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dimanche 8 juin 2025

Le juge des faits doit considérer les faits globalement et décider si, dans « l’ensemble des circonstances », on peut dire que la personne détenue n’a pas eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement de la police, mais aussi celui de la personne détenue

MacDonald Brown c. R., 2009 NBCA 27

Lien vers la décision


[18]                                   Toutes les parties acceptent que l’al. 10b) de la Charte impose à la police les deux obligations en matière d’information et de mise en application et reconnaissent que, en l’espèce, le policier s’est conformé à son obligation en matière d’information. Par conséquent, c’est la question de la portée de l’obligation en matière de mise en application que nous devons examiner pour résoudre la présente affaire. Dans l’arrêt R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC)[1987] 1 R.C.S. 1233[1987] A.C.S. no 41 (QL), le juge Lamer (tel était alors son titre) a précisé la portée de cette obligation dans les termes suivants :

 

D’abord, le policier doit donner au détenu une possibilité raisonnable d’exercer son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Le détenu est sous le contrôle de la police et il ne peut exercer son droit de recourir à un avocat que si elle lui donne une possibilité raisonnable de le faire. Cet aspect du droit à l’assistance d’un avocat a été reconnu en droit canadien bien avant l’avènement de la CharteDans l’arrêt Brownridge c. La Reine1972 CanLII 17 (CSC)[1972] R.C.S. 926, fondé sur la Déclaration canadienne des droits, le juge Laskin, alors juge puîné, écrit à la p. 953 :

 

Le droit de retenir et constituer un avocat sans délai ne peut servir à une personne arrêtée ou détenue que si l’on considère qu’il entraîne de la part des autorités policières l’obligation corrélative de faciliter le recours à l’avocat. Cela veut dire qu’à la demande de cette personne, on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible.

 

Les tribunaux d’instance inférieure ont constamment reconnu l’obligation de faciliter le recours à un avocat en vertu de l’al. 10b) de la Charte R. v. Nelson (1982), 1982 CanLII 3760 (MB KB)3 C.C.C. (3d) 147 (B.R. Man.)R. v. Anderson (1984), 1984 CanLII 2197 (ON CA)10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.)R. v. Dombrowski (1985), 1985 CanLII 182 (SK CA)18 C.C.C. (3d) 164 (C.A. Sask.), et la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce. Dans l’arrêt Dombrowski, la cour a jugé que lorsqu’un téléphone est disponible avant même l’arrivée au poste de police, rien ne justifie de retarder la possibilité d’entrer en communication avec un avocat jusqu’à l’arrivée au poste. [p. 1241-1242]

 

 

[19]                                   Toutefois, quelques mois plus tard, dans l’arrêt R. c. Tremblay1987 CanLII 28 (CSC)[1987] 2 R.C.S. 435[1987] A.C.S. no 59 (QL), le juge Lamer a ajouté la réserve suivante :

 

En règle générale, si un détenu ne fait pas preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits, les obligations corollaires énoncées dans l’arrêt de cette Cour, R. c. Manninen1987 CanLII 67 (CSC)[1987] 1 R.C.S. 1233, qui sont imposées aux policiers dans le cas où le détenu a demandé l’assistance d’un avocat, sont suspendues et ne les empêchent pas de poursuivre leur enquête et de lui demander de donner un échantillon d’haleine. [p. 439]

 

 

[20]                                   Les diverses obligations qui découlent de l’al. 10b) de la Charte et leurs modalités d’interaction ont été résumées dans l’arrêt R. c. Luong (G.V.) (2000), 271 A.R. 368[2000] A.J. No. 1310 (QL)2000 ABCA 301 :

 

[TRADUCTION]

En guise d’assistance aux juges de procès chargés de la lourde tâche de trancher pareilles questions en litige, nous offrons les orientations suivantes :

 

1. Il incombe à la personne qui affirme que son droit garanti par la Charte a été violé d’établir qu’il y a eu violation ou négation du droit garanti par la Charte.

 

2. L’alinéa 10b) impose aux autorités de l’État qui arrêtent une personne ou la placent en détention des obligations en matière d’information et en matière de mise en application.

 

3. L’obligation en matière d’information consiste à informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et à lui faire connaître l’existence et l’accessibilité de l’aide juridique et des avocats de service.

 

4. Les obligations en matière de mise en application sont doubles et prennent naissance lorsque la personne détenue indique qu’elle désire exercer son droit à l’assistance d’un avocat.

 

5. La première obligation en matière de mise en application consiste à « donner [à la personne détenue] la possibilité raisonnable [d’exercer son droit] (sauf en cas d’urgence ou de danger) ». Voir R. c. Bartle1994 CanLII 64 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 173; 92 C.C.C. (3d) 289 (C.S.C.), à la page 192 [R.C.S.].

 

6. La deuxième obligation en matière de mise en application consiste à « s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger) ». Voir R. c. Bartle, précité, à la page 192 [R.C.S.].

 

7. Le juge du procès doit d’abord déterminer si, étant donné l’ensemble des circonstances, la police a accordé à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat; il incombe à la Couronne d’établir que la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat a obtenu une possibilité raisonnable d’exercer ce droit.

 

8. Si le juge du procès conclut qu’il y a eu violation de la première obligation en matière de mise en application, l’atteinte aux droits de la personne détenue est prouvée.

 

9. Si le juge du procès est convaincu que la première obligation en matière de mise en application a été respectée, ce n’est qu’alors qu’il peut examiner si la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat a fait preuve d’une diligence raisonnable pour l’exercer, et il incombe à la personne détenue d’établir qu’elle a fait preuve d’une diligence raisonnable afin d’exercer ses droits. Voir R. c. Smith (1989), 1989 CanLII 27 (CSC)50 C.C.C. (3d) 308 (C.S.C.), aux pages 315, 316 et 323.

 

10. Si on conclut que la personne détenue qui a invoqué le droit à l’assistance d’un avocat n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable pour l’exercer, ou bien les obligations en matière de mise en application ne prennent pas naissance du tout, ou bien elles sont suspendues. Voir R. c. Tremblay (1987), 1987 CanLII 28 (CSC), 37 C.C.C. (3d) 565 (C.S.C.), à la page 568, R. c. Ross (1989), 1989 CanLII 134 (CSC), 46 C.C.C. (3d) 129 (C.S.C.), à la page 135, R. c. Black (1989), 1989 CanLII 75 (CSC), 50 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.), à la page 13, R. c. Smith, précité, à la page 314, R. c. Bartle, précité, à la page 301 et R. c. Prosper1994 CanLII 65 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 236; 92 C.C.C. (3d) 353 (C.S.C.), aux pages 375 à 381, 400 et 401 [du recueil C.C.C.]. Dans de telles circonstances, aucune atteinte aux droits n’est prouvée.

 

11. Une fois qu’une personne détenue a affirmé son droit à l’assistance d’un avocat et a fait preuve d’une diligence opportune pour l’exercer (après avoir obtenu une possibilité raisonnable de l’exercer), si elle indique qu’elle a changé d’idée et ne veut plus d’avis juridique, la Couronne est tenue de prouver l’existence d’une renonciation valide à l’assistance d’un avocat. Dans un tel cas, les pouvoirs de l’État ont une obligation additionnelle en matière d’information : ils doivent « informer [la personne détenue] de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police, au cours de cette période, de s’abstenir, tant que la personne n’aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute déposition ou d’exiger qu’elle participe à quelque processus qui pourrait éventuellement être incriminant » (c’est ce qu’on appelle parfois « la mise en garde prévue dans l’arrêt Prosper »). Voir R. c. Prosper, précité, à la page 274 [du R.C.S.]. En l’absence d’une telle mise en garde, une atteinte aux droits est prouvée.

                                   [Le soulignement est le mien.]

 

 

[21]                                   Au Nouveau-Brunswick, ce résumé a été mentionné dans la décision R. c. Chase (W.A.) (2006), 309 R.N.-B. (2e) 384[2006] A.N.-B. no 415 (QL)2006 NBBR 331, autorisation d’appel rejetée (2007), 314 R.N.-B. (2e) 122[2007] A.N.-B. no 173 (QL)2007 NBCA 39.  Comme le résumé l’indique, l’élément de la mise en application du droit que garantit l’al. 10b) impose des obligations aussi bien aux policiers qu’aux personnes détenues. Les avocats dans le présent appel n’ont pas retenu une telle démarche à l’égard de l’analyse fondée sur l’al. 10b), bien que l’avocat représentant le procureur général ait fait observer qu’il avait besoin de certains éclaircissements concernant la délimitation de l’obligation de la police de fournir à la personne détenue une possibilité raisonnable et de l’obligation de diligence raisonnable imposée à la personne détenue. Je suis d’accord.

 

[22]                                   Selon le résumé énoncé dans la décision Luong, il y a une nette délimitation entre l’obligation de la police de fournir à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer le droit à l’assistance d’un avocat et l’obligation de la personne détenue de faire preuve d’une diligence raisonnable. Cette délimitation est évidente, compte tenu du fait que le juge du procès doit « d’abord déterminer si, étant donné l’ensemble des circonstances, la police a accordé à la personne détenue une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat » (par. 12) et que c’est seulement quand le juge est convaincu que cette obligation a été respectée qu’il examine la question de savoir si la personne détenue [TRADUCTION] « a fait preuve d’une diligence raisonnable » (par. 12) pour exercer ce droit.

 

[23]                                   J’estime qu’il est peu réaliste dans chaque cas de catégoriser nettement les obligations qui découlent de l’élément de mise en application du droit que garantit l’al. 10b). Il en est ainsi parce que le premier principe directeur qui permet de trancher les questions de la « possibilité raisonnable » et de la « diligence raisonnable » est le besoin d’examiner l’ensemble des circonstances. Par conséquent, toute analyse qui exige que soit déterminée la « possibilité raisonnable » sans tenir compte de l’ensemble des circonstances ne constitue pas la démarche appropriée pour procéder à l’analyse fondée sur l’al. 10b). Le juge des faits doit considérer les faits globalement et décider si, dans [TRADUCTION] « l’ensemble des circonstances », on peut dire que la personne détenue n’a pas eu une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Ces circonstances comprennent non seulement le comportement de la police, mais aussi celui de la personne détenue. Ce qui pourrait s’avérer raisonnable dans certains cas pourrait fort bien ne pas l’être dans d’autres cas.

 

[24]                                   L’état des connaissances de la police constitue un fait primordial dans la détermination de ce qui est raisonnable dans les circonstances. Une mesure qui pourrait s’avérer raisonnable dans certaines circonstances pourrait s’avérer déraisonnable si elle est prise en toute connaissance de certains faits. Par exemple, le fait de fournir un annuaire téléphonique pour aider une personne détenue à trouver un avocat en particulier peut se révéler des plus pertinent pour déterminer l’existence d’une « possibilité raisonnable », mais le lui fournir sans plus, sachant qu’elle est analphabète, ne serait pas très utile. Lorsque les policiers connaissent ou devraient connaître certains faits, la mesure raisonnable à prendre peut être dictée par l’état de leurs connaissances. Cependant, lorsqu’ils ne connaissent pas certains faits que seule connaît la personne détenue et que celle-ci ne fait rien pour les leur faire connaître, une mesure différente peut devoir s’imposer. En pareil cas, la prise en compte de [TRADUCTION] « l’ensemble des circonstances » comprendrait la question de savoir si on devrait s’attendre raisonnablement que la personne détenue informe la police de certains faits, ce qui dépendrait de facteurs tels que toutes circonstances susceptibles d’empêcher la personne détenue de les faire connaître à la police ou de faire obstacle à sa capacité de les lui faire connaître, y compris le climat général dans lequel les événements se sont produits.

 

[25]                                   À mon sens, il ne convient pas de tenter de tracer une ligne claire de délimitation entre les concepts de la « possibilité raisonnable » et de la « diligence raisonnable » s’il en résulte qu’on néglige de tenir compte de l’ensemble des circonstances lorsqu’on procède aux déterminations.

 

[26]                                   À titre de proposition générale, [TRADUCTION] « [i]l vaut mieux laisser le juge des faits statuer sur les questions de la “possibilité raisonnable” et de la “diligence raisonnable” » : arrêt Luong, au par. 10. Toutefois, pour procéder à ces déterminations, le juge des faits doit appliquer les principes directeurs pertinents, sinon il commet une erreur de droit. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Lorsqu’elle a entrepris l’analyse fondée sur l’al. 10b), la juge du procès a négligé de considérer les faits dans leur globalité. Elle n’a pas cherché à déterminer si, dans l’ensemble des circonstances, on se serait attendu raisonnablement que M. Brown informe la police qu’il désirait communiquer avec un avocat en particulier et s’il s’agissait là d’un facteur pertinent pour déterminer ce qui constituait une « possibilité raisonnable » qui lui était offerte d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Son omission de tenir compte de « l’ensemble des circonstances » constitue une erreur qui justifie une intervention en appel. Aussi appartenait-il à la juge à la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires d’examiner l’ensemble des circonstances et de procéder à la détermination.

 

[27]                                   J’estime que la juge à la Cour d’appel en matière de poursuites sommaires a eu parfaitement raison de conclure que, dans les circonstances de l’espèce, l’al. 10b) n’a pas été violé. Elle a appliqué les principes pertinents, examiné l’ensemble des circonstances et est parvenue à une conclusion qui est raisonnable et qui est étayée par la preuve. Il s’agit d’une conclusion sur une question mixte de droit et de fait envers laquelle je dois faire montre de déférence. Quoi qu’il en soit, je me range à sa conclusion. Le dossier révèle que le policier a informé M. Brown de son droit de consulter un avocat de son choix ou un avocat de service de l’aide juridique et que M. Brown a indiqué qu’il comprenait ce que signifiaient ces droits. Il révèle également l’existence d’un climat de coopération entre M. Brown et l’agent Penny. Quand il a demandé à parler à ses parents, l’agent Penny a facilité l’appel téléphonique. Quand il a demandé à parler à un avocat, sans préciser lequel, encore une fois le policier a facilité l’appel. Après avoir parlé à l’avocat de service, il a accepté de fournir les échantillons de son haleine. Rien au dossier ne donne à entendre, d’une part, que les policiers ont fait quoi que ce soit pour l’empêcher d’exercer ses droits ou pour faire obstacle à cet exercice et, d’autre part, que les policiers savaient ou auraient dû savoir qu’il voulait appeler un avocat en particulier. Vu l’ensemble des circonstances, on ne peut pas affirmer qu’une possibilité raisonnable ne lui a pas été offerte d’exercer son droit. S’il voulait appeler un avocat en particulier, chose que lui seul savait alors, tout ce qu’il avait à faire était de le dire, ou bien après avoir parlé à sa mère, ou bien même après avoir parlé à l’avocat de service. Dans le climat de coopération qui régnait, on se serait attendu raisonnablement qu’il dise au policier quel était son choix. Son omission de communiquer cette information au policier constitue un facteur pertinent qui permet de déterminer si la police lui a offert une possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Compte tenu de ces circonstances, la possibilité qui lui a été offerte d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat était une possibilité raisonnable. S’il n’a pas consulté un avocat de son choix, c’est parce qu’il n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable dans l’exercice de son droit. Je le répète, s’il voulait parler à un avocat en particulier, il aurait dû le dire.

samedi 7 juin 2025

La contestation d'une autorisation judiciaire & les inférences pouvant être tirées de comportements dans un dossier de trafic de drogue

R. c. Guertin Moreau, 2023 QCCA 1638

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[33]      La partie qui conteste l’autorisation judiciaire a le fardeau de prouver à la fois des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvaient dans le lieu visé par le mandat de perquisition demandé[20]. La norme des motifs raisonnables de croire évoque la probabilité et constitue donc une norme plus exigeante que celle des soupçons raisonnables, qui se rapporte à la possibilité[21]. C’est ainsi que dans R. v. Sadikov, le juge Watt, j.a., décrit la norme :

[81]        The statutory standard – “reasonable grounds to believe” – does not require proof on the balance of probabilities, much less proof beyond a reasonable doubt. The statutory and constitutional standard is one of credibly-based probability:  Hunter v. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (SCC)[1984] 2 S.C.R. 145, at p. 167; and R. v. Law2002 BCCA 594171 C.C.C. (3d) 219, at para. 7.  The ITO must establish reasonable grounds to believe that an offence has been committed and that there is evidence to be found at the place of the proposed search:  Hunter, at p. 168. If the inferences of criminal conduct and recovery of evidence are reasonable on the facts disclosed in the ITO, the warrant could be issued:  R. v. Jacobson (2006), 2006 CanLII 12292 (ON CA)207 C.C.C. (3d) 270 (Ont. C.A.), at para. 22.[22]

[14] […] Le tribunal siégeant en révision n’a pas à se demander s’il « aurait lui‑même délivré le mandat, mais s’il existait suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables » pour permettre au juge de délivrer le mandat (Morelli, par. 40).  Lorsqu’il effectue cette analyse, le tribunal siégeant en révision doit faire abstraction des renseignements inexacts figurant dans la dénonciation, et il peut avoir recours à l’« amplification », c’est‑à‑dire à d’autres éléments de preuve admis à bon droit (R. c. Araujo2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992, par. 58Morelli, par. 41).  Il appartient à l’accusé de démontrer que la dénonciation ne justifiait pas l’autorisation (Québec (Procureur général) c. Laroche2002 CSC 72, [2002] 3 R.C.S. 708, par. 68Morelli, par. 131).[24]

[35]      Le chemin étroit de la révision d’un mandat ne permet pas une audition de novo et a pour point de départ la présomption de validité du mandat[25]. Le juge réviseur ne doit pas se prêter à l’exercice de préférer une inférence à une autre[26]. La distinction entre la probabilité raisonnable et le soupçon est mince et la déférence pour la décision du juge autorisateur s’impose donc[27].

[36]      Quant à la Cour d’appel, elle examine le jugement de révision de mandat avec déférence et n’écartera ce dernier que si le jugement contient une erreur de droit ou de principe déterminante, ne tient pas compte d’un élément important ou est entaché d’une erreur manifeste et déterminante quant à l’appréciation de la preuve[28].

* * *

[39]      Je crois que le juge commet une erreur en ne considérant pas les divers éléments dans leur ensemble afin d’analyser la preuve globalement[31]. Le juge décortique un à un les éléments qui convergent vers l’inférence des policiers selon laquelle Phaneuf jouait le rôle de fournisseur. Cette inférence, basée sur des éléments de preuve concrets, existe au moment où le juge autorisateur délivre le mandat et établit une connexion entre le réseau de trafic et la résidence de l’intimé Phaneuf. L’unique élément que le juge expurge de la dénonciation se rapporte davantage à la commission de l’infraction qu’au lien entre le réseau de trafic et la résidence de l’intimé Phaneuf.

[40]      Prenant la dénonciation comme un tout, on sait que l’intimé Phaneuf, qui a des antécédents judiciaires de trafic de stupéfiants[32], a été vu à plusieurs reprises se rendre les mercredis par les enquêteurs chez Drasse et Boucher qui se livrent au trafic de stupéfiants, comme le confirme le juge[33]. Alors qu’il retourne chez lui, les enquêteurs l’observent exécuter des manœuvres de contre-filature[34], ce qui, selon leur expérience, infèrent que le sujet est impliqué dans le trafic de stupéfiants. Le juge conclut qu’il y a des motifs de croire que Phaneuf est impliqué dans le trafic de stupéfiants, mais il ne voit aucun lien entre le lieu des opérations et sa résidence. Par contre, chaque visite chez Drasse et Boucher commence et se termine à sa résidence et, selon les observations de surveillance, sans un arrêt en cours de route.

[41]      Tout comme dans R. c. Hayouna, le juge commet l’erreur de ne pas donner d’importance à l’expérience de l’enquêteur principal dans le présent dossier[35]. Au stade de l’analyse des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve se trouveraient à la résidence de l’intimé Phaneuf, le juge souligne l’absence de comportements suspects ainsi qu’une observation d’échange de stupéfiants, plus particulièrement quand celui-ci entre et sort de chez lui[36]. Il observe que « la seule présence chez Drasse et Boucher ne constitue certainement pas un comportement suspect »[37]. Or, le constat du juge qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’intimé Phaneuf est impliqué dans le trafic de stupéfiants a un impact sur la probabilité qu’il existe un lien entre sa résidence et le réseau de trafic de stupéfiants. En effet, l’implication et le rôle que joue l’intimé Phaneuf ne font qu’un. C’est à titre de fournisseur qu’il était suspecté de participer au trafic de stupéfiants et non pas à titre de vendeur au bas de l’échelle du réseau. En concluant à l’implication de l’intimé Phaneuf, en constatant ses trajets aller-retour réguliers entre sa résidence et celles de Drasse et Boucher accompagnés de manœuvres de contre-filature, il est raisonnable d’inférer qu’il agissait comme fournisseur de Drasse et Boucher et, contrairement aux conclusions du juge, qu’il est raisonnablement probable qu’il utilisait sa résidence comme point d’inventaire.

[42]      De plus, l’inférence négative que le juge tire du fait que « [c]e dernier réside à Terrebonne alors que la dénonciation mentionne que le réseau de trafic de stupéfiants opère sur la rive-sud » excède le rôle qui lui est attribué, car il remplace les inférences tirées par le juge autorisateur par les siennes. L’inférence en faveur de la délivrance du mandat – selon laquelle l’intimé se déplaçait aussi loin justement pour fournir les stupéfiants – bien que n’étant pas la seule possible, n’était pas déraisonnable.

[43]      En dernière analyse, il ne considère jamais si le juge autorisateur pouvait inférer une connexion entre le réseau de trafic de stupéfiants et la résidence de Phaneuf. Il ressort de son jugement qu’il aurait préféré des explications anodines et n’aurait pas délivré le mandat[38]. Or, le juge réviseur, avant d’intervenir, doit être convaincu au regard de l’ensemble de la preuve qu’aucun fondement ne justifiait la délivrance du mandat[39]. Un tel fondement peut être schématique, pourvu qu’il soit appuyé par de l’information digne de foi[40], ce qui est le cas en l’espèce. La conclusion qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’intimé Phaneuf était impliqué dans le trafic de stupéfiants ne pouvait entièrement se dissocier du modus operandi établi par les policiers en vertu duquel l’intimé Phaneuf était le fournisseur. Conjugué aux faits précis que l’intimé Phaneuf est régulièrement en présence de deux vendeurs, aux heures indiquées par la source, qu’il correspond à la description donnée par la source du fournisseur de stupéfiants aux vendeurs[41], il était raisonnable pour le juge autorisateur de déterminer que l’intimé Phaneuf se livrait à une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants. À la même enseigne, il est raisonnable d’inférer qu’il agissait à titre de fournisseur, avec pour base sa résidence[42]. Une preuve directe, que semble pourtant exiger le juge, de la probabilité de la présence de drogues dans sa résidence n’était pas requise pour la délivrance de l’autorisation judiciaire[43].

[44]      L’inférence tirée par les policiers en matière d’enquête sur les réseaux de trafic de stupéfiants à partir de comportements observés des suspects est reconnue en jurisprudence. Dans Simon c. R., l’expérience de l’enquêtrice principale inférait que l’appelant se livrait à du trafic de stupéfiants à partir des courtes rencontres avec des individus ayant des antécédents judiciaires en la matière. Comme en l’espèce, on était aussi en présence d’informations communiquées par une source fiable. Même si l’appelant avait alors plaidé qu’il n’y avait rien d’anormal à ce qu’un individu débute sa journée en quittant son domicile, la juge Hogue conclut qu’il existait un « lien entre le trafic de stupéfiants et la résidence de l’appelant à la lumière du fait qu’il a quitté sa résidence à de multiples reprises pour se rendre directement à de très brèves rencontres se tenant principalement dans son véhicule et généralement dans des stationnements (ce qui suggère sa participation à un trafic de stupéfiants) »[44].

[45]      Dans Latendresse c. R., le même lien a été établi alors que « les nombreux va-et-vient de l’appelant entre sa résidence et les lieux de rencontres constituaient des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve s’y trouvaient »[45].

[46]      Le fait que ces deux jugements mettent en cause un vendeur plutôt qu’un fournisseur ne change en rien cette conclusion juridique.

[47]      C’est avec raison que l’appelant assimile les circonstances du présent dossier à celles de l’affaire R. c. James[46], dans laquelle la question fondamentale était de savoir s’il existait un lien entre la résidence de l’accusé et le réseau de trafic de stupéfiants[47]. Le juge de première instance avait alors « fundamentally misunderstood the nature of the offences being investigated and the respondent's possible involvement in them », alors que l’individu « was not some low level drug dealer operating in small quantities that might be sold on a street corner or in a back alley »[48]. Comme en l’espèce, le prévenu avait un historique en matière de trafic de stupéfiants et le modus operandi rapporté dans la dénonciation avait été confirmé par une source confidentielle.

[48]      Ainsi, l’identification du modus operandi d’un réseau de trafic de stupéfiants s’appuie en partie sur l’expérience policière qui permet de tirer des inférences raisonnables des éléments de preuve et pour établir, le cas échéant, un lien entre les opérations du réseau et la résidence d’un individu membre du réseau. Compte tenu notamment de sa conduite, les policiers possédaient des motifs de croire que l’intimé Phaneuf, lorsqu’il quittait sa résidence, partait réapprovisionner Drasse et Boucher en stupéfiants[49]. Même si l’expérience policière n’est pas en soi déterminante, les inférences que tirent les policiers à partir des faits observés ne devraient pas être mises de côté, comme le juge l’a fait.

Invoquer l’objectif de la dissuasion générale ne suffit pas à justifier une peine d’incarcération plus lourde lorsque l’accusé n’a pas d’antécédents criminels

R. c. Brisson, 2014 QCCA 1655

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[41]        La requérante avance en outre que la dissuasion générale et la dénonciation doivent être les préoccupations dominantes dans ce genre de crime. L’argument ne peut être retenu sans nuances. Par exemple, ces objectifs ne sont pas la considération prédominante pour un jeune sans antécédents criminels dont la réhabilitation est assurée. Le droit veut que les deux objectifs qui doivent primer dans l’établissement d’une peine dans ces circonstances soient la réhabilitation et la dissuasion personnelle et que le juge doive même éviter d’insister indûment sur la dissuasion générale[11].

[42]        Invoquer l’objectif de la dissuasion générale ne suffira pas à justifier une peine d’incarcération plus lourde lorsque l’accusé n’a pas d’antécédents criminels[12] et, dans tous les cas, ne permettra pas d’infliger une peine plus sévère que celle indiquée dans les circonstances. En l’espèce, l’infliction d’une peine de prison de 18 mois emporte son lot de dissuasion.

[43]        Par ailleurs, la jurisprudence et la doctrine s'accordent pour dire que même si le tribunal décide de mettre l’objectif de dissuasion générale de l'avant dans l’infliction d’une peine pour un crime de conduite dangereuse, l’incarcération ne sera pas forcément nécessaire à son atteinte[13]. La dissuasion générale étant un objectif, elle peut être atteinte par d'autres moyens que l’incarcération de longue durée.

[44]        De plus, hausser indûment le quantum des peines d'emprisonnement infligées n'a qu'un effet dissuasif marginal, puisque, selon certains, c'est plutôt la probabilité d'être arrêté et puni qui a un tel effet[14]. Cet effet a pleinement lieu ici avec l’imposition d’une peine de 18 mois d’emprisonnement; à tout le moins, la requérante ne nous convainc pas que le juge a commis une erreur en concluant de la sorte.

La mesure d’absolution répond généralement à des infractions d’une gravité relative qui résultent de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée

Genest c. R., 2016 QCCA 1883

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[17]        La mesure d’absolution répond généralement, faut-il le rappeler, à des infractions d’une gravité relative qui résultent de « gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée »[3]. Or, ici, comme la juge l’a noté, ce n’est pas le cas. Les vols chez son employeur ont été commis au cours d’une période de six (6) mois dans un but d’appât du gain et ont requis une certaine préméditation.

Quel est le traitement que doit réserver un juge à une suggestion commune?

Plourde c. R., 2023 QCCA 361

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[13]      C’est ici que le bât blesse : le traitement fait à la recommandation commune.

[14]      Bien qu’il y ait lieu de croire que la juge avait pleinement conscience du critère fixé par l’arrêt R. c. Anthony-Cook[3], elle ne semble pas l’avoir traité avec toute l’importance qu’il revêt. Cette importance fut de nouveau mise en relief dans un arrêt plus récent encore, R. c. Nahanee[4]. Bien sûr, on ne peut faire reproche à la juge d’avoir passé ce dernier fait sous silence, car son jugement du 22 avril 2022 précède de quelques mois l’arrêt Nahanee. Mais en appel, il doit en être tenu compte, d’autant que la jurisprudence la plus récente de la Cour d’appel se situe très nettement dans le sillage de cette jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[15]      Rappelons succinctement le message d’abord livré par l’arrêt Anthony-Cook (c’est le juge Moldaver qui tient la plume dans cette décision unanime) :

[32]      Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador sont utiles à cet égard.

[33]      Dans Druken, par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. c. B.O.22010 NLCA 19, par. 56 (CanLII), lorsqu’ils examinent une recommandation conjointe, les juges du procès devraient [traduction] « éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance dans l’institution des tribunaux ».

[34]      À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la


 

certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci‑après.[5]

[16]      « [Faire] échec au bon fonctionnement du système de justice pénale », « croire que le système de justice [a] cessé de fonctionner », ne sont pas de vains mots, et c’est avec raison que dans l’arrêt Nahanee, le juge Moldaver, écrivant cette fois pour les juges majoritaires, ajoute que « [c]e critère place à dessein la barre très haut »[6]. Les considérations d’ordre systémique que relève le juge Moldaver dans les lignes qui suivent ce dernier extrait militent fortement en faveur de l’acceptation d’une recommandation commune lorsqu’elle se situe dans la fourchette des peines justes et appropriées – et que cette peine soit clémente ou sévère[7]. Or, c’est le cas ici, bien qu’en effet la peine s’inscrive dans la partie plus clémente de l’échelle.

[17]      Aussi doit-on conclure en l’occurrence, comme le fit une formation unanime de la Cour dans l’arrêt Gallien c. R., que la juge de première instance, à l’instar de l’un de ses collègues dans cette dernière affaire, s’est méprise sur la portée de la jurisprudence fixée et réitérée en Cour suprême. La formation en question écrivait :

[11]      Avec beaucoup d’égards, le juge de première instance n’a pas suivi ces enseignements. Sa prémisse, selon laquelle la peine suggérée est trop clémente, l’a empêché de se concentrer sur la seule question qu’il devait se poser : la suggestion commune des parties a-t-elle pour effet de déconsidérer l’administration de la justice ou d’être contraire à l’intérêt public? Cette omission du juge constitue une erreur de droit, qui l’a amené à rendre une sentence plus sévère que celle suggérée par les parties, à la suite d’un exercice classique de détermination de la peine basé sur les facteurs aggravants et atténuants, les objectifs pénologiques, la gravité des infractions et les peines imposées pour des cas semblables.

[12]      Ainsi, le juge n’explique pas en quoi la peine suggérée par les parties est contraire à l’intérêt public, sauf pour écrire qu’il la considère trop clémente. Il occulte totalement les avantages d’intérêt public associés à la suggestion commune des parties et il se concentre uniquement sur la longueur de la peine suggérée qu’il considère trop clémente dans le contexte spécifique du dossier.[8]


 

[18]      La situation est la même en l’espèce et il y a donc lieu de faire droit à l’appel pour rétablir la recommandation conjointe des avocates de l‘appelant et de l’intimé.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...