Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44
[9] Le secret professionnel de l’avocat est essentiel au bon fonctionnement du système de justice. Étant donné la complexité des règles de droit et de procédure, il est impossible, de manière réaliste, de s’y retrouver sans les conseils d’un avocat. On dit que celui qui se défend lui‑même a un imbécile pour client, mais la valeur des conseils d’un avocat est fonction de la qualité des renseignements factuels que lui fournit son client. Nous savons par expérience que les personnes aux prises avec un problème juridique se refuseront souvent à dévoiler la totalité des faits à un avocat s’ils n’ont pas une garantie de confidentialité « aussi absolu[e] que possible » :
. . . le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.
(R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14, par. 35, cité et approuvé dans Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61, par. 36.)
Il est dans l’intérêt public que la libre circulation des conseils juridiques soit favorisée. Autrement, l’accès à la justice et la qualité de la justice dans notre pays seraient sérieusement compromis. Le privilège du secret professionnel appartient au client et non à l’avocat. Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, p. 188, le juge McIntyre a affirmé une fois de plus que la Cour n’autorisera pas un avocat à divulguer des renseignements confidentiels donnés par un client.
[10] Dans la présente affaire, la possibilité que l’employeur ait ou non envisagé un procès au moment où il a consulté son avocat n’a aucune importance. Bien que le privilège du secret professionnel de l’avocat ait d’abord été considéré comme une règle de preuve, il constitue sans aucun doute maintenant une règle de fond applicable à toutes les communications entre un client et son avocat lorsque ce dernier donne des conseils juridiques ou agit, d’une autre manière, en qualité d’avocat et non en qualité de conseiller d’entreprise ou à un autre titre que celui de spécialiste du droit : Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837; Descôteaux c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, p. 885‑887; R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263; Smith c. Jones, 1999 CanLII 674 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 455; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, 2004 CSC 18, par. 40‑47; McClure, par. 23‑27; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319, 2006 CSC 39, par. 26; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32, 2006 CSC 31; Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, 2006 CSC 36; Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157, 2008 CSC 8. Il existe une rare exception, qui ne s’applique pas en l’espèce : aucun privilège ne protège les communications criminelles en elles‑mêmes ou qui tendraient à réaliser une fin criminelle (voir Descôteaux, p. 881; R. c. Campbell, 1999 CanLII 676 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 565). La nature extrêmement restreinte de cette exception fait ressortir, plutôt que l’atténuer, la suprématie de la règle générale selon laquelle le privilège du secret professionnel de l’avocat est établi et préservé de façon « aussi absolu[e] que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (McClure, par. 35).
[11] Pour donner effet à ce principe de droit fondamental, notre Cour a statué que les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive. Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat : Lavallee, par. 18; Pritchard, par. 33. Ce principe s’applique parfaitement à la présente affaire.
[17] La seule raison donnée en l’espèce par la Commissaire à la protection de la vie privée pour contraindre la production et l’inspection des documents était que l’employeur avait fait savoir que les documents en question existaient. La commissaire n’invoque aucune nécessité découlant des circonstances de cet examen en particulier. Elle réclame donc l’accès systématique à de tels documents chaque fois que le privilège du secret professionnel de l’avocat est invoqué dans le cadre d’un examen. Même les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice : voir par exemple Ansell Canada Inc. c. Ions World Corp. (1998), 28 C.P.C. (4th) 60 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 20. Or, de l’avis de la Commissaire à la protection de la vie privée, la levée du privilège deviendrait la norme et non l’exception dans son travail quotidien.
[30] Le Commissaire à l’information, qui est intervenu au soutien de la Commissaire à la protection de la vie privée, fait valoir que le législateur, en [traduction] « faisant figurer le secret professionnel de l’avocat [au par. 9(3)] parmi les six motifs énumérés justifiant le refus de communiquer des renseignements personnels demandés, a clairement indiqué son intention de faire en sorte que la Commissaire à la protection de la vie privée administre et vérifie les demandes d’exemption fondées sur le privilège du secret professionnel de l’avocat de la même manière qu’elle administre et vérifie les demandes fondées sur les cinq autres exceptions » (m.i., par. 24 (en italique dans l’original)). Cet argument suppose l’existence d’une parité, quant au statut juridique et à l’importance, entre les différents motifs énumérés au par. 9(3) qui, outre le secret professionnel de l’avocat, comprennent les « renseignements commerciaux confidentiels » et les renseignements recueillis « à l’insu de l’intéressé et sans son consentement » pour une des fins énumérées (al. 7(1)b)). Or cette parité n’existe pas. Le privilège du secret professionnel de l’avocat « commande en soi une place exceptionnelle dans le système juridique [. . .] [il fait] partie intégrante des rouages du système juridique lui‑même » (McClure, par. 31; Gruenke, p. 289). Un argument qui met le privilège du secret professionnel de l’avocat sur le même pied que les « renseignements commerciaux confidentiels » fait purement et simplement abstraction de l’importance fondamentale de ce privilège et montre comment la position de l’appelante en compromettrait la vitalité dans le contexte de la réglementation.
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