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dimanche 6 septembre 2009

Agent de la paix dans l'exécution d'un intrus VS l'application de l'article 41 relative à l'expulsion d'un intrus

R. c. Singh, 2008 QCCS 6770 (CanLII)

[14] L'agent Herbuté faisait, ce jour-là, partie du groupe d'intervention spécialisée qui avait été mobilisée à l'Hôpital général de Montréal, car l'on anticipait une manifestation. Sa mission était d'empêcher les manifestants d'aller à la conférence de presse, de s'assurer que la conférence se déroule bien et d'assurer la sécurité du Premier Ministre du Canada.

[15] Une fois sur les lieux, on a sollicité sa présence au 6ème étage pour expulser Singh qui refusait de quitter les lieux suite aux demandes répétées de Veilleux.

[16] Singh était alors un intrus et l'article 41 du Code criminel est alors entré en jeu. En intervenant ainsi et en prêtant main forte à Veilleux, le policier Herbuté était dans l'exécution de ses fonctions. Il remplissait ses devoirs de préservation de la paix, de prévention du crime et de la protection de la vie des personnes et des biens que lui impose l'article 48 de la Loi sur la police.

[17] Singh invoque au soutien de ses prétentions la décision de M. le juge Boisvert de la Cour municipale de Montréal dans l'affaire R. c. Chartrand 1996 J.Q. No. 489. Cette décision n'est pas applicable en l'espèce puisque les faits sont différents. Dans l'affaire Chartrand, celui-ci avait refusé de quitter mais n'avait pas résisté à son expulsion. Dans la présente cause Singh a non seulement refusé de quitter les lieux mais a également résisté à son expulsion et il a troublé la paix.

[18] De plus le Tribunal est en désaccord, et cela dit avec égards, avec l'énoncé de principe de M. le juge Boisvert où il conclut que lorsqu'un agent de la paix agit exclusivement dans le contexte du paragraphe (1) de l'article 41 C. cr., il n'agit pas dans l'exécution de ses fonctions. Ce n'est pas parce que l'article 41 C. cr. prévoit que toute personne peut prêter main forte au possesseur paisible que cela fait perdre à l'agent de la paix sa qualité d'agent de la paix lorsqu'il intervient.

[19] De plus ce n'est pas parce qu'une personne qui résiste à son expulsion peut être accusée de voie de fait qu'elle ne peut être également accusée d'entrave à un agent de la paix. Singh invoque également la décision de R. c. Fraser (2002) N.S.J. No 169. Cette décision n'est pas applicable en l'espèce puisque dans cette affaire Fraser avait bien refusé de quitter les lieux mais n'a pas offert de résistance lorsqu'il a quitté. Ce deuxième motif d'appel doit être donc également être rejeté.

Preuve de faits similaires

R. c. Daigle, 2004 CanLII 46609 (QC C.S.)

[15] Le droit de la preuve pénale repose sur le principe premier de la pertinence. Lorsqu'une personne est accusée d'un crime, les faits relatifs à la commission de ce crime seront admissibles en preuve pour établir les faits en litige. Un fait est mis en preuve dans un but précis pour tendre logiquement à prouver un élément nécessaire au dossier. En l'absence d'un tel rapport logique, il n'y aurait pas de valeur probante de la preuve visée.

[16] Une autre règle fondamentale veut que l'accusé subisse son procès sur les crimes reprochés à l'accusation et non pour d'autres inconduites criminelles antérieures. Comme le mentionnait le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. Batte :

[100] […] It is a fundamental tenet of our criminal justice system that persons are charged and tried based on specific allegations of misconduct. If an accused is to be convicted, it must be because the Crown has proved that allegation beyond a reasonable doubt and not because of the way the accused has lived the rest of his or her life. An accused must be tried for what he or she did and not for who he or she is. The criminal law's reluctance to permit inferences based on propensity reasoning reflects its commitment to this fundamental tenet : McCormick on Evidence, 5th ed., p. 658; R. Lempert, S. Saltzburg, A Modern Approach to Evidence (1982) at p. 219.

[17] Aussi, si la poursuite entend mettre en preuve des inconduites criminelles de l'accusé autres que celle reprochée, elle pourra le faire si elle établit, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de cette preuve à l'égard d'une question donnée, l'emporte sur son effet préjudiciable .

[18] Pour s'assurer que l'accusé ne soit jugé que pour le crime reproché, toute preuve de crimes commis dans le passé ne sera admise qu'après une analyse minutieuse de sa valeur probante en tenant compte du préjudice potentiel et réel d'une telle preuve. C'est donc à l'enseigne juridique des faits similaires que la preuve des inconduites criminelles antérieures de l'accusé peut être admise ou encore comme preuve de conduite indigne de l'accusé qui exige une analyse comparable à celle suivie en matière de faits similaires. À ce titre, il importe de préciser qu'une telle preuve est présumée inadmissible du fait qu'elle se compare à une preuve de propension en ce qu'elle tend à étayer un raisonnement fondé sur la propension.

[19] L'arrêt Handy, précité, énonce les critères d'admissibilité d'une telle preuve tout en analysant certaines difficultés que pose leur application. Les principes suivants se dégagent de cet arrêt :

• La preuve de faits similaires est présumée inadmissible.

• La preuve présentée dans le seul but d'établir que l'accusé est le genre de personne susceptible d'avoir commis l'infraction est en principe inadmissible.

• La preuve de propension peut exceptionnellement être admise mais demeure généralement inadmissible sauf si sa valeur probante l'emporte sur son effet préjudiciable.

• La preuve proposée doit avoir un lien avec l'accusé.

• La fin pour laquelle la preuve est introduite doit être relative à une question en litige découlant de l'accusation ainsi que des moyens de défense invoqués ou raisonnablement escomptés.

• Il est important de bien cerner les inférences que l'on entend tirer de la preuve proposée.

• Dans l'analyse de la valeur probante, la question de collusion potentielle doit être examinée.

[20] C'est donc en ayant à l'esprit ces principes qu'il y a lieu d'étudier le cas d'espèce.

Enquête sur remise en liberté dans le cadre d'accusation de trafic de stupéfiants

R. c. Bernier, 2007 QCCQ 11881 (CanLII)

[22] Le procureur en défense soutiendra que l'un et l'autre de ses clients ne sont que de petits revendeurs, de peu d'importance et que les dispositions du Code criminel créant le renversement de fardeau ne les vise pas : ils ne seraient en quelque sorte selon lui que du menu fretin, des participants au bas de l'échelle de la distribution. Il soutiendra que les conditions suggérées constituent une sorte de détention à domicile, et que les garanties offertes tant par l'un que par l'autre nous assurent du respect de ces conditions.

[23] Au Ministère public on ne voit pas le dossier sous un même angle. Tant Monsieur Morneau que Monsieur Bernier approvisionnaient une multitude de clients avec des quantités respectables et jouissaient dans le milieu d'un certain renom. C'est surtout les deuxième et troisième motifs prévus à l'article 515(10) du Code criminel qui imposent la détention.

ANALYSE

[24] Nous nous abstiendrons de commentaires quant à la présence de l'accusé devant le tribunal (515(10)a) C.cr.), personne n'ayant soulevé la question. Les sous-paragraphes (10)b) et (10)c) énoncent les principes guidant le magistrat statuant sur la mise en liberté d'un prévenu. La remise en liberté est la règle en matière de cautionnement, la détention étant l'exception.

[25] Or les articles 515(6)a)(ii) et 515(6)d) inverseront cette règle, et imposeront aux accusés le fardeau d'établir que leur détention n'est pas nécessaire en attendant l'issue des procédures. Le législateur a adopté ces dispositions parce qu'on lui a démontré que le trafic de stupéfiants constitue d'une part une activité criminelle des plus lucratives, incitant le délinquant à récidiver, et dans un deuxième temps, une activité commerciale dont les effets sont tristement lourds pour les usagers.

[26] Dans l'affaire Pearson, était en litige le caractère constitutionnel de l'article 515(6)d), les procureurs de l'accusé soutenant qu'il allait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Rendant jugement pour la majorité, le Juge Lamer d'écrire (p. 696) :

« Les particularités exceptionnelles des infractions qui font l'objet de l'al. 515(6)d) semblent indiquer qu'elles sont perpétrées dans un contexte très différent de celui de la plupart des autres crimes. La majorité des infractions ne sont pas commises systématiquement. Par contre, le trafic des stupéfiants est une activité systématique, pratiquée d'ordinaire dans un cadre commercial très sophistiqué. Il s'agit souvent une entreprise et d'un mode de vie. C'est une activité très lucrative, ce qui pousse fortement le contrevenant à poursuivre son activité criminelle même après son arrestation et sa mise en liberté sous caution. Vu ces circonstances, le processus normal d'arrestation et de mise en liberté sous caution ne sera normalement pas efficace pour mettre un terme à l'activité criminelle. Il faut des règles spéciales pour établir un système de mise en liberté sous caution qui maintient le droit du prévenu à être mis en liberté provisoire tout en décourageant la poursuite de l'activité criminelle ».

[27] Notre collègue, le juge Martin Vauclair dans l'affaire Salvatore Brunetti a relevé un commentaire des plus pertinents, émis en 1974 par le juge François Chevalier lorsqu'il écrivait :

« In fact, unless we close our eyes and deliberately plug our ears, it is impossible not to be aware of certain widespread phenomena in our society: first, the daily increase in the use of drugs and narcotics; secondly, the fact that this usage is almost exclusively confined to young people; thirdly, the alarming case with which users are able to obtain them, and finally, the deleterious effects that these drugs, especially "hard" drugs, produce on those who use them.

The three categories of persons who come before our Courts are, beginning with those at the end of the chain, the user; on the way toward him, the middleman or "pusher", and at the beginning of the chain, the wholesaler. The simple possessor is harmful only to himself; the pusher profiteers. As forthe wholesaler, it is especially against him that society must protect itself, because he is the source of the evil, which eventually contaminates public health both physical and mental.

It is therefore this Court's opinion with respect to interim release, that while one can and must give sympathetic attention to the case of the simple possessor, one must look severely upon that of the wholesaler, who initiates the distribution and marketing process, since were it not for the wholesaler's existence, our young drug addicts would be much less likely to be exposed, or at least they would be infinitely less numerous. »

[28] Quant au degré d'importance à accorder à l'appartenance à une organisation criminelle, comment ne pas partager l'opinion de notre collègue Richard Grenier de la Cour supérieure lorsqu'il écrit :

« L'appartenance à des groupes criminels structurés qui visent, par définition, à devenir des monopoles de la vente de drogue, que ce soit sur le plan local ou national, démontre un choix de vie, celui de mener des affaires lucratives en violation et au mépris de la loi.

La société, par l'entremise des tribunaux, a le devoir de réagir à ce phénomène en privilégiant la dissuasion comme remède. Cette dissuasion doit s'exercer, non seulement à l'endroit des têtes dirigeantes des réseaux, mais aussi à l'endroit de tous les individus constituant des rouages importants permettant à ces organisations d'être opérationnelles et de se régénérer avec rapidité quand elles sont décapitées. »

[29] Convenons par ailleurs que l'appartenance à une organisation criminelle et/ou le fait de répondre à une accusation spécifique (Art. 515(6) C.cr.), qui fait en sorte que le fardeau est sur les épaules de l'accusé, ne signifie pas que la détention doive être forcément ordonnée.

[30] Enfin en sus des principes émis par le regretté Michel Proulx de notre Cour d'appel dans l'affaire Rondeau, la disposition prévue au paragraphe (10)c) de l'article 515 ne doit pas être ignorée. Cette disposition oblige la détention si la remise en liberté risque de miner la confiance du public envers l'administration de la justice. On y énonce un motif de refuser la mise en liberté sous caution, que ne visent pas les articles 515(10)a) et b). Il n'est pas inutile de rappeler que la confiance du public envers l'administration de la justice est essentielle au bon fonctionnement de notre système judiciaire.

[31] Le plus haut tribunal du pays a statué que le refus d'accorder la mise en liberté sous caution "pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice", eu égard aux facteurs énoncés à l'article 515(10)c), est conforme à l'article 11e) de la Charte, et qu'un juge pouvait ordonner la détention s'il était persuadé, à la lumière des facteurs énoncés au sous-paragraphe (10)b) et des circonstances de l'accusation, qu'un membre raisonnable de la population serait convaincu que ce refus est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l'administration de la justice.

Détermination de la peine pour production de marijuana ou pour possession en vue de trafic de cette substance

R. c. Veillette, 2004 CanLII 6753 (QC C.Q.)

La Cour Suprême dans l'affaire R. c. Malmo-Levine reconnaît que la marijuana est une drogue psychoactive qui agit sur les fonctions mentales et que sa consommation cause un préjudice qui n'est ni insignifiant, ni négligeable:

«Certains groupes de la société sont particulièrement vulnérables aux effets de la marijuana. Bien que les membres de ces groupes ne puissent être généralement distingués des autres consommateurs et représentent un pourcentage relativement minime de l'ensemble des consommateurs de marijuana, leur nombre est toutefois non négligeable en chiffres absolus.»

[24] Les consommateurs chroniques, les femmes enceintes et les schizophrènes seraient également particulièrement à risque. Cette décision reconnaît aussi que les adolescents sont des groupes vulnérables particulièrement à risque par le fait que la consommation de ces stupéfiants entraîne régulièrement des résultats scolaires médiocres.

[25] Le législateur, par le processus des peines, cherche à assurer un certain degré de réparation des torts causés à une victime, à son entourage et à la collectivité. En matière de production de cannabis, c’est la société tout entière qui est visée, si l'on considère le fléau social que représente l’usage des drogues, les conséquences pour les proches qui résultent de la dépendance reliée aux drogues et la criminalité engendrée par celles-ci. Cependant, le législateur vise aussi à dénoncer le comportement illégal, à dissuader la collectivité et quiconque de commettre des infractions, au besoin d’isoler les délinquants. De façon tout aussi importante, le législateur vise à favoriser la réinsertion sociale d’un accusé et susciter chez lui la conscience de ses responsabilités.

[26] Le Tribunal doit considérer, aux fins de déterminer la peine appropriée, les circonstances aggravantes comme les circonstances atténuantes. Le Tribunal doit chercher l’harmonisation des peines à l’égard de circonstances semblables, éviter l’excès, examiner d’envisager la privation de liberté, la possibilité de sanctions moins contraignantes et de toutes sanctions substitutives à l’incarcération lorsque les circonstances le justifient.

[27] Le principe fondamental est que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé.

[28] En matière de stupéfiants, le législateur et la jurisprudence apportent beaucoup d’importance au degré de sophistication et d’organisation. La jurisprudence a nettement établi une gradation importante en regard de la quantité reliée et à la sophistication de l'organisation et l’implication de l’accusé.

[29] Dans l’affaire Luc Rivard, la Cour d’appel se prononçait sur la sentence de l’accusé, qui avait plaidé coupable à deux chefs de possession pour fins de trafic, l’un relié à la possession de plants de cannabis et l’autre à un peu moins de 3 kilogrammes de cannabis. L’accusé était impliqué dans la culture de marijuana et reconnaît son intention d’en faire le trafic. La Cour d’appel, ayant considéré qu’il s’agissait d’une entreprise de peu d’envergure, dont la valeur des stupéfiants se chiffrait à quelques milliers de dollars, a émis l’avis que les limites acceptables en matière de peine, en proportion avec la quantité et la nature des stupéfiants en cause, se situaient entre 3 et 9 mois d’emprisonnement. Elle ajoutait même que, dans certaines circonstances, une peine d’amende pourrait être appropriée. Dans ce dossier, elle cassait la sentence, rendue en première instance, de 18 mois et ordonnait une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis. L’individu avait un casier judiciaire, avait fait la preuve de peu d’empressement à se remettre en question. Par ailleurs, il avait réussi à se trouver un emploi lui permettant d’assumer ses obligations financières à l’endroit de sa famille.

[30] La Cour d’appel a considéré que, dans le cas où un individu offre de sérieuses garanties de réhabilitation, au moment où la peine est prononcée, l’emprisonnement avec sursis peut légitimement être considéré.

[31] Dans l’affaire La Reine c. Kopf, où l’accusé a plaidé coupable à l’accusation d’avoir cultivé du cannabis et d’en avoir eu en sa possession pour fins de trafic, la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait d’un individu faiblement criminalisé, vivant avec une compagne avec laquelle il avait des projets d’avenir, et que son aventure dans la culture de chanvre indien était marquée de l’amateurisme, voire de naïveté. La Cour d’appel a aussi considéré le fait que l’accusé n’était lié à aucune organisation criminelle connue. La Cour d’appel maintenait la période de 12 mois d’emprisonnement au sein de la communauté en considérant une période de six semaines où l’accusé était détenu, en attente de l’audience devant la Cour d’appel, soit une peine totale équivalente à 13 ½ mois.

[32] Par ailleurs, même s’il faut certainement éviter de bâtir un barème de sentence en seule proportion avec la quantité de stupéfiants en cause, la Cour d’appel a nettement indiqué que plus la quantité en cause est importante, plus le facteur de dissuasion prend de l’importance. Ainsi, dans l’affaire La Reine c. Couture, la Cour d’appel maintenait une sentence de deux ans moins un jour pour un individu condamné à la possession pour fins de trafic de 335 plants de marijuana. Par ailleurs, dans l’affaire R. c. Gatien, la Cour d’appel du Québec maintient une sentence de 30 mois d’emprisonnement pour une accusation de possession dans le but de trafic où l’accusé était en possession de 741 plants. La Cour a considéré la quantité, la valeur sur le marché, les antécédents judiciaires de l’accusé à titre de circonstances aggravantes. La Cour considérait la peine proportionnelle à l’enseignement retenu par l’affaire R. c. Couture.

[33] Dans l'affaire Valiquette c. La Reine, la Cour d'Appel a maintenu une sentence d'un an d'emprisonnement pour la production de cannabis. Ont été perquisitionnés 440 plants de cannabis et 22.05 kilos de cannabis en vrac au sein d'une résidence de l'accusé. L'accusé était âgé de 26 ans et sans antécédents judiciaires. L'accusé était impliqué dans un nouveau projet de vie puisqu'il suivait un cours technique d'usinage. Les risques de récidive étaient évalués comme étant faibles, l'accusé était considéré comme n'ayant pas le profil d'un criminel récidiviste et bénéficiait d'un rapport sur sentence généralement favorable.

[34] Dans La Reine c. Valence, la Cour d'Appel a substitué une peine de dix-huit mois de détention à une peine de deux ans moins un jour à être purgée dans la collectivité. Cette peine équivalait à une peine de vingt-et-un mois considérant le temps purgé en détention provisoire. Dans cette affaire, l'accusé n'avait pas d'antécédents judiciaires, il bénéficiait d'un rapport sur sentence favorable et il présentait aussi un risque de récidive minime. Il s'était engagé dans une entreprise de grande envergure et sophistiquée, elle s'étendait dans six résidences et dans un entrepôt assez important. La Cour s'appuie sur le degré d'organisation pour ne pas accorder l'emprisonnement au sein de la communauté, elle considère l'amplitude de l'organisation, son degré de planification, la grande quantité de plants à maturité et le but de lucre poursuivi. Elle considère aussi les sommes susceptibles d'être encaissées par les accusés si l'entreprise n'avait pas été démantelée, ainsi que le nombre de personnes impliquées et le rôle directeur que jouait l'accusé. Dans ces circonstances, la Cour d'Appel est d'avis qu'il est absolument essentiel de donner le poids nécessaire à l'élément de dissuasion. Elle souligne: "Les crimes de cette nature sont en progression constante et produisent des conséquences qui visent de plus en plus les jeunes de notre société. Non seulement plusieurs jeunes sont-ils de la sorte invités à consommer de la drogue, mais cette consommation en amène certains à commettre d'autres crimes et à varier le type de drogues qu'ils consomment".

[35] Dans l'affaire Houle c. La Reine, la Cour d'Appel a rejeté la requête pour autorisation d'appeler une peine de trente-six mois d'emprisonnement relativement à la production de cannabis et la possession de résine de cannabis en vue d'en faire le trafic. Cette peine avait été prononcée alors que l'accusé avait déjà purgé quinze mois de détention provisoire, ce qui équivalait donc à une peine globale de soixante-six mois d'emprisonnement. Il procédait à de la production de cannabis à trois endroits dont deux résidences. Il y avait aussi une plantation sur une terre, une transformation importante avait été apportée à l'immeuble.

Enquête sur remise en liberté suite à une enquête policière baptisée « Projet COLISÉE » qui vise la mafia italienne

R. c. Di Rienzo, 2006 QCCQ 12943 (CanLII)

[19] Vu la nature des accusations portées contre eux, l'article 515(6) impose à chacun des 4 accusés de faire valoir l'absence de fondement à leur détention.

[20] Le ministère public concède que le motif concernant la présence au tribunal des accusés n'est pas en litige, de sorte que les accusés devront démontrer que leur détention n'est pas nécessaire pour la protection ou la sécurité du public [515(10)b)] ou pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice [515(10)c)].

[21] La Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Pearson[1], lors de l'étude sur la constitutionnalité des dispositions de l'article 515(6)c) et d), mentionne:

Les particularités exceptionnelles des infractions qui font l'objet de l'al. 515(6)d) semblent indiquer qu'elles sont perpétrées dans un contexte très différent de celui de la plupart des autres crimes. La majorité des infractions ne sont pas commises systématiquement. Par contre, le trafic des stupéfiants est une activité systématique, pratiquée d'ordinaire dans un cadre commercial très sophistiqué. Il s'agit souvent une entreprise et d'un mode de vie. C'est une activité très lucrative, ce qui pousse fortement le contrevenant à poursuivre son activité criminelle même après son arrestation et sa mise en liberté sous caution. Vu ces circonstances, le processus normal d'arrestation et de mise en liberté sous caution ne sera normalement pas efficace pour mettre un terme à l'activité criminelle. Il faut des règles spéciales pour établir un système de mise en liberté sous caution qui maintient le droit du prévenu à être mis en liberté provisoire tout en décourageant la poursuite de l'activité criminelle.

[22] Le juge en chef Antonio Lamer qui rend la décision pour la majorité adopte les énoncés d'un rapport d'un groupe de travail sur la lutte contre la drogue. En parlant des particularités des infractions énumérées à l'article 515(6)d) il mentionne:

Les infractions énumérées à l'al. 515(6)d) présentent des particularités qui justifient un traitement différent dans le processus de la mise en liberté sous caution. Ces particularités sont relevées par le Groupe de travail sur la lutte contre la drogue, Rapport du groupe de travail sur la lutte contre la drogue (1990). Aux pages 18 et 19, on y lit que le trafic de stupéfiants constitue généralement une forme de crime organisé:

Au Québec, le trafic de drogues est généralement sous le contrôle de membres du crime organisé qui assurent la distribution dans toutes les régions. Bénéficiant d'organisations bien structurées, leur capacité à financer des transactions importantes leur permet d'importer de grandes quantités de drogues, souvent même sous le couvert d'entreprises légitimes. Depuis quelque temps, ils investissent et mettent en commun leurs ressources afin d'optimiser le rendement financier des mises de fonds; ces cartels vont jusqu'à planifier une forme d'assurance-risque leur permettant de répartir entre eux les pertes subies lors des saisies policières. À la fois importateurs, grossistes et détaillants, ces organisations peuvent vendre à la tonne, au kilo et même au gramme via les points de vente qu'ils contrôlent; elles sont particulièrement actives dans le trafic du cannabis et de l'héroïne. Les trafiquants appartenant à cette catégorie sont d'origines variées; mais depuis 1985, les arrestations de ressortissants étrangers qui entretiennent des liens avec les pays producteurs se sont multipliées. Ces ramifications internationales permettent en effet au crime organisé d'agir tant dans les pays producteurs que dans les pays consommateurs et, à cet égard, on ne peut ignorer l'existence de liens entre la mafia de Montréal et celles de certains pays d'Amérique du Sud.

À la p. 21, on fait aussi remarquer que le trafic de la drogue est parfois considéré à tort comme étant de nature moins grave que des crimes nettement plus violents:

Contrairement aux vols qualifiés, aux agressions sexuelles, aux meurtres, le trafic de drogues est souvent considéré, à tort, comme un crime sans violence; d'où une certaine tolérance à l'endroit des trafiquants qui donnent l'illusion de gens d'affaires anonymes, dissimulés parmi ceux dont le commerce est légal. Une telle impression est cependant loin de la réalité si l'on considère les luttes féroces pour le contrôle de territoires et les actions violentes pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat de drogues; si l'on songe également aux sévices personnels et aux drames sociaux qui s'en suivent.

[23] Le juge François Doyon, maintenant juge à la Cour d'appel du Québec, mentionne au sujet de l'arrêt Pearson dans R. c. Judd ce qui suit:

Il me paraît que l'arrêt Pearson ne signifie pas que le membre d'une organisation criminelle structurée doive se voir nécessairement refuser la remise en liberté. Par contre, cet arrêt nous enseigne, se basant sur des études et des rapports qui y sont mentionnés, qu'un membre d'une telle organisation, accusé d'importation et de trafic de stupéfiants, aura tendance à poursuivre ses activités criminelles après sa remise en liberté et sera souvent en position de pouvoir se soustraire à la justice. C'est dans cet esprit que l'appartenance à une organisation criminelle structurée est pertinente à une enquête pour cautionnement. [page 46]

[…]

Bien entendu, le fait d'être membre actif d'une organisation criminelle structurée ne saurait, en soi, empêcher toute remise en liberté; par contre, vu les inférences factuelles que l'on peut en tirer, le fardeau du prévenu n'est que plus lourd. [page 53]

[24] Récemment le juge Martin Vauclair dans R. c. Brunetti fait une excellente étude jurisprudentielle des critères à être appliqués lors d'une enquête sur remise en liberté concernant des personnes liées à un groupe criminalisé. Évidemment, le juge Vauclair se réfère en premier lieu à l'arrêt de principe en matière de remise en liberté que constitue l'arrêt R. c. Rondeau.

Dans l'arrêt Rondeau, le juge Proulx a exposé les critères applicables dans l'évaluation du risque exposé par l'alinéa 515(10)b) C.cr., en insistant sur l'effet combiné de ceux-ci:

Dans le cas à l'étude, le litige porte sur l'évaluation de la probabilité de dangerosité. À mon avis, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour décider de cette question, dont (1) la nature de l'infraction, (2) les circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, (3) la probabilité d'une condamnation, (4) le degré de participation de l'inculpé, (5) la relation de l'inculpé avec la victime, (6) le profil de l'inculpé, i.e., son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, (7) sa conduite postérieurement à la commission de l'infraction reprochée, (8) le danger que représente, pour la communauté particulièrement visée par l'affaire, la liberté provisoire de l'inculpé.

À ces facteurs est venue s’ajouter plus récemment l’appartenance à un gang criminalisé. Dans l’arrêt R. c. Ruest, le juge Réjean Paul écrivait :

Il est maintenant de connaissance judiciaire que les Hells Angels constituent une organisation criminelle vouée au trafic de drogue, impliquée dans les réseaux de prostitution et en charge de divers réseaux de contrebande. De plus, en vue d'éliminer la concurrence, ils ont livré une guerre sans merci à leurs concurrents (plus de 170 victimes reliées à cette guerre ont été recensées entre 1995 et 2001).

Ainsi, ceux qui participent aux activités criminelles d'une organisation criminelle, telle que celle des Hell's Angels, doivent s'attendre à ce qu'un nouveau facteur aggravant s'ajoute à cette liste (non exhaustive) de monsieur le juge Proulx dans Rondeau.

Dans R. c. Boulianne, confirmant la décision du premier juge de ne pas accorder de remise en liberté pour le motif énoncé à l'alinéa 515(10)b) C.cr., le juge Grenier concluait :

L'appartenance à des groupes criminels structurés qui visent, par définition, à devenir des monopoles de la vente de drogue, que ce soit sur le plan local ou national, démontre un choix de vie, celui de mener des affaires lucratives en violation et au mépris de la loi.

La société, par l'entremise des tribunaux, a le devoir de réagir à ce phénomène en privilégiant la dissuasion comme remède. Cette dissuasion doit s'exercer, non seulement à l'endroit des têtes dirigeantes des réseaux, mais aussi à l'endroit de tous les individus constituant des rouages importants permettant à ces organisations d'être opérationnelles et de se régénérer avec rapidité quand elles sont décapitées.

Dans l’arrêt R. c. Bédard, le même juge faisait siens les propos du juge Gagnon, à l’effet que :

Il résulte donc que la mise en liberté d'un membre important d'une organisation criminelle structurée est exceptionnelle à cause du fardeau de preuve très grand qui lui incombe.

[25] Quant au critère prévu à l'alinéa c) du paragraphe 10 de l'article 515, le Tribunal doit considérer toutes les circonstances, notamment le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d'emprisonnement.

[26] L'alinéa c) de l'article 515(10) constitue un motif indépendant de ceux prévus aux alinéas a) et b); bien que la Cour suprême du Canada suggère que les circonstances dans lesquelles il est possible d'invoquer uniquement ce motif pour refuser d'accorder une mise en liberté sous caution puissent être rares, il demeure néanmoins important de disposer d'un tel motif parce que la confiance du public est essentielle au bon fonctionnement du système judiciaire.

[27] Le juge Jean-Guy Boilard dans R. c. Sweeney mentionnait dans cette décision au sujet de l'article 515(10)c) ce qui suit:

Évidemment, il ne faut pas être à la remorque d'une opinion publique mal informée, victime de passions qui peuvent à l'occasion être habilement alimentées. Mais lorsque, dans le cadre d'une procédure comme c'est le cas ce matin, l'on fait la démonstration que quelqu'un est sérieusement impliqué, malgré son passé sans tache, dans une organisation criminelle dont l'activité est néfaste et dont l'activité génère également ce que j'appellerai une criminalité incidente, et lorsque le poursuivant démontre que cette preuve est sérieuse et disponible et qu'elle peut justifier un juge du fait, un juge professionnel ou douze jurés, à conclure dans ce sens avec bien entendu les conséquences pénales qui suivront, j'estime qu'il s'agit là de l'un de ces critères énoncés à l'alinéa (c) du paragraphe 10 qui permettrait au juge de première instance ou de révision de déclarer que l'on a fait une démonstration que la détention de l'accusé est requise pour maintenir justement la confiance du public dans l'administration de la justice.

[…] Il faut accepter la conséquence de l'intervention parlementaire dans l'article 515(10)(c) et reconnaître qu'il y a des cas de criminalité où ceux qui en sont inculpés vont devoir attendre l'aboutissement de la présomption d'innocence en prison.

[28] Ce public auquel fait référence l'article 515(10)c) doit être un public bien informé sur les dispositions concernant la remise en liberté des prévenus et sur les faits au dossier.

La mise en liberté d'un membre d'une organisation criminelle est exceptionnelle à cause du fardeau de preuve très grand qui lui incombe

R. c. Brunetti, 2006 QCCQ 11317 (CanLII)

[24] Le paragraphe 515(6) C.cr. impose à Brunetti de faire valoir l'absence de fondement à sa détention dans l’attente de son procès. Les parties ayant convenu que le danger que Brunetti s’esquive n’est pas réel, il doit donc démontrer par prépondérance de preuve que sa détention n’est pas nécessaire

515(10) b) … pour la protection ou la sécurité du public, notamment celle des victimes et des témoins de l'infraction, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que le prévenu, s'il est mis en liberté, commettra une infraction criminelle ou nuira à l'administration de la justice;

515(10) c) … pour ne pas miner la confiance du public envers l'administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances, notamment le fait que l'accusation paraît fondée, la gravité de l'infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d'emprisonnement.

[25] Ce renversement de fardeau respecte la présomption d’innocence et fait partie des règles de notre société en matière de remise en liberté. Ce renversement de fardeau est non seulement logique, mais souhaitable, eu égard à la nature même de l’activité criminelle en cause. Dans le cas du trafic de quantités importantes de stupéfiants, il s’agit d’un agir criminel systématique et lucratif. La présomption d'innocence est néanmoins la base de notre droit pénal. Ainsi, une preuve accablante n'est qu'un facteur parmi plusieurs autres que le juge doit considérer et l’enquête sur la remise en liberté ne constitue pas un procès anticipé, non plus qu'un moyen «de faire débuter la peine en ordonnant une détention immédiate».

[26] L’enquête sur remise en liberté et le procès criminel se distinguent en ce que la première s’intéresse autant à la personne qu’à ce qu’elle est accusée d’avoir fait. Aussi, la preuve de propension, exceptionnelle lors du procès, est une preuve non seulement pertinente, mais importante lors de l’enquête sur remise en liberté:

The trial, of course, usually focuses on the binary issue of guilt or innocence. Rules of evidence have developed to, ensure that this determination is done fairly and in accordance with Charter values. At a bail hearing, the court is required to make a prediction about the accused person's future conduct. The assessment is based upon what the accused is alleged to have done, along with information about the accused person's social circumstances and character. Subject to rules of admissibility (discussed below), anything that sheds light on these issues is relevant at a bail hearing. Consequently, evidence may be led that would not be relevant and admissible at a trial. This may include: character evidence; propensity for violence; uncharged conduct; other contacts with the police; evidence as to disposition; psychiatric history; stayed charges; and employment history. Equally, this same expansive approach to relevance is applicable to evidence led by the accused person.

[27] Dans l'arrêt Rondeau, le juge Proulx a exposé les critères applicables dans l'évaluation du risque exposé par l'alinéa 515(10)b) C.cr., en insistant sur l'effet combiné de ceux-ci:

Dans le cas à l'étude, le litige porte sur l'évaluation de la probabilité de dangerosité. À mon avis, plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour décider de cette question, dont (1) la nature de l'infraction, (2) les circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, (3) la probabilité d'une condamnation, (4) le degré de participation de l'inculpé, (5) la relation de l'inculpé avec la victime, (6) le profil de l'inculpé, i.e., son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, (7) sa conduite postérieurement à la commission de l'infraction reprochée, (8) le danger que représente, pour la communauté particulièrement visée par l'affaire, la liberté provisoire de l'inculpé.

[28] À ces facteurs est venue s’ajouter plus récemment l’appartenance à un gang criminalisé. Dans l’arrêt R. c. Ruest, le juge Réjean Paul écrivait :

Il est maintenant de connaissance judiciaire que les Hells Angels constituent une organisation criminelle vouée au trafic de drogue, impliquée dans les réseaux de prostitution et en charge de divers réseaux de contrebande. De plus, en vue d'éliminer la concurrence, ils ont livré une guerre sans merci à leurs concurrents (plus de 170 victimes reliées à cette guerre ont été recensées entre 1995 et 2001).

Ainsi, ceux qui participent aux activités criminelles d'une organisation criminelle, telle que celle des Hell's Angels, doivent s'attendre à ce qu'un nouveau facteur aggravant s'ajoute à cette liste (non exhaustive) de monsieur le juge Proulx dans Rondeau.

[29] Dans R. c. Boulianne, confirmant la décision du premier juge de ne pas accorder de remise en liberté pour le motif énoncé à l'alinéa 515(10)b) C.cr., le juge Grenier concluait :

L'appartenance à des groupes criminels structurés qui visent, par définition, à devenir des monopoles de la vente de drogue, que ce soit sur le plan local ou national, démontre un choix de vie, celui de mener des affaires lucratives en violation et au mépris de la loi.

La société, par l'entremise des tribunaux, a le devoir de réagir à ce phénomène en privilégiant la dissuasion comme remède. Cette dissuasion doit s'exercer, non seulement à l'endroit des têtes dirigeantes des réseaux, mais aussi à l'endroit de tous les individus constituant des rouages importants permettant à ces organisations d'être opérationnelles et de se régénérer avec rapidité quand elles sont décapitées.

[30] Dans l’arrêt R. c. Bédard, le même juge faisait siens les propos du juge Gagnon, à l’effet que :

Il résulte donc que la mise en liberté d'un membre important d'une organisation criminelle structurée est exceptionnelle à cause du fardeau de preuve très grand qui lui incombe.

[31] Si la prévisibilité exacte de la dangerosité future n’est pas exigée par la Constitution, il faut que cette probabilité soit importante, qu’elle compromette la protection et la sécurité du public, et qu’elle soit nécessaire pour cette protection et non "seulement commode ou avantageuse”. La mise en liberté provisoire ne doit pas être refusée à toute personne qui risque de commettre une infraction. Tel n’est pas le critère. Non plus que les règles interdisent tout élargissement avant procès d'un membre d'une organisation criminelle, comme l'a expliqué de façon très à propos le juge François Doyon, alors juge à la Cour du Québec, dans R. c. Judd :

Il me paraît que l'arrêt Pearson ne signifie pas que le membre d'une organisation criminelle structurée doive se voir nécessairement refuser la remise en liberté. Par contre, cet arrêt nous enseigne, se basant sur des études et des rapports qui y sont mentionnés, qu'un membre d'une telle organisation, accusé d'importation et de trafic de stupéfiants, aura tendance à poursuive ses activités criminelles après sa remise en liberté et sera souvent en position de se soustraire à la justice. C'est dans cet esprit que l'appartenance à une organisation criminelle structurée et pertinente à une enquête sur cautionnement.

[32] Dans un contexte de renversement de fardeau en matière de stupéfiants, il est utile de rappeler la logique derrière l’exception. En 1992, dans l’arrêt Pearson, le juge Lamer a rappelé l’importance et l’impact nocif du trafic de stupéfiants par des organisations criminelles structurées et l'apparente tolérance sociale de cette activité criminelle était en partie due à une mauvaise perception des problèmes collatéraux causés par ce type de criminalité. Il écrivait :

Les infractions énumérées à l'al. 515(6)d) présentent des particularités qui justifient un traitement différent dans le processus de la mise en liberté sous caution. Ces particularités sont relevées par le Groupe de travail sur la lutte contre la drogue, Rapport du groupe de travail sur la lutte contre la drogue (1990). Aux pages 18 et 19, on y lit que le trafic de stupéfiants constitue généralement une forme de crime organisé:

Au Québec, le trafic de drogues est généralement sous le contrôle de membres du crime organisé qui assurent la distribution dans toutes les régions. Bénéficiant d'organisations bien structurées, leur capacité à financer des transactions importantes leur permet d'importer de grandes quantités de drogues, souvent même sous le couvert d'entreprises légitimes. Depuis quelque temps, ils investissent et mettent en commun leurs ressources afin d'optimiser le rendement financier des mises de fonds; ces cartels vont jusqu'à planifier une forme d'assurance-risque leur permettant de répartir entre eux les pertes subies lors des saisies policières. À la fois importateurs, grossistes et détaillants, ces organisations peuvent vendre à la tonne, au kilo et même au gramme via les points de vente qu'ils contrôlent; elles sont particulièrement actives dans le trafic du cannabis et de l'héroïne. … [En caractères gras dans l'original.]

À la p. 21, on fait aussi remarquer que le trafic de la drogue est parfois considéré à tort comme étant de nature moins grave que des crimes nettement plus violents:

Contrairement aux vols qualifiés, aux agressions sexuelles, aux meurtres, le trafic de drogues est souvent considéré, à tort, comme un crime sans violence; d'où une certaine tolérance à l'endroit des trafiquants qui donnent l'illusion de gens d'affaires anonymes, dissimulés parmi ceux dont le commerce est légal. Une telle impression est cependant loin de la réalité si l'on considère les luttes féroces pour le contrôle de territoires et les actions violentes pour se procurer l'argent nécessaire à l'achat de drogues; si l'on songe également aux sévices personnels et aux drames sociaux qui s'en suivent.

[33] Déjà en 1974, le juge Chevalier constatait les impacts sociaux négatifs et douloureux de cette criminalité. Il suggérait alors que notre système de remise en liberté devait être plus ferme envers les trafiquants importants qui sont la cause de problèmes sociaux importants chez les plus vulnérables de notre société. Ses propos sont toujours d’actualité :

In fact, unless we close our eyes and deliberately plug our ears, it is impossible not to be aware of certain widespread phenomena in our society: first, the daily increase in the use of drugs and narcotics; secondly, the fact that this usage is almost exclusively confined to young people; thirdly, the alarming case with which users are able to obtain them, and finally, the deleterious effects that these drugs, especially "hard" drugs, produce on those who use them.

The three categories of persons who come before our Courts are, beginning with those at the end of the chain, the user; on the way toward him, the middleman or "pusher", and at the beginning of the chain, the wholesaler. The simple possessor is harmful only to himself; the pusher profiteers. As forthe wholesaler, it is especially against him that society must protect itself, because he is the source of the evil, which eventually contaminates public health both physical and mental.

It is therefore this Court's opinion with respect to interim release, that while one can and must give sympathetic attention to the case of the simple possessor, one must look severely upon that of the wholesaler, who initiates the distribution and marketing process, since were it not for the wholesaler's existence, our young drug addicts would be much less likely to be exposed, or at least they would be infinitely less numerous.

[34] Ce qui amène au critère de l'alinéa 515(10)c) C.cr., dont la validité constitutionnelle et les principes qui doivent guider son application ont été examinés par la Cour suprême. Ce troisième critère est autonome. Il constitue un motif séparé et distinct. Certes, les cas de détention fondés sur ce troisième critère seront rares. Même face à des phénomènes criminels dangereux et inquiétants, il faut se montrer prudent à recourir à cette disposition. C’est toutefois la perte de confiance de la population envers le système de justice qui est au cœur de l'analyse.

[35] Comme l’a souligné le juge Boilard dans l'arrêt R. c. Sweeney :

… il faut accepter la conséquence de l'intervention parlementaire dans l'article 515(10)(c) et reconnaître qu'il y a des cas de criminalité où ceux qui en sont inculpés vont devoir attendre l'aboutissement de la présomption d'innocence en prison.

Détermination de la peine pour les infractions de voies de fait armées ou de voies de fait grave

R. c. Turbide-Labbé, 2006 QCCQ 2776 (CanLII)

[36] Le tribunal a répertorié au Québec et dans les provinces canadiennes certaines décisions qui se rapprochaient au cas sous étude. Certaines étaient relatives aux voies de fait graves mais à leur analyse, les faits ressemblaient au cas sous étude.

[37] Décisions rendues au Québec:

- R. c. Barletta, J.E. 92-1082 (C.A.); voies de fait graves; blessures sérieuses chez la victime; antécédents; comportement violent; absence de remords. La sentence imposée en première instance est maintenue en ajoutant un an d'emprisonnement aux amendes imposées.

- Boucher c. La Reine, J.E. 93-207 (C.A.); agression armées et voies de fait simples; la circonstance de perpétration du crime est grave; antécédents; une peine supérieure à 18 mois n'est pas justifiée, donc réduction de la peine à 18 mois sous le chef d'agression armée et à 6 mois d'emprisonnement sous le chef de voies de fait simples;

- Seyfeddin-Salemi c. La Reine, J.E. 95-1050 (C.A.); voies de fait graves et port d'arme; conduite objectivement grave; 32 mois d'emprisonnement sous le chef de voies de fait graves et 18 mois sous le chef de port d'arme;

- R. c. Charbonneau, J.E. 97-1568 (C.Q.); voies de fait graves et agression armée; blessures importantes chez la victime; antécédents; caractère violent et imprévisible de l'accusé; 36 mois d'emprisonnement;

- R. c. Lemay, B.E. 99BE-835 (C.S.); voies de fait graves, agression armée, possession d'une arme dans un dessein dangereux; antécédents; personnalité violente, imprévisible et dangereuse; absence de remords; peine globale de 6 ans d'emprisonnement;

- R. c. Biello, J.E. 2001-692 (C.Q.); voies de fait graves et voies de fait causant des lésions corporelles; antécédents; incapacité de contrôler son agressivité; 16 mois d'emprisonnement sous le chef de voies de fait graves et 12 mois d'emprisonnement sous le chef de voies de fait causant des lésions corporelles;

- R. c. Couturier, J.E. 2001-2185 (C.A.); Bagarre lors de laquelle l'accusé a donné de violents coups de pied au thorax et au visage donnant lieu à une accusation de voies de fait grave, victime 2 mois et demi dans le coma, séquelles importantes, ordonnance de probation lors de l'infraction: 18 mois d'emprisonnement.

- R. c. Pronovost, J.E. 2002-1827 (C.S.); accusation de voies de fait simples, 2 de voies de fait causant des lésions corporelles, une de voies de faits graves, membre fondateur des Blatnoïs, antécédents. Emprisonnement de 3 ans et demi.

- R. c. Maisonneuve, J.E. 2003-151 (C.S.); Locateur à l'égard de son locataire, coup de poing à l'œil, accusation d'introduction par effraction, antécédents en semblable matière: emprisonnement de 12 mois et amende de 5 000 $, probation de 3 ans pour les voies de fait.

[38] Certaines décisions rendues dans les autres provinces canadiennes prévoient également l'application de peines sévères de pénitencier lorsqu'il s'agit de voies de fait sérieuses où on utilise une arme. À ce titre:

- R. c. Johnson, 1998 CanLII 4838 (BC C.A.), (1998) 131 C.C.C. (3d) 274 (B.-C. C.A.); voies de fait graves et aggression armée; blessures sérieuses chez la victime; antécédents; 5 ans d'emprisonnement consécutifs à une autre peine;

- R. c. King, [1999] N.S.J. No. 331 (N.-S. C.A.); voies de fait graves et armies; antecedents; 4 ans d'emprisonnement sous le chef de voies de fait graves et 1 an consécutif sous le chef de voies de fait armées;

- R. c. Babinski, 2004 CarswellOnt. 3163 (C.S.J. Ont.); voie de fait, voie de fait armée d'un couteau, menace de causer des lésions, bagarre entre trois hommes et une victime, plusieurs antécédents en semblable matière, absence de remords, 13 mois de détention préventive et emprisonnement de 30 mois.

- R. c. Vickerson, 2005 CarswellOnt 2812 (C.A. Ont.); 2 chefs de voies de fait graves et 2 chefs de voies de fait armées commis avec une barre de métal, antécédents, emprisonnement de 6 ans.

- R. c. Neschinapaise, 2005 MBQB 129 (CanLII), 2005 MBQB 129; voies de fait graves, plaidoyer de culpabilité, frappé l'une des victimes avec une boule de billard insérée dans un bas et l'autre avec une bouteille cassée, blessures graves pour deux victimes, antécédents, arme très dangereuse: 5 ans d'emprisonnement.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

De simples mots ne constituent pas un voies de fait & la nécessité de prouver le caractère intentionnel de l'usage de la force permet une défense d'accident ou d'erreur de consentement honnête mais erroné

R. v. Dawydiuk, 2010 BCCA 162 Lien vers la décision [ 29 ]             Under s. 265 (1)(a) of the  Criminal Code , a person commits an assau...