Rechercher sur ce blogue

samedi 16 août 2025

Comment apprécier une requête en arrêt des procédures face à l'usage abusif des menottes lors d’une arrestation et quel est le remède approprié en pareilles circonstances?

Kontar c. R., 2024 QCCQ 4896

Lien vers la décision


[4]         D’abord, il allègue une violation de son droit à l’avocat. Il soutient avoir exprimé aux policiers sa volonté d’exercer son droit à la consultation de son avocate sur les lieux de son arrestation, mais que ceux-ci n’y ont pas donné suite. Ensuite, il reproche aux policiers de l’avoir détenu de manière abusive en le menottant derrière le dos et de l’avoir maintenu ainsi, alors qu’il était collaboratif, calme et ne représentait aucune menace réaliste à la sécurité des policiers.

[68]      Une personne ne peut être mise en détention qu’en conformité avec le droit[23].

[69]      Pour ce faire, cette détention doit être autorisée par une règle de droit, la règle de droit doit elle-même être exempte de caractère abusif et la manière dont la détention est effectuée doit être non abusive : telle est la garantie offerte par l’article 9 de la Charte[24].

[70]      L’article 25 du Code criminel autorise un policier à utiliser la force pour effectuer une arrestation, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise la force nécessaire dans les circonstances[25].

[71]      À cet égard, les actes des policiers ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection et ne peuvent être appréciés sans tenir compte du contexte exigeant, dangereux et souvent évolutif de leur travail [26].

[72]      L’usage de menottes est une mesure discrétionnaire à la disposition d’un policier dans l’exercice de ses fonctions. Cela dit, il s’agit d’une sérieuse entrave à la liberté d’une personne[27].

[73]      La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Godin c. City of Montreal [28] indique qu’il ne peut y avoir d’usage automatique d’une telle mesure lors d’une arrestation. Une raison doit le justifier dans les circonstances :

[45]        Handcuffing should not be carried out systematically. Applying handcuffs (or tie wraps) is within the discretion of an arresting officer but there must be a good reason to do it, such as the security of the police or others, including the arrestee. The cuffs or ties can be used to control a detainee when justified in the circumstances.

[74]      L’agent Chapdelaine explique avoir menotté le requérant pour différentes raisons.

[75]      D’abord, à cause du lieu : un balcon est considéré comme un espace à risque modéré et comme ils étaient à l’extérieur, il y avait des risques de fuite.

[76]      Ensuite, à cause d’une part d’inconnu : il ne connaissait pas le requérant, il ne pouvait prévoir ses réactions. Un accès de colère devant sa mise en arrestation pouvait se produire, la mesure s’imposait.

[77]      J’accepte ces explications.

[78]      J’ajoute de surcroît que la fouille préliminaire du requérant demeurait toujours à effectuer. Il s’agissait, à mon sens, d’un élément supplémentaire qui était à considérer dans la mesure utilisée.

[79]      En ce qui concerne le menottage à l’arrière du dos, il appert qu’il s’agissait de la pratique standard à utiliser. Il s’agissait de la seule enseignée à l’agent Chapdelaine. Aucune preuve n’est venue le contredire à cet effet.

[80]      L’agent a reconnu que cette méthode pouvait provoquer des douleurs ou des blessures si une personne se débattait ou opposait de la résistance. Toutefois, dans une situation normale, comme celle en l'occurrence, aucune blessure n’était à appréhender. La preuve n'a d’ailleurs révélé aucune blessure chez le requérant, ni de plaintes particulières de sa part pendant les événements.

[81]      En conséquence de l’ensemble, je conclus que le menottage au dos du requérant n’était pas déraisonnable dans les circonstances de son arrestation.

[82]      Cependant, dès que celui-ci a pris place dans l'auto-patrouille, je considère que la mesure a été appliquée sans tenir compte de toutes les circonstances. Le requérant était toujours calme et coopératif. La fouille de sa personne n’avait rien révélé de particulier qui pouvait mettre la sécurité de quiconque en péril. Installé à l’arrière du véhicule, le requérant se trouvait cloîtré dans un espace restreint, il était embarré à l’intérieur et les agents étaient protégés par une cloison de plexiglas.

[83]      Notons enfin qu’une évaluation du risque avait été faite avant de se rendre au domicile du requérant et qu’il n’en était rien ressorti de particulier : aucune arme à feu ne lui était liée, aucun antécédent de violence le concernant n’était répertorié.

[84]      Il appert que la situation n'a pas été réévaluée en considération de ces informations et du déroulement de l’intervention.

[85]      Par ailleurs, il semble qu’une fois la décision prise de menotter une personne, celle-ci le restera jusqu’à ce qu’elle soit écrouée au Centre opérationnel ou qu’elle soit relâchée sur les lieux de son arrestation.

[86]      L’agent Chapdelaine a indiqué que les menottes étaient gardées durant le transport par mesure de sécurité, car le comportement de la personne détenue pouvait changer subitement et que la situation pouvait aussi dégénérer au moment de son écrou.

[87]      Bref, une fois les menottes posées, il n’existe pas d’entre-deux.

[88]      J’estime que l’absence de réévaluation de la mesure s’avère problématique lorsqu’une personne reste détenue pendant plusieurs minutes sur les lieux de son arrestation, comme en l’espèce. Il s’est écoulé vingt minutes entre l’entrée du requérant dans le véhicule de patrouille et son départ pour le Centre opérationnel. Sept minutes supplémentaires se sont ajoutées pour son transport. À aucun moment, les circonstances justifiant l’utilisation des menottes n’ont été réévaluées. Je ne peux conclure que cette mesure de contrainte était justifiée durant cette période.

[89]      En conséquence, cette portion de la détention du requérant a été abusive dans sa manière. Cela dit, j’estime qu’il serait erroné d’en surestimer la portée.

[110]   Il en va de même pour l’utilisation des menottes, tant au niveau de l’arrêt des procédures que pour une réduction de peine.

[111]   Rappelons que l’usage des menottes était au départ justifié. C’est une fois au véhicule de patrouille que la détention abusive s’est produite.

[112]   À cet égard, certains constats s’imposent.

[113]   Premièrement, le requérant était en état d’arrestation pour une infraction criminelle et la légalité de cette arrestation n’a pas été remise en cause.

[114]   Ensuite, même sans menottes, il reste que sa liberté était limitée à la banquette arrière d’une auto-patrouille, de laquelle il ne pouvait sortir. Cette situation était liée à son arrestation, pas au fait qu’il avait des menottes. En somme, les menottes changeaient bien peu à sa situation.

[115]   Enfin, sa vie et sa sécurité n’ont pas été compromises par la méthode utilisée.

[116]   Je constate qu’aucune décision ne m’a été soumise pour soutenir qu’un arrêt des procédures s’avérait la réparation appropriée pour un usage déraisonnable de menottes.

[117]   Le requérant m’a soumis des décisions où des dommages-intérêts avaient été octroyés au terme de recours civils. Ces affaires portaient sur des interventions policières survenues lors de manifestations illégales et pour lesquelles des infractions règlementaires ou pénales étaient en cause[39]. Cela est bien différent de notre affaire.

[118]   Dans le cas du requérant, aucune évaluation des dommages qui ont pu découler de cette violation ne m’a été soumise. Il est ressorti du témoignage du requérant qu’une grande partie des émotions qu’il avait vécues ce jour-là découlaient de sa mise en arrestation pour une infraction criminelle. Le maintien des menottes s’est certainement ajouté à ses émotions. À quelle hauteur et dans quelle proportion? Cela m’est inconnu. Un dédommagement monétaire est bien difficile à quantifier dans les circonstances. Par ailleurs, il est loin d’être acquis que j’aurais suivi cette voie, même si une telle preuve m’avait été offerte.

[119]   Différentes décisions au Québec ont traité de l’usage des menottes lors d’une arrestation.

[120]   Dans R. c. Couture2020 QCCQ 4347, le juge a considéré que la pose de menottes au moment de la mise en arrestation de l’accusé pour conduite avec les capacités affaiblies était abusive et devait conduire à l’exclusion de la preuve obtenue par la suite. À l’inverse, dans le même contexte, il a été déterminé que l’usage des menottes n’était pas abusif et que la mesure était justifiée pour des raisons de sécurité, même pendant le transport de la personne vers un poste de police : R. c. Belporo Moussa, 2021 QCCM 97Guilbeault c. R., 2024 QCCQ 800Viti c. R., 2023 QCCQ 1152Le caractère imprévisible des personnes intoxiquées a expliqué en partie ces conclusions.

[121]   Enfin, dans R. c. Lafortune2023 QCCQ 10689, la juge est arrivée à la conclusion qu’un arrêt des procédures n’était pas approprié dans le cas d’une opération policière planifiée en matière de sollicitation de services sexuels moyennant rétribution auprès d’une personne âgée de moins de 18 ans. La juge a toutefois exclu l’ensemble de la preuve obtenue contre l’accusé. Celui-ci ayant été victime d’une série de violations successives et cumulatives touchant son droit à l’avocat, sa protection contre les détentions abusives et sa protection contre les fouilles abusives. Notons que l’accusé avait été menotté et conduit dans un fourgon cellulaire selon une directive en place, plutôt qu’en considération des circonstances en présence.

[122]   Il ressort de ces décisions que l’usage des menottes peut s’avérer une mesure excessive dans le contexte d’une arrestation. Le lieu de l’arrestation, la nature des infractions reprochées, l’état et le comportement de la personne détenue sont des éléments qui influent sur l’analyse qui en est faite. Enfin, l’application d’une directive systémique peut s’avérer déterminante dans les circonstances.

[123]   Dans le contexte des présentes, l’arrêt des procédures serait une réparation grandement disproportionnée.

[124]   Quant à la réduction de peine, je note que la conduite répréhensible des policiers ne se rapporte pas aux circonstances liées à la perpétration des infractions. Elle n’en atténue pas non plus leurs gravités. Toutefois, dans la mesure où le requérant a subi une contrainte physique excessive pendant une période d’environ trente minutes, l’inconduite est liée à sa situation. Cependant, pour les motifs donnés plus avant, il appert que la violation a eu une portée bien relative dans le contexte. Cette gravité n’est pas suffisante pour qu’elle ait un impact déterminant sur la peine[40].

[4]     En revanche, dans les cas où la conduite répréhensible des représentants de l’État ne se rapporte pas aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, l’accusé doit emprunter une autre voie de droit pour obtenir réparation. L’examen de ces circonstances non pertinentes sort du cadre légal de la détermination de la peine. L’audience de détermination de la peine n’est donc pas le forum approprié pour les invoquer. De même, on pourrait difficilement prétendre qu’une réduction de peine constitue une réparation « convenable » au sens du par. 24(1) de la Charte lorsque les faits à l’origine de la violation ne se rattachent pas aux circonstances liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant.

[Soulignements ajoutés]

[126]   Ici, en considérant la nature des violations constatées, j’en viens à la conclusion qu’une dénonciation judiciaire des conduites étatiques en cause est suffisante pour en dissocier le système judiciaire.

[127]   Le présent jugement est un rappel de l’importance des droits garantis par la Charte qui sont concernés et des obligations corollaires des agents de l’État pour en assurer le respect.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[129]   CONSTATE des violations aux articles 9 et 10b) de la Charte;

[130]   DÉNONCE le comportement des policiers quant à leur défaut d’avoir offert à Loay KONTAR une opportunité raisonnable d’exercer son droit à l’avocat sur les lieux de son arrestation;

[131]   DÉNONCE le maintien des menottes à Loay KONTAR à partir du moment où il a été fouillé et placé dans l’auto-patrouille;

[132]   REJETTE la demande d’arrêt des procédures et tout autre remède alternatif.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...