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mercredi 23 juillet 2025

Principes régissant le critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses et norme de contrôle en appel

R. c. Pan, 2025 CSC 12

Lien vers la décision


[35]                          La décision d’un juge de première instance sur la vraisemblance est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (R. c. Tran2010 CSC 58[2010] 3 R.C.S. 350, par. 40R. c. Alas2022 CSC 14[2022] 1 R.C.S. 283, par. 3).

[36]                          Le ministère public insiste sur le fait que, bien que cette question soit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, [traduction] « lorsqu’aucune erreur n’est relevée, une certaine déférence s’impose à l’égard de la décision du juge du procès » (m.a., par. 73). Le ministère public invoque certains arrêts de cours d’appel intermédiaires faisant état d’une incertitude sur la nature de la déférence à accorder au juge du procès dans ce contexte (voir, p. ex., R. c. Land2019 ONCA 39145 O.R. (3d) 29, par. 71R. c. Paul2020 ONCA 25963 C.R. (7th) 377, par. 26‑27R. c. Suthakaran2024 ONCA 50433 C.C.C. (3d) 175, par. 15).

[37]                          Il est vrai qu’il y a eu de l’incertitude par le passé au sujet de la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y avait vraisemblance (voir, p. ex., R. c. Thibert1996 CanLII 249 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 37, par. 33). Dans des affaires telles Thibert, la question n’a pas été caractérisée comme une question de droit contrôlable selon la norme de la décision correcte. Cependant, maintenant qu’il a catégoriquement été établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, cela a pour effet d’éliminer tout besoin de déférence. La décision correcte signifie que « les cours d’appel ont toute latitude pour substituer leur opinion à celle des juges de première instance » (Housen c. Nikolaisen2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8). Les juges de première instance doivent trancher la question de la vraisemblance correctement, à défaut de quoi ils commettent une erreur de droit susceptible de contrôle (voir Cinous, par. 55). Je rejetterais l’invitation du ministère public de nous écarter du sens établi de la norme de la décision correcte dans ce contexte. Introduire un certain degré de déférence en l’espèce ne ferait que créer de la confusion et des complications inutiles dans le droit en matière de norme de contrôle.

[38]                          Ma collègue parvient à une interprétation différente de la norme de contrôle. Elle affirme que le juge du procès est le mieux placé pour statuer sur la vraisemblance (par. 187) et que la déférence à l’égard de l’évaluation limitée de la preuve par le juge du procès peut aisément coexister avec la norme de la décision correcte pour ce qui est de la décision ultime (par. 184). Cependant, comme l’a conclu notre Cour dans l’arrêt R. c. Buzizi2013 CSC 27, [2013] 2 R.C.S. 248, « le juge d’instance ne jouit aucunement d’une “position privilégiée” pour déterminer la vraisemblance d’un moyen de défense, ce qui est une question de droit » (par. 15). De plus, dans des affaires comme la présente qui reposent sur une preuve circonstancielle, une évaluation limitée de la preuve par le juge du procès sera coextensive à son examen de la vraisemblance. La décision du juge du procès en l’espèce montre qu’il est futile d’essayer d’isoler le processus d’évaluation limitée par rapport à la décision selon laquelle il y a vraisemblance de telle sorte qu’une norme de contrôle puisse s’appliquer au premier et une autre à la seconde. Il n’a établi aucune distinction de la sorte.

[39]                          Ma collègue fait une analogie avec des affaires où les tribunaux font preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, mais n’en font pas en ce qui a trait à la question de droit ultime à laquelle ces conclusions se rattachent (par. 185). Soit dit en tout respect, je ne puis voir la pertinence de ces affaires en ce qui concerne la question en l’espèce. Une caractéristique centrale du critère de la vraisemblance et de l’opération d’évaluation limitée est le fait que le juge du procès n’est pas autorisé à tirer des conclusions de fait (Cinous, par. 54). La constatation des faits est une opération fondamentalement différente. Comme l’a reconnu la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Paul, l’évaluation limitée commande [traduction] « nécessairement moins » de déférence que la constatation des faits, car certaines des raisons qui justifient la déférence envers les juges de première instance, par exemple leur position privilégiée pour apprécier la crédibilité, ne sont d’aucune pertinence à l’égard d’une évaluation limitée (par. 30, citant Housen, par. 15‑18). En conséquence, bien que je convienne avec ma collègue que les conclusions de fait du juge du procès commandent la déférence, cela n’appuie pas la conclusion selon laquelle la déférence s’impose en l’espèce.

[40]                          Il ressort clairement d’arrêts comme Paul et Land que la confusion dans ce domaine a généré de la [traduction] « complexité » pour les cours d’appel (Land, par. 71). Notre Cour peut résoudre cette complexité et il est dans l’intérêt de la justice de le faire.

(3)         Principes régissant le critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[41]                          Notre Cour a traité en profondeur de la question de savoir dans quelles circonstances un moyen de défense devait être soumis à l’appréciation du jury et, dans ce contexte, elle a formulé le critère de la vraisemblance avec précision et clarté (voir, p. ex., R. c. Osolin1993 CanLII 54 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Park1995 CanLII 104 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 836; R. c. Davis1999 CanLII 638 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 759; Cinous). Le critère de la vraisemblance a également été appliqué, à la fois par notre Cour et par d’autres cours d’appel, pour déterminer dans quelles circonstances une infraction incluse peut être soumise à l’appréciation du jury (voir, p. ex., R. c. Aalders1993 CanLII 99 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 482; RonaldChacon-PerezTenthoreyR. c. Nason2015 NBCA 34, 437 R.N.‑B. (2e) 259; R. c. Chalmers2009 ONCA 268243 C.C.C. (3d) 338). Bien que le critère de la vraisemblance soit constamment utilisé à cette fin, peu de choses ont été dites sur la manière dont l’approche appliquée à l’égard du critère peut différer et sur les considérations inédites qui peuvent entrer en jeu lorsqu’il est question d’infractions incluses et non pas de moyens de défense. Le présent pourvoi offre l’occasion de se pencher directement là‑dessus.

a)            Considérations concurrentes du critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[42]                          Le critère de la vraisemblance vise à établir un équilibre entre deux considérations concurrentes. D’une part, les thèses farfelues qui n’ont aucun fondement probatoire doivent être exclues de l’examen du jury. Proposer ces thèses au jury ne servirait aucun objectif de recherche de la vérité et ne ferait que créer de la confusion, qu’inciter à faire des compromis inacceptables et qu’allonger inutilement l’exposé du juge (voir Park, par. 11Osolin, p. 683; voir aussi R. c. Matchett, 2018 BCCA 117, 359 C.C.C. (3d) 363, par. 23).

[43]                          L’importance de ne pas soumettre à l’appréciation du jury des thèses insoutenables est amplifiée dans le contexte des infractions incluses. Alors que le fait de donner des directives au jury sur un moyen de défense insoutenable fait courir le risque d’un acquittement non étayé par la preuve, le fait de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse insoutenable fait courir le risque d’une déclaration de culpabilité déraisonnable, qui est « l’erreur qui est peut‑être la plus grave de toutes » (R. c. Biniaris2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 26).

[44]                          D’autre part, en fixant le seuil de preuve à un niveau peu élevé, le critère de la vraisemblance garantit que toutes les thèses valables sont soumises à l’examen attentif du jury. De cette manière, le critère facilite l’exercice du droit de la personne accusée d’être jugée par un jury, si elle le désire, plutôt que par un juge siégeant seul (voir Osolin, p. 690, citant P. Hogg, Constitutional Law of Canada (3e éd. 1992), vol. 2, p. 48‑15; R. c. Fontaine2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, par. 58‑60). Les juges de première instance doivent faire attention de ne pas compromettre ce choix protégé en statuant sur des questions qui relèvent à juste titre du jury.

[45]                          Bien que les infractions incluses ne soient pas complètement analogues aux moyens de défense, la question de savoir s’il convient de soumettre ces infractions à l’appréciation du jury fait également intervenir le droit de présenter une défense pleine et entière dans la mesure où les soumettre à cette appréciation donne au jury une voie additionnelle permettant de conclure que l’accusé n’est pas coupable de l’infraction principale. D’ailleurs, notre Cour a reconnu que ne pas soumettre un verdict réaliste à l’appréciation du jury présente le risque que le jury, appelé à choisir entre une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction principale et un acquittement, rende un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale simplement parce qu’un acquittement serait « prononcé à contrecœur » (R. c. Haughton1994 CanLII 73 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 516, p. 517).

[46]                          Ces considérations concurrentes font ressortir une caractéristique unique des infractions incluses. Alors que les moyens de défense sont purement disculpatoires, les infractions incluses possèdent à la fois une dimension disculpatoire — en ce sens qu’elles sont disculpatoires à l’égard de l’infraction principale — et une dimension inculpatoire évidente. En conséquence, alors que les moyens de défense sont invoqués par l’accusé, la partie qui cherche à faire soumettre une infraction incluse à l’appréciation du jury sera différente d’une affaire à l’autre.

[47]                          Une norme juridique comme le critère de la vraisemblance ne varie pas en fonction de la partie qui soutient que le critère est respecté; toutefois, lorsque c’est l’accusé plutôt que le ministère public qui soutient qu’il y a lieu de soumettre l’infraction incluse à l’appréciation du jury, le tribunal doit être conscient que sa décision influera sur le droit de l’accusé de contrôler sa propre défense. La même considération n’entrera pas en jeu lorsque c’est le ministère public qui prétend que l’infraction incluse devrait être soumise à l’appréciation du jury.

[48]                          En gardant ces considérations à l’esprit, j’examine d’abord ce que signifie le fait qu’une infraction incluse soit vraisemblable. J’explique ensuite comment la façon d’aborder la preuve peut varier selon les différents types de cas, malgré le fait que le critère reste fondamentalement le même. Enfin, je précise le type d’évaluation de la preuve qui est permis pour trancher la question de savoir s’il y a vraisemblance au vu de la preuve.

b)            Critère de la vraisemblance à l’égard des infractions incluses

[49]                          Un accusé inculpé d’une infraction peut être acquitté de cette infraction, mais néanmoins être déclaré coupable d’une infraction incluse, même si le chef d’accusation ne fait pas expressément mention de l’infraction incluse. Une infraction est dite « incluse » à cet effet lorsqu’elle est définie comme telle dans le Code criminel ou lorsque ses éléments font partie de l’infraction imputée « telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation » lui‑même (art. 662; voir R. c. G.R.2005 CSC 45[2005] 2 R.C.S. 371, par. 25 et 29‑33; voir aussi M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2024 (31e éd. 2024), par. 34.51‑34.53; S. Penney, V. Rondinelli et J. Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada (3e éd. 2022), ¶11.21).

[50]                          Lorsqu’une infraction est à juste titre une infraction incluse conformément à ces principes, la question distincte de savoir si cette infraction devrait être soumise à l’appréciation du jury se pose. Une infraction incluse doit être soumise à l’appréciation du jury si, et seulement si, elle est vraisemblable, ce qui signifie qu’il existe une possibilité réaliste qu’un acquittement soit prononcé relativement à l’infraction principale et qu’un verdict de culpabilité soit rendu pour l’infraction incluse (voir R. c. Wolfe2024 CSC 34, par. 50Joseph c. R.2018 QCCA 1441, par. 19R. c. Smith2023 NBCA 20par. 33R. c. Iyamuremye2017 ABCA 276, 355 C.C.C. (3d) 289, par. 82; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.27‑33.28).

[51]                          Pour décider s’il s’agit d’une possibilité réaliste, le juge du procès doit se demander s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire d’avoir un doute raisonnable à l’égard d’éléments de l’infraction principale qui la distinguent de l’infraction incluse, tout en acceptant hors de tout doute raisonnable tous les éléments de l’infraction incluse (R. c. Wong (2006), 2006 CanLII 18516 (ON CA)209 C.C.C. (3d) 520 (C.A. Ont.), par. 12Ronald, par. 46Tenthorey, par. 63Chacon-Perez, par. 162). L’enquête exige que le juge examine la preuve dans son ensemble et qu’il garde à l’esprit que, conformément à la présomption d’innocence, un jury peut toujours rejeter des éléments de preuve ou refuser de tirer des inférences particulières (Ronald, par. 48Joseph, par. 25).

c)            L’application du critère est contextuelle

[52]                          La notion de « vraisemblance » intervient dans plusieurs contextes distincts. La question, d’une manière générale, est toujours de savoir si les inférences de fait nécessaires sont possibles sur le fondement d’une interprétation raisonnable de la preuve. Cependant, l’approche différera naturellement selon les types d’inférences en cause ou, autrement dit, selon la conclusion dont on dit qu’elle est vraisemblable.

[53]                          L’appréciation de la question de savoir si un moyen de défense positif est vraisemblable, par exemple, exige que le tribunal examine les inférences de fait distinctes qui forment ensemble les éléments juridiques du moyen de défense. L’analyse comporte un examen contextuel du dossier visant à rechercher des éléments de preuve qui peuvent étayer ces inférences distinctes (voir CinousOsolinPark; voir aussi Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23).

[54]                          En revanche, dans certains cas, les inférences de fait exigées pour rendre un verdict de culpabilité relativement à une infraction incluse seront simplement un sous‑ensemble des inférences nécessaires pour rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction principale. La seule véritable question dans de tels cas est de savoir si les inférences distinctives sont factuellement isolables de telle sorte qu’un jury pourrait avoir un doute raisonnable uniquement à l’égard de ces inférences. La question n’est pas de savoir s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour les étayer (voir RonaldTenthorey). Il s’agit de questions distinctes sur le plan analytique.

[55]                          Les faits de l’affaire Ronald en sont un exemple. Dans cette affaire, afin de déclarer l’autrice principale coupable de meurtre au premier degré, le jury devait être convaincu hors de tout doute raisonnable qu’elle avait intentionnellement tué la victime, en ce qu’elle avait au préalable prémédité le meurtre. Le fondement factuel d’une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré pour cette accusée était le même, mais sans la préméditation et le propos délibéré. Dans ce dossier, la question était simplement de savoir si le jury aurait pu de manière réaliste avoir un doute raisonnable relativement à l’élément de la préméditation et du propos délibéré qui distingue le meurtre au premier degré du meurtre au deuxième degré tout en acceptant hors de tout doute raisonnable les autres éléments qui constituent le meurtre au deuxième degré (par. 61).

[56]                          La simplicité de l’enquête dans l’arrêt Ronald explique la remarque formulée par le juge d’appel Doherty, au par. 47, selon laquelle aucun [traduction] « fardeau de présentation » n’incombe à la partie qui demande à ce qu’une infraction incluse soit soumise à l’appréciation jury :

     [traduction] Lorsque la défense, ou le ministère public, prétend qu’un jury devrait recevoir des directives sur la possibilité d’une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré, il n’est pas essentiel que la partie qui demande ces directives fasse état d’éléments de preuve pouvant étayer des inférences qui sont incompatibles avec la préméditation et le propos délibéré. Contrairement à ce qu’il en est pour les moyens de défense positifs, aucun fardeau de présentation n’incombe à la défense, ou au ministère public, pour mettre « en jeu » la possibilité d’une déclaration de culpabilité pour l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré. Il suffit qu’au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable puisse ne pas être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le meurtre a été commis avec préméditation et de propos délibéré. Cette incertitude possible peut servir de fondement à un verdict approprié de non‑culpabilité de meurtre au premier degré, mais de culpabilité relativement à l’infraction incluse de meurtre au deuxième degré.

[57]                          J’interprète la remarque du juge Doherty comme indiquant que le juge du procès n’a pas besoin de rechercher des éléments de preuve contredisant l’inférence distinctive — c’est‑à‑dire qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant une autre version des faits —, mais qu’il doit plutôt examiner « l’ensemble de la preuve » pour déterminer si un doute raisonnable sur ce seul élément est réalistement possible. Dans l’arrêt Ronald, l’inférence distinctive était la préméditation et le propos délibéré, et le juge Doherty a correctement expliqué que le jury avait le droit d’avoir un doute raisonnable en ce qui concerne cette inférence. Il a fait observer qu’établir la viabilité de l’infraction incluse en l’espèce n’imposait pas réellement un « fardeau de présentation » à l’accusé en ce sens qu’il n’exigeait pas que le jury accepte des inférences de fait additionnelles.

[58]                          Toutefois, dans d’autres cas, particulièrement ceux qui sont compliqués par des questions de responsabilité à titre de participant, la voie menant à une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction incluse peut en effet exiger des inférences de fait additionnelles, et non pas simplement moins d’inférences de fait. Pour que ce type d’infraction incluse soit soumis à l’appréciation du jury, il doit y avoir un fondement solide permettant au jury d’avoir un doute raisonnable à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, tout en n’ayant aucun doute de la sorte en ce qui a trait à l’ensemble des inférences, y compris les inférences de fait additionnelles, qui confirment l’infraction incluse.

[59]                          La présente affaire est un bon exemple. Comme l’a reconnu la Cour d’appel, [traduction] « dans les affaires comme celle‑ci [. . .], la voie menant à une infraction incluse ne se présente pas nécessairement dès qu’il existe un doute raisonnable concernant la préméditation et le propos délibéré » (par. 64). Pour certains des intimés, la voie menant à la responsabilité à l’égard de l’infraction principale de meurtre au premier degré passe par la responsabilité en tant que participant prévue au par. 21(1) du Code criminel. Pour déclarer ces intimés coupables de l’infraction principale, le jury doit reconnaître qu’ils ont apporté leur aide ou leur encouragement dans le meurtre prémédité de Mme Pan. En revanche, la voie menant à la responsabilité pour les infractions incluses de meurtre au deuxième degré et d’homicide involontaire coupable passe par la responsabilité fondée sur l’intention commune en vertu du par. 21(2). Pour les déclarer coupables de meurtre au deuxième degré, par exemple, le jury doit reconnaître que les intimés ont formé le dessein de tuer M. Pan, et qu’ils savaient que la réalisation de leur plan aurait pour conséquence probable la mort de Mme Pan. Une déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, repose sur des inférences de fait différentes, et non pas simplement moins d’inférences de fait.

[60]                          Le juge du procès, dans des cas comme celui‑ci, doit se demander si, au vu de l’ensemble de la preuve, un jury raisonnable pourrait avoir un doute raisonnable sur l’un ou l’autre des éléments distinctifs de l’infraction principale, et également si le jury pourrait de manière réaliste accepter les inférences de fait sous‑jacentes à une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. En ce sens, de tels cas ressemblent à des cas de défense parce qu’il ne suffit pas de simplement conclure que le jury pourrait avoir un doute raisonnable concernant les inférences distinctives tout en n’ayant pas un tel doute à l’égard des inférences restantes.

[61]                          Il n’est pas surprenant que la façon d’aborder la preuve varie selon les différents types de cas. La question de savoir s’il y a un fondement probatoire à un moyen de défense distinct diffère de la question de savoir si un jury pourrait avoir un doute isolable à l’égard de l’élément distinctif d’une infraction principale, question qui, pour sa part, diffère de celle de savoir si des types plus complexes d’infractions incluses sont soutenables au vu du dossier. À la base, cependant, décider s’il y a vraisemblance impliquera toujours un examen contextuel visant à déterminer si le dossier peut de manière réaliste étayer le raisonnement proposé (voir Chacon-Perez, par. 164Ronald, par. 43). Que l’analyse soit décrite comme imposant un fardeau de présentation dans le contexte des moyens de défense, ou simplement comme une appréciation de l’ensemble de la preuve dans le contexte des infractions incluses, la question primordiale est la même.

[62]                          En somme, une infraction incluse sera vraisemblable s’il existe une interprétation raisonnable de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse et un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale. Le juge du procès doit se demander non seulement si l’interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre d’avoir un doute à l’égard des éléments distinctifs de l’infraction principale, mais aussi si la même interprétation raisonnable de la preuve pourrait permettre au jury de conclure que tous les éléments de l’infraction incluse sont établis. Cela soulève la question de savoir si une interprétation donnée de la preuve est raisonnable à cette fin.

d)            Seuil de preuve et « évaluation limitée »

[63]                          Comme c’est le cas pour tout examen concernant la vraisemblance, le seuil de preuve énoncé dans l’arrêt Cinous constitue un point de départ utile. Le seuil consiste à se demander « s’il existe une preuve ou quelque élément de preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de prononcer l’acquittement, s’il y ajoutait foi » (par. 83). Lorsque cet énoncé est adapté au contexte des infractions incluses, la question pertinente est de savoir s’il existe des éléments de preuve qui permettraient à un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant raisonnablement de rendre un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale tout en rendant un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse. Comme l’a expliqué le juge Doherty dans l’arrêt Ronald, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des éléments de preuve étayant le doute. Au vu de l’ensemble de la preuve, un doute raisonnable à l’égard des inférences distinctives doit plutôt être compatible sur le plan fonctionnel avec une absence d’un tel doute en ce qui a trait aux inférences nécessaires restantes.

[64]                          Dans les cas qui mettent en jeu des éléments de preuve circonstancielle, le juge du procès qui se demande s’il y a vraisemblance doit procéder à une « évaluation limitée » de la preuve (R. c. Arcuri2001 CSC 54[2001] 2 R.C.S. 828, par. 23voir aussi Cinous, par. 90). Cette opération est nécessaire, car « la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés » (Arcuri, par. 23). Dans le cadre du processus d’évaluation limitée, le juge du procès ne tire pas d’inférences de fait, mais il arrive plutôt « à une conclusion concernant les inférences de fait qui pourraient raisonnablement être faites » (Cinous, par. 91). En d’autres mots :

      . . . le juge doit s’abstenir « de se prononcer sur la crédibilité des témoins, d’apprécier la valeur probante de la preuve, de tirer des conclusions de fait ou de faire des inférences de fait précises », peu importe jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente pour lui. En fait, il doit, à cette étape des procédures, tenir pour vrai tous les témoignages rendus. Néanmoins, s’il l’estime opportun, le juge peut se livrer à une évaluation limitée de la preuve considérée dans son ensemble, comme il le ferait pour décider du renvoi à procès à l’issue de l’enquête préliminaire. [Je souligne; notes en bas de page omises.]

      (Vauclair, Desjardins et Lachance, par. 33.23)

[65]                          Les inférences de fait qui découlent raisonnablement de la preuve doivent être mises à la disposition du jury même lorsque le juge du procès estime que d’autres inférences plus plausibles pourraient être tirées. Autrement dit, l’opération d’« évaluation limitée » ne fait pas de comparaison entre des inférences concurrentes. Cette forme d’analyse comparative est un exemple d’évaluation substantielle, qui dépasse de la portée du critère de la vraisemblance (Cinous, par. 90R. c. Pappas2013 CSC 56[2013] 3 R.C.S. 452, par. 26).

[66]                          Lorsqu’il effectue une évaluation limitée de la preuve, le juge du procès n’est pas autorisé à apprécier la crédibilité ou la fiabilité (Cinous, par. 90). L’exception étroite à la règle selon laquelle la preuve doit être tenue pour vraie est qu’une simple assertion, sans plus, peut être insuffisante pour établir la vraisemblance (Aalders, p. 505; Park, par. 20).

[67]                          Un exemple d’évaluation limitée autorisée consiste à se demander si le raisonnement proposé entre en conflit avec des éléments de preuve qui ne sont pas sérieusement contestés. Selon la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Park« [l]orsque, examinée d’un œil réaliste, la preuve en faveur de l’accusé qui est sérieusement contestée est manifestement et logiquement inconciliable avec la preuve qui n’est pas sérieusement contestée, on peut conclure alors, tant sur le plan du droit que sur celui de la logique, à l’invraisemblance du moyen de défense auquel se rapportent les contradictions constatées sur le plan de la logique » (par. 29 (soulignement omis)). Il en va de même pour les infractions incluses.

[68]                          Par exemple, dans l’affaire Aalders, l’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré après s’être introduit par effraction dans la résidence de la victime, l’avoir guettée pendant quelque quatre heures et lui avoir tiré dessus à huit reprises. Les balles ont toutes pénétré dans le torse et le cou de la victime, à l’exception d’une balle qui a pénétré dans sa jambe. Il existe une déduction conforme au bon sens selon laquelle une personne veut les conséquences de ses actes délibérés (R. c. Tatton2015 CSC 33[2015] 2 R.C.S. 574, par. 27). Au vu de l’ensemble de la preuve dans cette affaire, et malgré la déclaration de l’accusé selon laquelle il n’avait pas l’intention de tuer la victime, mais seulement de la blesser, l’infraction incluse d’homicide involontaire coupable n’était pas vraisemblable. Une simple assertion qui allait à l’encontre de tous les autres éléments de preuve n’aurait pas permis à un jury de raisonnablement rendre un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction incluse tout en rendant un verdict d’acquittement à l’égard de l’infraction principale (Aalders, p. 505; Park, par. 20).

[69]                          L’obligation du juge du procès de donner des directives au jury à l’égard d’une infraction incluse dépendra non seulement de la preuve présentée, mais également des questions juridiques soulevées et des thèses avancées (voir R. c. Sarrazin2010 ONCA 577259 C.C.C. (3d) 293par. 62, conf. par 2011 CSC 54, [2011] 3 R.C.S. 505; Chalmers, par. 52‑53). Dans l’affaire Wong, par exemple, l’accusé a prétendu avoir agi accidentellement ou, subsidiairement, avoir agi en légitime défense, lorsqu’il a blessé le collègue de son colocataire. Il a été accusé de voies de fait graves pour avoir infligé une blessure, mais il a été déclaré coupable par le jury de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles. Le juge Doherty a statué que l’infraction incluse n’aurait pas dû être soumise à l’appréciation du jury parce que l’élément distinctif de l’infraction principale — la nature de la blessure subie — n’était pas contesté. En conséquence, les seuls verdicts qui auraient dû pouvoir être rendus par le jury étaient une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction principale ou un acquittement complet (par. 12‑14).

[70]                          Il faut aussi tenir compte des cas dans lesquels la seule question que le jury devait trancher est celle de l’identité du contrevenant (voir, p. ex., Chacon-Perez). Les interprétations de la preuve dont dispose raisonnablement le jury dans de tels cas seront généralement soit que l’accusé a commis l’infraction principale, soit que quelqu’un d’autre l’a commise, aucun de ces scénarios n’étant compatible avec la déclaration de culpabilité de l’accusé pour une infraction incluse. En conséquence, ces cas justifieront généralement des accusations « tout ou rien », lesquelles exigent du jury qu’il rende soit un verdict de culpabilité en ce qui a trait à l’infraction principale, soit un verdict d’acquittement.

La preuve relative au comportement après le fait de l’accusé peut être pertinente pour trancher la question de l’intention et peut servir à étayer une distinction entre divers degrés de culpabilité

R. c. St-Jean, 2025 QCCA 178

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[64]      Dans l’arrêt Tshilumba, la Cour relève la conclusion qui découle de l’arrêt Calnen selon laquelle « la preuve relative au comportement après le fait de l’accusé peut être pertinente pour trancher la question de l’intention et peut servir à étayer une distinction entre divers degrés de culpabilité »[20].

[65]      Dans l’arrêt McGregor[21], le juge Watt de la Cour d’appel de l’Ontario résume succinctement les principes applicables :

[102] To be receivable, evidence of post-offence conduct must be relevant, material and not offend any other exclusionary rule of evidence, including the requirement that its probative value exceed its prejudicial effect: Calnen, at para. 107. Since receivability falls to be decided on this principled basis, no per se rule confines the answer to the receivability issue in any case. No prefabricated rule imposes a label of “always relevant” or “never relevant” when evidence of post-offence conduct is proposed for use in establishing a particular fact or issue: Calnen, at para. 119. So, for example, no legal impediment bars use of evidence of an accused’s post-offence conduct in determining his or her state of mind, and thus in distinguishing between or among different levels of culpability: Calnen, at para. 119; R. v. White (1998), 1998 CanLII 789 (CSC), 36 O.R. (3d) 223, [1998] 2 S.C.R. 72, [1998] S.C.J. No. 57, at para. 32R. v. White, [2011] 1 S.C.R. 433, [2011] S.C.J. No. 13, 2011 SCC 13, at para. 42R. v. Rodgerson, [2015] 2 S.C.R. 760, [2015] S.C.J. No. 38, 2015 SCC 38, at para. 20.

[66]      La jurisprudence est claire : le comportement après le fait est une preuve qui, selon les faits du dossier, peut être pertinente afin d’aider le jury à décider si le meurtre perpétré est un meurtre au premier degré ou au deuxième degré.

[67]      J’examine trois décisions de la Cour d’appel de l’Ontario sur lesquelles se fonde le poursuivant et qui soutiennent cette orientation, mais particulièrement dans un contexte où il existe une preuve de l’association continue entre les coaccusés après la commission d’un meurtre, une preuve pertinente et admissible pour déterminer si le meurtre commis est un meurtre au premier degré[22]. La preuve de l’association entre les coaccusés permet d’étayer une inférence que les événements se sont déroulés exactement selon le plan qui avait été préparé.

[68]      Dans l’arrêt S.B.1[23], le juge en chef Strathy se livre à une exégèse rigoureuse de la jurisprudence[24] et je reproduis deux paragraphes qui exposent bien son raisonnement :

[92]      Finally, in R. v. Aravena, [2015] O.J. No. 1910, 2015 ONCA 250, 333 O.A.C. 264, at paras. 125-130, leave to appeal to S.C.C. refused [2015] S.C.C.A. No. 497, 2016 CarswellOnt 5400, Doherty and Pardu JJ.A. held that the trial judge properly instructed the jury that it could consider that the accused was elated and excited after the killings in deciding whether he committed a planned and deliberate murder. The accused argued his post-offence conduct had no probative value concerning the degree of culpability for the homicides, because it was equally consistent with guilt of manslaughter, second degree murder and first degree murder. Doherty and Pardu JJ.A. disagreed. They explained that the accused’s happiness suggested a number of logical possibilities – namely, that he had obtained his goal, the events were not shocking but had unfolded according to plan, he knew about the plan and/or he aided the killers with knowledge of the plan: “[a]s a matter of logic and human experience, [the accused’s] conduct after the killing was relevant to whether he was a party to a planned and deliberate murder”: at para. 130. See, also, R. v. Khan, [2007] O.J. No. 4383, 2007 ONCA 779, 230 O.A.C. 174, at paras. 3-5.

[…]

[113]   The trial judge’s use of the post-offence conduct in this case was similar to the use made of such evidence to infer planned and deliberate murder in the cases I have discussed. Like MacKinnon’s excitement and laughter, White’s flight without hesitation, Vorobiov’s failure to flee, and Aravena’s elation, the conduct was inconsistent with the theory advanced by the accused and more consistent with the inference urged by the Crown.

[Le soulignement est ajouté]

[69]      Dans l’arrêt Café[25], le juge Trotter de la même cour abonde dans le même sens :

[55]      The admissibility of after-the-fact conduct evidence, and the use to be made of it by the trier of fact, depends on the nature of the evidence, the issues in the case, and the positions of the parties. Sometimes, this type of evidence may be probative of a person’s participation in a crime, but of no value in determining […] that person’s level of culpability. In other cases, “as a matter of common sense and human experience, the evidence will be capable of supporting an inference that an accused had a particular state of mind”: R. v. MacKinnon (1999), 1999 CanLII 1723 (ON CA), 43 O.R. (3d) 378 (C.A.), at pp. 383-84; R. v. White2011 SCC 13, [2011] 1 S.C.R. 433, at para. 42; and R. v. S.B.12018 ONCA 807, 143 O.R. (3d) 81, at paras. 68-71This court recently confirmed that evidence of after-the-fact conduct may assist a jury in distinguishing between different levels of culpability, including second degree and first degree murderMcGregor, at para. 102R. v. Adan2019 ONCA 709, at para. 69, citing R. v. Calnen2019 SCC 6, 374 C.C.C. (3d) 259, at para. 119per Martin J. (dissenting, but not on this point); R. v. Rodgerson2015 SCC 38, [2015] 2 S.C.R. 760, at para. 20; and R. v. Jackson2016 ONCA 736, 33 C.R. (7th) 130, at para. 20.

[56]      In MacKinnon, at para. 15, Doherty J.A. wrote that the after-the-fact conduct evidence adduced in that case, in the context of the evidence viewed in its entirety, supported the inference that the appellants “had done exactly what they had planned to do … commit a robbery and shoot Mr. Chow.” The same line of reasoning was utilized in R. v. Aravena2015 ONCA 250, 323 C.C.C. (3d) 54, at paras. 129-30, leave to appeal refused, [2015] S.C.C.A. No. 497. In both cases, evidence of after-the-fact conduct was left to the jury to consider on the issue of whether the murders were planned and deliberate. In this case, the Crown relied on some aspects of the appellant’s after-the-fact conduct for the same purpose.

[…]

[59]      Relying on Aravena and MacKinnon, the appellant argues that his after-the-fact conduct was not sufficiently proximate in time to Mr. Burnett’s murder to have any probative value. I disagree. Although both cases involved conduct that occurred in the immediate aftermath of the offences, Aravena and MacKinnon do not limit admissibility to these circumstances. This court recently acknowledged in McGregor, at para. 107, that after-the-fact conduct is “often removed temporally from the event to which it is said to relate.” The probative value of the conduct derives from the logical inferences that may be drawn when situated in the context of a pre-existing motive and post-conduct pleasure in having accomplished the premeditated killing.

[Le soulignement est ajouté]

[70]      Dans l’arrêt Atienza[26], la décision la plus récente traitant de cette question, le juge Copeland résume ce corpus jurisprudentiel :

[92]      Immediate flight by two accused persons from the scene of a crime together, and continued association on good terms after an offence may be probative of planning and deliberation. In R. v. MacKinnon (1999), 1999 CanLII 1723 (ON CA), 132 C.C.C. (3d) 545 (Ont. C.A.), Doherty J.A., writing for this court, held that flight together from the scene of a shooting, laughing together after the fact, and disposing of evidence could support the inference that the two accused had “done exactly what they planned to do, that is, enter the club, commit a robbery and shoot [the victim]”: at paras. 14-15. This court has recognized other circumstances in which the conduct of an accused after an offence may be relevant to planning and deliberation: see R. v. Aravena2015 ONCA 250, 323 C.C.C. (3d) 54, at paras. 128-130R. v. Café2019 ONCA 775, 381 C.C.C. (3d) 98, at paras. 55-56, 59. As noted above, the assessment of relevance for any particular inference from post-offence conduct is always a fact-specific exercise.

[93]      In this case, in the context of the association between the appellant and Ms. Phan by phone and text before the shooting, their joint presence at the scene of the shooting, and their joint flight from the scene, their continued association on good terms after the shooting was, as the trial judge instructed the jury, some evidence which: “could support an inference that they remained friendly because they had done what they planned to do at the scene and neither of them was caught off guard by an unexpected shooting.”

[94]      It is important to bear in mind the other evidence which the jury was entitled to consider in relation to planning and deliberation. This included evidence of motive or animus against Mr. Williams on the part of both the appellant and Ms. Phan; the phone and text communications between the appellant and Ms. Phan in the afternoon and evening leading up to the shooting; that firearms were brought to the scene; that the shooting happened very shortly after the arrival of the appellant on the scene; and whether the forensic evidence was consistent with Mr. Williams being shot by two shooters acting in tandem. In this context, the association between the appellant and Ms. Phan before (by phone calls and texts), during (both present at the scene of the shooting), and after the shooting was a piece of circumstantial evidence that could be weighed along with the rest of the evidence as relevant to planning and deliberation. The evidence of two people arguably acting in concert, as shown by their communication and association before, during, and after the shooting, on good terms throughout, is some evidence which, taken together with all of the evidence, could provide support for an inference of planning between the appellant and Ms. Phan.

[95]      The existence of explanations other than guilt for the post-offence association between the appellant and Ms. Phan did not render that evidence as having no probative value. It was for the jury to assess the evidence of the post-offence association in the context of all of the evidence, and consider what inference, if any, to draw from it in the context of any explanations: Calnen, at para. 112.

[Le soulignement est ajouté]

[71]      Il est vrai que les faits de chacune des affaires que je viens d’examiner se distinguent. Cela dit, le tronc commun qui unit toutes ces décisions soutient le raisonnement mis de l’avant par le poursuivant : la fuite immédiate de deux accusés qui quittent ensemble la scène d’un crime et leur association continue en bons termes après l’infraction peuvent être des indices de planification et de délibération.

Les inférences raisonnables selon l’expérience humaine et le bon sens

R. c. St-Jean, 2025 QCCA 178

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[48]      Selon un principe de droit bien connu, les « inférences doivent être raisonnables compte tenu d’une appréciation logique de la preuve ou de l’absence de preuve, et suivant l’expérience humaine et le bon sens »[12].

[49]      À cet égard, le poursuivant souligne que le juge qui avait présidé l’enquête préliminaire, et appliqué le même critère juridique[13], avait renvoyé les coaccusés à procès à l’égard d’une accusation de meurtre au premier degré. Cet autre juge s’exprimait ainsi :

La jurisprudence reconnaît que l’identification, l’intention de tuer, ainsi que la préméditation et le propos délibéré peuvent être étayés par une preuve exclusivement circonstancielle. Par ailleurs, il va de soi que l’absence de mobile explicite n’est pas synonyme d’insuffisance de preuve de préméditation, de propos délibéré ou d’intention de tuer. En l’espèce, après l’analyse de toutes les circonstances, il est clair que la preuve circonstancielle est de nature à démontrer l’implication de messieurs François et St-Jean dans le meurtre de monsieur Belange. Par ailleurs, aux yeux du Tribunal, un jury pourrait assurément conclure qu’ils étaient tous les deux sur les lieux; qu’ils s’y sont rendus de manière concertée et planifiée; qu’ils avaient prévu de se munir d’une arme de poing avant de se rendre à cet endroit; et qu’ils avaient planifié de s’enfuir à bord du véhicule de fuite qui les attendait. Bien que le coup de feu fatal ait été tiré après que monsieur Belange eut tenté de repousser ses deux assaillants, la chronologie de tous les événements, la nature concertée des actions des personnes impliquées, ainsi que la rapidité d’exécution, sont des éléments importants, significatifs et probables qui sont de nature à étayer l’infraction de meurtre au premier degré. Ayant procédé à une évaluation limitée de la preuve au sens de l’arrêt Arcuri […] et tenant compte de toutes les circonstances étayées par la preuve présentée à l’enquête préliminaire, le Tribunal est d’avis qu’un jury pourrait conclure que les accusés ont commis le meurtre de monsieur Valery Belange avec préméditation et de propos délibéré.


 

[50]      Ainsi, deux juges d’expérience tirent des conclusions divergentes au sujet des inférences qu’une preuve essentiellement semblable permet d’étayer.

[51]      Que doit-on en conclure? Que suggère cette évaluation différentielle? Comment dénouer ce désaccord à l’égard des inférences qui peuvent être tirées et quels principes permettent de trancher ces questions?

[52]      Les auteurs de l’ouvrage The Law of Evidence examinent le défi que pose le recours à l’expérience humaine et au bon sens pour identifier les inférences raisonnables pouvant être tirées de la preuve. À mon avis, leurs observations esquissent la voie à suivre pour résoudre ce désaccord au sujet des inférences que la preuve est susceptible d’étayer :

We draw inferences based on human experience and “common sense.” Yet, not everyone has had the same experiences or sees the world the same way. This can create controversy about whether evidence logically supports the desired inference. In R v White, the Supreme Court of Canada split starkly because of this. Some judges found that the failure of the accused to hesitate before running away after his illegal handgun discharged was logically more consistent with an intentional shooting than with the accidental shooting that the accused claimed. Other judges found this inference to be entirely speculative. “It seems to me every bit as plausible to conclude,” said Binnie J, “that a person in possession of an illegal handgun that just shot a stranger – accidentally or otherwise – would run away as fast and as far as he could without any hesitation.”

In general, given the room for debate that exists on questions of logical relevance, there are numerous sage passages suggesting that triers of fact should be given access to information they may find helpful in resolving the factual issues, even if others would disagree. After all, triers of fact are to render decisions according to their oaths and their consciences, and they should have available to them all the information they may consider to be of importance. If an inference is not “speculative or unreasonable,” the relevance standard will be met even if a judge would not personally rely on the evidence were they the trier of fact. As La Forest J said in R v Corbett:

[A]t the stage of the threshold inquiry into relevancy, basic principles of the law of evidence embody an inclusionary policy. . . .

In the absence of cogent evidence establishing that evidence . . . is irrelevant . . . the fact that reasonable people may disagree about its relevance merely attests to the fact that unanimity in matters of common sense and human experience is unattainable.[14]

[Les soulignements sont ajoutés et les références omises]

[53]      Dans la mesure où les inférences favorables au poursuivant doivent être préférées et qu’il appartient généralement au juge des faits de tirer les inférences appropriées, j’estime que le juge du procès a commis une erreur en imposant un verdict d’acquittement par rapport à l’infraction de meurtre au premier degré.

[54]      À mon avis, le fait que deux juges aient tiré des conclusions différentes démontre indubitablement qu’il appartenait au jury de déterminer si la preuve établissait la culpabilité des coaccusés pour l’infraction de meurtre au premier degré.

La preuve circonstancielle & le verdict imposé (non-lieu)

R. c. St-Jean, 2025 QCCA 178

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[33]      Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Barros[5], lorsque le poursuivant conteste la décision d’un juge qui impose un verdict d’acquittement, la norme de la décision correcte s’applique et n’appelle aucune déférence envers la décision du juge :

[48]      Le juge ne peut imposer un verdict s’il existe un quelconque élément de preuve directe ou circonstancielle admissible qui, s’il était accepté par un jury correctement instruit agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité : R. c. Charemski1998 CanLII 819 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 679, par. 14R. c. Bigras2004 CanLII 21267 (C.A. Ont.), par. 1017. La question de savoir si le critère juridique est satisfait eu égard aux faits est une question de droit qui ne commande pas, en appel, de déférence envers le juge du procès. Selon l’article 676 du Code criminel, le ministère public peut introduire un recours devant la cour d’appel si une erreur de droit a été commise.

[34]      Par ailleurs, le critère qui encadre la décision d’imposer un verdict d’acquittement est le même que celui que doit utiliser le juge présidant une enquête préliminaire :

21        La question que doit se poser le juge présidant l’enquête préliminaire aux termes du par. 548(1) du Code criminel est identique à celle que doit se poser le juge du procès saisi d’une requête de la défense en vue d’obtenir un verdict imposé, savoir « [s]’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité » : Shephard, précité, p. 1080; voir également R. c. Monteleone1987 CanLII 16 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 154, p. 160. Selon ce critère, le juge présidant l’enquête préliminaire doit renvoyer la personne inculpée pour qu’elle subisse son procès « chaque fois qu’il existe des éléments de preuve admissibles qui pourraient, s’ils étaient crus, entraîner une déclaration de culpabilité » : Shephard, p. 1080.[6]

[36]      La preuve soutenant la conclusion que le meurtre de la victime était prémédité et de propos délibéré était circonstancielle plutôt que directe.

[37]      La nature de la preuve a une incidence sur l’évaluation à laquelle procède le juge qui doit trancher une requête pour verdict dirigé d’acquittement. Même si ces principes sont bien connus, je renvoie à la formulation de ceux-ci dans l’arrêt Arcuri :

22           Le critère demeure inchangé qu’il s’agisse d’une preuve directe ou circonstancielle : voir Mezzo c. La Reine1986 CanLII 16 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 802, p. 842843; Monteleone, précité, p. 161. La nature de la tâche qui incombe au juge varie cependant selon le type de preuve présenté par le ministère public. Lorsque les arguments du ministère public sont fondés entièrement sur une preuve directe, la tâche du juge est claire. Par définition, la seule conclusion à laquelle il faut arriver dans une affaire comme l’espèce, concerne la véracité de la preuve : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence (1998), §8.0 ([TRADUCTION] « [l]a preuve directe est celle qui, si elle était crue, tranche la question en litige »); McCormick on Evidence (5e éd. 1999), p. 641; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), §2.74 (la preuve directe s’entend de la déposition d’un témoin quant au [TRADUCTION] « fait précis qui est au cœur du litige »). Il incombe au jury de dire s’il convient d’accorder foi à la preuve et jusqu’à quel point il faut le faire : voir Shephard, précité, p. 10861087. Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là. Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.

23           La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction. Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction — soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe — peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle. Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va audelà de la question de savoir si la preuve est digne de foi : voir Watts Manual of Criminal Evidenceop. cit., §9.01 (la preuve circonstancielle s’entend de [TRADUCTION] « tout élément de preuve, qu’il soit de nature testimoniale ou matérielle, autre que le témoignage d’un témoin oculaire d’un fait important. Il s’agit de tout fait dont l’existence peut permettre au juge des faits d’inférer l’existence d’un fait en cause »); McCormick on Evidenceop. cit., p. 641642 ([TRADUCTION] « la preuve circonstancielle [. . .] peut être de nature testimoniale, mais même si les circonstances décrites sont tenues pour vraies, il faut que le raisonnement soit plus poussé afin qu’il puisse mener à la conclusion souhaitée »). Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.

[38]      Dans l’ouvrage Watt’s Manual of Criminal Evidence, le juge Watt distille une définition fort utile de la preuve circonstancielle :

Circumstantial evidence is any item of evidence, testimonial or real, other than the testimony of an eyewitness to the material fact. It is any fact from the existence of which the trier of fact may infer the existence of a fact in issue. It is for the trial judge to determine whether circumstantial evidence is relevant.

Where evidence is circumstantial, it is critical to distinguish between inference and speculation. An inference is a deduction of fact that may logically and reasonably be drawn from another fact or group of facts found or otherwise established in the proceedings. There can be no inference without objective facts from which to infer the facts that a party seeks to establish. If there are no positive proven facts from which an inference may be drawn, there can be no inference, only impermissible speculation and conjecture.

In circumstantial evidence cases, three types of argument are made in support of relevance:

i.     prospectant;

ii.     concomitant; and

iii.     retrospectant.

Prospectant use of circumstantial evidence involves an argument that the past or previous occurrence of an act, state of mind, or state of affairs justifies an inference that a subsequent act was done, or a state of mind or affairs existed at the time that is material in the proceedings. Evidence of motive is an example.

Concomitant use of circumstantial evidence involves an argument that circumstances existing contemporaneously with the material transaction render the facts alleged by either of the parties more or less probable. Evidence of possession of the means or skill by which an offence was committed invokes this reasoning.

Retrospectant use of circumstantial evidence invokes reasoning that the subsequent occurrence of an act, state of mind, or state of affairs justifies an inference that the act was done, or state of affairs or mind existed in the past at the material time. Evidence of after-the-fact conduct is representative.[7]

[39]      En résumé, la preuve de la commission d’une infraction criminelle et de l’état d’esprit de l’accusé peut être établie par des éléments de preuve circonstancielle portant sur des faits qui précèdent sa commission, qui sont concomitants à celle-ci ou qui lui sont postérieurs.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...