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lundi 21 juillet 2025

Des gestes d'un accusé accompagnés ou non de paroles peuvent être inappropriés, voire même provocateurs, sans que cela ne constitue une intention d'appliquer la force contre une autre personne

R. c. Doré, 2010 QCCQ 4568

Lien vers la décision


Les voies de fait

a)         L'acte fautif

[27]            À l'article 265 du Code criminel, le législateur a prévu trois façons de commettre des voies de fait. Cet article se lit comme suit:

265(1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

[28]            Aux fins de la présente cause, nous allons discuter que des deux premiers moyens décrits à cet article.

[29]            À l’article 265 (1) a) et b) du Code criminel, le législateur a codifié les deux infractions prévues par la common law de « assault and battery ». Le « assault » de la common law correspond à l’alinéa b) de l’article 265 (1), c'est-à-dire la menace d’emploi immédiat de la force. Quant au « battery », ce crime correspond à l’alinéa a) de l’article 265 (1), c'est-à-dire, l’emploi illégal de la force[1]. Dans la cause de R. v. Mackay[2], la Cour suprême, dans un court jugement sous la plume du juge Charon, explique que les alinéas 265 (1) a) et 265 (1) b) ne créent pas des infractions distinctes, mais décrivent simplement deux façons de commettre la même infraction.

[30]            Le premier mode de perpétration des voies de fait consiste dans l'emploi de la force ou d'un contact physique contre une autre personne. Il y a lieu de noter que notre jurisprudence a reconnu que le simple fait d'effleurer une personne constituait des voies de fait[3]. Dans la même veine, le juge Hinkson dans la cause de Cadden cite l'auteur Salmond, The Law of Torts, 17 ed., pour expliquer le principe voulant que l'emploi de la force à l'article 265 (1) du Code criminel ne requière pas de la violence ou de la puissance et peut inclure toute forme d'utilisation de la force sur une autre personne sans son consentement :

The application of force to the person of another without lawful justification amounts to the wrong of battery. This is so, however trivial the amount or nature of the force may be, and even though it neither does nor is intended nor is likely or able to do any manner of harm. Even to touch a person without his consent or some other lawful reason is actionable. (P. 120 dans Salmond; reproduit au par. 11 dans le jugement de Cadden)

 The term “forcible” is used in a wide and somewhat unnatural sense to include any act of physical interference with the person … of another. To lay one’s finger on another without lawful justification is as much a forcible injury in the eye of the law, and therefore a trespass, as to beat him with a stick. (P. 5 dans Salmond; reproduit au par. 12 dans Cadden)

[31]             Le second moyen de commettre des voies de fait ne vise pas l'application de la force physique. Au contraire, ce deuxième moyen consiste dans la tentative ou la menace de l'emploi immédiat de la force sur quelqu'un[4]. Cette menace doit être faite au moyen d'un acte ou d'un geste comme brandir un couteau en direction d'une personne ou montrer le poing à une autre personne. De plus, l'agresseur doit être en mesure de mettre ses menaces à exécution sur-le-champ ou la victime doit avoir des motifs raisonnables de croire que tel est le cas[5].

[32]            Dans l'arrêt Stephen v. Myres (1830), 172 E.R. 735[6], le tribunal a expliqué que tout acte de menace qui n'est pas accompagné de violence, ne constitue pas nécessairement des voies de fait. La loi requiert un élément additionnel : les moyens et la capacité de mettre à exécution les menaces. Ainsi, des menaces qui ne risquent pas de se concrétiser ne constituent pas des voies de fait.

[33]            Quant à l'appréhension de violence, elle doit être raisonnable en plus d'être liée à l'anticipation imminente d'un assaut. L'élément « appréhension de violence » s'établit suivant un test objectif : est-ce que l'acte ou le geste reproché a provoqué dans l'esprit d'une personne raisonnable une crainte raisonnable d'assaut immédiat?

[34]             Le caractère raisonnable de la crainte dépendra des faits particuliers de la cause. Ainsi, un accusé qui ne fait qu'enguirlander un plaignant ne crée pas chez ce dernier une appréhension raisonnable de violence. Invectiver quelqu'un de façon grossière et bruyante pour exprimer son mécontentement ne constitue pas des voies de fait.

[35]            Toutefois, l'ajout de gestes, d'actes ou de propos menaçants aux invectives d'un accusé peut donner lieu à une appréhension raisonnable de violence. Ainsi, l'individu qui tend ses poings à la victime qu'il enguirlande est coupable de voies de fait selon l'article 265 (1) b) du Code criminel. Par son geste (exhiber ses poings) et par le contexte (il est verbalement abusif envers le plaignant), il crée une appréhension raisonnable de violence immédiate. De même, une appréhension raisonnable de violence est établie quand un accusé—alors qu'il est tout près du plaignant qu'il enguirlande—menace de le tuer ou de le blesser.

[36]            Puisque la définition de voies de fait prévue à l'article 265 (1) b) exige la commission d'une action ou d'un geste, les simples paroles ne peuvent constituer une agression[7]. Ce principe fut adopté par la Cour d'appel de Terre-Neuve dans la cause de R v. Byrne[8]. Dans cette affaire, le défendeur s'est présenté au guichet d'un théâtre à Vancouver et il a répété à trois ou quatre reprises les propos suivants à la caissière : «J'ai une arme, donne-moi tout l'argent sinon je tire.»  L'accusé avait un manteau sur le bras et aucune arme n'était visible. Le juge Tysoe de la Cour d'appel a infirmé le jugement de première instance en expliquant qu'il n'y a pas eu de voies de fait, car l'accusé n'a pas commis d'acte ou de geste.  Dans son jugement, le juge Tysoe, s'est appuyé, entre autres, sur les autorités suivantes :

In 10 Hals. 3d ed., p. 740, para. 1423, is the following:

« Mere words can never amount to an assault. (1 Hawk. P.C. c. 15(2), s. 1). There must be some act indicating an intention of assaulting, or which an ordinary person might reasonably construe as indicating such an intention, or some act amounting to an attempt. »

And in the Encyclopedia of the Laws of England, 2nd ed., vol. 1 p. 530, assault is defined as a « threat, otherwise than by words, of using force to another, accompanied by a real or apparent capacity to carry out the threat. »  

[37]            Dans ce même jugement, le juge Robertson précise qu'avoir un manteau sur le bras ne constitue pas un « acte ou un geste » et qu'il n'y avait aucune preuve de mouvement significatif du bras de l'accusé. Il est arrivé, ainsi, aux mêmes conclusions que le juge Tysoe:

I think that the words « act or gesture » … were indented to preserve the common law rule that mere words can never amount to an assault. If a man standing within arm's length of another say to him «I am going to punch you in the nose» and does nothing, he does not thereby commit an assault; but, if he accompanies his words with the clenching of his fist an the drawing back of his arm, he does thereby commit an assault. The words are not an act or gesture; the cocking of his fist is. Further, how can a man by mere words « attempts … to apply force to another? »

[38]            Dans la même veine, le juge Hinkson dans l'arrêt Caddensupra, reprend le principe voulant que les simples paroles ne correspondent pas à un acte ou un geste et, de ce fait, ne peuvent constituer des voies de fait. De plus, il ajoute que l'acte ou le geste envisagé à l'article 265 (1) b) doit être compatible avec une tentative d'appliquer la force. Pour reprendre les propos du juge Hinkson :

Under the Criminal Code, it is clear that words alone cannot amount to an assault because  s. 244(1)(b) requires an « act or gesture » by the accused. Further, this act or gesture must amount to an attempt to apply force. (Par. 16)

b)         L'élément intentionnel

[39]            Les voies de fait—qu'ils soient définis en vertu de l'alinéa a) ou de l'alinéa b) du Code criminel—sont essentiellement un crime d'intention. Dans son document de travail no 38, portant sur « Les voies de fait », la Commission de réforme du droit du Canada décrit l'élément intentionnel du crime de voies de fait ainsi :

Les dispositions de l'alinéa 244 (1) du Code criminel exigent expressément que la force ait été employée intentionnellement. D'autre part, bien que l'on ne trouve à l'alinéa 244 (1) aucune mention explicite de l'intention, les mots « tente ou menace » supposent l'existence d'une intention. En effet, comment peut-on        « tenter » ou « menacer » accidentellement? (page 6)  

[40]            Dans l'arrêt Horncastle, ( 1972) 1972 CanLII 1320 (NB CA), 19 C.R.N.S. 362 (N.B.C.A.),  la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a défini la mens rea de voies de fait à l'article 265 (b) comme étant l'intention de menacer et non dans l'intention de mettre à exécution la menace:

It is not necessary to consitute the offence of assault that the accused actually apply force or even intend to do so. It is sufficient if he threatens to do so and the present ability to do so. Mens rea lies in the intention to threaten not in the intention to carry out that threat. (page 371)

[41]            Dans la cause de Hurley v. Moore1993 CarswellNfld 73, dans le contexte d'une poursuite civile (tort law), la Cour d'appel de Terre-Neuve, au paragraphe 23,  explique l'élément intentionnel d'un « assault » ainsi :

In tort law, therefore, intentionally causing another person to fear imminent contact of a harmful or offensive nature is an assault: the Dictionary of Canada law by Dukelow and Nose, p. 64.

[42]            Dans la même veine,  la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans R. v. Masden, (1991), 1991 CanLII 7629 (SK KB)95 Sask. R. 290 Q.B. a maintenu que l'intention de menacer est un élément essentiel de voies de fait selon la définition prévue à l'article 265 (1) b) du Code criminel[9]

[43]            Dans les juridictions de common law, la cause de Stephens v. Myerssupra, est souvent citée comme autorité voulant que l'intention de menacer est un élément essentiel d'un « assault ». Dans cette affaire, l'accusé avait exprimé son intention de battre une autre personne. Il s'est approché de la victime en montrant les poings et il affichait un comportement menaçant. Mais avant de pouvoir mettre à exécution ses menaces, il fut intercepté par d'autres personnes.  Le juge Tindal, C.J. a conclu que les actions de l'accusé constituaient un « assault » :

It is not every threat where there is no actual personal violence, that constitutes an assault; there must, in all case, be the means of carrying the threat into effect. The question I shall leave to you will be, whether the defendant was advancing at the time, in a threatening attitude, to strike the chairman…; then, though he was not near enough at the time to have struck him, yet if he was advancing with that intent, I think it amount to an assault in law[10].

[44]            La jurisprudence est à l'effet que les actes ou les gestes de l'accusé doivent clairement ou positivement démontrer l'intention hostile de menacer pour établir le crime de « assault ». Ainsi, le juge Killam dans la cause de Pockett v. Pool (1896) 1896 CanLII 141 (MB CA), 11 Man. R. 275, aux pages 286-7, a écrit que :

The threats which constitute an assault must be accompanied by acts positively evidencing an intent to carry them out[11]. (souligné ajouté)

[45]            Si les circonstances particulières ne démontrent pas hors de tout doute raisonnable que les gestes ou les actes reprochés étaient animés par une intention hostile, le défendeur doit être acquitté. Dans la cause de R. v. McGibney (note 10), l'accusé avait invité le plaignant à se battre. Cette invitation fut livrée par l'accusé alors qu'il avait un comportement agressif : il parlait fort et il gesticulait avec ses mains. L'accusé a même agrippé le plaignant par le collet en le traitant de menteur. Pour le juge A. Ross, en  l'absence d'autres éléments factuels, tels les poings fermés, les actes ou les gestes de l'accusé ne constituaient pas une preuve convaincante d'une intention hostile. Pour reprendre les propos du juge Ross :

This, however, by itself is not convincing evidence of hostile intent. Many men in the course of an argument will involuntarily touch the person whom they are addressing[12].

[46]            Finalement, le juge Ross explique que les gestes de l'accusé étaient inappropriés, peut-être même provocateurs, mais ne constituaient pas une intention d'appliquer la force contre une autre personne :

The assault, if any, under these circumstances must consist of threatening actions and, while I have found that the accused's conduct was provocative and unjustified, yet I can by no process however technical find any intent to apply violence, and therefore he is not guilty. (Para. 22)

[47]             Les décisions de Boyd[13] et de Jorden[14] sont deux autres causes où le comportement agressif de l'accusé ne correspondait pas clairement à une intention de menacer ou à une intention d'appliquer la force. Pour les fins de ce jugement, ces causes sont particulièrement intéressantes, car dans chaque cas, les actes, les gestes ou les propos menaçants visent un agent de la paix.

[48]            Dans l'affaire Jorden, le policier avait arrêté l'accusé pour le motif que les papiers d'enregistrement du véhicule moteur conduit par ce dernier n'étaient pas conformes. Monsieur Jorden était agressif et semblait rechercher la confrontation. Au policier, il a émis les propos grossiers suivants « What the fuck do you want? » et « None of your fucking business.» Lorsque le policier lui a demandé de produire son permis de conduire et les enregistrements du véhicule, l'accusé les a sortis de son portefeuille et les a lancés sur le toit de son véhicule. Il a ajouté que le policier profitait de son uniforme et qu'autrement il (le policier) ne serait pas aussi courageux. Lorsque le policier a demandé à l'accusé d'ouvrir le coffre de l'auto, ce dernier a répondu par d'autres obscénités. De l'intérieur du coffre de l'auto, l'accusé a ramassé un marteau alors qu'il était de dos au policier. En soulevant légèrement le marteau, l'accusé a dit au policier : « I'll show you the fucking hammer. »  Toutefois, quand le policier lui a demandé de laisser tomber le marteau, l'accusé a obtempéré immédiatement. 

[49]            Pour le juge Kolenick dans Jorden, il était clair que le but de l'accusé était d'être négatif, difficile et insultant à l'égard du policier. Toutefois, ce comportement était insuffisant, en soi, pour établir la preuve hors de tout doute raisonnable l'intention de menacer le policier. Comme l'explique le juge Kolenick, au paragraphe 18 de son jugement :

[W]hile his behavior was indeed unsavoury, I do not feel that it constituted a criminal assault. In my view, the evidence was not sufficient to establish beyond a reasonable doubt the necessary intention to threaten.

[50]            Dans la cause de Boyd, l'accusé s'est approché du véhicule de patrouille de la GRC qui était stationné devant une pompe d'un poste d'essence. Le constable Tremblay était assis derrière le volant dudit véhicule. L'accusé (qui est à trois ou cinq pieds de l'auto-patrouille) pointe sa main en direction du policier et se met à l'engueuler et à l'injurier. Selon la preuve, l'accusé sautillait sur place lorsqu'il s'est adressé au constable. Toutefois, un doute subsistait sur le fait que l'accusé ait montré le poing et ait invité le constable Tremblay à sortir de son véhicule pour se battre. 

Quelle est la portée des directives du DPCP, qui ne peuvent pas être qualifiées de règles de droit, sur le processus judiciaire?

R. c. Roy, 2009 QCCQ 7716 

Lien vers la décision


[76]            L'infraction reprochée au gardien des Remparts se déroule dans un contexte particulier. Il existe une grande rivalité entre les deux équipes, la preuve révèle que pour les joueurs, la bataille est permise à condition qu'il n'y ait pas de lésions. Cette croyance repose sur une directive accessible à tous, émise depuis 1977, et reprise par le DPCP; que la partie se déroule devant une foule de spectateurs appuyant l'équipe locale et par conséquent, les jeunes joueurs y vivent de fortes émotions et désirent gagner la partie puisque le tout se déroule pendant les séries éliminatoires.

[79]            Donc le Tribunal doit décider si dans le présent dossier des droits du requérant étaient protégés par la Charte et si oui, furent-ils violés.

[80]            Avec raison, les avocats, de façon contradictoire, ont reconnu que les droits du requérant ont été ou n'ont pas été violés en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés :

« 7.  Vie, liberté et sécurité – Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

[82]            Ces propos datent de nombreuses années, mais sont toujours d'actualité.

[83]            De plus, les deux procureurs ne diffèrent pas d'opinion à l'effet que le DPCP a le pouvoir d'adopter des directives et de les amender s'il croit qu'il en est nécessaire.

[84]            Les articles 91 et 92 et de la Loi constitutionnelle de 1867 permettent au fédéral et aux provinces d'adopter des mesures législatives dans des champs de compétence qui en principe sont mutuellement exclusives[3].

[85]            D'ailleurs, l'article 92 de ladite loi précise que :

« Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérées, savoir:

(14) L'administration de la justice dans la province, y compris la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle, y compris la procédure en matières civiles dans ces tribunaux. »

[86]            Par contre, l'article 91 (27) de la Loi constitutionnelle prévoit un pouvoir réservé uniquement au fédéral relativement au droit criminel et sa procédure.

[87]            L'honorable juge Lebel de la Cour suprême du Canada reconnaît aux provinces le pouvoir d'adopter des directives qu'il qualifie de pratiques provinciales[4]:

« Notre Cour a déjà reconnu que certaines différences dans les pratiques provinciales d'administration du droit criminel restent prévisibles et permises dans certaines circonstances. Dans l'arrêt R. c. S. (S), 1990 CanLII 65 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 254, le juge en chef Dickson a fait, à ce propos, l'observation suivante, aux p. 289-290:

En premier lieu, il faut se rappeler que des différences dans l'application d'une loi fédérale peuvent représenter un moyen légitime de promouvoir les valeurs d'un système fédéral. De fait, dans le contexte de l'administration du droit criminel, les différences d'application sont favorisées par les par. 91(27) et 92 (14) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le droit criminel et son application sont un domaine dans lequel un équilibre a pu être établi entre les intérêts nationaux et les préoccupations locales grâce à une structure constitutionnelle qui permet et encourage à la fois la collaboration du fédéral et des provinces. Il ressort clairement d'une brève revue de l'histoire constitutionnelle canadienne que la diversité du droit criminel dans son application par les provinces a été reconnue de façon constante comme moyen de promouvoir les valeurs propres au fédéralisme. Les différences d'application naissent de la reconnaissance de l'opportunité d'adopter dans différentes régions des façons différentes d'aborder l'administration du droit criminel. »

[88]            Le 15 mars 2007, entre en vigueur la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales[5].

[89]            Le directeur dirige pour l'État sous l'autorité générale du ministre de la Justice et procureur général, les poursuites criminelles et pénales au Québec. Il y est même prévu que dans l'exercice de sa charge, le directeur est d'office sous-procureur général pour les poursuites criminelles et pénales. Il est en outre prévu que les poursuivants sous son autorité sont les substituts légitimes lorsqu'ils exercent leurs fonctions.[6]

[90]            L'article 13, définit ainsi ses fonctions :

« 1o d'agir comme poursuivant dans les affaires découlant de l'application du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46), de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lois du Canada, 2002, chapitre 1) ou de toute autre loi fédérale ou règle de droit pour laquelle le procureur général du Québec a l'autorité d'agir comme poursuivant;

2o d'agir comme poursuivant dans toute affaire où le Code de procédure pénale (chapitre C-25.1) trouve application.

Le directeur exerce également les fonctions utiles à l'exécution de sa mission, y compris pour autoriser une poursuite, pour porter une affaire en appel ou pour intervenir dans une affaire à laquelle il n'est pas partie lorsque, à son avis, l'intérêt de la justice l'exige. Enfin, il exerce toute autre fonction qui lui est confiée par le procureur général ou le ministre de la Justice. »

[91]            Quant à ses devoirs, ils sont énumérés à l'article 15 et le législateur y prévoit des devoirs particuliers :

« Autres devoirs.

Il doit aussi, dans les poursuites criminelles et pénales, prendre les mesures nécessaires pour assurer la prise en compte des intérêts légitimes des victimes d'actes criminels et le respect et la protection des témoins. »

[92]            Sa capacité d'adopter des directives est clairement établie à l'article 18 :

« 18.  Le directeur établit à l'intention des poursuivants sous son autorité des directives relativement à l'exercice des poursuites en matière criminelle ou pénale.  Ces directives doivent intégrer les orientations et mesures prises par le ministre de la Justice et le directeur s'assure qu'elles soient accessibles au public.

Application des directives.

Ces directives s'appliquent, avec les adaptations nécessaires établies après avoir pris en considération le point de vue des poursuivants désignés, dont les municipalités, à tout procureur qui agit en poursuite en matière criminelle ou pénale, y compris devant les cours municipales. Le directeur publie alors un avis à la Gazette officielle du Québec indiquant la date à laquelle la directive s'applique à un ou plusieurs de ces poursuivants désignés.  Par la suite, si le directeur doit intervenir en ces matières en raison d'un défaut de conformité à ces directives, il le fait aux frais du poursuivant concerné. »

[93]            À l'article 25, la Loi définit les devoirs et fonctions des procureurs qui représentent le directeur :

« Les procureurs remplissent, sous l'autorité du directeur, les devoirs et fonctions que celui-ci détermine.  Lorsqu'ils agissent comme poursuivants, ils sont réputés être autorisés à agir au nom du directeur et n'ont pas à faire la preuve de cette autorisation. »

[94]            Certaines directives confèrent un pouvoir discrétionnaire aux procureurs comme le prévoit la directive ACC-5 portant sur le choix de poursuite en ce qui regarde les infractions hybrides.

[95]            Par contre, la directive ACC-2 traitant de l'acte d'accusation direct et de la nouvelle dénonciation limite la discrétion du procureur.

[96]            Parfois des directives interdissent aux procureurs de poser certains gestes ou les obligent à agir de la manière indiquée.

[97]            Par exemple, la directive PLA-1 traitant de négociation de plaidoyer est citée à titre d'exemple à ce sujet :

« 2. […]

      d)  lorsque l'accusé est âgé de moins de 18 ans, le procureur doit :

                        1)  s'abstenir de négocier avec lui s'il n'est pas représenté par un avocat;

3.  [Infraction criminelle et pénale] – Aucune négociation de plaidoyer ne doit impliquer la réduction d'une poursuite de nature criminelle (par acte criminel ou par voie sommaire) en infraction statutaire.  Exceptionnellement, une telle négociation est permise si les circonstances suivantes sont réunies :

i)   pour quelque motif, la preuve d'un des éléments essentiels de l'infraction portée originalement n'est plus disponible;

ii)   il n'existe aucune autre infraction criminelle incluse à l'infraction originale dont la preuve peut être faite;

iii)  il existe de la preuve de tous les éléments essentiels de l'infraction statutaire et cette dernière n'est pas prescrite;

      iv)   le procureur en chef approuve un tel règlement. »

[98]            Le procureur du requérant soumet que les directives adoptées par le DPCP sont des règles de droit au sens de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés :

« 1.  Droits et libertés au Canada – La Charte canadienne des droits et libertés garantit des droits et libertés qui y sont énoncés.  Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans les limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »

[99]            Afin de soutenir son argumentation, il a produit quatre décisions.  La première affaire oppose la Société Radio-Canada c. Québec (Procureur général)[7]Des mesures de contrôle avaient été adoptées afin de limiter la tenue et la prise d'images à des endroits spécifiques dans les palais de justice.

[100]      Les juges de la Cour supérieure du Québec avaient adopté lors d'une assemblée générale un règlement modifiant le Règlement de procédure civile et criminelle de la Cour. On y précise que la prise d'entrevues et l'usage de caméras dans un palais de justice ne sont permis que dans les lieux prévus à cette fin par directives des juges en chef.

[101]      Les règles applicables dans les lieux publics relèvent de la direction générale des services de justice, un sous-ministre adjoint émettait une directive (A-10) intitulée : Le maintien de l'ordre et du décorum dans les palais de justice.   Cette directive reprend la directive du juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l'honorable François Rolland.

[102]      L'honorable juge en chef Michel Robert, J.C.A., au nom de la Cour, conclut que les mesures contestées ne portent pas atteinte à la liberté d'expression (CCDL art. 2 b)).

[103]      Ayant conclu ainsi, l'honorable juge Robert se propose quand même d'assumer que les mesures contestées portent atteinte à la liberté d'expression et d'examiner si elles peuvent être justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique (CCDL art. 1).

[104]      Au paragraphe 81, la Cour conclut que les deux mesures contestées sont prescrites par une règle de droit. Pour en arriver à cette conclusion, l'honorable juge Robert cite les propos de la Cour suprême[8]:

« Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application.  La restriction peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law66 [citation omise]

[105]      Auparavant, au paragraphe 79, il est écrit :

« 79.  Une règle de common law, donc prescrite par le pouvoir judiciaire et non élaborée par le pouvoir législatif, a été considérée comme une règle de droit pouvant justifier une atteinte67. En l'espèce, les dispositions contestées relèvent du Règlement et des Règles, respectivement adoptés en vertu de l'article 47 C.p.c. et de l'article 482 C.Cr. Les articles en cause, même s'ils ont été édictés par le pouvoir judiciaire, se rattachent directement à des lois habilitantes. Celles-ci donnent le pouvoir aux juges de la Cour supérieure d'adopter les règles nécessaires à la bonne conduite des audiences.  Ces règles de pratique donnent elles-mêmes le pouvoir aux juges en chef de prévoir le détail des mesures adoptées en assemblée pour assurer une application adéquate. Aussi, les Directives découlent, par implication nécessaire, du mécanisme établi dans les dispositions législatives habilitantes68. Ce serait adopter une vision bien étroite des règles de droit que de ne pas reconnaître en l'espèce que les Règles, Règlement et Directives en sont. » [citations omises]

[106]      Au surplus, au paragraphe 80 :

« 80. Quant à la Directive A-10, je suis convaincu par l'argument des intimés qui veut que celle-ci découle naturellement du pouvoir du ministre de la Justice d'adopter les mesures nécessaires pour assurer, notamment, la surveillance de toutes les matières qui concernent l'administration de la justice au Québec, à l'exception de celles qui sont attribuées au ministre de la Sécurité publique69. Qui plus est, il a été reconnu que l'administration de la justice est une matière qui relève à la fois du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif et que leurs rôles respectifs y sont enterdépendants70. Ce sont ces responsabilités concomitantes qui expliquent la coexistence des mesures contestées. Enfin, il a même été avancé que l'exercice, par l'État, de son pouvoir de propriétaire des lieux pouvait être assimilé à une règle de droit puisqu'il s'appuie sur le droit commun (au Québec, le droit civil71, dans le reste du Canada, la common law72). » [citations omises] [Je souligne.]

[107]      Avec égard pour l'opinion du procureur du requérant, cette décision traite d'une directive émise concernant l'administration de la justice, qui est de juridiction, provinciale, et se rattache aux dispositions législatives habilitantes adoptées par le même pouvoir (C.p.c.).

[108]      Dans la seconde affaire soumise, R. c. Cliche[9]l'accusé est avocat et fut arrêté suite à une opération policière visant le trafic de stupéfiants d'une organisation criminelle dirigée par l'un de ses clients, Steven Bertrand.

[109]      Lors du procès, la poursuite se voit refuser sa demande de déposer en preuve des conversations interceptées électroniquement dans un parloir d'un pénitencier entre l'avocat et son client ainsi que des conversations entre Cliche et un dénommé Bernier au bureau de l'avocat.

[110]      L'honorable juge Jean-Guy Boilard, J.C.S., traite de la portée d'une directive du Procureur général à l'intention des mandataires relativement à l'application des articles 184.2 et 185 du Code criminel :

« Cette directive énonce qu'aucune demande d'autorisation d'écoute formulée par un mandataire en vertu de l'article 185 visant l'interception des communications de membres de l'Assemblée nationale, de la Chambre des communes ou du Sénat ou d'un juge ou d'une personne au sujet de laquelle le droit criminel reconnaît l'existence du secret professionnel ou d'un haut fonctionnaire ou du gouvernement ne doit être faite sans l'autorisation personnelle préalablement donnée par le Procureur général. »

[111]      La preuve démontra que l'autorisation personnelle du Procureur général n'a jamais été accordée.

[112]      Au paragraphe 77, l'honorable juge Boilard écrit :

« La seule déduction logique qui découle de tous les faits s'impose d'elle-même.  La police et la Couronne recherchaient du gros gibier dans cette chasse éperdue aux criminels baptisée ''Projet Ouragan''. On a voulu piéger deux avocats avec la complicité de l'agent source, de ses contrôleurs et des avocats de la Couronne affectés à ce projet au mépris de la règle énoncée à l'article 184.2(3)(c) et de la directive mandatoire du Procureur général, VD-47. »

[113]      Avec égard, le Tribunal conclut que l'honorable juge Boilard, même s'il emploie le qualificatif mandatoire, ne conclut pas pour autant que cette directive constitue une règle de droit. Il faut plutôt porter une attention particulière à son propos au paragraphe 81 :

« Il y a un autre vice fatal à l'autorisation Dumais.  Une autorisation ne peut être donnée que si demande est faite à un juge (article 186(1). Or, une telle demande (article 185) est présentée ex parte, par écrit et doit être signée par le Procureur général de la province où elle est faite ou un mandataire spécialement désigné par écrit par le Procureur général ou le sous-procureur général. Ainsi que nous l'avons vu, la directive VD-47 limite les pouvoirs du mandataire, dans certains cas, en l'obligeant d'avoir préalablement l'autorisation personnelle du Procureur général lors de la présentation de sa demande. »

[114]      Donc comme le Tribunal l'a déjà indiqué, un procureur (mandataire étant un procureur du DPCP) peut voir ses pouvoirs limités par une directive du DPCP et cette limitation se justifie par la responsabilité qu'a le Procureur général d'une province à voir à la bonne administration de la justice. De plus, cette directive n'est pas à l'encontre d'une disposition du Code criminel adopté par la législature compétente.

[115]      La troisième décision provient de la Cour du Banc de la Reine d'Alberta[10] . De par ces faits, cette décision ne peut trouver application dans la présente affaire. Le gouvernement de la province d'Alberta, après négociation, avait signé une entente avec des personnes de la nation Métis. Cette entente leur permettait de chasser, ''trapper'' et pêcher à des périodes différentes pour d'autres citoyens durant l'année.

[116]      Or, la Cour conclut que la poursuite est abusive, car il y avait eu entente auparavant entre les Métis et le gouvernement.

[119]      En Angleterre comme au Canada, les poursuites criminelles sont sous l'autorité du Directeur des poursuites publiques. Le Directeur émet des directives et celles-ci sont publiques.

[120]      La Chambre des Lords décide que la directive émise par le Directeur des poursuites doit être considérée comme faisant partie de la loi et ordonne au Directeur d'apporter des éclaircissements afin que la dame puisse prendre une décision mieux éclairée devant les deux choix s'offrant à elle.

[121]      Cette décision ne peut être considérée selon la règle du ''stare décisis'' et le régime constitutionnel est différent de celui du Canada.

[122]      Le Tribunal conclut que les directives du DPCP ne peuvent être qualifiées de règles de droit.

[123]      Celles-ci sont rédigées afin que la conduite des procureurs ne diffère pas entre les divers districts judiciaires au Québec. Elles assurent donc une uniformité à travers le territoire du Québec à titre de règles générales. Par exemple, le DPCP a adopté une politique en matière de déjudiciarisation pour le vol à l'étalage. Malgré cette directive relative à ce crime, si celui-ci a été commis, il demeure un crime prévu au Code criminel.

[124]      Accepter l'opinion du procureur du requérant aurait comme conséquence de diminuer la portée du Code criminel qui repose sur la juridiction exclusive du pouvoir fédéral.

[125]      Dans son volume intitulé Interprétation des lois [12], Pierre-André Côté dit ceci :

« La cohérence d'ensemble d'une loi ou d'un règlement est un objectif que le rédacteur doit poursuivre et il faut présumer que le législateur l'a atteint. »

[126]      Un peu plus loin, il dit :

« La règle de droit que le texte édicte a force exécutoire depuis le moment de l'entrée en vigueur du texte jusqu'au moment où le Parlement révoque le texte par abrogation ou remplacement, ou jusqu'au temps prévu pour son expiration. »[13]

[127]      Et il ajoute à la page 125 de ce volume :

« Une loi ne cesse d'être exécutoire que lorsque surviennent l'un ou l'autre des trois événements suivants : l'abrogation du texte, son remplacement ou son expiration.

[…]

En principe, la loi abrogée cesse de produire ses effets lorsque la loi d'abrogation commence à prendre les siens : il n'y a pas de vide législatif entre la loi ancienne et la nouvelle. »

[131]      Ces dispositions législatives sont claires et ne demandent aucune interprétation. Conclure que la directive est génératrice d'une règle de droit aurait comme conséquence que le DPCP consent à l'avance en lieu et place de la victime, à ce que cette dernière subisse des voies de fait. La portée des articles 265 et 266 du Code criminel est contraire à cette interprétation.

[132]      Les pouvoirs du DPCP furent expliqués lors de l'adoption du principe du projet de loi à l'Assemblée nationale du Québec par le ministre de la Justice de l'époque :

« M. Marcoux: […] Pour assurer la cohérence des actions et un traitement égal des citoyens devant les tribunaux en matière criminelle et pénale, les substituts actuels du Procureur général sont tenus de suivre les directives qui leur sont données par les autorités du ministère. Le projet de loi prévoit que dorénavant ces directives seront établies et publiées par le Directeur. Il prévoit toutefois que non seulement ces directives devront être appliquées par les poursuivants sous son autorité relativement à la conduite des poursuites en matière criminelle et pénale, mais qu'elles pourront aussi s'appliquer à tout procureur qui agit en matière criminelle et pénale, y compris devant les cours municipales. Afin de tenir compte de la diversité des situations, ces poursuivants désignés, dont les municipalités, seront consultés afin d'y apporter les adaptations nécessaires. »[14]

[133]      À la lumière des propos du ministre et de l'article 18 de la Loi, le Tribunal conclut que lorsque le Directeur émet des directives à ses représentants, il agit à titre d'administrateur et non en qualité de législateur.

[134]      D'ailleurs, dans son volume intitulé L'Administration publique québécoise et le processus décisionnel[15], l'auteur Jean-Pierre Villaggi traite abondamment de la notion de ''directive ''.

[135]      Il définit ce terme ainsi :

« La directive ou norme administrative est une des formes de la manifestation de l'activité administrative des autorités publiques. Au cours des dernières années, l'afflux de directives de toutes sortes émises par des organismes administratifs n'a cessé de croître. Au plan conceptuel, ces directives échappent à la hiérarchie classique de l'ordre législatif. Elles ne sont ni une loi, ni un règlement, du moins pas tout à fait un règlement. Selon l'approche généralement admise, elles ne constituent que l'une des formes de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que peut exercer une autorité administrative. »[16]

[136]      Il ajoute, un peu plus loin :

« La directive est généralement définie comme suit : "Règle de conduite de portée interne, édictée par une autorité administrative, en vertu d'un pouvoir général de direction, dans le but d'encadrer l'action de ses subordonnés (...)" (René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, T.1, 2e éd., Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1984, p. 429; cette définition a été retenue par la Cour d'appel du Québec dans Dlugosz c. Procureur général du Québec, 1987 CanLII 1115 (QC CA)[1987] R.J.Q. 2312 (C.A.)).

Les auteurs Issalys et Lemieux (Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX), L'action gouvernementale, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p.564), quant à eux, en donnent la définition suivante : "Règle de conduite à portée générale, adoptée par une autorité administrative en vertu de son pouvoir de direction ou d'un pouvoir statutaire explicite, dans le but d'encadrer l'action des destinataires et dont l'inobservation rend son destinataire passible de sanction administrative, sans comporter de droits ou d'obligations pour les tiers, bien qu'elle puisse exceptionnellement faire l'objet d'un contrôle judiciaire."  La directive est donc une règle interne que se donne l'Administration pour la conduite de ses affaires. De façon pratique, on peut regrouper les directives en fonction des grands ensembles suivants :

- les directives de régie interne qui énumèrent les règles de contrôle et de comportement que l'administration publique adresse à ses employés;

- les directives qui ont pour but d'assurer l'application cohérente des lois et des règlements par les fonctionnaires; et,

- les énoncés de politique que l'autorité administrative rend publics et dont elle entend prendre compte dans sa prise de décision.

Il existe aussi une autre catégorie de directives dans l'administration gouvernementale moderne. Ces directives constituent un véritable "code de droits". »[17]

[137]      Monsieur Villaggi nous explique ensuite :

« La directive constitue une norme juridique hiérarchiquement inférieure à la loi et au règlement. Il est acquis que la directive ne peut aller à l'encontre de la loi ou d'un règlement (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), 1992 CanLII 110 (CSC)[1992] 1 R.C.S. 3). Ainsi, la loi et le règlement prévaudront toujours sur la directive (Jacobs c. Office de stabilisation des prix agricoles, 1982 CanLII 157 (CSC)[1982] 1 R.C.S. 125). En ce sens, la directive ne lie pas le tribunal. »[18]

[138]      Le Tribunal partage sans hésitation ces propos.

[139]      Par la suite, il réfère à une décision de la Cour d'appel du Québec dans laquelle l'honorable juge Paul-Arthur Gendreau s'exprime ainsi au sujet de la portée générale de la directive :

« J'ajouterai enfin que le pouvoir d'adopter des politiques ou directives est quelquefois explicite dans la loi, mais cela ne change rien à leur caractère propre; elles auront toujours pour effet de régler l'administration de celui qui l'édifie et non de ''toucher aux droits ou obligations des tiers''. » [19]

[140]      Auparavant, en 1977, la Cour suprême du Canada devait décider relativement à la portée d'une directive[20].  Les propos de l'honorable juge Pigeon sont énoncés sans équivoque afin d'y décider que les directives n'ont pas force de loi :

« Il est évident que l'on est soumis «légalement» à ce qui est prescrit par les règlements. La loi en vertu de laquelle ils sont pris prévoit des sanctions par amende ou emprisonnement […]

Je ne pense pas que l'on puisse dire la même chose des directives.  Il est significatif qu'il n'est prévu aucune sanction pour elles et, bien qu'elles soient autorisées par la Loi, elles sont nettement de nature administrative et non législative.  Ce n'est pas en qualité de législateur que le commissaire est habilité à établir des directives, mais en qualité d'administrateur.  Je suis convaincu qu'il aurait l'autorité d'établir ces directives même en l'absence d'une disposition législative expresse.  À mon avis, le par. 29(3) doit être considéré de la même manière que bien d'autres dispositions de nature administrative concernant les services de l'administration et qui énoncent simplement un pouvoir administratif qui existerait même en l'absence d'une disposition expresse de la Loi.  Il est, à mon avis, important de distinguer les devoirs imposés aux employés de l'État par une loi ou un règlement ayant force de loi, des obligations qui leur incombent en qualité d'employés de l'état. »

[141]      Suite à cette décision, la Cour d'appel fédérale en 1989 précise une fois de plus que les directives émises en vertu d'une loi ne constituent pas des règles de droit[21].

[142]      Dans cette affaire, une fouille à nu avait été pratiquée sur Weathrall qui était détenu alors qu'une gardienne était présente.

[143]      Existait déjà un règlement sur le service des pénitenciers autorisant des fouilles à nu. (art. 41(2) (c))

[144]      Suite à l'adoption du règlement, le commissaire émet une directive prévoyant qu'un détenu de sexe masculin pouvait dans des cas d'urgence être fouillé par un membre du personnel de sexe féminin.

[145]      La Cour d'appel fédérale conclut que cette directive ne pouvait apporter une réserve à l'article du règlement. On y précise que la directive ne constitue pas une règle de droit et que les directives ne sont que de simples instructions relatives à l'exécution des fonctions des gardiens.

[146]      En 2007, la Cour suprême du Canada traite de nouveau de la portée des directives[22].

[147]      Discutant du pouvoir discrétionnaire des policiers prévus à l'article 254(2) du Code criminel, l'honorable juge Charron traite de la portée des directives :

« 43 Je ne peux partager entièrement l’avis du juge Doyon quant à l’impact du contexte juridique sur le pouvoir discrétionnaire de la police, et ce, sur deux points. J’examine d’abord les directives administratives, puis la division des tâches entre la police et les substituts du procureur général.

4.1.2.1 Les directives administratives ne sont pas déterminantes quant à l’intention de commettre une infraction

44 Bien que l’existence de directives administratives applicables au cas considéré soit loin d’être entièrement dépourvue de pertinence, elle ne saurait être aussi déterminante que le laisse entendre le juge Doyon. Après avoir cité les extraits du Guide de pratiques policières du Service de la Sécurité publique de Repentigny ayant trait à la procédure à suivre dans un cas de capacité de conduite affaiblie, il conclut :

Ces extraits démontrent, me semble-t-il, la volonté claire des autorités que les infractions de capacité affaiblie soient d’abord l’objet d’une enquête complète, ce qui n’empêche pas que, par la suite, l’on n’entreprenne pas de poursuites judiciaires. Il faut rappeler qu’en matière de prise d’échantillons d’haleine, le délai pour s’exécuter est relativement court, ce qui nécessite que l’enquête soit complétée avec diligence et ce qui milite en faveur de l’application de cette directive.

Ayant pris connaissance d’une telle directive, le policier, qui a affirmé solennellement, conformément à la Loi sur la police (L.R.Q., c. P-13.1), qu’il remplirait les devoirs de sa charge avec honnêteté, ne pourra ignorer l’importance que revêt ce type d’infraction aux yeux de l’État. D’ailleurs, le supérieur de l’appelant a lui-même conclu, après avoir été informé des événements, que des prélèvements d’échantillons d’haleine auraient dû être réalisés. [par. 78-79]

45 Le juge Doyon semble attribuer aux directives administratives du Guide de pratiques policières une valeur normative qu’elles n’ont pas. Il faut se rappeler que ces directives n’ont pas force de loi. Partant, elles ne peuvent modifier la portée d’un pouvoir discrétionnaire qui, lui, tire sa source de la common law ou d’une loi. Dans la mesure où le par. 254(2) du Code criminel, le seul texte législatif applicable en l’espèce, confère à l’agent de la paix le pouvoir, mais ne lui impose pas l’obligation, de recueillir des échantillons d’haleine, le Guide de pratiques policières ne peut faire du pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la prise d’échantillons une norme juridique obligatoire : Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada1982 CanLII 24 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 2.  » [nos soulignements]

[148]      Donc les propos de la Cour d'appel du Québec ainsi que ceux de la Cour suprême du Canada conduisent le Tribunal à une seule réponse possible : une directive ne peut avoir force de loi.

[149]      Parfois il surviendra des exceptions comme le démontre si bien cette décision de la Cour d'appel du Québec,[23] car la directive du sous-ministre était en relation de la Loi habilitante pour agir de la sorte et non contraire à l'exercice d'une compétence réservée exclusivement au pouvoir fédéral.  

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Un amendement ayant pour effet de substituer à une infraction pour une autre ne peut être accordé que lorsque l'amendement a uniquement pour effet de changer la désignation de l'infraction, tout en laissant le corps du dossier intact

Servant c. R., 2007 QCCA 558 Lien vers la décision [ 11 ]             Le paragraphe (2) n'est pas pertinent en l'espèce puisqu'i...