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lundi 21 juillet 2025

La possibilité de joindre des dénonciations pour tenir un procès conjoint selon la procédure criminelle

Agence du revenu du Québec c. Hamza, 2023 QCCQ 5260

Lien vers la décision


[30]        Le premier paragraphe de l’article 591 du C.cr. consacre le pouvoir discrétionnaire du poursuivant en permettant à celui-ci de joindre plusieurs chefs d’accusation ou plusieurs accusés dans le même acte d’accusation. Cet article pose le principe que l’acte d’accusation peut reprocher une ou plusieurs infractions à un ou plusieurs accusés, au choix du poursuivant. Cette même règle s’applique à la dénonciation utilisée en matière de procédure sommaire, puisque l’article 801 du C.cr. reconnaît que la dénonciation sert d’acte d’accusation en matière sommaire[18].

[31]        Le troisième paragraphe de l’article 591 C.cr. prévoit la possibilité pour le juge du procès d’ordonner que l’accusé subisse son procès séparément sur un ou plusieurs chefs d’accusation ou encore, s’il y a plusieurs accusés, qu’ils subissent leur procès séparément. Mais, aucun article du C.cr. prévoit la possibilité pour le poursuivant ou l’accusé de demander au juge du procès d’instruire un procès conjoint en lien avec des chefs d’accusation portés dans des dénonciations distinctes.

[32]        La question de savoir si le juge du procès a compétence pour instruire deux dénonciations distinctes dans le cadre d’un seul procès a été décidée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Clunas[19].

[33]        Dans cette affaire, Clunas est accusé d’avoir commis des voies de fait dans un contexte de violence conjugale à deux occasions distinctes. Les accusations sont portées dans deux dénonciations distinctes. Le matin du procès, alors que les deux dossiers reviennent devant le tribunal, le poursuivant et l’accusé consentent à la tenue d’un procès conjoint, c’est-à-dire à l’instruction d’un seul procès pour les deux dénonciations. Clunas, qui est reconnu coupable des infractions, porte les verdicts en appel. C’est dans ce contexte factuel que la Cour suprême décide que le juge du procès a compétence pour instruire deux dénonciations distinctes dans le cadre d’un seul procès et énonce le test applicable à de telles demandes.

[34]        Ainsi, la Cour suprême précise que lorsque le juge du procès envisage la possibilité de réunir deux dénonciations distinctes dans un procès conjoint, il doit demander le consentement de l'accusé et du poursuivant.  Si le consentement n'est pas donné, le juge du procès doit se renseigner sur les raisons du refus. Par ailleurs, que l'accusé donne ou non son consentement, la réunion ne devrait avoir lieu que si les deux conditions suivantes sont satisfaites : (i) les accusations auraient pu être incluses dans la même dénonciation ou les accusés inculpés conjointement; et (ii) qu’il est dans l’intérêt de la justice de tenir un procès conjoint[20].

[35]        La majorité de la Cour suprême rappelle, dans l’arrêt R. c. Sciascia[21], qu’en common law, les tribunaux jouissent du vaste pouvoir discrétionnaire de tenir un procès conjoint lorsque cela sert les intérêts de la justice et lorsque cela n’est pas expressément interdit pas la loi[22].

[36]        Dans sa décision, la majorité de la Cour suprême apporte des précisions sur la notion d’intérêt de la justice. Ainsi, lorsqu’il est question de décider si un procès conjoint sert les intérêts de la justice, le juge du procès doit mettre en balance les avantages et les inconvénients d’un procès conjoint. Pour ce faire, le juge du procès doit notamment prendre en considération les éléments suivants : la complexité de la preuve, la question de savoir si l’accusé entend témoigner à l’égard d’un chef d’accusation, mais pas à l’égard d’un autre; la possibilité de verdicts incompatibles; le désir d’éviter la multiplicité des procédures; l’utilisation de la preuve de faits similaires au procès; la durée du procès compte tenu de la preuve à produire; le préjudice que l’accusé risque de subir quant au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. En dernière analyse, si le juge du procès estime que le préjudice résultant de la tenue d’un procès conjoint l’emporte sur les avantages, il doit refuser d’en ordonner la tenue[23].

[37]        Quant à l’aspect pratique d’une ordonnance pour un procès conjoint, la Cour suprême explique que si un procès conjoint est ordonné, la procédure est la même que si la poursuite avait été engagée au moyen d'une seule dénonciation. Le poursuivant présente sa preuve en lien avec tous les chefs d’accusation inclus dans les dénonciations[24]. Une fois la preuve du poursuivant close, l’accusé doit déterminer s’il présente ou non une défense sur l’ensemble des chefs d’accusation.

[38]        De façon générale, en matière criminelle, la demande de joindre deux dénonciations dans un procès conjoint est présentée par le poursuivant, avant le début de l’administration de la preuve au fond. Ceci est logique puisque l’accusé est en droit de connaître les accusations auxquelles il répond dès le début de son procès. D’ailleurs toutes les décisions soumises par les parties lors de l’audition de la requête présentée par les défendeurs portent sur des demandes pour joindre qui sont présentée par le poursuivant ou avec le consentement de ce dernier avant que l’administration de la preuve au fond ne débute[25].

[39]        Ce commentaire du Tribunal ne doit pas être interprété comme signifiant qu’un accusé ne peut pas présenter de demande pour joindre deux dénonciations dans un même procès ou que cette demande ne peut jamais être présentée après le début de la présentation de la preuve au fond. Ce commentaire vise simplement à attirer l’attention du lecteur sur le fait que les critères énoncés par la jurisprudence en lien avec l’évaluation de la notion d’intérêt de la justice sont formulés dans des circonstances où un accusé conteste la demande de procès conjoint présentée par la poursuivante avant le début de l’administration de la preuve au fond. Les enjeux, et donc les critères pertinents à l’analyse de la notion d’intérêt de la justice, peuvent certainement variés lorsqu’il est question d’imposer au ministère public un procès conjoint à la demande de l’accusé. Ces critères peuvent également variés lorsque la demande vise à joindre deux dénonciations dans un même procès, alors que ce procès a déjà débuté et qu’il y a déjà eu de la preuve au fond d’administrée en lien avec une de ces deux dénonciations.

[40]        La perspective de forcer le poursuivant à joindre, pour les fins d’un procès conjoint, des chefs d’accusation qu’il a choisi de séparer dans deux dénonciations distinctes soulève la question d’une possible atteinte au pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Est-ce qu’en rendant une telle ordonnance, le tribunal s’immisce dans la discrétion du poursuivant? C’est certainement la position prise par l’ARQ dans le présent dossier.

[41]        La perspective de joindre deux dénonciations dans un procès conjoint alors que le poursuivant a déjà administré de la preuve au fond dans le cadre du procès d’une de ces dénonciations soulève des questions fondamentales et pratiques importantes. Cette question devient encore plus importante lorsque comme c’est le cas dans le présent dossier, le poursuivant a clos sa preuve en lien avec une des deux dénonciations et que l’accusé a annoncé les témoins qu’il veut présenter en défense. Dans de telles circonstances, est-ce que la demande de joindre une autre dénonciation au même procès est susceptible de mettre en péril certains droits fondamentaux de l’accusé? C’est certainement la position prise par l’ARQ dans ce dossier.

[42]        À ce sujet, notons que dans l’arrêt R. c. Pelletier[26], la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick indique que la demande visant à joindre deux dénonciations dans un procès conjoint doit être présentée avant que le procès ne débute. Cette décision semble appuyer la proposition que le juge du procès n’a pas compétence pour entendre une demande pour joindre d’autres chefs d’accusation à un procès qui est déjà en cours. À ce sujet, la Cour mentionne qu’après le début du procès sur une première dénonciation, lorsque le poursuivant et la défense envisagent la possibilité d’accélérer l’instance criminelle relativement à une deuxième dénonciation, la procédure à suivre consiste à verser les éléments de preuve produits au cours du procès tenu sur la première dénonciation, au dossier du procès tenu sur la deuxième dénonciation[27]. Autrement dit, la procédure suggérée est de tenir deux procès distincts, mais verser certains éléments de preuve administrés lors du premier procès au dossier du deuxième procès.

[43]        La décision de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt R. c. Houle[28] pourrait également appuyer la proposition qu’une fois le procès débuté, le juge du procès n’a pas compétence pour joindre d’autres chefs d’accusation au procès en cours[29].

[44]        Dans cette affaire, l’accusé fait face à six chefs d’accusation. Cinq sont inclus dans une première dénonciation alors qu’un sixième est inclus dans une dénonciation distincte. Le matin du procès, le poursuivant tente d’obtenir une remise afin de déposer un seul acte d’accusation incluant les six chefs d’accusation. Le juge du procès refuse et ordonne que le procès sur le sixième chef commence. L’accusé enregistre un plaidoyer de non-culpabilité et dépose une requête en exclusion de la preuve. Le procès est remis au lendemain pour permettre au poursuivant de prendre connaissance de la requête. Le poursuivant dépose alors un bref de prohibition, ce qui, à cette époque entraîne la suspension automatique du procès. Entre-temps, le poursuivant prépare un acte d’accusation incluant les six chefs d’accusation. Le poursuivant se désiste éventuellement de son recours en prohibition et le procès reprend. Le juge du procès accepte que le procès se tienne sur les six chefs d’accusation.

[45]        En appel, Houle conteste cette décision du juge du procès et la Cour d’appel lui donne raison. À ce sujet, la Cour d’appel écrit : « En effet, il me paraît que dès l’enregistrement du plaidoyer le procès était techniquement commencé. La procédure régulière voulait qu’il se continue sans l’adjonction d’autres accusations »[30]. Cependant, la Cour d’appel conclut que cette erreur du juge du procès, qu’elle qualifie d’irrégularité procédurale[31], ne cause aucun préjudice à Houle parce qu’aucun témoin n’avait été entendu et parce que Houle n’a pas été privé du droit de faire une défense pleine et entière[32].

[46]         D’un autre côté, dans la décision R. c. Cazzetta[33], la Cour supérieure appert écarter un argument selon lequel elle a n’a pas compétence pour entendre une requête présentée par le poursuivant pour joindre Cazzetta, initialement accusé conjointement avec les Rice, au procès des Rice, alors que le procès des Rice a commencé, mais avant que le jury ne soit constitué[34]. La Cour supérieure rejette la requête du poursuivant parce que la réunion des accusés dans un procès conjoint ne sert pas les intérêts de la justice.

[47]        Bien que la question de la compétence soit intéressante, elle n’a pas été adressée par les parties dans le présent dossier. Compte tenu de la décision du Tribunal, il n’est pas nécessaire que cette question soit tranchée. Cela étant dit, il ne fait aucun doute que de joindre une dénonciation à un procès qui est déjà en cours en lien avec une autre dénonciation soulève des questions fondamentales importantes et pose des problèmes pratiques importants.


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