R. c. Alie, 2017 QCCA 18
[7] Le jugement entrepris, tel qu’il est rédigé, se fonde sur quelques postulats, plus ou moins explicitement affirmés dans les motifs de première instance, et qu’on peut résumer ainsi. Sans raison apparente, le plaignant a longuement tardé à se plaindre des agissements de l’intimé. Il n’avait rien à redouter d’un simple employé d’entretien qui n’exerçait aucune autorité sur lui et qu’il aurait pu dénoncer efficacement auprès de ses supérieurs au CAJG. En outre, le plaignant était presque d’âge adulte, ou en âge de consentir aux avances de l’intimé, de sorte que ce dernier pouvait se livrer avec le plaignant à des activités sexuelles, menées en privé et sans conséquence juridique si le plaignant y consentait. Du moins l’intimé avait-il droit au bénéfice du doute raisonnable à cet égard.
[8] Cette interprétation des choses véhicule une erreur de droit qui justifie réformation du verdict attaqué par l’appelante.
[9] En effet, ce verdict repose sur une version, ici appliquée à un adolescent fugueur d’une quinzaine d’années admis en centre d’accueil, de la « théorie de la plainte spontanée ». Le sort fait à une plainte portée longtemps après le fait ne doit pas dépendre du seul fait qu’elle est « tardive » car plusieurs facteurs peuvent expliquer la réticence de la victime à dénoncer la personne qui abuse d’elle. Dans l’arrêt R. c. D.D., la Cour suprême du Canada soulignait que le recours à la théorie de la plainte spontanée pour juger de la crédibilité d’un plaignant est une erreur justifiant l’annulation d’un verdict. Le juge Major, auteur des motifs majoritaires, écrivait :
L’application de l’erreur reflétée dans la common law des premiers temps constitue maintenant une erreur justifiant l’annulation. Voir R. c. W. (R.), 1992 CanLII 56 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 122, le juge McLachlin (maintenant Juge en chef), à la p.136 :
Enfin, la Cour d’appel s’est fondée sur le fait qu’aucune des deux enfants plus âgées n’était [TRADUCTION] « consciente que quelque chose d’inconvenant s’était produit ou ne s’en préoccupait, ce qui, en réalité, est le meilleur critère quant à la nature des actes. » Il faut en conclure qu’elle s’est appuyée sur l’opinion stéréotypée mais douteuse qu’il est probable que les victimes d’agression sexuelle dénonceront ces actes, un stéréotype qui a trouvé expression dans la doctrine aujourd’hui mise de côté de la plainte immédiate. En fait, selon la documentation sur le sujet, c’est plutôt le contraire qui serait vrai ; en réalité, il arrive fréquemment que les victimes d’abus ne dénoncent pas celui‑ci, et si elles le font, ce n’est peut‑être pas avant un long moment.
L’importance de l’omission de la plaignante de faire une plainte en temps opportun ne doit pas faire l’objet de quelque conclusion défavorable présumée fondée sur des hypothèses stéréotypées, maintenant rejetées, quant à la façon dont les personnes (particulièrement les enfants) réagissent aux actes d’agression sexuelle.[2]
Pour ce seul motif, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’autre grief de l’appelante, il y a lieu ici d’ordonner un nouveau procès.
[11] Dans les circonstances, le juge ne pouvait donner le bénéfice du doute à l’intimé pour les raisons qu’il a offertes dans ses motifs. Il ne pouvait le faire sous prétexte que, peut-être, à un moment quelconque pendant la période visée par les accusations, le plaignant s’était librement prêté à des activités sexuelles dont l’intimé prenait l’initiative, et que le plaignant n’avait jamais dénoncées à l’époque. La question centrale à trancher était de savoir si, contre son gré, le plaignant avait été l’objet d’avances et de manœuvres sexuelles de l’intimé.
[12] La perspective adoptée par le juge, et qui reposait sur une ou plusieurs hypothèses stéréotypées, faussait nécessairement son analyse.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire