J.L. c. R., 2017 QCCA 398
[63] L’appelant s’en prend au manque de motivation de la décision. Je ne ferai à cet égard que quelques observations, mais je propose de rejeter ce moyen.
[64] Le jugement est rendu oralement séance tenante. La motivation des jugements est un élément important du processus pénal pour les parties, pour l’examen en appel et pour que le public comprenne l’exercice du pouvoir judiciaire. Il ne fait plus de doute que la partie perdante doit savoir pourquoi elle a perdu : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 869, par. 24, 27, 55, et plus particulièrement, l’accusé déclaré coupable doit savoir pourquoi le juge écarte le doute raisonnable : R. c. Gagnon, 2006 CSC 17 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 621, par. 20-21; R. c. Casavant, 2016 QCCA 1340, par. 44-47; LSJPA — 152, 2015 QCCA 39, par. 3; R. c. Aksoy, 2012 QCCA 610, par. 38-39. Cela est tout aussi vrai pour les questions difficiles reliées à la crédibilité : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 788, par. 25-27.
[65] Le jugement rendu séance tenante ne peut avoir le même niveau de précision que celui rendu après l’exigeant exercice de l’écriture. Sans aucun doute, le jugement doit être analysé avec ce principe à l’esprit : R. c. L. (J.), 2011 QCCA 1848, par. 25. Il faut, bien sûr, tenir compte des contraintes de temps et du volume des cours criminelles de première instance : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 3, par. 13; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 869, par. 55.
[66] En retour, en plus de permettre d’organiser la pensée, l’écriture impose un moment de recul, par opposition à une certaine précipitation à élaborer une décision, et cela oblige à prendre une distance avec la forte impression que laissent parfois les faits. Dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 3, la Cour suprême écrit, par. 12 :
… la tâche d’énoncer les motifs attire l’attention du juge sur les points saillants et diminue le risque qu’il laisse de côté des questions de fait ou de droit importantes ou ne leur accorde pas l’importance qu’elles méritent. Un juge a déjà dit : [traduction] « Souvent, la forte impression que les faits sont clairs, selon la preuve, s’estompe lorsque vient le temps d’exprimer cette impression sur papier » (United States c. Forness, 125 F.2d 928 (2d Cir. 1942), p. 942). …
[67] Ou encore comme l’écrivait le juge Laskin de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Maharaj (2004), 2004 CanLII 39045 (ON CA), 186 C.C.C. (3d) 247 (C.A.O.):
[22] To these rationales I add that giving reasoned reasons is an important self-discipline for a judge. The well-known phrase “sometimes it just won’t write” signals that occasionally a judge’s instincts about a case do not stand up to reasoned analysis. The process of putting pen to paper — of articulating the “path” to one’s conclusion — may disclose a flaw in one’s reasoning. As L’Heureux Dubé J. sensibly observed in Baker v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 S.C.R. 817, at para. 39: “The process of writing reasons for decision by itself may be a guarantee of a better decision.
[71] La décision aurait-elle pu profiter davantage du recul dont il est question plus haut? Sans doute. Si la motivation de la décision n’est pas parfaite, les références à la preuve illégale qu’on y trouve demeurent le véritable problème.
[72] Il y a d’abord l’allusion à l’expérience personnelle du juge avec ses enfants. Le ministère public concède qu’une telle référence était inappropriée. J’estime pour ma part que le juge erre en droit en faisant reposer l’évaluation de la crédibilité de l’appelant en partie sur des faits extrinsèques à la preuve, qu’il importe lui-même dans sa réflexion.
[73] On comprendra aisément que, à la limite, la question n’a jamais été de savoir si les enfants du juge étaient plus chatouilleux sous les bras, mais si la victime l’était. La preuve ne permettait pas au juge d’évaluer ou de comprendre la tolérance de la jeune fille à se faire chatouiller. Il est donc incorrect de dénigrer l’explication de l’appelant qui affirmait atteindre l’objectif du jeu, soit faire rire l’enfant, en s’arrêtant au genou. Le juge franchit un pas que la preuve ne lui permettait d’aucune façon de franchir et, puisque la crédibilité était au cœur de l’affaire, l’erreur n’est pas aussi banale que le plaide le ministère public, d’autant que le jugement comporte d’autres erreurs.
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