Jules c. R., 2024 QCCS 1576
[110] Le Tribunal est d’avis que le juge de première instance n’a commis aucune erreur révisable en ne retenant pas les inférences suggérées par le procureur de l’appelant.
[111] La plaignante a expliqué dans son témoignage les raisons qui l’ont amenée à rencontrer l’appelant le 5 décembre 2019. Essentiellement, la plaignante mentionne qu’elle voulait régler la situation avec l’appelant qui lui envoyait tout le temps des messages insistants. Elle voulait se concentrer sur d’autres choses comme sa fin de session qui commençait[13]. La plaignante mentionne également qu’elle voulait sauvegarder sa relation d’amitié avec l’appelant parce qu’elle n’aime pas avoir « du monde à dos », qu’elle n’aime pas être en désaccord avec les gens, qu’elle aime avoir une bonne relation avec tout le monde et qu’elle préfère régler ses affaires plutôt que de les traîner comme un poids[14].
[112] La plaignante n’a pas été contredite quant à ces explications.
[113] Nous ne sommes pas ici en présence d’une situation similaire à celle de la plaignante dans l’affaire Gomeshi[15] où le juge a retenu une contradiction importante entre les affirmations de la plaignante et son comportement.
[114] Dans le cas présent, en l’absence de contradictions dans le témoignage de la plaignante sur les raisons l’ayant amenée à rencontrer l’appelant, l’incohérence que ce dernier soulève ne peut être fondée que sur des mythes et des stéréotypes, soit qu’une victime cherchera nécessairement à éviter son agresseur.
[115] La jurisprudence à ce sujet est claire, un tel raisonnement est interdit.
[7] Le juge fait appel à certains préjugés et stéréotypes pour conclure que le témoignage de la plaignante ne peut être retenu, et cela constitue une erreur de droit : R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. Alie, 2017 QCCA 18. En voici quelques exemples : Le Tribunal s’interroge également sur comment tout à coup à vingt-trois (23), vingt-quatre (24) ans, vingt-quatre (24) ans, vingt-cinq (25) ans, adulte, diplômée, indépendante d’une certaine façon, frais assumés en grande partie par la famille, dispute sur un remboursement de prêt et bourse qui aurait fait en sorte de la cloîtrer, de faire en sorte qu’elle se serait retrouvée prisonnière encore du père qui, lui, continue ou aurait continué ou venait d’arrêter quand, tout à coup, solution simple qui aurait pu se présenter, autonomie, je quitte cet endroit, je n’accepte plus que les choses se passent, mais plus loin encore, plus loin encore. Comment expliquer et comment voir qu’ayant été, elle, agressée de façon continue pendant ces années, comment ne pas, à un moment ou à un autre, avoir été inquiétée ou s’avoir inquiétée, n’avoir pas perçu qu’il se pouvait, parce que, dit-elle, lorsqu’ils étaient en vacances, elle privilégiait de coucher avec son père dans la chambre commune qu’ils partageaient, pour éviter qu’il arrive quoi que ce soit à sa jeune soeur ou même à son jeune frère, comment le Tribunal ne peut, ne voit ou ne peut suivre ou ne peut arriver à trouver de cohérence dans la situation, de ne pas avoir été inquiétée, de ne plus subir ou ne plus avoir, elle, à vivre cette situation-là quand elle a une jeune soeur de huit (8) ans, neuf (9) ans son aînée. C’est pour le Tribunal une situation très inquiétante qui amène et qui entache ou qui vient entacher une fiabilité du témoignage que le Tribunal n’arrive pas à situer ou à supporter dans le récit que X fait de ces événements-là. […] X dira et maintiendra dans son témoignage qu’elle a toujours voulu épargner à sa mère cette difficile réalité qu’elle vivait. Elle n’explique pas comment tout à coup, à vingt-quatre (24) ou vingt-cinq (25) ans, il n’y en a plus, il n’existe plus. Il n’y a pas de situations aussi graves et importantes qui se continuent avec elle, c’est-à-dire d’avoir des relations sexuelles avec son père, d’avoir une vie commune avec son père, ce qu’elle dit c’est que ça s’est ainsi terminé au moment où elle a eu cet âge-là et n’a pas quitté la maison avant et après les événements de janvier où elle a dénoncé, où elle a choisi de dénoncer ce qu’elle avait vécu pendant ces quinze (15) années. […] L’expérience du Tribunal est à l’effet que des drames aussi lourds avec une vie aussi, pour utiliser, enfermée, en silence, le Tribunal s’explique mal, après avoir vu la victime témoigner devant lui, comment, dans peu de moments de son témoignage, elle a été ou elle a pu être fragilisée par cette situation de vie au quotidien. On ne perçoit, et j’ai perçu, et je n’ai jamais perçu de sa personnalité, de sa façon d’être devant le Tribunal, une autre façon que de s’affirmer, d’être affirmative sur ce qu’elle est, d’avoir une assurance qui, dit-elle aujourd’hui, avoir parce qu’elle a continué dans son cheminement, dans sa vie, dans ses études, mais n’avoir jamais, à quelques occasions, plus jeune, tenté ou faire en sorte de se libérer de cette vie de tortionnaire qu’elle vivait, que son père lui imposait. […] [12] En somme, il a évalué la version de la plaignante en comparant son comportement à celui d’une victime d’agression sexuelle idéalisée. Or, il n’existe pas de « règle immuable sur la façon dont se comportent les victimes de traumatismes comme une agression sexuelle » : R. c. D.D., 2000 CSC 43 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 275, et les attentes manifestées par le juge sont fondées sur des stéréotypes ou une généralisation entachée de préjugés. |
[5] Reliance upon stereotypical views about how victims of sexual assault would behave is an error of law: R. v. D. (A.R.J.), [2018] 1 S.C.R. 218, [2018] S.C.J. No. 6, 2018 SCC 6, at para. 2, affg [2017] A.J. No. 746, 2017 ABCA 237, 55 Alta. L.R. (6th) 213. |
[119] Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que le juge de première instance ne pouvait tirer les inférences recherchées par l’appelant puisque celles-ci reposaient sur des mythes et des stéréotypes selon lesquels une victime d’agression sexuelle va adopter un comportement d’évitement de son agresseur.
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