Deslauriers c. R., 2020 QCCA 484
[59] L’appelant plaide que cette décision est erronée en ce que, d’une part, la juge aurait dû conclure que le régime de communication de la preuve par la partie principale s’applique ici aux rapports d’enquête et notes personnelles des policiers et, d’autre part, si tant est que le régime applicable soit celui de la communication de renseignements en la possession de tiers, les éléments de preuve recherchés, tant du côté des policiers que de celui de M. Blanchette et du CISSS des Laurentides, satisfont au critère de pertinence vraisemblable exigé par la jurisprudence.
[60] À mon avis, l’appelant a tort quant au choix du régime de communication applicable, mais, et ceci dit avec égards pour la juge de première instance, il a raison quant à la première étape du régime de communication de la preuve décrit dans l’arrêt O’Connor.
[61] Les rapports et notes personnelles des policiers reliés à trois dossiers d’enquête de la Sûreté du Québec auxquels le profil génétique de D.H.-L. était associé, selon un rapport d’expertise transmis par l’intimée aux avocats de l’appelant, ne sont pas entre les mains du ministère public ni entre celles du SPVM qui a mené l’enquête. Ils sont plutôt en possession d’un tiers, en l’occurrence la Sûreté du Québec. Ils ne sont pas sous le contrôle du ministère public ni sous celui du service de police qui a mené l’enquête, et ce, même si les trois dossiers en question sont venus à la connaissance de l’appelant en examinant la preuve qui lui avait été transmise dans le cadre de la communication de la preuve par la poursuite. Finalement, il appert que les efforts du ministère public[22] pour obtenir de la Sûreté du Québec les documents pertinents se sont heurtés à une fin de non-recevoir.
[62] Par contre, et en tout respect pour la juge de première instance, j’estime que les éléments de preuve dont l’appelant veut obtenir la communication, tant du côté policier que du côté des services sociaux, satisfont au fardeau imposé à l’accusé à la première étape de la procédure établie dans l’arrêt O’Connor.
[63] Ce fardeau est important, mais il n’est pas onéreux puisque, à ce stade des procédures, l’accusé n’a toujours pas vu les documents, rapports ou notes recherchés[23]. Il lui suffit d’établir qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements recherchés aient une valeur probante quant à une question en litige (concernant les événements ou la valeur probante de la preuve) ou à l’inhabileté d’un témoin à témoigner[24].
[67] Tout élément de preuve pouvant corroborer la version de l’accusé était donc « vraisemblablement » pertinent.
[68] Dans l’arrêt Scopelliti[25], la Cour d’appel de l’Ontario écrit, sous la plume du juge Martin :
Obviously, evidence of previous acts of violence by the deceased, not known to the accused, is not relevant to show the reasonableness of the accused’s apprehension of an impending attack. However, there is impressive support for the proposition that, where self-defence is raised, evidence of the deceased’s character (i.e. disposition) for violence is admissible to show the probability of the deceased having been the aggressor and to support the accused’s evidence that he was attacked by the deceased.
[Je souligne]
[19] Il est en effet reconnu depuis l’arrêt Scopelitti que la défense peut mettre en preuve la propension de la victime à commettre des actes de violence, et ce, indépendamment du fait que l’accusé n’avait pas connaissance de ces actes de violence antérieurs au moment où il allègue la légitime défense. Cette preuve sert non pas à démontrer l’état d’esprit de l’accusé et le caractère raisonnable de ses perceptions au moment de l’attaque, mais bien à supporter la preuve que la victime a effectivement violenté l’accusé. Comme le souligne le juge Martin :
Obviously, evidence of previous acts of violence by the deceased, not known to the accused, is not relevant to show the reasonableness of the accused’s apprehension of an impending attack. However, there is impressive support for the proposition that, where self-defence is raised, evidence of the deceased’s character (i.e., disposition) for violence is admissible to show the probability of the deceased having been the aggressor and to support the accused’s evidence that he was attacked by the deceased.
[…]
[26] L’analyse doit néanmoins se poursuivre comme le suggère le ministère public dans son argumentation. La preuve du caractère violent de la victime, ou d’actes violents antérieurs, est admissible dans la mesure où elle est pertinente à l’état de légitime défense invoqué par l’accusée et le juge du procès possède le pouvoir discrétionnaire de refuser une telle preuve si elle a une faible valeur probante :
Since evidence of prior acts of violence by the deceased is likely to arouse feelings of hostility against the deceased, there must inevitably be some element of discretion in the determination whether the proffered evidence has sufficient probative value for the purpose for which it is tendered to justify its admission. Moreover, great care must be taken to ensure that such evidence, if admitted, is not misused.
[Je souligne; renvois omis]
[70] La refonte des dispositions du Code criminel relatives à la légitime défense en 2013 semble d’ailleurs faire écho à ces enseignements. Le paragraphe 34(2) C.cr. énonce, dans une liste non exhaustive, les facteurs que le juge peut examiner pour décider si l’accusé « […] a agi de façon raisonnable dans les circonstances », dont « [les] faits pertinents dans la situation personnelle de la personne [qui invoque la légitime défense] et celle des autres parties […] ». [Je souligne]
[71] À mon avis, la juge a donc erré en rejetant la requête en divulgation de la preuve de l’appelant dès la première étape du régime applicable à la communication de renseignements en la possession de tiers. Il s’agissait de renseignements vraisemblablement pertinents, « raisonnablement susceptibles d’aider l’accusé dans l’exercice de son droit à une défense pleine et entière »[27]. Il ne s’agissait pas d’une recherche à l’aveuglette de sa part. La juge aurait été mieux avisée, et ceci dit avec égards, de passer à la deuxième étape de l’analyse, ce qui lui aurait alors permis d’examiner les documents en question et de déterminer s’ils ont une pertinence véritable, de pondérer les intérêts de chacun et de décider s’ils devaient être transmis à l’accusé et, si oui, dans quelle mesure et à quelles conditions.
[72] Le fait d’exclure des renseignements à première vue pertinents à la preuve de l’innocence de l’accusé dès la première étape de la procédure établie dans l’arrêt O’Connor, sans avoir vu en quoi consistait cette preuve, n’était pas, selon moi, dans l’intérêt non seulement de l’accusé, mais aussi, vu la présomption d’innocence au cœur de notre système de justice criminelle, de la justice.
[73] L’erreur est importante puisqu’elle risque d’avoir porté atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière.
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