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lundi 13 octobre 2025

Le demandeur a le fardeau de démontrer, par prépondérance de probabilités, l’abus de procédure allégué

Longchamps c. R., 2021 QCCA 700


[23]      Dans l’arrêt Kreiger c. Law Society of Alberta[9], la Cour suprême a examiné l’évolution et la nature de la charge de procureur général du Canada. Elle a confirmé que son indépendance constitue un principe constitutionnel[10]. Cela exige que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire soit protégé contre l’ingérence des tribunaux, sauf en cas d’abus de procédure[11]. La Cour suprême a défini le « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » et précisé qu’il comprend non seulement le pouvoir d’intenter des poursuites criminelles, mais aussi celui d’ordonner un arrêt des procédures :

43  L’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » est une expression technique. Elle ne désigne pas simplement la décision discrétionnaire d’un procureur du ministère public, mais vise l’exercice des pouvoirs qui sont au cœur de la charge de procureur général et que le principe de l’indépendance protège contre l’influence de considérations politiques inappropriées et d’autres vices.

[…]

46  Sans vouloir être exhaustifs, nous croyons que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites comprend essentiellement les éléments suivants : a) le pouvoir discrétionnaire d’intenter ou non des poursuites relativement à une accusation portée par la police; b) le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un arrêt des procédures dans le cadre de poursuites privées ou publiques, au sens des art. 579 et 579.1 du Code criminel; c) le pouvoir discrétionnaire d’accepter un plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation moins grave; d) le pouvoir discrétionnaire de se retirer complètement de procédures criminelles; e) le pouvoir discrétionnaire de prendre en charge des poursuites privées. Même s’il existe d’autres décisions discrétionnaires, celles‑ci constituent l’essentiel du pouvoir souverain délégué qui caractérise la charge de procureur général.[12]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[24]      Lorsqu’il est question du « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites », les tribunaux interviennent seulement en cas d’abus de procédure[13]. Dans R. c. Anderson[14], la Cour suprême note que l’abus de procédure a été décrit de diverses façons et elle observe qu’« [i]ndépendamment des termes employés, l’abus de procédure s’entend essentiellement d’une conduite du ministère public qui est inacceptable et qui compromet sérieusement l’équité du procès ou l’intégrité du système de justice »[15].

[25]      Le demandeur a le fardeau de démontrer, par prépondérance de probabilités, l’abus de procédure allégué[16]. Avant qu’une allégation d’abus de procédure soit examinée par un tribunal, le demandeur doit établir l’existence d’une preuve suffisante, car « les tribunaux ne doivent pas examiner les motifs qui sous‑tendent les actes résultant de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites s’ils ne peuvent s’appuyer sur une preuve suffisante »[17]. Cette exigence assure le bon fonctionnement du système de justice en autorisant le juge du procès à refuser de procéder à l’audition de la preuve lorsque la partie qui le demande est incapable de démontrer « qu’il est raisonnablement probable que cette audience aidera à résoudre les questions soumises au tribunal »[18]. Cette exigence « respecte la présomption selon laquelle ce pouvoir est exercé de bonne foi »[19].

[26]      À la suite des arrêts Nixon et Anderson, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit les deux avenues qui s’offrent au demandeur pour satisfaire son fardeau initial de preuve de la façon suivante :

51  While it is clear from Nixon that a "bare allegation" on its own will not meet the requisite threshold, it does not follow that an accused must produce extrinsic evidence (i.e. evidence extrinsic from the settlement offer itself) in order to meet the burden. A requirement for extrinsic evidence would be irreconcilable with the Supreme Court's conclusion in Nixon that repudiation of a plea agreement in and of itself is not a bare allegation and meets the evidentiary burden. The impugned act of prosecutorial discretion may be sufficient on its own to meet the threshold burden.

52  Two avenues to meeting the threshold emerge from the Supreme Court's decisions in Nixon and AndersonFirst, the threshold evidentiary burden will be met if the accused adduces evidence that the prosecutor exercised its discretion in bad faith or for improper motives: see Anderson, at para. 55.

53  Second, as in Nixon, the threshold may also be met where a discretionary decision is so rare and exceptional in nature that it demands an explanation[…]

54  Justice Charron did not set out criteria for determining what else might qualify as a "rare and exceptional event". In my view, the sole criteria cannot be that the decision or type of decision is infrequently made, as unusual decisions may result simply from the nature of a particular prosecution. I would infer from Nixon that a Crown discretionary decision may qualify as a rare and exceptional event when the decision itself raises the court's concern about the Crown's exercise of discretion. As quoted above, Charron J. noted that repudiation of a plea agreement was more than a bare allegation because it was evidence that the Crown had gone back on its word. A second important aspect of a rare and exceptional event is, in my view, that the Crown's decision must implicate interests that are of "crucial importance to the proper and fair administration of justice". In Nixon, this interest was that plea agreements be honoured.

55  Meeting the threshold evidentiary burden is of course only the first step that an accused faces in proving an abuse of process. If the threshold burden is met, the Crown is given an opportunity to explain the reasons behind its exercise of discretion. If no explanation is forthcoming, an adverse inference may be made against the Crown. The burden remains on the accused to establish an abuse of process on a balance of probabilities. Even if an accused establishes an abuse of process, a stay will only be warranted in "the clearest of cases".[20]

[Soulignements ajoutés]

[27]        L’ordre de l’intimée d’arrêter les procédures n’est pas une décision rare ni exceptionnelle. Le juge ne commet aucune erreur de droit relativement au fardeau de la preuve nécessaire en pareille situation. Au paragraphe 60 de son jugement, il écrit, à bon droit, qu’il incombe au demandeur de prouver l’abus de procédure par prépondérance des probabilités[21]. Il exige correctement la satisfaction d’un fardeau initial de faire une preuve suffisante avant d'examiner « les motifs qui sous-tendent les actes résultant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites »[22]. La notion et l’étendue du fardeau initial ont été expliquées par le juge Cournoyer dans l’affaire R. c. Antoine :

[21]  Selon les principes formulés dans l’arrêt Anderson, la poursuite ne sera pas tenue de fournir une explication ou de faire connaître ses motifs au sujet de la présentation d’un acte d’accusation direct à moins que les accusés ne satisfassent un critère préliminaire de preuve, un fardeau initial (« threshold burden »), soit une preuve suffisante, c’est-à-dire, une preuve vraisemblable de la mauvaise foi de la poursuite ou du caractère inapproprié de ce qui l’a animée lorsque cette décision a été prise.

[22]  La preuve suffisante requise pour ordonner la communication de la preuve des raisons justifiant la présentation d’un acte d’accusation direct doit rendre vraisemblable l’abus de procédure selon une probabilité raisonnable.

[23]  Une simple allégation d’abus de procédure ne justifie pas la tenue d’un examen de cette question ni la communication d’éléments de preuve à cet égard.[23]

[28]        Au paragraphe 75 de son jugement, le juge écrit « rien dans la preuve du requérant ne rend vraisemblable l’abus de procédure allégué selon le critère de la probabilité raisonnable qui empêche les recherches à l’aveuglette et assure une utilisation efficace des ressources judiciaires ».

[29]        Selon son évaluation, les allégations de l’appelant reposent entièrement sur des hypothèses et des conjectures, ce qui n’est pas suffisant pour justifier l’examen du pouvoir discrétionnaire du ministère public[24]. En réalité, l’appelant conteste l’appréciation par le juge de la suffisance des éléments soumis pour satisfaire son fardeau initial. En pareille matière, la Cour ne peut intervenir sans l’identification d’une erreur manifeste et déterminante[25], ce que n’a pas démontré l’appelant.

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