R. c. Lavoie, 2024 QCCQ 3591
[30] Chefs 1 et 4 : Le poursuivant a‑t‑il fait une preuve hors de tout doute raisonnable que le feu d’artifice que l’accusée tient à la main en pointant les policiers situés en dessous du viaduc est une arme à feu au sens de l’article 2 du Code criminel?
[56] Il est intéressant de noter que le fusil à balles de peinture (un paint gun) peut devenir une arme à feu au sens de l’article 2 du Code criminel[8]. Pourtant il est utilisé lors d’un jeu où on marque l’adversaire avec une tache de peinture pour l’éliminer.
[57] Nulle personne raisonnable ne viendrait affirmer qu’il est évident que la bille propulsée à l’extérieur du canon du paint gun est susceptible de causer des lésions corporelles graves.
[58] De ce fait, l’utilisation par un expert du test de l’œil de cochon pour établir la vélocité du paint gun semble la meilleure façon, voire la seule façon de faire la preuve hors de tout doute raisonnable qu’il peut causer des lésions corporelles graves ou la mort.
[59] Qu’en est‑il du feu d’artifice? Dans Plasko[9], le juge semble dire que dans le cas du feu d’artifice, les lésions corporelles graves sont de connaissance judicaire: « such a contrivance which emits such fireballs is obviously capable of causing bodily injury directly. Fireball of the kind described could cause direct damage to eyesight, and fire by its nature can cause burns » et rejette l’idée qu’un témoin expert doive venir témoigner de ce fait.
[60] Le Tribunal ne croit pas avoir à statuer quant à la connaissance judiciaire qu’un feu d’artifice est susceptible de causer des lésions corporelles graves dans le présent dossier puisqu’un expert a témoigné à cet effet. Il est évident selon lui que le feu d’artifice peut causer des brûlures et des ecchymoses. Pour aller plus loin quant aux conséquences, plusieurs facteurs environnementaux seront pris en compte. Ça dépendra s’il fait froid ou encore s’il y a du vent, etc.
L’expert aurait‑il dû ajouter que la vélocité de l’arme est égale ou supérieure à 246 pieds par seconde afin que le poursuivant puisse prétendre avoir fait une preuve hors de tout doute raisonnable de lésions corporelles graves?
[61] Dans Simard[10], le juge Perreault doit trancher quant à un pistolet .177 et le poursuivant alléguait que l’arrêt Hills[11] avait tranché qu’en soi les fusils à balles BB entraient dans la définition d’arme à feu de l’article 2 du Code criminel; ce qui n’est absolument pas le cas; d’où sa référence à l’arrêt Hills[12] « qui souligne que les tribunaux recourent au test de l’œil de cochon ». [soulignements ajoutés]
[63] Elle reprend le test de l’œil de cochon pour conclure qu’avec le résultat de ce test, il se pourrait :
[15] […] qu’une personne délinquante soit déclarée coupable pour avoir utilisé des dispositifs qui, […] n’ont pas une puissance meurtrière, tels les fusils de paintball. Comme je l’explique, cette possibilité sous‑tend la fragilité constitutionnelle de la peine minimale obligatoire en litige dans la présente affaire.[14]
[64] Le Tribunal comprend que reprenant l’arrêt Hills[15], le juge Perreault refuse l’allégation du poursuivant et lui rappelle qu’il lui appartient toujours de faire la preuve que l’objet peut causer des lésions corporelles graves afin qu’il puisse déclarer qu’il s’agit d’une arme à feu. Il ne dit pas qu’un test de vélocité doit être fait dans tous les cas ou encore si le test de l’œil de cochon est le seul moyen de faire la preuve de lésions corporelles graves.
[65] À noter que dans Simard[16], aucune preuve n’avait été présentée relativement aux lésions possibles.
[66] La poursuite a plaidé que ce n’est pas le Code criminel qui a exigé le test de l’œil de cochon, et de prouver la vélocité du projectile pour conclure aux lésions corporelles graves. Ce sont plutôt les tribunaux qui ont accepté cette manière d’en faire la preuve.
[67] En effet, il n’en est aucunement question à l’article 2 du Code criminel. Les seules mesures trouvées sont à l’article 84(3) du Code criminel qui définit les « Armes réputées ne pas être des armes à feu » et s’appliquent aux infractions prévues aux articles 91 à 95, 99 à 101, 103 à 107 et 117.03 du Code criminel et aux dispositions de la Loi sur les armes à feu.
[69] On peut donc se retrouver avec un pellet gun qui remplira la définition de l’article 2 du Code criminel mais qui pourra être obtenu librement sans avoir besoin d’obtenir un permis[17].
[70] De cet article, le Tribunal ne peut faire un lien avec l’obligation ou non de procéder uniquement avec le test de l’œil de cochon pour faire une preuve hors de tout doute raisonnable de lésions corporelles graves. L’utilisation d’un test de vélocité est toutefois un excellent moyen de présenter une preuve convaincante.
[71] Dans Eyre[18], l’accusé avait été condamné pour avoir possédé une arme prohibée, soit une réplique d’arme alors qu’il lui était interdit de le faire.
[72] L’accusé plaidait qu’il ne s’agissait pas d’une réplique, mais bel et bien d’une arme à feu (pellet gun). Vu la nature de l’accusation, il appartenait au poursuivant de faire la preuve qu’il s’agissait d’une réplique au sens de l’article 84(1) du Code criminel et dès lors devait faire la preuve que l’arme saisie ressemblait avec grande précision à une arme à feu et qu’elle ne pouvait pas causer des lésions corporelles graves ou la mort, soit le contraire de ce qui doit être fait dans le dossier de l’accusée Lavoie.
[73] Un policier expérimenté, un caporal, a témoigné à l’effet qu’il s’est servi du Firearms Reference Table (FRT) pour affirmer que « this pellet gun is classified as exempt from being a firearm in Canada due to the muzzle velocity of the pellets ». Le FRT est une base de données développée par la GRC pour assister les agents chargés de l’application de la loi.
[74] Le juge Frankel écrivant pour la Cour, mentionne :
[30] […] To prove a particular pellet gun is a firearm the Crown will often tender evidence from an expert who test‑fired that gun to establish that it has a muzzle velocity sufficient to cause serious bodily injury or death: see […]
[31] It is open to the Crown to prove a pellet gun is not capable of causing serious bodily injury or death other than by tendering opinion evidence from an expert who test‑fired that gun. […][19]
[soulignements ajoutés]
[75] Il apparaît donc clair qu’il n’y a nul besoin de faire le test de l’œil de cochon pour établir la vélocité et conclure affirmativement ou négativement aux lésions corporelles graves, bien que ce fut souvent le choix du ministère public de procéder de cette façon.
[76] Pour clore avec Eyre[20] : au procès, le ministère a tenté de prouver ce fait au moyen d’un rapport d’un expert qui a fondé son opinion uniquement sur les informations contenues dans le FRT et le ministère public a admis que le policier ne s’est pas prononcé sur la vitesse réelle du canon à plombs ou sur sa capacité à causer des blessures.
[78] Bien que la meilleure façon dans certains cas soit de procéder via le test de l’œil de cochon, d’où son utilisation régulière, le Tribunal conclut que ce n’est pas une obligation; la seule étant de prouver hors de tout doute raisonnable les lésions corporelles graves ou la mort.
Le témoignage de l’expert au présent dossier permet‑il de conclure à des lésions corporelles graves?
[79] Dans la Collection de droit du Barreau[22], où il est précisé que l’arrêt McCraw[23] peut aider à comprendre ce que signifie l’expression « lésions corporelles graves », il est suggéré de retenir « toute blessure ou lésion qui nuit d’une manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien‑être du plaignant ». Ces blessures pouvant être tant physiques que psychologiques.
[80] Vu les conclusions du rapport de l’expert et de son témoignage quant aux blessures susceptibles d’être causées par le feu d’artifice, le Tribunal conclut que dans le présent dossier le feu d’artifice est susceptible d’infliger des lésions corporelles graves au sens de l’article 2 du Code criminel. L‘ajout du qualificatif « graves » met l’accent sur le sérieux des blessures. Suivant les enseignements pertinents de McCraw[24], le Tribunal conclut que des brûlures et des ecchymoses nuisent de manière sérieuse ou importante à l’intégrité physique ou au bien‑être du plaignant.
[82] Preuve est faite hors de tout doute raisonnable que le feu d’artifice est une arme à feu au sens de l’article 2 du Code criminel. Preuve est également faite que cette arme à feu a été braquée sur des agents de la paix (article 87(2)a) C.cr.) et que l’accusée a dissimulé une arme à feu au sens de l’article 90(2)a) du Code criminel.
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