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dimanche 16 novembre 2025

Les principes régissant une arrestation sans mandat & l'ordre d'un policier adressé à un conducteur de sortir de son véhicule automobile alors qu'il ne dégage aucune odeur d'alcool

Patel c. R., 2023 QCCS 4623

Lien vers la décision


[23]        Dans R. c. Beaver, 2022 CSC 54, la Cour suprême fait une analyse exhaustive des principes essentiels régissant une arrestation sans mandat. Il est utile d’en reprendre ces longs extraits :

[72]                         […] :

1.   Une arrestation sans mandat requiert l’existence de motifs d’arrestation subjectifs et objectifs. Le policier qui procède à l’arrestation doit posséder subjectivement des motifs raisonnables et probables pour agir, et ces motifs doivent être justifiables d’un point de vue objectif (R. c. Storrey1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, p. 250‑251R. c. Latimer1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, par. 26R. c. Tim2022 CSC 12, par. 24).

2.   Dans l’appréciation des motifs d’arrestation subjectifs, il faut se demander si le policier qui a procédé à l’arrestation croyait sincèrement que le suspect avait commis l’infraction (R. c. Shepherd2009 CSC 35, [2009] 2 R.C.S. 527, par. 17). Les motifs d’arrestation subjectifs sont souvent établis par le témoignage du policier (voir, par exemple, Storrey, p. 251; Latimer, par. 27Tim, par. 38), ce qui oblige le juge du procès à évaluer la crédibilité du policier, une conclusion qui commande une déférence particulière en appel (R. c. G.F.2021 CSC 20, par. 81R. c. Beaudry2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, par. 4).

3.   Les motifs subjectifs du policier de procéder à l’arrestation doivent être justifiables d’un point de vue objectif. Cette appréciation objective tient compte de l’ensemble des circonstances connues du policier au moment de l’arrestation — y compris le caractère dynamique de la situation — considérées du point de vue d’une personne raisonnable possédant des connaissances, une formation et une expérience comparables à celles du policier ayant procédé à l’arrestation (Storrey, p. 250‑251; Latimer, par. 26Tim, par. 24).

4.   Les éléments de preuve fondés sur la formation et l’expérience du policier qui a procédé à l’arrestation ne devraient pas être acceptés sans réserve, mais il n’y a pas lieu non plus de se montrer « trop sceptiqu[e] » à leur égard (R. c. MacKenzie2013 CSC 50, [2013] 3 R.C.S. 250, par. 64‑65). Bien que l’analyse soit effectuée du point de vue d’une personne raisonnable mise « à la place du policier [qui a procédé à l’arrestation] », il ne faut pas nécessairement faire preuve de déférence à l’égard du point de vue du policier sur les circonstances du fait de sa formation ou de son expérience (R. c. Chehil2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, par. 45 et 47MacKenzie, par. 63). Les motifs du policier de procéder à l’arrestation doivent être plus qu’une « intuition » (Chehil, par. 47).

5.   Dans l’évaluation des motifs d’arrestation objectifs, les tribunaux doivent reconnaître que [traduction] « [s]ouvent, la décision du policier d’effectuer une arrestation doit être prise rapidement dans une situation instable qui évolue vite. La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que celui‑ci peut s’offrir. Le policier doit prendre sa décision en fonction des renseignements dont il dispose, lesquels sont souvent loin d’être exacts ou complets » (R. c. Golub (1997), 1997 CanLII 6316 (ON CA), 34 O.R. (3d) 743 (C.A.), p. 750, le juge Doherty). Les tribunaux doivent également se rappeler que [traduction] « [d]éterminer s’il existe des motifs suffisants pour justifier un exercice des pouvoirs policiers ne constitue pas “un exercice scientifique ou métaphysique”, mais plutôt un exercice qui commande l’application “[du] bon sens, [de] la flexibilité et [de] l’expérience pratique quotidienne” » (R. c. Canary2018 ONCA 304, 361 C.C.C. (3d) 63, par. 22, la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de l’Ontario), citant l’arrêt MacKenzie, par. 73).

6.   Les « motifs raisonnables et probables » constituent une norme plus rigoureuse que celle des « soupçons raisonnables ». La norme des soupçons raisonnables exige la possibilité raisonnable d’un crime, alors que celle des motifs raisonnables et probables exige la probabilité raisonnable d’un crime (Chehil, par. 27R. c. Debot1989 CanLII 13 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 1140, p. 1166). Par ailleurs, la police n’a pas besoin, avant de procéder à une arrestation, de disposer d’une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité (Storrey, p. 251; Shepherd, par. 23Tim, par. 24). Elle n’a pas non plus besoin d’établir selon la prépondérance des probabilités que l’infraction a été commise (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 114; voir aussi R. c. Henareh, 2017 BCCA 7, par. 39 (CanLII)R. c. Loewen2010 ABCA 255, 490 A.R. 72, par. 18). Pour satisfaire à la norme des motifs raisonnables et probables, il faut plutôt avoir des « motifs raisonnables de croire qu’une personne [. . .] est » impliquée dans l’infraction (MacKenzie, par. 74 (italique omis); Debot, p. 1166). Des motifs raisonnables de croire existent s’ils possèdent « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » (Mugesera, par. 114; voir aussi R. c. Al Askari, 2021 ABCA 204, 28 Alta. L.R. (7th) 129, par. 25R. c. Omeasoo2019 MBCA 43, [2019] 6 W.W.R. 280, par. 30R. c. Summers, 2019 NLCA 11, 4 C.A.N.L.R. 156, par. 21). La police n’est pas non plus tenue, avant de procéder à une arrestation, de pousser l’enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou pour écarter des explications possiblement innocentes pour les événements (Chehil, par. 34Shepherd, par. 23R. c. Ha2018 ABCA 233, 71 Alta. L.R. (6th) 46, par. 34R. c. MacCannell2014 BCCA 254, 359 B.C.A.C. 1, par. 44‑45R. c. Rezansoff2014 SKCA 80, 442 Sask. R. 1, par. 28; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (3e éd. (feuilles mobiles)), § 5:40).

7.   La police ne peut pas invoquer des éléments de preuve découverts après l’arrestation pour justifier les motifs d’arrestation subjectifs ou objectifs (R. c. Biron1975 CanLII 13 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 56, p. 72R. c. Brayton2021 ABCA 316, 33 Alta. L.R. (7th) 241, par. 43Ha, par. 20‑23R. c. Montgomery2009 BCCA 41, 265 B.C.A.C. 284, par. 27; Ewaschuk, § 5:40).

8.   Lorsqu’un policier donne l’ordre à un autre policier de procéder à une arrestation, il faut que le policier qui a donné l’ordre ait eu des motifs raisonnables et probables. Il importe peu que le policier qui procède à l’arrestation ait eu ou non lui‑même des motifs raisonnables et probables (Debot, p. 1166‑1167).

[73]                          L’existence de motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation sans mandat est fondée sur les conclusions factuelles du juge du procès, lesquelles sont susceptibles de contrôle uniquement en cas d’erreur manifeste et dominante. La question de savoir si les faits constatés par le juge du procès constituent des motifs raisonnables et probables est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Shepherd, par. 20Tim, par. 25).

[24]        Tout d’abord, quant à la demande à l’appelant de sortir de son véhicule automobile, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’un ordre légal et légitime.

[25]        La première juge ne commet aucune erreur lorsqu’elle accepte l’explication de la policière à l’effet qu’il y avait urgence d’agir vu l’état anormal de l’appelant, que le véhicule automobile était au neutre et en marche (Notes sténographiques, décision, page 26). Il y avait un danger, non théorique, que l’appelant puisse faire avancer la voiture.

[26]        Il ressort aussi du témoignage de la policière qu’à partir du moment où ils ont écarté la possibilité d’un malaise, ils se sont concentrés sur l’enquête pour facultés affaiblies, les motifs raisonnables prenant forme.

[27]        La demande de sortir du véhicule automobile fut faite en raison de la configuration des lieux qui n’étaient pas sécuritaires et parce qu’il n’était pas possible de travailler dans ces circonstances.

[28]        Les propos tenus par l’honorable James Brunton JCS dans Lefebvre c. R.*, 2008 QCCS 1926 trouvent application en l’espèce :

[10]           Dans l'arrêt Mann, la Cour suprême a noté qu'elle avait adopté, précisé et appliqué progressivement l'analyse à deux volets adoptée dans l'arrêt R. c. Waterfield[1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.) pour déterminer si un policier a agi conformément aux pouvoirs que lui confère la common law :[…]

[11]           La Cour est d'avis, en se servant de cette grille d'analyse, que les gestes posés par l'agent de la paix à l'endroit de l'appelant lors de son interception n'ont résulté dans aucune violation constitutionnelle.

[12]           La détention initiale pour enquêter un véhicule sans plaque d'immatriculation, qui roulait à grande vitesse, rencontrait le premier volet de l'arrêt Mann. Le policier avait le devoir, en vertu de la common law et du Code de la sécurité routière, de voir au respect de l'enregistrement des véhicules et de la sécurité sur les voies publiques.

[13]           Ayant constaté une odeur d'alcool et en présence d'un conducteur qui était détenteur d'un permis de conduire probatoire, le policier avait le devoir de poursuivre son enquête. Encore, ce devoir reflétait l'obligation du policier de voir à la sécurité sur les voies publiques.

[14]           La décision du policier de demander à l'appelant de descendre du véhicule rencontrait le deuxième volet de l'analyse adoptée par Mann. La demande était raisonnablement nécessaire pour permettre au policier de poursuivre son enquête. La nature de l'atteinte à la liberté de l'appelant, à ce moment, était minime. On demandait à l'appelant de descendre de son véhicule pour quelques secondes et de diriger son haleine vers le policier.

[15]           Ces faits distinguent cette cause des arrêts Lalonde et Lessard. Dans Lalonde, le policier a avoué qu'il n'avait aucune raison de demander au conducteur de descendre de son véhicule :

[…]

[18]           Ayant décidé dans le présent dossier que le policier était en droit de demander à l'appelant de descendre de son véhicule, la Cour rejette l'argument avancé que les soupçons de consommation d'alcool devaient exister avant cet ordre. Si le policier avait le droit de formuler sa demande, il avait le droit d'acquérir des soupçons de consommation une fois l'appelant sorti de son véhicule.

[29]        En l’espèce, il ne ressort nulle part dans la preuve que l’ordre de sortir du véhicule automobile fut donné dans le but de faire des tests symptomatiques, ce qui est par ailleurs reconnu par l’appelant.

[30]        Évidemment, les policiers n’ont pas à détourner le regard lorsque l’appelant marche. Ils ont constaté qu’il titubait.

[31]        Ils avaient déjà acquis des motifs raisonnables lors du réveil de l’appelant, alors qu’il était encore assis dans son véhicule automobile. Sa démarche chancelante n’a que cristallisé ces motifs. Par la suite, ils ont procédé à l’arrestation de l’appelant (Notes sténographiques du 24 mai 2022, pages 62-63).

[32]        Aussi, la policière témoigne à l’effet que « l’absence d’odeur d’alcool » avant l’arrestation de l’appelant ne l’a pas fait « douter » quant à l’existence de motifs raisonnables déjà acquis (Notes sténographiques du 24 mai 2022, pages 64).

[33]        La policière ajoute lors de son témoignage que s’ils n’ont pas soumis l’appelant à des épreuves de coordination de mouvement c’est qu’à sa sortie du véhicule automobile ils avaient déjà acquis des motifs raisonnables de croire (Notes sténographiques du 24 mai 2022, page 66).

[34]        La première juge ne commet aucune erreur en affirmant que ni la durée de l’enquête ni l’absence d’odeur d’alcool ne sont des éléments déterminants quant à la formation de motifs raisonnables et cite adéquatement les affaires R. v. Bush, 2010 ONCA 554, par. 70 et Kovacs c. R., 2016 QCCS 6521. (Décision, notes sténographiques du 27 septembre 2022, page 17)

[35]        Le juge du procès doit éviter d’analyser isolément les symptômes considérés par les policiers.

[36]        La première juge ne commet aucune erreur en considérant l’ensemble des symptômes tout en soulignant l’absence d’odeur d’alcool.

[37]        La policière n’avait pas à pousser plus loin l’enquête. Ce serait pure spéculation de penser que d’avoir pris plus de temps à enquêter ou d’avoir procéder à des tests symptomatiques que ceci aurait pu affecter les motifs raisonnables déjà acquis.

[38]        La policière, après avoir écarté la possibilité d’un problème médical, formait déjà des motifs raisonnables, puisqu’elle ne pouvait envisager d’autres causes que l’intoxication pour expliquer l’état anormal de l’appelant.

[39]        Le défaut de recourir à certains moyens d’enquête comme l’ADA ou les tests symptomatiques ne font pas obstacle à ce qu’un policier puisse entretenir une croyance fondée sur des motifs raisonnables (R. v. Gunn, 2012 SKCA 80).

[41]        Dans les circonstances, la première juge n’avait pas à spéculer sur des hypothèses qui ne trouvaient aucune assise dans la preuve.

[42]        Elle pouvait raisonnablement conclure que les observations des policiers permettaient à une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, d’acquérir ces mêmes motifs.

[43]        En résumé, la première juge a considéré adéquatement l’effet cumulatif des facteurs suivants :

         L’appelant dormait profondément au volant de son véhicule automobile;

         Le véhicule automobile est en marche;

         L’appelant ne réagit aucunement aux nombreux coups donnés dans la vitre, à la sirène, au klaxon, à la vitre qui éclate en morceaux;

         L’appelant ne réagit pas aux mouvements de la policière qui tente de débarrer la portière;

         Il ne se réveillera qu’après plusieurs stimuli et cris des policiers;

         Il a les yeux injectés de sang, qui roulent vers le haut;

         Il a des mouvements lents dans le véhicule automobile;

         En sortant du véhicule, il doit se tenir sur celui-ci;

         Il a de la difficulté à marcher, il titube.

         L’absence d’odeur d’alcool.

[44]        Ces facteurs analysés globalement étaient suffisants pour conférer au policier des motifs raisonnables de procéder à l’arrestation de l’appelant.

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