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dimanche 21 janvier 2024

Comment apprécier le témoignage d’un accusé qui choisit de témoigner quant aux incohérences existant entre sa déclaration faite à la police et son témoignage rendu au procès

Boivin c. R., 2020 QCCA 1219

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[15]        Le droit de garder le silence est un droit protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[7] et se fonde sur les doctrines de la règle des confessions et du privilège de ne pas s’incriminer[8]. L’exercice du droit au silence par un accusé ne doit pas lui être préjudiciable[9].

[16]        Il en découle que le silence d’une personne détenue ou arrêtée, comme le souligne la Cour dans l’arrêt R. c. Lagacé, « ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version, sauf en matière d’alibi, où le défaut de l’annoncer en temps utile peut en affecter la crédibilité »[10].

[17]        La preuve du silence d’un accusé avant son procès est uniquement admissible dans des circonstances particulières, c’est-à-dire lorsque la poursuite établit « une pertinence réelle et une justification légitime »[11], « lorsque la défense soulève une question qui démontre la pertinence du silence de l’accusé »[12] ou encore lorsque ce silence devient un fait en litige[13].

[18]        Le droit au silence continue de s’appliquer même si l’accusé accepte de communiquer certains renseignements à la police. Comme l’énonce la Cour suprême dans R. c. Turcotte :

Une personne peut fournir certains, aucun ou la totalité des renseignements qu’elle possède. L’interaction volontaire avec la police, même si elle est engagée par l’intéressé, ne constitue pas une renonciation au droit de garder le silence. Le droit de choisir de parler ou de garder le silence demeure entier tout au long de l’interaction.[14]

[19]        L’accusé a le droit de ne pas fournir certains renseignements lorsqu’il est interrogé par la police. À titre d’exemple, dans l’arrêt Lagacé[15], l’accusé fait une déclaration aux policiers et clame son innocence. Dans son témoignage rendu au procès, il identifie un tiers qui est, selon lui, l’auteur des coups de couteau assénés à la victime. L’avocate du ministère public le contre-interroge sur le fait qu’il n’a jamais fourni ces renseignements à la police. En plaidoirie, elle laisse entendre au jury que « les gens qui ne donnent pas leur version quand ils parlent aux policiers, habituellement, ce sont des gens peut-être un peu moins fiables » et s’interroge, toujours en s’adressant au jury, sur l’honnêteté et la transparence de l’accusé. Mon collègue, le juge Doyon, précise qu’une telle façon de faire, jumelée à l’absence de directive spécifique pour atténuer la portée des arguments du ministère public, « attaque de plein front le droit de l’appelant au silence » en laissant entendre « que de ne pas collaborer avec la police affecte la crédibilité de l’appelant et peut être un indice de sa culpabilité »[16].

[20]        Ainsi, le fait d’omettre de déclarer des renseignements à la police, pour ensuite les divulguer pour la première fois au moment du procès, ne peut être utilisé pour rejeter la version de l’accusé et ultimement conclure à sa culpabilité[17]. Autrement, l’exercice du droit au silence par un accusé interrogé par la police se retournerait contre lui au moment du procès, rendant ainsi le droit au silence complètement illusoire[18].

[21]        Dans la même veine, les questions d’un contre-interrogatoire ne doivent pas suggérer que la version des faits de l’accusé, présentée pour la première fois au procès, n’est pas crédible pour la raison qu’elle n’a pas été livrée antérieurement[19].

[22]        En revanche, l’accusé qui choisit de témoigner peut être contre-interrogé sur les incohérences existant entre sa déclaration faite à la police et son témoignage rendu au procès. Si le contre-interrogatoire a comme dessein de miner la crédibilité de l’accusé en mettant l’accent sur ces incohérences, il ne compromet pas le droit au silence[20].

[23]        L’avocat du ministère public peut ainsi suggérer, dans le cadre du contre-interrogatoire de l’accusé, que la version des événements pertinents exposée dans son témoignage est significativement différente de la version initiale donnée à la police[21].

[24]        Le juge des faits peut alors se fonder sur cette incohérence pour tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de l’accusé ou de la vraisemblance de la version offerte[22]. Cette conclusion ne repose pas sur l’exercice du droit au silence, mais sur l’incohérence des récits racontés par l’accusé. La déduction admissible ne se fonde pas sur le silence de l’accusé avant le procès, mais sur les différences matérielles entre les versions racontées[23].

Les pouvoirs du juge face au contrevenant inapte au stade de la peine

A.C. c. R., 2023 QCCA 988 

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[7]         En droit criminel, il existe un principe séculaire tiré des règles de justice fondamentale selon lequel « [n]o person can be rightly tried, sentenced or executed while insane »[1].

-      Vue d’ensemble

[39]      Il importe de distinguer l’étape de l’enquête visant à établir les « motifs raisonnables de croire » qu’une preuve est nécessaire pour déterminer l’aptitude d’un inculpé de l’étape de l’ordonnance d’évaluation proprement dite.

[40]      Comme je m’apprête à l’expliquer, la première ne repose pas uniquement sur le droit codifié. Elle se fonde également sur les principes de justice fondamentale qui obligent tout tribunal à garantir le respect des intérêts vitaux d’un inculpé. Parmi ceux-ci, il y a le droit à une défense pleine et entière au stade de la peine et celle de ne pas être soumis à une procédure inéquitable en raison de l’absence de connaissance directe, de la part du délinquant, des procédures qui se déroulent devant lui[23].

[41]      Quant au pouvoir d’ordonner une évaluation au stade de la peine, j’estime que l’article 721 et le paragraphe 723(3) C.cr. permettent à un tribunal d’obtenir un rapport d’un agent de probation comportant un volet principal sur l’état de santé mental du délinquant de la nature d’une évaluation psychiatrique aux fins de déterminer s’il est apte à recevoir sa peine.

[42]      Advenant une conclusion d’inaptitude autre que passagère, je propose la suspension de l’instance. Il appartiendra au régime civil en matière de soins de la personne de prendre le relais. Je m’explique.

-      Principes fondamentaux et sous-jacents à l’analyse

[43]      D’importants principes fondamentaux sous-tendent la suite de l’analyse. Même si le Code criminel n’envisage pas la situation de la personne inapte au stade de la peine, l’arrêt Whittle[24] de la Cour suprême enseignait déjà en 1994 que les mêmes normes relatives à la capacité cognitive de l’accusé s’appliquaient tout au long des procédures judiciaires[25], ce qui inclut nécessairement le stade de la peine.

[44]      Notre Cour, dans l’arrêt R.L. a repris ce principe de façon on ne peut plus claire :

[27]      The same may be said for sentencing. While not part of the trial, it would be unfair and contrary to the interests of justice to require a person who was fit during the trial but who subsequently became unfit to participate in a sentence hearing: see R. v. Nehass2017 YKSC 4, par. 23Indeed as a matter of constitutional law, the deprivation of liberty, that may result from sentencing of an unfit person is unlikely to accord with the principles of fundamental justice.[26]

[Soulignement ajouté]

[45]      La doctrine[27] et la jurisprudence canadienne[28] appuient fermement cette position. Elles reconnaissent l’importance pour l’accusé et le délinquant d’être présent à toutes les étapes des procédures criminelles, non seulement physiquement, mais aussi mentalement.

[46]      On peut donc affirmer, sans risque de se tromper, que les garanties constitutionnelles dont jouit l’accusé, notamment celles conférées par l’article 7 de la Charte, ne cessent pas de s’appliquer du fait qu’il est en attente d’une peine[29], car, dans les faits, il demeure toujours un inculpé[30]. Notamment, dans l’arrêt Walker[31], la Cour d’appel de l’Ontario écrit :

[44]      Proceeding against a person who is not mentally present at the proceedings is akin to proceeding against a person who is not physically present at the proceedings. It has the effect of excluding that person from the proceedings. While courtroom efficiency is a laudable goal, it is not to be achieved at all costs. Where fitness concerns arise, they must be addressed. There is nothing irresponsible about halting proceedings to take steps to ensure that the subject of those proceedings is present in mind.

[…]

[56]      Individuals have as much right to be present in mind at proceedings determining their liberty as they have a right to be present in mind at proceedings determining their culpability. The dignity and fairness of our justice system requires that to be so.

[Soulignements ajoutés; renvoi omis]

[47]      Le fait que le régime législatif se contente de couvrir uniquement les procédures en amont du verdict n’y change rien. Sans pour autant s’ingérer dans la stratégie de la défense, le juge de la peine demeure tenu de s’assurer que toutes les procédures se déroulent devant un délinquant présent mentalement, capable de participer efficacement au débat tout en étant en mesure de communiquer avec son avocat[32]. C’est pourquoi un auteur écrit :

There does not appear to be any reason why an accused who has been found unfit at a point in the prosecution beyond the verdict should be treated any differently than an accused found to be unfit prior to the verdict.[33]

[48]      Le poursuivant a toutefois prétendu que les droits fondamentaux de l’appelant n’étaient pas susceptibles d’être compromis puisque la juge était rendue au prononcé de la peine. Je n’accepte pas cette proposition.

[49]      L’infliction de la peine demeure une étape cruciale pour un accusé. J’emprunte ici au juge Dickson cette citation faite dans l’arrêt Gardiner[34] qui lui-même la tenait de Sir James Fitzjames Stephen qui l’avait écrite en 1863 [TRADUCTION] : « la sentence constitue l’essence même de la procédure. Elle est au procès ce que le boulet est à la poudre. » Selon le juge Dickson, cet énoncé était encore vrai en 1982 et, à mon avis, il le demeure en 2023.

[50]      L’objectif de dissuasion  spécifique et générale – poursuivi par le prononcé d’une peine serait sérieusement compromis devant un délinquant inapte, incapable de comprendre les procédures qui se déroulent devant lui. Je ne saurais mieux dire sur cette question que l’auteur Schneider ne l’a fait dans son article intitulé « Fitness to be Sentenced », auquel j’ai fait référence précédemment, pour expliquer l’importance de la pleine lucidité de l’accusé au stade de l’infliction de la peine :

[…] Indeed, to proceed with sentencing in respect of an unfit accused would be to ignore the objective of specific deterrence – an acknowledged principle of sentencing. Specific deterrence is that aspect of sentencing which is designed to bring home to a particular accused the probable consequences of re-offending. Similarly, the general deterrence objective of deterring other “like-minded” accused would appear to be lost if an unfit accused were to be sentenced. Furthermore, a court could not expect an accused who does not have a minimal appreciation of the sentencing process to comply with or be governed by any of the terms the court may impose in its sentence. Finally, an unfit accused who did fail to comply with the terms of the sentence imposed while unfit would inevitably have a defence to any charges laid as a result.[35]

L'état du droit quant à la défense d’automatisme sans troubles mentaux

R. c. Boivin, 2007 QCCA 39

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[18]           Les arrêts de principe portant sur la charge de preuve en matière d’automatisme sans troubles mentaux sont ceux rendus par la Cour suprême dans R. c. Stone[1] et R. c. Fontaine[2].

[19]           L’automatisme sans troubles mentaux est un moyen de défense qui, s’il est retenu, permet à un accusé d’être acquitté purement et simplement de l’accusation portée contre lui.  L’automatisme se définit « comme étant un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actions »[3].

[20]           Cette défense équivaut à nier le caractère volontaire de l’acte lequel constitue une composante de l’actus reus[4].

[21]           Le droit présume que les gens agissent volontairement.  Puisque la défense d’automatisme revient à prétendre qu’un acte n’était pas volontaire, c’est à l’accusé qui invoque cette défense qu’il incombe de repousser cette présomption du caractère volontaire de l’acte.

[22]           L’accusé qui soulève une défense d’automatisme sans troubles mentaux assume alors une double charge de preuve.

[23]           Dans un premier temps, il est responsable d’une charge de présentation.  À cette étape, l’accusé doit convaincre le juge du droit que la défense d’automatisme peut être soumise au juge des faits, en l’occurrence le jury.  Le passage suivant des motifs du juge Fish dans R. c. Fontaine fait bien ressortir la distinction entre la charge de présentation et la charge de persuasion :

La « charge de présentation » n’est pas la charge de la preuve.  Elle détermine si une question doit être laissée au juge des faits, alors que la « charge de persuasion » détermine la façon de trancher la question.

Ces deux questions sont fondamentalement différentes.  La première est une question de droit; la seconde est une question de fait.  Par conséquent, dans un procès devant juge et jury, le juge décide si la partie s’est acquittée de la charge de présentation.  En répondant à cette question, le juge n’évalue pas la qualité de la preuve, ni sa valeur probante ou sa fiabilité.  Il décide simplement s’il existe une preuve permettant à un jury ayant reçu les directives appropriées de trancher raisonnablement la question.[5]

[24]           L’accusé s’acquitte de cette charge de présentation s’il existe une preuve permettant à un jury ayant reçu des directives appropriées de trancher raisonnablement la question de l’automatisme[6].  L’accusé doit présenter une allégation de caractère involontaire, confirmée par le témoignage d’expert, d’un psychiatre ou d’un psychologue[7].

[25]           Une fois cette étape franchie, la défense d’automatisme est soumise au juge des faits.  L’accusé assume alors une charge de persuasion.  Il lui incombe de prouver au juge des faits le caractère involontaire de l’acte selon la règle de la prépondérance des probabilités[8].

[26]           Les motifs justifiant cette restriction aux droits garantis à l’accusé par l’alinéa 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés sont expliqués par le juge Bastarache dans R. c. Stone :

Dans les arrêts Chaulk et Daviault, précités, notre Cour a reconnu que l’imposition à la défense d’une charge de preuve selon la prépondérance des probabilités relativement à un élément de l‘infraction peut être justifiée au sens de l’article premier, même si elle restreint les droits garantis à l’accusé par l’al. 11d) de la Charte.  J’estime que cette charge de preuve est aussi justifiée en l’espèce.  Le droit présume que les gens agissent volontairement afin d’éviter d’imposer au ministère public la lourde charge de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire.  À l’instar de l’ivresse extrême s’apparentant à l’automatisme, les vrais cas d’automatisme sont extrêmement rares.  Cependant, du fait que l’automatisme est facilement simulé et que c’est l’accusé lui-même qui est en mesure de savoir qu’il a été plongé dans un tel état, il est nécessaire pour atteindre l’objectif qui sous-tend la présomption  de caractère volontaire, d’imposer à l’accusé la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités.  Par contre, imposer au ministère public la charge de persuasion consistant à prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire va, en réalité, à l’encontre de l’objet de la présomption de caractère volontaire.  Donc, l’imposition à l’accusé de la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités est justifiée au sens de l’article premier.  Il n’y a donc aucune violation de la constitution.[9]

[27]           Si la charge de présentation et celle de persuasion reposent sur les épaules de l’accusé qui invoque la défense d’automatisme sans troubles mentaux afin de démontrer qu’il a agi involontairement, la charge de prouver les éléments constitutifs de l’infraction est toujours dévolue au ministère public qui ne peut s’en acquitter qu’en offrant une preuve hors de tout doute raisonnable.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L'actus reus et la mens rea de l’infraction de possession en vue de trafic & l'appréciation des motifs raisonnables provenant de renseignements reçus d’informateurs

R. c. Rock, 2021 QCCA 878 Lien vers la décision [ 19 ]        L’infraction de trafic est large et vise non seulement la vente, mais aussi le...