Re Personne anonyme, 2020 CF 1190
[51] En premier lieu, le secret professionnel de l’avocat est reconnu comme une règle de droit et un principe de justice fondamentale jouissant d’une protection constitutionnelle, tel qu’il a été établi dans Lavallee c Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 [Lavallee], où la Cour suprême a invalidé des dispositions du Code criminel grâce auxquelles le législateur entendait créer un régime de mandats autorisant les perquisitions dans les cabinets d’avocats. Dans Lavallee, sous la plume de la juge Arbour, la majorité a établi des principes directeurs ayant trait aux perquisitions dans les cabinets d’avocats que je rapporte ici intégralement, car ils illustrent l’ampleur de la protection dont doit jouir le secret professionnel de l’avocat :
[49] Entre-temps, je formule les principes généraux régissant la légalité, en common law, des perquisitions dans des bureaux d’avocats jusqu’à ce que le législateur juge bon d’adopter de nouvelles dispositions législatives sur la question. Ces principes généraux doivent aussi guider les choix législatifs que le législateur peut vouloir examiner à cet égard. Comme celles qui ont été formulées dans Descôteaux, précité, les lignes directrices qui suivent visent à refléter les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l’avocat et à régir à la fois l’autorisation des perquisitions et la manière générale dont elles doivent être effectuées; à cet égard, cependant, elles ne visent pas à privilégier une méthode procédurale particulière en vue de respecter ces normes. Enfin, je tiens à répéter que, si le législateur décide de nouveau d’adopter un régime procédural dont l’application se limite à la perquisition dans des bureaux d’avocats, les juges de paix auront, par voie de conséquence, l’obligation de protéger le secret professionnel de l’avocat en appliquant les principes suivants concernant la délivrance des mandats de perquisition :
1. Aucun mandat de perquisition ne peut être décerné relativement à des documents reconnus comme étant protégés par le secret professionnel de l’avocat.
2. Avant de perquisitionner dans un bureau d’avocats, les autorités chargées de l’enquête doivent convaincre le juge saisi de la demande de mandat qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable.
3. Lorsqu’il permet la perquisition dans un bureau d’avocats, le juge saisi de la demande de mandat doit être rigoureusement exigeant, de manière à conférer la plus grande protection possible à la confidentialité des communications entre client et avocat.
4. Sauf lorsque le mandat autorise expressément l’analyse, la copie et la saisie immédiates d’un document précis, tous les documents en la possession d’un avocat doivent être scellés avant d’être examinés ou de lui être enlevés.
5 Il faut faire tous les efforts possibles pour communiquer avec l’avocat et le client au moment de l’exécution du mandat de perquisition. Lorsque l’avocat ou le client ne peut être joint, on devrait permettre à un représentant du Barreau de superviser la mise sous scellés et la saisie des documents.
6. L’enquêteur qui exécute le mandat doit rendre compte au juge de paix des efforts faits pour joindre tous les détenteurs potentiels du privilège, lesquels devraient ensuite avoir une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège et, si cette objection est contestée, de faire trancher la question par les tribunaux.
7. S’il est impossible d’aviser les détenteurs potentiels du privilège, l’avocat qui a la garde des documents saisis, ou un autre avocat nommé par le Barreau ou par la cour, doit examiner les documents pour déterminer si le privilège devrait être invoqué et doit avoir une occasion raisonnable de faire valoir ce privilège.
8. Le procureur général peut présenter des arguments sur la question du privilège, mais on ne devrait pas lui permettre d’examiner les documents à l’avance. L’autorité poursuivante peut examiner les documents uniquement lorsqu’un juge conclut qu’ils ne sont pas privilégiés.
9. Si les documents scellés sont jugés non privilégiés, ils peuvent être utilisés dans le cours normal de l’enquête.
10. Si les documents sont jugés privilégiés, ils doivent être retournés immédiatement au détenteur du privilège ou à une personne désignée par la cour.
Le secret professionnel de l’avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu’un principe de justice fondamentale en droit canadien. Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l’intégrité de la relation avocat-client. Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l’administration de la justice dans un système contradictoire. Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu’a le public dans l’équité du système de justice criminelle. C’est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications.
[52] Fait à noter, la Cour suprême précise que les principes généraux et les lignes directrices énumérés dans Lavallee « ne visent pas à privilégier une méthode procédurale particulière »
pour protéger le secret professionnel de l’avocat. Partant, le juge saisi de l’affaire doit établir au cas par cas les procédures ayant cet objectif, tout en prenant en considération les lignes directrices figurant dans Lavallee.
[53] En second lieu, dans Canada (Procureur général) c Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, la Cour suprême du Canada a confirmé la nécessité d’une atteinte minimale au secret professionnel de l’avocat, qui ne doit être enfreint qu’en stricte nécessité, car il doit demeurer aussi absolu que possible. La Cour suprême a aussi réitéré la nature fondamentale et constitutionnelle de ce privilège :
[28] Sur la première question, il convient de rappeler que, de simple règle de preuve à l’origine, le secret professionnel s’est transformé au fil du temps en une règle de fond (Solosky c La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 RCS 821, p 837; Descôteaux c Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 RCS 860, p 875-876; Smith c Jones, 1999 CanLII 674 (CSC), [1999] 1 RCS 455, par 48-49; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, par 10). La Cour lui reconnaît aujourd’hui une grande importance et une place exceptionnelle dans notre système juridique (R c McClure, 2001 CSC 14, par 28 et 31-33; Smith, par 46-47). Dans Lavallee, la Cour réaffirme que le droit au secret professionnel est maintenant devenu un droit civil important et que le secret professionnel de l’avocat ou du notaire est un principe de justice fondamentale au sens de l’art 7 de la Charte (par 49). Il est, au surplus, généralement considéré comme une règle de droit « fondamentale et substantielle » (R c National Post, 2010 CSC 16, par 39). En raison de son statut important, la Cour a souvent indiqué qu’on ne doit y porter atteinte que dans la mesure où cela est absolument nécessaire, étant donné que le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible (Lavallee, par 36-37; McClure, par 35; R. c Brown, 2002 CSC 32, par 27; Goodis c Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, par 15).
[Non souligné dans l’original.]
[54] La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux abordé de manière très large la portée du secret professionnel de l’avocat, définissant en termes très généraux les communications qui y sont sujettes. Qu’ils soient communiqués à l’avocat lui-même ou à des employés, qu’ils portent sur des matières de nature administrative comme la situation financière ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d’obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité. Comme en fait état la Cour d’appel fédérale dans Telus Communications Inc c Canada (Procureur général), 2004 CAF 380, sous la plume du juge Linden, qui cite la Cour suprême du Canada dans Descôteaux :
[6] Monsieur le juge en chef Lamer a résumé comme suit le droit du secret professionnel de l’avocat aux pages 892 et 893 de l’arrêt Descôteaux c Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 RCS 860 :
En résumé, le client d’un avocat a droit au respect de la confidentialité de toutes les communications faites dans le but d’obtenir un avis juridique. Qu’ils soient communiqués à l’avocat lui-même ou à des employés, qu’ils portent sur des matières de nature administrative comme la situation financière ou sur la nature même du problème juridique, tous les renseignements que doit fournir une personne en vue d’obtenir un avis juridique et qui sont donnés en confidence à cette fin jouissent du privilège de confidentialité. Ce droit à la confidentialité s’attache à toutes les communications faites dans le cadre de la relation client-avocat, laquelle prend naissance dès les premières démarches du client virtuel, donc avant même la formation du mandat formel.
[Non souligné dans l’original.]
[55] La Cour suprême reconnaît aussi qu’il faut présumer que les faits liés à la relation entre l’avocat et son client bénéficient de l’application du privilège, sauf preuve du contraire. Comme elle l’énonce dans Canada (National Revenue) c Thompson, 2016 CSC 21, au paragraphe 19 :
[19] Même si, dans l’arrêt Descôteaux, elle paraît limiter l’application du privilège aux communications entre l’avocat et son client, la Cour écarte désormais l’interprétation du secret professionnel de l’avocat qui se fonde sur la distinction entre le fait et la communication pour déterminer l’objet de la protection (Maranda, par 30). Tous les éléments de la relation entre le client et l’avocat ne constituent pas des communications privilégiées, mais il faut présumer que, sauf preuve contraire, les faits liés à cette relation (tels les comptes d’honoraires en cause dans l’affaire Maranda) bénéficient de l’application du privilège (Maranda, par 33-34; voir aussi Foster Wheeler, par 42). Cette règle est applicable quel que soit le contexte dans lequel elle est invoquée (Foster Wheeler, par 34; R c Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 RCS 263, p 289).
[Non souligné dans l’original.]
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