Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225
[67] En règle générale, la médiatisation d’une affaire ne constitue pas en soi un facteur atténuant. Cela ressortait déjà des propos de la juge L’Heureux-Dubé, alors de la Cour d’appel, dans l’arrêt Marchessault c. R, où elle place le statut social d’un délinquant et la médiatisation d’un procès au rang de « circonstances non aggravantes »[61], c’est-à-dire neutres.
[68] Cette proposition appelle cependant certaines nuances, bien illustrées dans le récent arrêt Harbour c. R.[62] Le juge Vauclair, qui rédige les motifs de la Cour d’appel, y note que « [l]’impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n’autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant »[63]. Cela dit, les circonstances particulières de cette affaire Harbour[64] en faisaient un cas où la médiatisation avait eu des effets concrets et préjudiciables, allant bien au-delà du seul dommage infligé à la réputation d’un accusé, d’où une pondération attentive par la Cour des divers impacts possibles de la médiatisation selon la jurisprudence et à la lumière des faits de l’espèce[65]. Condamné en première instance à six mois d’emprisonnement dans la collectivité, l’appelant voyait sa peine réduite par la Cour d’appel à une ordonnance d’absolution conditionnelle, soit à une probation de 12 mois assortie de quelques autres conditions. Le juge Vauclair commentait : « Trois ans après les faits, alors qu’il avait réussi à réintégrer le marché du travail, [l’appelant] perd ses emplois [deux fois de suite] en raison de la médiatisation des accusations. Des lettres non contredites le confirment. Toujours selon la preuve, une condamnation met à risque son emploi actuel. L’appelant vit maintenant une situation financière précaire. Clairement, la réinsertion sociale de l’appelant passe principalement par la possibilité de réintégrer le marché du travail. »[66] En d’autres termes, la situation particulière de l’intéressé avait eu pour conséquence dans son cas que la médiatisation lui avait causé un préjudice distinct du dévoilement public de ses agissements et qu’elle faisait anormalement obstacle à sa réhabilitation et sa réinsertion sociale. Mais encore faut-il le démontrer, et non simplement avancer une vague hypothèse dans ce sens.
[69] En l’absence d’une telle démonstration, la médiatisation ne pourra se qualifier comme circonstance atténuante que si la couverture médiatique a été « démesurée, abusive ou oppressive »[67].
[70] Qu’en est-il ici? Le juge de première instance a estimé à ce sujet que la médiatisation du dossier n’était pas en l’occurrence un facteur « permettant à lui seul d’imposer une peine qui soit inférieure à la fourchette établie »[68]. S’appuyant sur un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, il a jugé que l’appelant « devra non seulement subir la peine imposée mais il devra aussi en subir les sanctions sociales, lesquelles seront plus importantes compte tenu de sa notoriété »[69]. Cette conclusion comporte-t-elle une erreur réformable en appel?
[71] L’appelant n’ayant pas témoigné au procès, il n’y a au dossier aucune preuve directe de sa part sur les conséquences de la couverture médiatique de l’affaire, conséquences que l’appelant qualifie néanmoins dans son argumentation de définitives et de disproportionnées. Certes, son voisin Gobeil, qui est à la fois son ami et un de ses aidants naturels, a témoigné que depuis le dépôt des accusations, l’appelant se comportait en reclus. Il aurait été dévasté par la tournure des événements. Mais le juge n’a pas tiré une impression favorable de ce témoignage, qu’il qualifie de complaisant et d’offert par un témoin « qui avait un message à passer »[70]. Il est difficile de revenir en appel sur une détermination de ce genre, qui touche à la crédibilité du témoin.
[72] Par ailleurs, il ne s’agit pas ici d’un cas où la preuve étayait une conclusion selon laquelle la médiatisation de l’affaire avait entraîné la déchéance de l’appelant. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où la preuve démontrait que la couverture médiatique de l’affaire avait été « démesurée, abusive ou oppressive » – d’autant que le dossier ne recèle aucune preuve de l’ampleur de la couverture médiatique. Vu l’ensemble de ce qui s’y trouve, on en déduit que le juge n’était certainement pas tenu de considérer la médiatisation comme une circonstance militant en faveur d’un allègement de la peine. En somme, sur ce point, rien n’établit l’existence d’une erreur réformable en appel.
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