[62] L’importation d’une substance contrôlée inscrite à une annexe est une infraction aux termes du par. 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS), L.C. 1996, ch. 19. La peine et le mode de procédure dépendent de l’annexe à laquelle la substance contrôlée est inscrite.
La définition prévue par la loi
[63] La disposition qui crée l’infraction, à savoir le par. 6(1) de la LRCDAS, ne définit pas ni n’énonce les éléments essentiels de l’infraction d’importation. Le terme « importer » et ses dérivés ne sont pas non plus définis dans la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. La LRCDAS n’incorpore pas par renvoi une définition du terme « importer » figurant dans quelque autre texte législatif fédéral, par exemple au par. 84(1) du Code criminel, dans lequel ce terme est défini pour l’application de la partie III du Code criminel.
Le sens ordinaire du terme « importer »
[64] Le terme « import » figurant dans la version anglaise du par. 6(1) de la LRCDAS est employé comme verbe transitif dont l’objet est une substance contrôlée. Dans le langage courant, le terme « importer » signifie faire entrer ou introduire quelque chose provenant d’une source externe dans un autre lieu ou une autre destination. Plus précisément, le terme « importer » veut dire faire entrer des biens provenant d’un autre pays. L’importation suppose qu’il existe une relation entre une source et une destination, un lien qui est plus causal que temporel. Le sens ordinaire du terme ne dit rien au sujet du début ou de la fin de l’importation.
Les sources
[65] La principale source d’assistance pour attribuer un sens au terme « importation » employé au par. 6(1) de la LRCDAS, plus précisément à ses limites temporelles, est la jurisprudence qui commence par la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bell.
L’état actuel du droit
[94] L’examen de l’arrêt Bell et des décisions ultérieures de notre Cour dans les décennies qui ont suivi me porte à tirer plusieurs conclusions au sujet des principes qui régissent les éléments essentiels de l’importation et leur preuve.
[95] Comme tous les crimes véritables, l’importation d’une substance contrôlée est constituée d’un élément physique et d’un élément de faute. Chaque élément doit être établi hors de tout doute raisonnable au moyen d’une preuve pertinente, importante et admissible. À un moment donné, les deux éléments doivent coïncider.
L’état actuel du droit
[96] L’élément physique de l’importation exige que l’accusé importe une substance. Il doit s’agir d’une substance contrôlée inscrite à une annexe de la LRCDAS.
[97] L’élément de faute de l’importation exige que l’accusé ait eu l’intention d’importer une substance et qu’il ait su que celle-ci était une substance contrôlée, mais pas nécessairement la substance précise alléguée.
[98] La décision majoritaire rendue dans l’arrêt Bell nous enseigne que le terme « importer », sous ses diverses formes non définies dans la LRCDAS, n’a pas de sens particulier ou restreint. Selon son sens ordinaire, il signifie introduire ou faire introduire une substance contrôlée au pays. Nous apprenons aussi des juges majoritaires dans l’arrêt Bell que l’infraction est complète lorsque la substance contrôlée « entre au pays » et que l’importation n’est pas une infraction continue, à la différence de la possession ou, comme il a ultérieurement été décidé dans l’arrêt Vu, de l’enlèvement.
[99] Ce que l’arrêt Bell ne nous dit pas, c’est ce que signifie l’expression « entre au pays » – ou, plus précisément, quand il est satisfait à l’exigence correspondant à cette expression. Nous savons que l’infraction peut être commise n’importe où au Canada et, en totalité ou en partie, à plus d’un endroit. De plus, les tribunaux de chaque ressort où elle est commise sont compétents pour juger ceux qui sont accusés de l’avoir commise.
[100] Puisque l’arrêt Bell ne définit pas l’expression « entre au pays », ou au moins son point terminal ou sa limite extérieure, il revient à notre Cour et à d’autres cours d’appel intermédiaires de le faire – à tout le moins dans les affaires où il existe une controverse quant à savoir si la preuve de la participation de l’accusé satisfait à l’élément physique de l’infraction.
[101] Tout sens attribué à l’expression « entre au pays », donc le point terminal ou la limite temporelle de l’élément physique de l’importation, doit être compatible avec la décision majoritaire rendue dans l’arrêt Bell. Cependant, il doit aussi garder un œil sur l’objet de la législation – empêcher que des drogues dangereuses ne deviennent accessibles à la population canadienne – et sur les innombrables façons, ayant pour seule limite l’ingéniosité humaine, dont des substances contrôlées peuvent être introduites de l’étranger : transport par une personne; courrier ou service de messagerie; par avion; par bateau.
[102] Lorsque l’élément physique de l’importation a été complété, son point terminal est important pour démontrer la responsabilité criminelle de l’accusé. Cependant, comme nous le savons, la preuve de ce que l’accusé a dit et fait après que l’infraction a été commise peut aider à établir la participation de l’accusé à l’infraction précédente et démontrer l’élément de faute qui l’a accompagnée. Le fait que l’élément physique a été complété ne baisse pas le rideau sur la preuve de la responsabilité criminelle.
[103] L’appelant reconnaît que la jurisprudence contraignante dans notre province exige que nous décidions que les objets interdits, comme les substances contrôlées, entrent au pays lorsqu’ils passent la douane. L’appelant soutient donc que cela signifie qu’il devrait être acquitté. Cependant, si l’appelant a payé les droits exigibles à la personne qui s’est fait passer pour une employée de FedEx, comme le démontre la preuve, n’est-il pas pris à son propre piège? Le colis a passé la douane lorsque l’appelant a payé les droits exigibles, sinon il serait resté sous contrôle douanier.
[104] Ce ne sont pas toutes les importations qui comprennent un passage à la douane. Prenons, par exemple, un acte de contrebande à destination d’un endroit isolé : des armes à feu et des drogues traversant le fleuve Saint-Laurent pour aller de l’État de New York en Ontario, ou au Québec. Le but précis : éviter la douane et ses mesures rigoureuses. Le passage à la douane mène à la cessation du contrôle des autorités compétentes sur les objets interdits, ce qui a pour conséquence que ceux-ci deviennent accessibles au transporteur, au destinataire ou à leur délégué et demeurent au Canada. Pour mieux décrire le point terminal de l’importation, on pourrait dire que l’importation prend fin lorsque les objets interdits provenant de l’étranger entrent au Canada et ne sont plus sous le contrôle des autorités compétentes.
[105] L’appelant ne conteste pas le bien-fondé de la décision rendue dans l’arrêt Foster. Elle est compatible avec la jurisprudence contraignante. Cependant, il soutient que son raisonnement comporte des failles. L’appelant la décrit de plusieurs façons : illicite; antidémocratique; annulant de façon anticipée le précédent contraignant de l’arrêt Bell. Si l’on fait fi des hyperboles et des descriptions péjoratives, cela signifie que le raisonnement est erroné sur le plan juridique.
[106] La décision rendue dans l’arrêt Foster applique la décision majoritaire de l’arrêt Bell et est compatible avec celle-ci. Comme l’appelant l’admet lui-même, l’arrêt Bell ne dit rien au sujet du sens à attribuer à l’expression « entre au pays ». Selon l’arrêt Foster, dans une affaire de transport d’objets interdits par une personne pour les introduire au Canada, cela se produit lorsque les objets interdits (et leur transporteur) passent la douane. Voilà qui met fin à l’élément physique de l’infraction. Ce point terminal ne signifie pas que l’importation est une infraction continue. Il n’est pas non plus incompatible avec ce que les juges majoritaires ont décidé dans l’arrêt Bell. Il reflète le droit dans notre province tel qu’il a été exprimé dans les décisions postérieures à l’arrêt Bell, dont l’intégrité n’est pas contestée en l’espèce.
[107] Dans l’affaire Foster, une messagère a introduit des stupéfiants au Canada depuis la Jamaïque. Même si les stupéfiants étaient physiquement au Canada lorsqu’elle est arrivée à l’aéroport international Pearson, la messagère et les stupéfiants sont restés sous le contrôle des autorités compétentes jusqu’à ce qu’elle passe la douane. Ce n’est que lorsqu’elle a passé la douane avec les stupéfiants que ceux-ci ont cessé d’être sous le contrôle des autorités compétentes et que l’infraction d’importation est devenue complète.
[108] Les circonstances en l’espèce diffèrent de celles dans l’affaire Foster. Les stupéfiants ont été envoyés du Kenya par FedEx. Lorsque le colis est arrivé aux États-Unis, l’héroïne a été détectée lors de l’inspection douanière. Le colis et son contenu ont été expédiés au Canada, où les autorités ont enlevé la plupart des stupéfiants, en conservant toutefois le contrôle du colis et des stupéfiants qui y restaient. Un mandat autorisant une livraison contrôlée a été obtenu. Les autorités n'ont cessé de contrôler le colis et son contenu que lorsque l’appelant, se faisant passer pour le destinataire, Abel Morrison, en a pris livraison. C’est à ce moment-là que l’infraction d’importation est devenue complète. Les stupéfiants étaient physiquement au Canada et les autorités n’en avaient apparemment pas le contrôle. Dans son ensemble, la preuve circonstancielle établissait que l’appelant était responsable de l’importation.
[109] Dans certains cas, comme l’illustre l’exemple donné au paragraphe 104, les stupéfiants peuvent être physiquement au Canada, mais ne jamais être sous le contrôle des autorités, en raison de la manière dont ils ont été introduits au pays. Dans de tels cas, l’infraction d’importation est complète lorsque les stupéfiants sont physiquement au Canada. Il incombe à la Couronne d’établir que l’accusé a introduit ou fait introduire les stupéfiants au Canada depuis l’étranger. La preuve servant à établir la responsabilité peut être directe ou circonstancielle, ou une combinaison de ces deux types de preuve.
[110] Il y a un dernier point à noter au sujet de la décision rendue dans l’arrêt Foster : la mention de la distinction entre, d’une part, une infraction complète en droit et, d’autre part, une infraction complète en fait.
[111] Cette distinction a été mentionnée et apparemment approuvée par le juge Moldaver au nom du tribunal dans l’arrêt Vu au moment de décider que l’enlèvement était une infraction continue. Ni le juge Moldaver dans l’arrêt Vu, ni le juge Dickson dans ses motifs minoritaires dans l’arrêt Bell n’ont limité l’application de la distinction aux infractions continues. Dans l’arrêt Foster, la mention de l’arrêt Vu et de la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait n’était pas essentielle à la décision selon laquelle l’importation n’était devenue complète que lorsque Mme Foster et ses stupéfiants avaient passé la douane. Il vaudrait mieux aborder à une autre occasion la question de savoir si la distinction s’étend au-delà des infractions continues, et cette question ne devrait pas faire partie de l’analyse dans les affaires d’importation tant qu’elle n’aura pas été tranchée.
[112] Les autres sources dont la vitalité continue et la valeur de précédent sont contestées en l’espèce – les arrêts Onyedinefu et Buttazzoni – peuvent être examinées ensemble. Dans chacun des arrêts, les principes de l’arrêt Foster ont été appliqués à des livraisons contrôlées. Dans chaque affaire, il était allégué que la participation de l’appelant n’avait eu lieu qu’une fois l’importation complète. Il s’ensuivait donc que l’appelant n’aurait pu être déclaré coupable d’une infraction qui était complète avant sa participation.
[113] Dans la mesure où chaque arrêt a appliqué la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait établie dans l’arrêt Foster, comme je l’ai déjà expliqué, ce raisonnement pourrait comporter des failles, ne s’appliquant qu’aux infractions continues, dont l’importation ne fait pas partie. Il ne devrait pas être adopté pour déterminer si la responsabilité de l’importation a été établie. La norme qui devrait s’appliquer relativement à l’élément physique de l’infraction est celle de savoir si les objets interdits ont passé la douane ou, d’une façon plus générale, si les objets interdits, étant entrés au Canada depuis l’étranger, ne sont plus sous le contrôle des autorités douanières.
[114] Sans rien de plus, le simple fait que la preuve principale contre l’accusé est constituée de choses faites ou dites après que l’élément physique de l’infraction d’importation a été complété ne signifie pas que l’accusé sera inévitablement acquitté. Chaque cause est tranchée selon les faits qui lui sont propres. Comme on le sait bien, la preuve relative à la conduite après le fait, y compris les choses faites et dites, peut étayer une inférence de participation antérieure et l’élément de faute qui l’accompagne.
[115] Dans l’affaire Foster, la norme que j’ai décrite a été appliquée dans une situation où l’appelante a introduit physiquement la cocaïne au Canada. Elle l’a fait en cachant la cocaïne sur sa personne. L’appelante et la cocaïne étaient et sont restées sous le contrôle des autorités. Sa déclaration de culpabilité était compatible avec les arrêts Bell, Tan et Valentini. L’infraction d’importation n’est devenue complète que lorsque l’appelante et ce qu’elle transportait ont passé la douane, puisque ce n’est qu’à ce moment-là que les objets interdits ont cessé d’être sous le contrôle des autorités.
[116] Les affaires Onyedinefu et Buttazzoni portaient toutes les deux sur des livraisons contrôlées de stupéfiants qui avaient été détectés avant leur arrivée en Ontario. Dans l’affaire Onyedinefu, il s’agissait de l’appel d’une déclaration de culpabilité pour importation; dans l’affaire Buttazzoni, de l’appel d’une déclaration de culpabilité pour complot en vue d’importer. Dans les deux affaires, le tribunal a appliqué la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait établie dans l’arrêt Foster. Comme je l’ai déjà expliqué, ce raisonnement ne devrait pas être adopté, à moins qu’il ne soit approuvé par la Cour suprême du Canada.
[117] Dans l’affaire Onyedinefu, les stupéfiants se trouvaient dans un colis que l’appelant reconnaissait avoir introduit au Canada, mais en croyant qu’il s’agissait d’appareils électroniques. Le colis est resté sous le contrôle des autorités jusqu’à ce que l’appelant le ramasse. Ce n’est qu’à ce moment-là que les autorités ont cessé d’en avoir le contrôle. C’est à ce moment-là que l’importation a pris fin. Même si le juge du procès a adopté l’analyse fondée sur la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait, le résultat aurait été identique si l’analyse avait été fondée sur la norme appropriée.
[118] Dans l’affaire Buttazzoni, qui portait également sur une livraison contrôlée, l’appelant a été acquitté du chef d’importation, mais déclaré coupable de complot en vue d’importer. Le tribunal s’est penché sur la question de savoir quand l’importation avait pris fin parce que la Couronne devait prouver – et le juge du procès devait conclure – que l’appelant s’était joint au complot avant que son objet – l’importation de la cocaïne – ne soit réalisé. Le tribunal a conclu que l’importation n’avait pris fin que lorsque le coaccusé avait ramassé le conteneur au nom du destinataire, une épicerie. Pour en arriver à sa conclusion, le tribunal a appliqué le raisonnement fondé sur la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait.
[119] La conclusion tirée par le tribunal dans l’arrêt Buttazzoni n’aurait pas été différente si l’analyse avait été fondée sur la norme appropriée. La preuve de la participation de M. Buttazzoni à l’expédition depuis le Guyana avant l’arrivée de la cargaison au dépôt de rails était amplement suffisante pour étayer l’inférence que son entente avec son coaccusé comprenait une entente d’importation de stupéfiants au Canada. Le tribunal a également conclu que l’importation avait pris fin à la date à laquelle la cargaison avait été ramassée au dépôt de rails. Le même résultat serait obtenu avec l’analyse correcte, puisque les stupéfiants sont restés sous le contrôle des autorités jusqu’à ce que le destinataire les ramasse au dépôt de rails.
[120] Il s’ensuit de ce que j’ai dit que, hormis rejeter le raisonnement fondé sur la distinction entre une infraction complète en droit et une infraction complète en fait qui a été adopté dans les arrêts Foster, Onyedinefu et Buttazzoni, je ne suis pas d’avis d’annuler ou de nuancer autrement les décisions rendues dans ces arrêts. Dans chaque cas, il appartient au juge des faits de décider si, au vu de l’ensemble de la preuve, la Couronne a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé était responsable de l’importation alléguée, c’est-à-dire, que l’accusé a introduit la substance contrôlée au Canada ou l’a fait introduire ici depuis l’étranger.
[121] Ni l’un ni l’autre appelant ne nous a invités à annuler ou à nuancer autrement notre décision rendue antérieurement dans l’arrêt Anderson; Cumberbatch. En particulier, nous n’avons pas été invités à rejeter la mention du [TRADUCTION] « dernier destinataire » qui étend l’infraction d’importation au-delà de ce que permettraient l’arrêt Bell et les autres sources. Dans ces circonstances, nous estimons qu’il serait préférable d’aborder à une autre occasion la question de savoir si cette décision a besoin d’être réexaminée.
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