dimanche 21 janvier 2024

L'état du droit quant à la défense d’automatisme sans troubles mentaux

R. c. Boivin, 2007 QCCA 39

Lien vers la décision


[18]           Les arrêts de principe portant sur la charge de preuve en matière d’automatisme sans troubles mentaux sont ceux rendus par la Cour suprême dans R. c. Stone[1] et R. c. Fontaine[2].

[19]           L’automatisme sans troubles mentaux est un moyen de défense qui, s’il est retenu, permet à un accusé d’être acquitté purement et simplement de l’accusation portée contre lui.  L’automatisme se définit « comme étant un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actions »[3].

[20]           Cette défense équivaut à nier le caractère volontaire de l’acte lequel constitue une composante de l’actus reus[4].

[21]           Le droit présume que les gens agissent volontairement.  Puisque la défense d’automatisme revient à prétendre qu’un acte n’était pas volontaire, c’est à l’accusé qui invoque cette défense qu’il incombe de repousser cette présomption du caractère volontaire de l’acte.

[22]           L’accusé qui soulève une défense d’automatisme sans troubles mentaux assume alors une double charge de preuve.

[23]           Dans un premier temps, il est responsable d’une charge de présentation.  À cette étape, l’accusé doit convaincre le juge du droit que la défense d’automatisme peut être soumise au juge des faits, en l’occurrence le jury.  Le passage suivant des motifs du juge Fish dans R. c. Fontaine fait bien ressortir la distinction entre la charge de présentation et la charge de persuasion :

La « charge de présentation » n’est pas la charge de la preuve.  Elle détermine si une question doit être laissée au juge des faits, alors que la « charge de persuasion » détermine la façon de trancher la question.

Ces deux questions sont fondamentalement différentes.  La première est une question de droit; la seconde est une question de fait.  Par conséquent, dans un procès devant juge et jury, le juge décide si la partie s’est acquittée de la charge de présentation.  En répondant à cette question, le juge n’évalue pas la qualité de la preuve, ni sa valeur probante ou sa fiabilité.  Il décide simplement s’il existe une preuve permettant à un jury ayant reçu les directives appropriées de trancher raisonnablement la question.[5]

[24]           L’accusé s’acquitte de cette charge de présentation s’il existe une preuve permettant à un jury ayant reçu des directives appropriées de trancher raisonnablement la question de l’automatisme[6].  L’accusé doit présenter une allégation de caractère involontaire, confirmée par le témoignage d’expert, d’un psychiatre ou d’un psychologue[7].

[25]           Une fois cette étape franchie, la défense d’automatisme est soumise au juge des faits.  L’accusé assume alors une charge de persuasion.  Il lui incombe de prouver au juge des faits le caractère involontaire de l’acte selon la règle de la prépondérance des probabilités[8].

[26]           Les motifs justifiant cette restriction aux droits garantis à l’accusé par l’alinéa 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés sont expliqués par le juge Bastarache dans R. c. Stone :

Dans les arrêts Chaulk et Daviault, précités, notre Cour a reconnu que l’imposition à la défense d’une charge de preuve selon la prépondérance des probabilités relativement à un élément de l‘infraction peut être justifiée au sens de l’article premier, même si elle restreint les droits garantis à l’accusé par l’al. 11d) de la Charte.  J’estime que cette charge de preuve est aussi justifiée en l’espèce.  Le droit présume que les gens agissent volontairement afin d’éviter d’imposer au ministère public la lourde charge de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire.  À l’instar de l’ivresse extrême s’apparentant à l’automatisme, les vrais cas d’automatisme sont extrêmement rares.  Cependant, du fait que l’automatisme est facilement simulé et que c’est l’accusé lui-même qui est en mesure de savoir qu’il a été plongé dans un tel état, il est nécessaire pour atteindre l’objectif qui sous-tend la présomption  de caractère volontaire, d’imposer à l’accusé la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités.  Par contre, imposer au ministère public la charge de persuasion consistant à prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire va, en réalité, à l’encontre de l’objet de la présomption de caractère volontaire.  Donc, l’imposition à l’accusé de la charge de persuasion consistant à prouver le caractère involontaire selon la prépondérance des probabilités est justifiée au sens de l’article premier.  Il n’y a donc aucune violation de la constitution.[9]

[27]           Si la charge de présentation et celle de persuasion reposent sur les épaules de l’accusé qui invoque la défense d’automatisme sans troubles mentaux afin de démontrer qu’il a agi involontairement, la charge de prouver les éléments constitutifs de l’infraction est toujours dévolue au ministère public qui ne peut s’en acquitter qu’en offrant une preuve hors de tout doute raisonnable.

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