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mercredi 23 juillet 2025

Commentaires de la CSC quant à l'imposition d'un certain type de condition en lien avec la maladie mentale, l'alcoolisme, la réadaptation et celle de « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite »

R. c. Zora, 2020 CSC 14

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B.            Conditions précises

[91]                        Je me penche maintenant sur certaines conditions précises non énumérées couramment incluses dans les ordonnances de mise en liberté. Bon nombre de ces types de conditions se retrouvaient dans l’ordonnance de mise en liberté de M. Zora. Comme je l’ai déjà indiqué, en raison de la criminalisation des manquements aux conditions aux termes du par. 145(3), les principes de retenue et de révision commandent un examen approfondi pour établir si un type particulier de condition est nécessaire, raisonnable, le moins sévère possible et suffisamment lié à un risque mentionné au par. 515(10). L’analyse de conditions précises qui suit montre de quelle façon ces types courants de conditions doivent être examinés.

[92]                        Premièrement, les entités judiciaires doivent être prudentes pour ce qui est des conditions pouvant viser des symptômes de maladie mentale, comme les conditions interdisant de consommer à des personnes prévenues ayant un problème d’alcoolisme ou de toxicomanie. Si la personne prévenue ne peut respecter une telle condition, alors celle‑ci n’est pas raisonnable (Penunsi, par. 80Omeasoo, par. 37‑38). De plus, la réadaptation ou le traitement d’une dépendance ou d’une autre maladie ne constitue pas un objectif approprié pour une condition de mise en liberté sous caution — une condition ne sera appropriée que si elle est nécessaire pour répondre aux risques précis que pose la personne prévenue. Assujettir des personnes qui sont présumées innocentes à des conditions d’abstinence pourrait dans les faits les punir pour ce qui est reconnu comme étant un problème de santé : [traduction] « si l’individu souffre d’alcoolisme, l’abstinence absolue pourrait présenter un risque important pour sa santé et son bien‑être » et même « avoir éventuellement des effets de sevrage létaux » (R. c. Denny2015 NSPC 49, 364 N.S.R. (2d) 49, par. 14‑15; voir aussi la Société John Howard de l’Ontario, p. 12‑13). S’il est nécessaire d’imposer une condition d’abstinence, celle‑ci doit être rédigée avec soin pour viser le risque réel pour la sécurité publique, par exemple, en interdisant à la personne prévenue de consommer de l’alcool à l’extérieur de son domicile si les infractions reprochées ont eu lieu alors qu’elle était ivre et qu’elle ne se trouvait pas chez elle (Omeasoo, par. 42). Quiconque sollicite ou impose des conditions de mise en liberté sous caution devrait aussi tenir compte du fait qu’il est possible que le problème de la personne prévenue lié à la consommation d’une substance, ou toute autre maladie mentale dont elle pourrait souffrir, n’ait pas encore été diagnostiqué. De plus, au besoin, on devrait recourir abondamment aux dispositions relatives à la révision et à la modification de la mise en liberté sous caution prévues aux art. 520, 521 et 523 pour tenir compte de telles circonstances. La mise en liberté sous caution est un processus dynamique d’évaluation continue, une collaboration entre toutes les parties qui jouent un rôle dans l’élaboration des conditions les plus raisonnables et les moins sévères possible, même au fil de l’évolution de la situation.

[93]                        Deuxièmement, d’autres conditions liées au comportement qui visent à réadapter ou aider la personne prévenue ne seront pas appropriées à moins qu’elles soient nécessaires pour répondre aux risques que pose cette dernière. Comme l’a expliqué Cheryl Webster dans son rapport pour le ministère de la Justice, « des conditions comme l’obligation de “fréquenter l’école” ou “de suivre une thérapie ou un traitement” peuvent s’inscrire dans l’atteinte d’objectifs sociaux plus vastes, mais elles n’ont [généralement] aucun lien avec l’infraction alléguée » (rapport Webster, p. 11). Il peut y avoir des exceptions, comme dans la décision S.K., où la juge a conclu que la condition de [traduction] « fréquenter l’école » était suffisamment liée aux risques que posait la personne prévenue. Toutefois, même si une condition semble suffisamment liée aux risques que pose la personne prévenue, la question est aussi de savoir si la condition est proportionnelle : l’imposition de telles conditions a pour conséquence que la personne prévenue pourrait être déclarée coupable d’une infraction criminelle pour avoir manqué une journée d’école.

[94]                        Troisièmement, la condition de [traduction] « ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite » est obligatoire pour les ordonnances de probation, les ordonnances de sursis et les engagements à ne pas troubler l’ordre public, mais pas pour une mise en liberté sous caution (S.K., par. 39). Il faudrait sérieusement l’examiner lorsqu’elle est proposée comme condition de mise en liberté sous caution. Cette condition générique est habituellement considérée comme une interdiction pour la personne prévenue de troubler la paix ou de violer toute loi fédérale ou provinciale ou tout règlement municipal (R. c. Grey (1993), 1993 CanLII 17035 (ON CJ)19 C.R. (4th) 363 (C.J. Ont.)R. c. D.R. (1999), 1999 CanLII 13903 (NL CA)178 Nfld. & P.E.I.R. 200 (C.A. T.‑N.)R. c. Gosai, [2002] O.J. No. 359 (QL) (C.S.), par. 18‑28). Comme un manquement à une condition de mise en liberté sous caution constitue une infraction criminelle, cette condition [traduction] « ajoute un nouveau niveau de sanction, pas seulement à l’égard d’un comportement criminel, mais aussi de toute violation de règlement, pouvant aller du non‑respect de la limite de vitesse sur les biens fonciers fédéraux, comme les aéroports, au non‑respect d’un règlement municipal sur le port de la laisse pour les chiens » et « n’est pas compatible avec la présomption d’innocence » qui s’applique habituellement lorsque la personne prévenue est en liberté sous caution (R. c. Doncaster, 2013 NSSC 328, 335 N.S.R. (2d) 331, par. 16‑17; voir aussi R. c. A.D.B., 2009 SKPC 120, 345 Sask. R. 134, par. 17 et 20; Trotter, par. 6‑41 à 6‑44). Étant donné la large portée de la condition, il est difficile de voir en quoi l’imposition à la personne prévenue d’une interdiction additionnelle pour la violation de toute règle de droit substantiel, que ce soit une contravention routière ou l’omission d’enregistrer un chien, pourrait être raisonnable, nécessaire, le moins sévère possible et suffisamment liée au risque de fuite de la personne prévenue, au risque pour la sécurité ou la protection du public ou au risque que la confiance du public envers l’administration de la justice soit minée (voir S.K., par. 39).

[95]                        Quatrièmement, les conditions larges qui exigent que la personne prévenue suive les règles de la maison ou y soit assujettie, ou qu’elle suive les instructions légitimes du personnel dans une résidence, peuvent poser problème, particulièrement pour les jeunes personnes prévenues. Dans J.A.D., la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu qu’une telle condition était nulle pour cause d’imprécision et délégation irrégulière de la fonction judiciaire (par. 11). Ces types de conditions empêchent la personne prévenue de comprendre ce qu’elle doit faire pour éviter de manquer à la condition, étant donné que les règles de la maison peuvent changer au gré de la personne qui les fixe (K. (R.), par. 19‑22). Imposer une condition qui délègue la création de règles de mise en liberté sous caution à une caution (ou à quiconque) contourne l’obligation de l’entité judiciaire de respecter les principes de retenue et de révision et d’évaluer si les règles de la maison répondent véritablement aux risques que pose la personne prévenue.

[96]                        Cinquièmement, certaines conditions peuvent avoir des conséquences malencontreuses ou des incidences négatives non voulues sur la sécurité de la personne prévenue ou du public. Ces effets non voulus mettent en évidence la nécessité de réviser attentivement et rigoureusement chacune des conditions de mise en liberté sous caution. Par exemple, une condition qui empêche la personne prévenue d’utiliser un téléphone cellulaire peut l’empêcher d’appeler à l’aide en cas d’urgence ou faire obstacle à sa capacité de travailler ou de s’occuper de personnes à charge (Prychitko, par. 19‑25; Trotter, p. 6‑44 à 6‑45). D’autres conditions peuvent entraver l’administration de la justice en punissant des personnes prévenues qui sont par ailleurs victimes d’actes criminels. Dans la décision Omeasoo, la police a répondu à une plainte de violence familiale, dont Mme Omeasoo était la victime. Cependant, cette dernière a été arrêtée et inculpée d’omission de se conformer à une condition parce qu’elle avait consommé de l’alcool, ce qui était contraire à sa condition de mise en liberté sous caution (par. 6). Elle a donc été accusée de l’infraction d’être en état d’ébriété alors qu’elle était victime d’une agression. Certes, on espère que le pouvoir discrétionnaire de la poursuite aide à empêcher ce type de conséquences non voulues, mais de telles conditions peuvent décourager la dénonciation de crimes graves et augmenter considérablement la vulnérabilité de certaines personnes.

[97]                          Mentionnons comme autres exemples de conditions ayant des conséquences malencontreuses les conditions relatives à une « zone rouge », qui empêchent la personne prévenue d’entrer dans une région géographique précise, et celles relatives à l’« interdiction de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues ». De telles conditions peuvent avoir des incidences particulièrement importantes sur les personnes prévenues marginalisées. Les conditions relatives à une « zone rouge » peuvent empêcher les gens d’avoir accès à des services essentiels et à leur réseau de soutien (Sylvestre, Blomley et Bellot). Les interdictions de posséder des accessoires facilitant la consommation de drogues peuvent encourager le partage de seringues si les personnes prévenues ne peuvent pas avoir sur elles leurs propres seringues propres (rapport Pivot, p. 89‑95). En outre, les lignes directrices sur les conditions de mise en liberté sous caution imposées aux personnes prévenues ayant des troubles liés à la consommation d’une substance, publiées en 2019 par le Service des poursuites pénales du Canada, reconnaissent que ces types de conditions « ne devraient pas, en règle générale, être imposées » (Guide du Service des poursuites pénales du Canada, Partie III, c. 19, « Conditions de libération provisoire visant les surdoses d’opioïdes » (mis à jour le 1er avril 2019) (en ligne)). De façon générale, les incidences de ces conditions font ressortir la nécessité que toute condition de mise en liberté proposée soit attentivement examinée et ne vise qu’à répondre au risque de fuite de la personne prévenue et à protéger la sécurité du public ou la confiance de celui‑ci envers l’administration de la justice. Autrement, la condition pourrait avoir des conséquences négatives non voulues sur la personne prévenue et le public.

[98]                        Enfin, je note que certaines conditions de mise en liberté sous caution peuvent avoir une incidence sur d’autres droits que garantit la Charte à la personne prévenue outre son droit d’être présumée innocente, son droit à la liberté (art. 7) et son droit à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable (al. 11e)). Les principes de retenue et de révision exigent que les entités judiciaires examinent rigoureusement ces conditions et établissent si elles contreviennent à la Charte. Par exemple, certaines personnes prévenues font l’objet de conditions de mise en liberté sous caution aux termes desquelles elles sont tenues de se soumettre, sur demande et sans qu’il y ait de mandat, à des fouilles sur leur personne ainsi qu’à des fouilles de leur véhicule, de leur téléphone ou de leur résidence (voir, p. ex., R. c. Delacruz2015 MBQB 32R. c. Tithi2019 SKQB 299, [2019] S.J. No. 299 (QL), par. 14R. c. Sabados, 2015 SKCA 74, 327 C.C.C. (3d) 107). Comme l’a mentionné la Cour dans l’arrêt Shoker, dans le contexte des conditions de probation, les juges n’ont pas compétence pour imposer une condition qui assujettit la personne accusée à une norme inférieure en matière de fouilles et de perquisitions à celle qui serait autrement requise, à moins que le Parlement ne crée un régime législatif conforme à la Charte pour les fouilles et les perquisitions ou que la personne accusée ne consente à la fouille ou à la perquisition (par. 22 et 25; voir aussi R. c. Goddard, 2019 BCCA 164, 37 C.C.C. (3d) 44, par. 53R. c. Nowazek2018 YKCA 12, 366 C.C.C. (3d) 389, par. 128). Ces types de conditions constituent en fait des mécanismes d’application de la loi qui « facilit[ent] l’obtention d’éléments de preuve », « ne permettent pas simplement de surveiller le comportement [de la personne prévenue] » et ne sont pas liés au risque que pose la personne prévenue aux termes du par. 515(10) (Shoker, par. 22). Comme de telles conditions ne relèvent pas des conditions de mise en liberté sous caution énumérées à l’art. 515 et qu’il n’existe pas non plus de régime établi par le Parlement pour les fouilles et perquisitions, elles sont suspectes sur le plan constitutionnel.

[99]                        D’autres conditions peuvent aussi avoir une incidence sur la liberté d’expression ou la liberté d’association de la personne prévenue (voir, p. ex., R. c. Singh, 2011 ONSC 717, [2011] O.J. No. 6389 (QL), par. 41‑47; Manseau, p. 10; Clarke). Il convient d’évaluer rigoureusement de telles conditions restreignant d’autres droits garantis par la Charte pour établir si cette restriction est justifiée et proportionnelle au risque que pose la personne prévenue. Il ne faut jamais oublier qu’en assortissant la mise en liberté sous caution d’une telle condition, l’entité judiciaire criminalise l’exercice par la personne prévenue des droits que lui garantit la Charte à un moment où cette dernière est présumée innocente avant la tenue du procès.

Le Ministère public peut rechercher en appel la réformation de la peine imposée par suite d'une suggestion commune, et ce au motif que l'intimé a renié son engagement qui était lié à ce «plea-bargaining»

Canada (Procureur général) c. Obadia, 1998 CanLII 13044 (QC CA)

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La première question qui doit être tranchée en l'espèce demeure celle de savoir si, en principe, le Ministère public peut rechercher la réformation de la peine imposée par suite d'une suggestion commune, et ce au motif que l'intimé a renié son engagement qui était lié à ce «plea-bargaining».  Dans l'affirmative, il y aura lieu de se demander si en fait l'intimé a fait défaut et ce, dans quelles circonstances, pour finalement évaluer si cela justifie l'augmentation de la peine.

 

A - L'appel du Ministère public dans le cas d'un «plea-bargaining»

 


Les discussions entre le Ministère public et la défense qui précèdent un plaidoyer de culpabilité font partie du quotidien de l'administration de la justice pénale.  On ne saurait minimiser l'importance attachée à ces discussions par tous les intervenants si l'on considère que la grande majorité des dossiers se terminent sans qu'un procès ne soit tenu, soit qu'il y ait retrait d'une ou de plusieurs accusations, un consentement à un plaidoyer de culpabilité à une accusation réduite, ou encore un plaidoyer de culpabilité sur les accusations initiales.  Généralement, dans l'une ou l'autre de ces hypothèses, cette disposition des dossiers fait suite à des discussions qui ont abouti à une entente entre les deux parties qui en communiquent l'essentiel à un juge dans le cadre d'une suggestion commune quant à la peine appropriée.  C'est ce que l'on désigne comme étant le «plea-bargaining».

 

Dans notre tradition, le juge n'exerce pas la fonction de médiateur dans le cadre de ces discussions ou négociations.  En principe, il n'est saisi du dossier que par le plaidoyer de culpabilité et alors les parties font état de la suggestion commune et des motifs qui la justifient.  Il s'agit bien d'une «suggestion», car il est admis que le juge n'est pas lié par l'entente entre les parties[1].  Cela signifie que chaque partie prend le risque que la peine imposée se situe au-delà ou en deçà de celle qui fut négociée.

 


La vitalité et la légitimité d'un système de «plea-bargaining» reposent sur la prémisse que les parties jouent «franc-jeu», c'est-à-dire qu'elles respectent leur engagement: c'est une question d'intérêt public.  C'est ainsi que dans un cas où le Ministère public se présenterait devant un juge en réclamant une peine au-delà de ce qui aurait été convenu en échange du plaidoyer de culpabilité, l'accusé serait justifié de demander dès lors le retrait de son plaidoyer:  R. v. Morrison, (1981) 1981 CanLII 3136 (NS CA), 25 C.R. (3d) 163 (N.S.S.C. App.Div.).

 

À l'inverse , comme le soulignent Richard E. Shadley et Suzanne Custom dans «Sentencing Procedure: Sentencing Following Guilty Pleas» (National Criminal Law Program St. John's, Nfld., July 1995), plusieurs Cours d'appel canadiennes[2], adoptant ce que le juge Hugessen de la Cour supérieure du Québec avait écrit à ce sujet dans Attorney General of Canada v. Roy (1972), 1972 CanLII 2257 (QC CS), 18 C.R.N.S. 89, en proposant trois critères d'intervention, reconnaissent au Ministère public qui a été induit en erreur le droit de faire réviser une peine qu'il a suggérée.  C'est sans doute l'un des rares cas où le Ministère public peut répudier sa position prise en première instance.

 

Le troisième critère proposé par le juge Hugessen se lit comme suit:


[...]

 

[...]

 

The Crown, like any other litigant, ought not to be heard to repudiate before an appellate court the position taken by its counsel in the trial court, except for the gravest possible reasons.  Such reasons might be where the sentence was an illegal one, or where the Crown can demonstrate that its counsel had in some way been misled, or finally, where it can be shown that the public interest in the orderly administration of justice is outweighed by the gravity of the crime and the gross insufficiency of the sentence. (p. 93)

(je souligne)

 

Pour conclure sur ce premier volet, le Ministère public ne peut donc être empêché de se pourvoir contre la peine à laquelle il a consenti s'il réussit à établir que l'intimé l'a induit en erreur.

Les aides au jury, qui synthétisent et expliquent la preuve, jouent un rôle important dans la recherche de la vérité

R. c. Pan, 2025 CSC 12

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b)            Définition des aides au jury

[121]                     Les aides au jury sont des outils permettant de comprendre la signification d’un élément ou d’un ensemble d’éléments de preuve testimoniale, documentaire ou matérielle. Elles comprennent des cartes, des échéanciers, des listes de protagonistes, des tableaux et des diaporamas. Alors que les éléments de preuve testimoniale, documentaire et matérielle [traduction] « donnent au juge des faits la possibilité d’avoir une impression directe significative », les aides au jury remplissent une fonction secondaire, à savoir « aider le jury à interpréter, à comprendre ou à analyser » ces éléments de preuve (S. C. Hill, D. M. Tanovich et L. P. Strezos, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), § 23.1).

[122]                     Contrairement à la preuve, les aides au jury ne fournissent pas un fondement justifiant à lui seul des conclusions de fait ou de droit. Leur utilité repose entièrement sur la question de savoir si le juge des faits accepte de façon indépendante la preuve sur laquelle elles reposent (R. c. Scheel (1978), 1978 CanLII 2414 (ON CA), 42 C.C.C. (2d) 31 (C.A Ont.), p. 34; voir aussi R. c. Kanagasivam2016 ONSC 225029 C.R. (7th) 201par. 41R. c. Shaw2004 NBBR 260, 277 R.N.‑B. (2e) 306, par. 8).

[123]                     Les aides au jury prennent différentes formes et leur sophistication varie, et la distinction entre les aides au jury et la preuve peut parfois être difficile à établir (voir Hill, Tanovich et Strezos, § 23.1). Dans certains cas, des outils qui peuvent être à juste titre classés comme des aides au jury seront néanmoins admis en preuve par l’entremise d’un témoin et déposés comme pièces conformément aux règles ordinaires de preuve. La présente espèce ne concerne pas la pratique consistant à admettre des aides au jury en preuve conformément à ces règles.

[124]                     La question soulevée est plutôt de savoir dans quelles circonstances des aides au jury peuvent être autorisées à aller dans la salle du jury en dehors des règles normales de preuve pour être utilisées par le jury au cours de ses délibérations. À la Cour d’appel, le juge Nordheimer a fait remarquer que, normalement, seules deux catégories d’éléments matériels iront dans la salle du jury : les pièces déposées au procès et les aides au jury présentées sur consentement (par. 114). Comme il l’a souligné à juste titre, malgré le consentement des parties, le juge du procès conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas envoyer une aide au jury dans la salle du jury et, inversement, le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’une aide contestée aille dans la salle du jury en certaines circonstances. Je vais maintenant examiner ces circonstances.

c)            Cadre applicable lorsqu’il s’agit de permettre l’utilisation d’aides au jury dans la salle du jury

[125]                     Sur le plan théorique, le pouvoir discrétionnaire de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury relève du domaine des pouvoirs de gestion du juge du procès, lesquels découlent de la compétence inhérente ou implicite du tribunal de contrôler sa propre procédure et de « garantir le bon fonctionnement des rouages de la cour » (R. c. Samaniego2022 CSC 9, [2022] 1 R.C.S. 71par. 20; voir aussi R. c. Anderson2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167, par. 58).

[126]                     La partie qui demande à ce qu’une aide au jury aille dans la salle du jury devrait communiquer celle‑ci à la partie adverse dès qu’il est raisonnablement possible de le faire après qu’elle a été préparée et présenter une demande au tribunal en vue d’offrir cette aide. Lorsque la partie adverse s’oppose à ce que l’aide aille dans la salle du jury, le juge du procès devrait solliciter des observations. Les aides qui satisfont aux critères énoncés ci‑après devraient être autorisées à aller dans la salle du jury et devraient porter une marque formelle de façon à les distinguer de la preuve.

[127]                     Si une aide est autorisée à être utilisée par le jury, il incombe au juge du procès de donner des directives au jury sur les utilisations appropriées et inappropriées de l’aide (voir, p. ex., R. c. Hovila2013 CarswellAlta 2965 (B.R.), par. 20). Comme exemple d’une mise en garde bien formulée, je citerais les directives du juge du procès en l’espèce, lesquelles sont reproduites plus loin. Des directives appropriées sont essentielles pour garantir que le jury ne se fie pas à une aide comme [traduction] « raccourci pratique » au lieu d’examiner la preuve (R. c. Belcourt2012 BCSC 2128, par. 10).

[128]                     La détermination des mécanismes procéduraux et des directives qui sont nécessaires dans les circonstances dépendra de la nature de l’aide, de son objet et des points de vue des parties. Par exemple, une aide au jury simple comme une carte ou une liste de protagonistes peut commander une approche simplifiée ou informelle. En revanche, une aide complexe ou obscure peut exiger que la partie qui l’offre appelle un témoin à expliquer et à authentifier l’aide. Le juge du procès devrait prendre des décisions dans l’optique de prévenir l’iniquité, de maintenir l’efficacité du procès et d’améliorer la capacité de recherche de la vérité du jury.

[129]                     En ce qui concerne les critères substantiels, je suis d’accord avec le juge Nordheimer pour dire que le juge du procès a commis une erreur en se fondant sur une déclaration tirée de l’arrêt R. c. Bengert (1980), 1980 CanLII 321 (BC CA), 15 C.R. (3d) 114 (C.A. C.‑B.), selon laquelle [traduction] « les membres du jury [ont] droit à tout ce qui peut les aider à traiter la preuve de manière raisonnable, intelligente et rapide » (p. 160). Ce critère est trop large et ne tient pas compte du préjudice potentiel découlant du recours excessif aux aides.

[130]                     J’adopterais plutôt le critère énoncé par le juge Nordheimer de la Cour d’appel, avec quelques légères modifications. Avant de permettre qu’une aide au jury aille dans la salle du jury au cours des délibérations, le juge du procès doit être convaincu que l’aide est raisonnablement nécessaire, exacte et équitable. Ces critères servent à mettre en balance la valeur que sont susceptibles de revêtir ces aides dans la compréhension de la preuve avec leur capacité à distraire le jury ou à l’induire en erreur. Il y a lieu de permettre que des aides au jury aillent dans la salle du jury si le premier élément l’emporte sur le second.

[131]                     Le premier critère est que l’aide doit être raisonnablement nécessaire pour que le jury comprenne la preuve. Une aide sera raisonnablement nécessaire lorsque la preuve qu’elle inclut est tellement vaste, complexe ou de nature technique qu’un jury aurait du mal à parvenir à la comprendre sans aide ou sans consacrer des efforts et un temps déraisonnables. Le juge du procès n’a pas à être convaincu qu’il serait impossible pour le jury de s’acquitter de sa tâche sans l’aide; il suffit de démontrer qu’il serait déraisonnablement lourd, ou déraisonnablement long, pour le jury de passer en revue les points de données pertinents nécessaires à la compréhension de la preuve sans l’aide. Comme la juge Fairburn (maintenant juge en chef adjointe de la Cour d’appel) l’a expliqué dans la décision Kanagasivam, au par. 42 :

      [traduction] L’utilisation d’aides démonstratives de cette nature peut servir à raccourcir ce qui pourrait autrement prendre des jours d’audience à développer. Elle peut également faciliter la tâche du jury en abrégeant ce qui pourrait être d’innombrables heures passées à revoir et à distiller des données au cours du processus de recherche des faits.

[132]                     Les jurys ne sont pas censés [traduction] « trouver des aiguilles dans des bottes de foin » (Kanagasivam, par. 48). Cependant, lorsque l’aide ne fait que reformuler la preuve déjà accessible d’une manière plus attrayante ou pratique, le critère de la nécessité ne sera pas rempli.

[133]                     Deuxièmement, l’aide doit résumer la preuve avec exactitude. Elle ne peut déformer, rapporter incorrectement ou occulter aucun élément de preuve, que ce soit intentionnellement ou non (Kanagasivam, par. 52). Dans l’arrêt R. c. Poitras (2002), 2002 CanLII 23583 (ON CA)57 O.R. (3d) 538 (C.A.), le juge Doherty a décrit comme suit l’impératif d’exactitude, au par. 48 :

      [traduction] Toute inexactitude ou insuffisance dans les documents écrits, ou toute confusion ou iniquité créée par ces documents, est susceptible d’avoir une incidence importante sur la validité de tout verdict rendu par le jury. La grande importance accordée au fait d’assurer l’exactitude et l’impartialité des documents écrits ne devrait pas décourager l’utilisation des documents écrits, mais devrait encourager une préparation minutieuse de tout document écrit destiné au jury.

Une aide qui pourrait être trompeuse en soi peut être considérée suffisamment exacte si elle est accompagnée d’autres aides qui complètent le portrait de la preuve. Toutefois, des préoccupations relatives à l’équité peuvent entrer en jeu si on attend des parties qu’elles répondent aux aides unilatérales au jury, comme je l’explique ci‑dessous.

[134]                     En outre, une aide peut être considérée inexacte si elle ne tient pas compte de la complexité de la preuve. Pour rappeler la mise en garde formulée par le juge Conlan dans la décision Woods c. Jackiewicz2019 ONSC 2069, [traduction] « nous devons prendre soin d’éviter de trop simplifier la preuve technique par l’utilisation d’une aide démonstrative » (par. 13(vi)). Il n’est pas toujours possible d’abréger sans sacrifier l’exactitude.

[135]                     Troisièmement et enfin, le juge du procès doit être convaincu qu’il serait équitable de permettre que l’aide aille dans la salle du jury. L’appréciation de l’équité comporte un examen global de la valeur explicative et de l’effet préjudiciable de l’aide (voir Jackiewicz, par. 13(iii)). Une considération clé est la mesure dans laquelle l’aide reflète la thèse d’une partie, bien qu’il n’existe aucune condition préalable stricte voulant qu’une aide soit totalement exempte du point de vue de la partie qui l’offre. Si l’aide reflète la thèse d’une partie, la partie adverse devrait avoir la possibilité de soumettre sa propre aide, ou de soumettre des modifications ou des ajouts à l’aide. Les aides neutres qui ne reflètent pas le point de vue de l’une ou l’autre des parties répondront plus facilement aux exigences de l’équité.

[136]                     En exerçant leur pouvoir discrétionnaire à l’égard des aides au jury, les juges de première instance devraient viser à préserver le fonctionnement approprié et équitable du système contradictoire. Les juges de première instance doivent être conscients des déséquilibres sur le plan des ressources et ne devraient pas permettre qu’une aide unilatérale aille dans la salle du jury lorsqu’il serait trop lourd pour la partie adverse de produire des éléments matériels concurrents. Une considération importante est la rapidité avec laquelle une aide peut raisonnablement être communiquée après avoir été préparée. Certaines aides devront peut‑être être mises à jour tout au long du procès pour pouvoir satisfaire au critère de l’exactitude ou représenter équitablement l’ensemble de la preuve. Naturellement, il sera plus lourd pour une partie de fournir des éléments matériels concurrents si l’aide originale est communiquée pour la première fois peu de temps avant sa présentation au jury.

[137]                     Les objectifs ultimes de ces critères sont d’empêcher un raisonnement inapproprié de la part du jury et d’éviter l’apparence d’iniquité. La décision d’envoyer ou non une aide au jury à la salle du jury est, en fin de compte, une décision discrétionnaire qui appartient au juge du procès. À titre de décision relative à la gestion de l’instance, elle commande la déférence en l’absence d’une erreur de principe ou d’un exercice déraisonnable du pouvoir discrétionnaire (Samaniego, par. 26).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...