samedi 3 septembre 2016

La mise en preuve d'un document électronique

R c Nde Soh, 2014 NBBR 20 (CanLII)


[20]                                   L’article 31.8 de la Loi sur la preuve au Canada stipule que les définitions qui suivent s'appliquent aux articles 31.1 à 31.6 :
"document électronique" Ensemble de données enregistrées ou mises en mémoire sur quelque support que ce soit par un système informatique ou un dispositif semblable et qui peuvent être lues ou perçues par une personne ou par un tel système ou dispositif. Sont également visés tout affichage et toute sortie imprimée ou autre de ces données.
"données" Toute forme de représentation d'informations ou de notions.
« signature électronique sécurisée » Signature électronique sécurisée au sens du paragraphe 31(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.
"système d'archivage électronique" Sont assimilés au système d'archivage électronique le système informatique et tout dispositif semblable qui enregistre ou met en mémoire des données ainsi que les procédés relatifs à l'enregistrement ou à la mise en mémoire de documents électroniques.
"système informatique" Dispositif ou ensemble de dispositifs connectés ou reliés les uns aux autres, dont l'un ou plusieurs:
a) contiennent des programmes d'ordinateur ou d'autres données;
b) conformément à des programmes d'ordinateur, exécutent des fonctions logiques et de commande et peuvent exécuter toute autre fonction.
[21]                                   À mon avis selon la définition citée ci-haut, « document électronique » inclut tout ce qui se présente sous forme électronique, c’est-à-dire les courriels, tous les fichiers informatiques, les métadonnées concernant ces fichiers, l’historique de navigation, le contenu mis en ligne dans les forums Web tels que Twitter et Facebook, les messages textes, les clavardages en ligne, etc. ainsi que toute sortie imprimée de ces données. Compte tenu de l'existence de dispositions spécifiques applicables aux documents électroniques contenues aux articles 31.1 à 31.8 de la Loi, il serait étonnant que celles-ci ne s’appliquent pas en ce qui concerne une conversation Facebook.
[22]                                   Il s’agit selon moi d’un voir-dire qui traite de principes de preuve dans un monde électronique. Le tribunal doit déterminer si l’authenticité et la fiabilité de ces documents électroniques ont été démontrées.
[23]                                   À l’instar de n’importe quelle autre preuve documentaire, une preuve électronique doit être authentifiée. Les documents électroniques sont cependant beaucoup plus malléables que les documents ordinaires. Ces documents créent des difficultés particulières pour ce qui est d’en déterminer l’authenticité et la fiabilité. Il est possible de surmonter ces difficultés en utilisant les articles 31.1 à 31.8 de la Loi. Ces articles ont été ajoutés à cette Loi en l’an 2000 afin de faciliter l’introduction en preuve de données enregistrées ou sauvegardées par un système informatique.
[24]                                   Aux articles 31.1 à 31.3 de la Loi, l’emphase a été mise sur l’authentification et la fiabilité. Ils se lisent comme suit :
Authentification de documents électroniques
31.1 Il incombe à la personne qui cherche à faire admettre en preuve un document électronique d’établir son authenticité au moyen d’éléments de preuve permettant de conclure que le document est bien ce qu’il paraît être.
Règle de la meilleure preuve — documents électroniques
31.2 (1) Tout document électronique satisfait à la règle de la meilleure preuve dans les cas suivants :
a) la fiabilité du système d’archivage électronique au moyen duquel ou dans lequel le document est enregistré ou mis en mémoire est démontrée;
b) une présomption établie en vertu de l’article 31.4 s’applique.
Sorties imprimées
(2) Malgré le paragraphe (1), sauf preuve contraire, le document électronique sous forme de sortie imprimée satisfait à la règle de la meilleure preuve si la sortie imprimée a de toute évidence ou régulièrement été utilisée comme document relatant l’information enregistrée ou mise en mémoire.
Présomption de fiabilité
31.3 Pour l’application du paragraphe 31.2(1), le système d’archivage électronique au moyen duquel ou dans lequel un document électronique est enregistré ou mis en mémoire est réputé fiable, sauf preuve contraire, si, selon le cas :
a) la preuve permet de conclure qu’à l’époque en cause, le système informatique ou autre dispositif semblable fonctionnait bien, ou, dans le cas contraire, son mauvais fonctionnement n’a pas compromis l’intégrité des documents électroniques, et qu’il n’existe aucun autre motif raisonnable de mettre en doute la fiabilité du système d’archivage électronique;
b) il est établi que le document électronique présenté en preuve par une partie a été enregistré ou mis en mémoire par une partie adverse;
c) il est établi que le document électronique a été enregistré ou mis en mémoire dans le cours ordinaire des affaires par une personne qui n’est pas partie à l’instance et qui ne l’a pas enregistré ni ne l’a mis en mémoire sous l’autorité de la partie qui cherche à le présenter en preuve.
[25]                                   La recevabilité d’un document électronique repose sur les indices d’authenticité et de fiabilité du document lesquels peuvent être démontrées en prouvant la fiabilité du système informatique plutôt que du document électronique en particulier. Il existe une présomption de fiabilité si, entre autres choses, il est démontré que le système informatique fonctionnait bien.
[26]                                   Puisque le ministère public cherche à faire admettre en preuve un document électronique, il lui incombe d’établir son authenticité au moyen d’éléments de preuve permettant de conclure que le document est bien ce qu’il paraît être. En l’espèce, il paraît être la sortie imprimée d’une conversation électronique Facebook entre la plaignante et une autre personne identifiée comme étant « Galuce Soh ». Cette conversation a été enregistrée ou mise en mémoire sur l’ordinateur portable de la plaignante. C’est à partir de ce qui avait été sauvegardé sur cet ordinateur le 7 septembre 2012 que les imprimés de captures d’écran qui se retrouvent dans la pièce VD-1 ont éventuellement été produits. La preuve m’a convaincue qu’aucune modification n’a été faite à cette conversation électronique depuis que ladite conversation originale fut enregistrée ou captée par l’ordinateur de la plaignante et que les imprimés des captures d’écran représentent fidèlement cette conversation électronique. 
[27]                                   Aucune preuve d’expert n’a été présentée pour nous expliquer comment fonctionne un ordinateur, l’internet ou Facebook ou pour relier le compte Facebook utilisant l’identifiant « Galuce Soh » à une adresse IP ou une adresse de courriel. Le gendarme Francis nous a expliqué ce qu’il a fait et les résultats obtenus. De la même façon, la plaignante nous a indiqué comment elle s’y prenait pour obtenir un compte Facebook. Elle nous a expliqué comment elle pouvait donner un identifiant à son compte et pourquoi elle pensait que l’identifiant « Galuce Soh » était relié au compte Facebook de l’accusé.
[28]                                   Dans son témoignage, la plaignante a expliqué comment elle accédait à son compte Facebook; ce qu’elle devait faire pour clavarder avec un ami Facebook, c’est-à-dire cliquer sur l’identifiant de son ami pourvu qu’il y ait un point vert à côté de l’identifiant pour indiquer que l’ami était connecté; ce qui apparaissait à l’écran lorsqu’elle entrait des données, c'est-à-dire le message; ce qui apparaissait à l’écran pour indiquer que son ami était en train de lui répondre; comment elle recevait le message de son ami; et le fait que le système indiquait  l’heure à laquelle chaque message avait été envoyé. Une conversation Facebook est une conversation par écrit en temps réel, par clavier et écran interposé, avec un ou plusieurs autres utilisateurs d’un réseau informatique.
[29]                                    La plaignante nous a décrit avoir effectué ces différentes étapes le 7 septembre et le tout avait fonctionné comme d’habitude.  Elle a témoigné qu’en 2012, elle utilisait Facebook tous les jours pour communiquer avec les membres de sa famille qui se trouvaient à l’étranger.
[30]                                   Je conclus que le système d’archivage électronique dans lequel ce document électronique a été enregistré ou sauvegardé était fiable puisque la preuve me permet de conclure que le système informatique fonctionnait bien à l’époque. Aucune preuve contraire n’a été présentée et il n’existe aucun autre motif raisonnable de mettre en doute la fiabilité du système d’archivage électronique. L’imprimé du document électronique satisfait donc à la règle de la meilleure preuve. La preuve me satisfait que le document est bien ce qu’il paraît être, soit l’imprimé d’une conversation Facebook entre la plaignante et une personne qui utilise le compte relié à l’identifiant « Galuce Soh ». Les imprimés des captures d’écran sont donc admissibles comme document électronique.
[31]                                   Je traiterai brièvement des imprimés des photos qui font partie de la pièce VD-1. La position du ministère public est que les photos prises par le gendarme Francis avec son appareil photo Nikon sont admissibles en preuve à titre de preuve réelle selon les règles ordinaires de common law puisque le photographe, le gendarme Francis, confirme qu’elles représentent fidèlement l’image qu’il voyait sur l’écran lorsqu’il a pris la photo. Selon le ministère public, ce sera au jury de donner à cette preuve circonstancielle le poids qu’il voudra bien. Selon le ministère public, dans ces circonstances, il n’a pas à se conformer aux dispositions 31.1 à 31.8 de la Loi qui s’applique à l’introduction en preuve d’un document électronique.
[32]                                   En tenant compte de ma décision à savoir que les imprimés des captures d’écran sont admissibles en preuve à titre de documents électroniques, je n’ai pas à répondre à cette question concernant les photos, car celles-ci ne sont plus nécessaires. J’ajouterai tout de même qu’en considérant la raison pour laquelle ces photos sont présentées, c’est-à-dire comme preuve de leur contenu, et le fait que ce contenu est une déclaration hors cour donnée par une personne sous format électronique, il me semble que ces photos seraient quand même sujettes aux dispositions régissant l’authentification, la meilleure preuve et la fiabilité que l’on retrouve aux articles 31.1 à 31.8 de la Loi ainsi que les règles régissant l’admissibilité de preuve par ouï-dire. Les photos ne conserveraient pas leur pertinence si on ne pouvait s’en servir pour établir la véracité des renseignements qu’elles contiennent. En l’espèce, je conclus que les imprimés des captures d’écran plutôt que les imprimés des photos constituent la meilleure preuve de la conversation Facebook.

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