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lundi 28 juillet 2025

La juridiction territoriale & la détermination du lieu où le crime a été commis, particulièrement dans le cas de menaces par téléphone, la poste ou internet, lorsque les propos proviennent d’un endroit et sont reçus dans un autre

Roy c. R., 2022 QCCS 4726

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[27]        La juridiction pour entendre une affaire consiste en l'autorité légale de la Cour pour juger du pouvoir de décider dans quel district une affaire doit être entendue, malgré le choix initial de la poursuite[9].

[28]        Le Code criminel prévoit qu’une cour supérieure de juridiction criminelle est compétente pour entendre une affaire si le prévenu est trouvé, arrêté ou sous garde dans la juridiction territoriale du tribunal, en vertu de l’article 470 C.cr.

[29]        De surcroit, le dossier peut être entendu où les faits sont survenus ainsi qu’aux endroits précisés dans l’article 504:

504. Quiconque croit, pour des motifs raisonnables, qu’une personne a commis un acte criminel peut faire une dénonciation par écrit et sous serment devant un juge de paix, et celui-ci doit recevoir la dénonciation, s’il est allégué, selon le cas :

a) que la personne a commis, en quelque lieu que ce soit, un acte criminel qui peut être jugé dans la province où réside le juge de paix et que la personne :

(i) ou bien se trouve ou est présumée se trouver,

(ii) ou bien réside ou est présumée résider,

dans le ressort du juge de paix;

b) que la personne, en quelque lieu qu’elle puisse être, a commis un acte criminel dans le ressort du juge de paix;

c) que la personne a illégalement reçu, en quelque lieu que ce soit, des biens qui ont été illégalement obtenus dans le ressort du juge de paix;

d) que la personne a en sa possession, dans le ressort du juge de paix, des biens volés.

[30]        Il y a également l'article 476b) C.cr. qui précise que lorsqu’une infraction est commencée dans une circonscription et consommée dans une autre(« completed »), l’infraction est censée avoir été commise en n’importe laquelle de ces circonscriptions territoriales[10].

[31]        Du côté de la common law, on dénote qu’en principe, « l'accusé subi[t] son procès dans le district du lieu de la commission de l'infraction reprochée »[11].

[32]        Nous pouvons donc constater qu’une infraction peut se dérouler dans plus d’une division territoriale et faire l'objet d'une poursuite dans différents districts, comme le souligne l’auteur Ewaschuk:

The “venue of the offence” is where the offence entirely happened. Subject to a judicial “change of venue” order “changing the place of trial” to elsewhere in the province, the “venue of the trial” is generally held in the “territorial division” where the offence happened. However, the offence may have occurred in more than “one territorial division”, each having a “real and substantial link to the offence”, e.g., where any element, or part, of the offence takes place thereso that the “venue of the offence” may comprise “several territorial divisions” each having jurisdiction to try the offencewhich may be said to be “potential venues for the trial” depending on where the charges are laid. Furthermore, there are “statutory exceptions” giving jurisdiction over the offender in different territorial divisions, thereby permitting the holding of the trial elsewhere than the place where the offence happened. Thus, there may be more than one “venue of the offence” where different territorial divisions have jurisdiction to try the offence or offender, though there usually is only one final “venue of trial”[12].

[Soulignements ajoutés]

[33]        En résumé, lorsqu’il s’agit d’une situation où l’infraction est « commise » sur plusieurs territoires, la circonscription territoriale compétente sera celle où le poursuivant a déposé l’accusation, à sa discrétion, le tout sujet à une intervention de la Cour[13].

3.3  Illustrations jurisprudentielles

[34]        Les auteurs Manning, Mewett et Sankoff reconnaissent qu’il peut être difficile de déterminer où un crime a eu lieu, particulièrement dans le cas de menaces par téléphone, la poste ou internet, lorsque les propos proviennent d’un endroit et sont reçus dans un autre[14].

[35]        L’arrêt de principe Libman semble toutefois avoir résolu cette situation en appliquant la méthode du lien réel et substantiel entre une infraction et le Canada[15].

[36]        Il est important de noter que ce lien réel et substantiel n’est pas limité aux éléments essentiels de l’infraction[16].

[37]        Dans l’affaire Bigelow[17] où un enfant avait été enlevé en Ontario et retrouvé en Alberta, la Cour d’appel d’Ontario a conclu que les deux provinces étaient compétentes pour entendre l’affaire. Elle a notamment identifié ces trois exemples d’infractions interprovinciales : (1) si une continuité des opérations s’étend sur plusieurs provinces, (2) si un acte manifeste est commis dans cette province, et (3) si les effets de l’infraction commise dans une province sont ressentis dans une autre[18].

[38]        Dans l’arrêt Ibeaghala Cour d’appel du Québec mentionnait que selon les enseignements de Bigelow, il s’agit de déterminer si un fait pertinent pour prouver un élément essentiel s’y est produit. Elle a ainsi confirmé qu'il n’est pas nécessaire qu’un des éléments essentiels de l’infraction à proprement parler ait été commis dans une juridiction pour lui donner compétence[19].

[39]        Une précision a cependant été apportée dans Webber par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse eu égard à la rédaction de l'acte d’accusation qui doit mentionner un lieu d'infraction concordant avec l'endroit où les accusations sont déposées. Dans cette affaire, on lisait que les actes avaient été commis au Nouveau-Brunswick alors que l'acte d'accusation avait été déposé en Nouvelle-Écosse, ce qui faisait obstacle à la compétence d’un juge de cette dernière province[20].

[40]        Dans l’affaire Hirsch[21], l’accusé avait affiché des menaces à l’endroit de son ex-conjointe sur son propre profil Facebook. La victime n’avait pas accès à la page Facebook de l’accusé, mais un ami l’a informée de la situation et lui a transmis des captures d’écran. L’accusé soulevait l’absence de juridiction en Saskatchewan alléguant qu’il aurait pu être à l’extérieur de la province lorsqu’il a affiché les messages.

[41]        Cet argument a été rejeté par la Cour d’appel de la Saskatchewan qui a rappelé qu’une infraction n’a pas à être commise sur un seul territoire. Un lien réel et substantiel entre l’infraction et le territoire où elle est poursuivie suffit. Ainsi, le seul fait que la victime ait reçu les menaces en Saskatchewan était suffisant pour conférer la compétence de cette province sur cette infraction.

[42]        Dans l’affaire Fournier, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a conclu que le fait de recevoir l’appel téléphonique menaçant en Colombie-Britannique suffisait à donner juridiction à cette province, malgré l’absence d’information sur le lieu d’origine de l’appel. La Cour a déterminé qu’une infraction de menaces peut avoir été commise à la fois au lieu où elles ont été proférées ainsi qu’au lieu de réception de l’appel menaçant[22].

[43]        Dans l'arrêt Bekar, la Cour d'appel d'Alberta a conclu que le lieu où les lettres de menaces avaient été reçues constituait l'endroit de la commission de l'infraction alléguée[23].

[44]        Enfin, dans Ross[24], il était reproché à l’accusée d’avoir publié un message sur Facebook dans lequel elle transgressait une ordonnance de non-publication. Le message a été rédigé au Nouveau-Brunswick, mais consulté notamment au Québec. La Cour du Québec a reconnu sa compétence puisque les effets de la transgression de l’ordonnance ont été ressentis au Québec, au sens de Bigelow[25].

[45]        À la lumière de ces exemples jurisprudentiels, je suis convaincue que la Cour supérieure a compétence pour entendre la présente affaire à Montréal.

[46]        Le fait que les messages aient été reçus par la plaignante dans le district judiciaire de Montréal crée un lien réel et substantiel suffisant pour confirmer la juridiction, quel que soit le lieu d’émission desdits messages.

[47]        Plus précisément, la réception des messages par la plaignante et l’effet qu’ils ont produit à son endroit sont des éléments factuels pertinents pour prouver un ou des éléments essentiels des infractions reprochées, soit le harcèlement criminel et l’intimidation d’une personne associée au système judiciaire[26].

La rédaction de l'acte d’accusation doit mentionner un lieu d'infraction concordant avec l'endroit où les accusations sont déposées

R. v. Webber, 2021 NSCA 35

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[69]         There is a broad basis for claiming jurisdiction over continuing and/or inter-provincial offences under s. 476 of the Code.  The Ontario Court of Appeal in R. v. Bigelow, (1982) 1982 CanLII 2046 (ON CA), 37 O.R. (2d) 304, succinctly set out the test for claiming territorial jurisdiction under s. 476:

11. …The test in reality has become whether any element of the offence has occurred in the province claiming jurisdiction…

[70]         When an indictment or an information charges an offence within the geographic boundaries of a court’s home province or territory, territorial jurisdiction is claimed. 

[71]         The problem with the trial judge’s reasoning in the present case is that the Indictment never claimed jurisdiction on behalf of Nova Scotia. 

[72]         When an indictment or an information charges an offence outside the provincial or territorial boundaries of the court, there is no territorial jurisdiction to preside over the case.  As McQuaid J. (as he then was) explained in R. v. Davis[1979] 23 Nfld. & P.E.I.R. 422:

[4]  Strangely, counsel for the appellant made no reference to the fact that on the face of the information the provincial court judge in Prince Edward Island would have no jurisdiction over an offence purported to have been committed at Middleton in the said Province (of New Brunswick). Without amendment, which could have been made at any time prior to conviction, but of which amendment there is no record, the judge was clearly without jurisdiction.  [Emphasis added]

[73]         This literal approach to territorial jurisdiction makes sense.  It provides trial judges with a quick, clear and effective method of determining the situs of the offence and whether the prosecution is being pursued in the appropriate judicial forum.

[74]         The courts of one provincial jurisdiction cannot try offences alleged to have taken place exclusively within a different provincial jurisdiction.

[75]         Before the trial judge, the Crown argued that Nova Scotia had jurisdiction, citing as authority R. v. BigelowR. v. Masoudi2016 ONCJ 476R. v. Patrois2016 ONSC 4695R. v. Hammerbeck[1993] B.C.J. No. 685 (CA); and R. v. Doer[1999] M.J. No. 40 (QB).  On this appeal, it relies on R. v. Ibeagha2019 QCCA 1534, to support its argument that Nova Scotia has territorial jurisdiction.

[76]         There is a critical distinction between those decisions and this case.  Unlike the present case, the informations or indictments underlying those cases specifically claimed that the offence was committed, at least in part, within the trial court’s territorial jurisdiction. 

[77]         Bigelow (Ontario) charged an offence in Ontario “at the City of London in the County of Middlesex”.  In Masoudi (Ontario), the charges alleged offences "at the City of Toronto in the Toronto Region and elsewhere in Canada".  In Patrois (Ontario), the offence was alleged to have taken place “in the province of Ontario and the province of Québec”.  In Hammerbeck (British Columbia), the indictment charged an offence “at the District of Surrey, in the County of Westminster, Province of British Columbia.”  In Doer (Manitoba), the informations alleged the unlawful sale of cigarettes “at or near the Town of St. Adolphe, in the Province of Manitoba.”  In Ibeagha (Quebec), the Indictment alleged that the offences were committed “in Montreal and elsewhere in Canada.”

[78]         All of the indictments in those cases were being tried in the province or a province (if more than one) where the offences were alleged to have occurred.

[79]         The Crown also refers to the case of R. v. Merrett2017 ABPC 56 in its factum.  Merrett involved a situation where the Crown had not called evidence on where the offence occurred.  The Indictment alleged that it occurred in the province of Alberta.  Despite the factual differences, the discussion of jurisdiction in the case is instructive, as it makes clear that it will be apparent on the face of the indictment where the offence is alleged to have been committed:

27  Generally, there are three occasions when the Provincial Court will address the issue of territorial jurisdiction:

(1)Initially, when the sworn Information is examined, it will be apparent on its face whether it is alleged therein that an offence was committed in the territorial jurisdiction of the Court. If it is alleged that the offence was committed outside the territorial jurisdiction of the Court, and assuming none of the exceptions set out in sections such as 7, 470, and 476, apply, then the Court will have no jurisdiction to "try, determine and adjudge" the proceedings… [emphasis added]

[80]         As in Merrett, none of the exceptions apply in this case.  The Crown, in its factum, suggests that the Indictment in this case is defective on its face:

27.  The wording of the sexual exploitation charge did allege the offence occurred in New Brunswick.  It is clear the trial was being held in Nova Scotia.  As a result, the charge was defective on its face.

[81]         With respect, the Indictment is not defective on its face.  On its face it alleged the offence occurred within the territorial jurisdiction of New Brunswick.  It does not allege nor can it be interpreted in such a manner as to confer territorial jurisdiction upon Nova Scotia.  If an indictment alleges an offence occurred outside the territorial jurisdiction of the court, and none of the exceptions in the Criminal Code apply, the court has no jurisdiction to adjudicate the proceedings.

[82]         Neither party has referred to a reported case where a court has assumed territorial jurisdiction over a Criminal Code offence which was alleged, by way of the wording of the indictment, to have occurred exclusively in a different province. 

[83]         In order for the Supreme Court of Nova Scotia to have gained jurisdiction in the present case, the Indictment would have had to have alleged that the s. 153(1)(a) offence occurred in New Brunswick and Nova Scotia. 

[84]         The Crown argues that to accede to this ground of appeal would be to prefer form over substance.  With respect, I disagree.  The wording of the indictment is a matter of substance on a question of jurisdiction.  The Courts of Nova Scotia do not have jurisdiction to try an indictment charging an offence alleged to have occurred only in New Brunswick.  The trial judge’s failure to stay the charge was an error of law.

[85]         Ms. Webber argues the failure to stay the charge had a ripple effect on the whole trial proceeding, which requires a new trial.  It is not necessary to address this aspect of the argument as I am of the view a new trial should be ordered for other reasons.

La requête en renvoi de l'affaire devant le tribunal d'une autre circonscription territoriale (changement de venue)

Godbout c. R., 2012 QCCA 59

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[13]        L'article 599 du Code criminel autorise le renvoi d'une affaire dans une circonscription territoriale autre que celle où l'infraction serait autrement jugée lorsque « la chose paraît utile aux fins de la justice ».

[22]        En principe, le procès doit se tenir dans le district où le crime a été commis, le renvoi devant le tribunal d'un autre district constituant l'exception.

[23]        L'article 599 du Code criminel pose le critère relatif au renvoi d'une affaire en termes très généraux, « [lorsque] la chose paraît utile aux fins de la justice »[1].   Face à un texte aussi clair, on peut se demander pourquoi le juge exige la « démonstration claire » que le procès ne serait pas juste et équitable s'il était tenu – comme le veut la règle – dans le district où le crime est présumé avoir été commis.

[24]        Ceci étant, à la lecture de l'ensemble de la décision, il ne me semble pas que le juge a été, dans les faits, plus exigeant envers l'appelant qu'il devait l'être.

[25]        Dans R. v. Charest[2], la Cour opte pour un critère qui combine à la fois la nécessité d'un jury impartial et celle, plus englobante, d'un procès juste et équitable, tout en rappelant la discrétion dont jouit le juge de première instance en matière de renvoi.   Le juge Fish écrit, à la page 349 :

With respect, I prefer the test formulated in Collins[3] to the narrower one laid down by Aikins J. in Beaudry.   It adds to the "impartial jury" standard the additional and broader concept of a fair trial.   In my view, a fair trial can be conducted only in a reasonably serene environment.   Extensive prejudicial publicity shortly before the trial, pronounced hostility toward the accused, widespread sympathy for the victim, and a frightened or enraged community, surely create – especially in a small judicial district – the kind of emotionally charged atmosphere in which the ends of justice may be best served by removal of the trial to another venue.

(Je souligne.)

[26]        20 ans plus tard, cet enseignement est toujours valable et c'est, selon moi, celui que le juge de première instance a suivi.   L'accusé qui demande le renvoi de l'affaire a donc le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que cela est nécessaire pour lui garantir un procès juste et équitable devant un jury impartial ou, dit autrement, que les fins de la justice commandent que le procès se tienne dans un autre district.

Un amendement ayant pour effet de substituer à une infraction pour une autre ne peut être accordé que lorsque l'amendement a uniquement pour effet de changer la désignation de l'infraction, tout en laissant le corps du dossier intact

Servant c. R., 2007 QCCA 558

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[11]           Le paragraphe (2) n'est pas pertinent en l'espèce puisqu'il vise à modifier un chef d'accusation intrinsèquement suffisant, mais qui s'avère non conforme à la preuve présentée. Par conséquent, un juge ne peut autoriser un tel amendement qu'après avoir entendu la preuve[3]. Il s'agit plutôt de déterminer si le juge du procès pouvait autoriser l'amendement en vertu du paragraphe 601(3) C. cr.

[12]           Le ministère public pouvait-il alors demander un amendement pour l'un des motifs énoncés à l'alinéa 601(3)b)? La Cour est d'avis que la réponse est négative. Le législateur a spécifié que dans les cas prévus à cet alinéa, « les choses devant être alléguées dans la modification projetée » doivent être révélées par la preuve recueillie lors de l’enquête préliminaire ou au procès. Dans un arrêt récent, R. c. McConnell[4], le juge Rosenberg de la Cour d'appel de l'Ontario écrivait à ce sujet:

[16]   The problem for the prosecution in this case is that to rely on this part of subsection (3), the matters to be alleged in the amendment must have been disclosed in the evidence. At the opening of the trial, when Crown counsel sought the amendment, there was no evidence. In my view, the submissions of counsel as to what is contained in the disclosure is not evidence.

[…]

[20]   In my view, the interpretation that is most consistent with the wording of the Criminal Code is that there is no power to amend to conform to the evidence until the evidence has been heard. In addition to R. v. Callocchia, see for example, R. v. King (1956), 1956 CanLII 538 (ON CA), 116 C.C.C. 284 (Ont. C.A.). Admittedly, the cases are also almost universally to the effect that if the trial judge errs and permits a premature amendment, if the accused was not prejudiced the appeal will be dismissed, presumably by application of the proviso in s. 686(1)(b)(iii) or (iv) of the Criminal Code. Thus, in addition to R. v. Deal, see R. v. Fiore (1962), 1962 CanLII 593 (ON CA), 132 C.C.C. 213, (Ont. C.A.) and R. v. S.(C.A.) (1997), 1997 CanLII 2519 (BC CA), 114 C.C.C. (3d) 356 (B.C.C.A.) at 360 and 364. But the fact that no prejudice was occasioned by the error cannot create a power of amendment outside the Criminal Code regime.

[13]           Il s'agit exactement de la situation dans le présent dossier. Le juge du procès ne pouvait s'autoriser de l'alinéa 601(3)b) C. cr. pour modifier la dénonciation, puisque aucune preuve n'avait été présentée au moment où le ministère public a présenté sa requête. Force est de conclure que l'amendement était prématuré.

[14]           En l'espèce, l'amendement avait également pour effet de substituer une nouvelle infraction à l'infraction originale. Le juge de la Cour supérieure s'est fondé sur les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario (le juge Doherty) dans l'arrêt R. c. Irwin[5], pour conclure qu'il était possible de procéder ainsi quand l'accusé ne subit pas de préjudice. Dans cette affaire, la Cour d'appel de l'Ontario avait permis qu'une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles (article 267 C. cr.) soit modifiée en une accusation d'avoir illégalement causé des lésions corporelles (article 269 C. cr.). Selon le juge Doherty, la modification de l'acte d'accusation était possible dans la mesure où la transaction criminelle faisant l'objet de l'accusation demeurait la même[6], et il poursuit :

[25]   On a plain reading, the section contemplates any amendment which makes a charge conform to the evidence. The limits on that amending power are found, not in the nature of the change made to the charge by the amendment, but in the effect of the amendment on the proceedings, and particularly, on the accused's ability to meet the charge. The ultimate question is not what does the amendment do to the charge, but what effect does the amendment have on the accused?

[26]   I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment to make a charge conform to the evidence simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced,  the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge. If no prejudice will result from the charge, why should it matter how the change to the charge is described?

[27]   I can also find no reason for holding there is no power to amend to substitute one charge for another while at the same time acknowledging the power to amend based on a variation between the evidence and the charge where the amendment will materially change the charge: e.g. see R. v. Geauvreau [Référence omise]It can be very difficult to distinguish between a change which substitutes one charge for another and a change which materially changes the initial charge. The difference seems to be more in the nomenclature used than in the substance or significance of the change. Some amendments which materially change the charge can have drastic effects on the case against the accused. Some amendments which substitute one charge for another will amount to no more than placing a new label on exactly the same conduct.

[15]           Cet arrêt est difficilement applicable au cas présent pour deux raisons. Premièrement, les motifs du juge Doherty visent la modification d'un acte d'accusation pour le rendre conforme à la preuve présentée au procès. En l'espèce, aucune preuve n'avait été présentée au moment de la requête du ministère public. Deuxièmement, l'affirmation selon laquelle il est possible de modifier un acte d'accusation afin de substituer l'infraction originale par une nouvelle doit être nuancée. À la toute fin de ses motifs dans Irwin, le juge Doherty écrit :

[42]   Cases where an amendment substituting a different offence for the offence charged at trial can be properly made on appeal will be few and far between. I think this is one of those rare cases where the amendment can be made. While the amendment changes the substantive offence from assault causing bodily harm (s. 267) to unlawfully causing bodily harm (s. 269), the amendment does no more than put a new label on the appellant's culpable conduct. The substance of the allegation remains unchanged. I would amend the indictment to charge the appellant with unlawfully causing bodily harm to Andrew Behling and dismiss the appeal.

[16]           Selon le juge Finlayson de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. c. S.(A.), il faut comprendre les motifs du juge Doherty comme permettant de modifier un acte d'accusation pour substituer l'infraction originale par une nouvelle lorsque la modification ne vise rien de plus que la désignation, le « label » de l'infraction[7]. Manifestement, ce n’est pas le cas avec la substitution de l’infraction originale par la nouvelle accusation dans les circonstances de l’espèce.

[17]           Quant à l'alinéa 601(3)c), il n'était d'aucun secours pour le ministère public, puisque la dénonciation n'était affectée d'aucun vice de forme. Aucune preuve n'a été présentée au soutien de la thèse de l'erreur d'écriture soutenue par le ministère public, et le texte détaillé de la dénonciation est incompatible avec une telle prétention.

[18]           Dans l'arrêt R. c. Daoust[8], le juge Bastarache, pour la Cour suprême, tenait ces propos :

22                  Il est bien établi en droit qu'un accusé est seulement tenu de répondre à l'accusation telle qu'elle a été portée et que la Couronne est tenue de la prouver, quitte à demander par la suite une modification, ce qui n'a pas été fait en temps utile. En vertu du par. 601(3) C. cr.un tribunal peut modifier un chef d'accusation à tout stade des procédures lorsqu'il s'agit d'un détail de l'infraction : Morozuk c. La Reine1986 CanLII 72 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 31 (le juge Lamer, plus tard Juge en chef); Elliott c. La Reine1977 CanLII 209 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 393, p. 427 (le juge Ritchie). Toutefois, un changement à l'acte d'accusation en l'espèce ne constituerait pas une précision apportée à un élément de l'infraction, mais reviendrait plutôt à porter une accusation différente de l'accusation initiale. De toute manière, cette Cour n'est aucunement disposée à modifier l'acte d'accusation à ce stade des procédures.

[Soulignage ajouté]

[19]           En l'espèce, en l’absence de toute preuve, la Cour est d'avis que la modification de la dénonciation ne constituait pas la correction d'un détail de l'infraction ou le changement de sa désignation, et encore moins la correction d'un vice de forme. Par conséquent, le juge du procès ne pouvait l'autoriser. Dans ces circonstances, l'absence de préjudice, question sur laquelle la Cour ne se prononce pas, n'a aucune pertinence.


samedi 26 juillet 2025

L'actus reus et la mens rea de l’infraction de possession en vue de trafic & l'appréciation des motifs raisonnables provenant de renseignements reçus d’informateurs

R. c. Rock, 2021 QCCA 878

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[19]      L’infraction de trafic est large et vise non seulement la vente, mais aussi le transfert, le transport, l’expédition et la livraison de la substance prohibée[6]. L’actus reus de l’infraction de possession en vue de trafic est la possession d’une substance désignée. La mens rea exige la preuve que l’accusé connaisse la nature de la substance qu’il possède et qu’il a l’intention d’en faire le trafic[7]. Tant que l’accusé a en sa possession une substance interdite, alors qu’il en connaît la nature et qu’il a l’intention d’en faire le trafic, l’infraction se poursuit. Il s’agit donc d’une infraction continue[8].

[20]      Sur la question des motifs raisonnables, la juge conclut que les informations transmises par les sources à l’agente Ringuette n’ont pas été vérifiées et ne pouvaient donc fonder des motifs raisonnables.

[21]      Les motifs raisonnables peuvent reposer sur des renseignements reçus d’informateurs[9]. Ceux-ci revêtent d’ailleurs un rôle de premier plan dans certaines enquêtes policières, surtout dans les cas où des renseignements peuvent difficilement être obtenus autrement, comme c’est souvent le cas en matière de trafic de stupéfiants[10].

[22]      La fiabilité des renseignements transmis par des informateurs peut être variable[11] et de telles informations sont sujettes à confirmation ou à validation[12]. Il s’agit d’une analyse contextuelle et les éléments suivants sont généralement considérés : la précision et le caractère convaincant des informations transmises; le fait que l’informateur a fourni dans le passé des renseignements sûrs; les renseignements transmis sont appuyés ou corroborés par d’autres informations obtenues dans le cadre de l’enquête, notamment par d’autres témoins ou des techniques d’enquête telles que la surveillance[13].

[23]      En somme, lorsque les renseignements obtenus d’un informateur fournissent des détails allant au-delà de la simple affirmation, que ceux-ci sont corroborés, que la source est considérée comme étant fiable par les services de police et qu’une enquête policière ou une surveillance permettent d’appuyer la véracité des informations reçues, la croyance sur laquelle se fonde le policier procédant à l’arrestation est objectivement justifiable[14].

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

R v Ballantyne, 2015 SKCA 107 Lien vers la décision [ 58 ]             At trial, Crown counsel attempted to tender evidence of a statement m...