lundi 6 juillet 2015

L'art de plaider pour le poursuivant


R. c. Rose, [1998] 3 RCS 262, 1998 CanLII 768 (CSC)



18                              Il serait réconfortant de penser que dans les procès criminels les faits parlent d’eux‑mêmes, mais la vérité c’est que les «faits» ressortent de la preuve présentée, parfois à l’issue d’une plaidoirie habile, sous la forme d’une charge cohérente et convaincante.  Le poursuivant qui obtient gain de cause minimise son talent ou laisse entendre qu’il n’est pour rien dans la façon dont se présente le récit.  Une telle modestie doit être traitée avec scepticisme.  L’art de plaider pour le poursuivant n’a pas beaucoup changé depuis que Shakespeare a mis dans la bouche de Marc Antoine un discours «s’en tenant aux faits»:

Car je n’ai ni l’esprit, ni le mot, ni le mérite, ni le geste, ni l’expression, ni la puissance de parole, pour agiter le sang des hommes.  Je parle en toute simplicité:  je vous dis ce que vous savez vous‑mêmes; je vous montre les blessures de mon cher César, pauvres, pauvres bouches muettes, et je les charge de parler pour moi.

Jules César, Acte III, Scène ii.

19                              Bien que peu d’avocats prétendent avoir la force de persuasion de Shakespeare, il n’en demeure pas moins qu’en cette époque où les «doreurs d’image» sont légion, il ne devrait pas être nécessaire d’insister sur le point que les faits sous‑jacents peuvent être utilisés pour créer des impressions très différentes selon les talents de plaideur de l’avocat.  Dans la réalité de la salle d’audience, il est souvent tout aussi vital pour une partie de savoir faire face à «l’image» créée par les faits qu’aux «faits» eux‑mêmes.  Comme l’a fait remarquer le regretté juge John Sopinka dans «The Many Faces of Advocacy», dans [1990] Advocates’ Soc. J., 3, à la p. 7:

[TRADUCTION] Même si vos témoins n’ont pas dit grand‑chose et ont eu des trous de mémoire, même si vos contre‑interrogatoires ont été moins que brillants, il est encore possible d’avoir gain de cause grâce à l’exposé final.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire