, 1994) at pp. 389-391; H. Stuart, “Mistake of Law Under the Charter”, (1998) 40 Crim. L.Q. 476 at 486-494. For example, where an offence requires that the Crown prove that an accused acted without “colour of right”. Mistakes as to the applicable civil law can provide the basis for a “colour of right”: R. v. Demarco (1973), 1973 CanLII 1542 (ON CA), 13 C.C.C. (2d) 369 at 372 (Ont. C.A.). In those cases the mistake of law is not advanced as an excuse for committing the crime but rather negates the existence of the required culpable state of mind: R. v. Howson, 1966 CanLII 285 (ON CA), [1966] 3 C.C.C. 348 at 356 (Ont. C.A.). Similarly, where an offence requires proof that the accused intended to violate a court order, a mistake as to the legal effect of that court order can negate the required culpable state of mind: R. v. Ilczyszyn (1988), 1988 CanLII 7063 (ON CA), 45 C.C.C. (3d) 91 at 95-96 (Ont. C.A.).
[49] Enfin, il précise que “[t]he extent to which any mistake, including a legal mistake, can negate the fault requirement turns on an interpretation of the language of the statute in the legislative context in which it is used…”: Klundert, par. 54. Dans cette affaire, le libellé de l’infraction exigeait que le geste soit posé dans le but d’éluder l’impôt. Je conviens avec le juge Doherty que plusieurs types d’erreurs innocentes peuvent expliquer le geste autrement que par le souhait d’éluder de l’impôt.
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