Tremblay c. R., 2006 QCCA 75 (CanLII)
[17] L’article 12 de la Loi sur la preuve prévoit qu’un témoin peut être contre-interrogé relativement à ses condamnations antérieures. Dans R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (C.S.C.), [1988] 1 R.C.S. 670, la Cour suprême conclut que cette disposition ne contrevient pas aux articles 7 et 11(d) de la Charte canadienne des droits et libertés lorsqu’un accusé décide de témoigner pour sa défense. Cependant, le juge possède le pouvoir discrétionnaire de limiter le contre-interrogatoire lorsque la divulgation complète causerait un préjudice plus grand que la valeur probante de cette preuve. De plus, toute divulgation d’antécédents judiciaires doit être accompagnée d’une directive au jury quant à l'usage limité de cette preuve puisque qu'elle ne doit être utilisée que pour apprécier la crédibilité de l'accusé et non pour conclure à sa propension à commettre des actes criminels et, plus spécifiquement, l’acte criminel qui lui est reproché. Le juge en chef Dickson explique, dans Corbett, en quoi le casier judiciaire d’un accusé peut être pertinent pour apprécier sa crédibilité :
[…] Au Canada, il est permis de contre-interroger un accusé relativement à ses condamnations antérieures depuis que les accusés ont été habilités pour la première fois à témoigner pour leur propre compte en 1893: R. v. D'Aoust (1902), 5 C.C.C. 407 (C.A. Ont.). L'article 12 traduit l'opinion du législateur que les condamnations antérieures influent réellement sur la crédibilité d'un témoin. En décidant s'il croira un témoin donné, le jury, tout naturellement, prendra en considération divers éléments. Les jurés observeront le comportement du témoin pendant qu'il dépose, son apparence, le ton sur lequel il s'exprime et son attitude générale. De même, le jury tiendra compte de tous renseignements qu'il possède concernant les habitudes ou le mode de vie du témoin. Certes, on ne saurait nier que le casier judiciaire d'un témoin influe, du moins jusqu'à un certain point, sur sa crédibilité. Il est toutefois évident que ce n'est pas simplement parce qu'un témoin a déjà été déclaré coupable d'une infraction qu'on doit nécessairement le considérer comme indigne de foi, mais c'est là un fait dont un jury pourrait tenir compte en appréciant sa crédibilité.
Cette justification de l'art. 12 a été énoncée explicitement dans la jurisprudence. Voir, par exemple, l'arrêt R. v. Stratton, précité, à la p. 461, où le juge Martin affirme: [TRADUCTION] "Incontestablement, la théorie en vertu de laquelle les condamnations antérieures sont admises en preuve relativement à la crédibilité est celle selon laquelle la moralité du témoin, qui ressort de ses antécédents criminels, constitue un fait pertinent qu'on doit prendre en considération en appréciant la crédibilité du témoin." (p. 685)
[18] Par ailleurs le mépris persistant de la loi est pertinent pour apprécier la crédibilité d’un témoin. On peut inférer qu’un individu qui enfreint sans cesse la loi a peu de respect pour la vérité et est donc plus susceptible de mentir. Ainsi, dans R. c. Gibson, 153 C.C.C. (3d) 465 (B.C.C.A.), paragr. 30, la juge Ryan cite avec approbation l'extrait suivant de la décision du juge de première instance qui autorisait le contre-interrogatoire au moyen de l'ensemble des condamnations :
[…] His abiding and repeated contempt for the law is manifest in his persistent involvement in serious crimes. I take the whole of the relevant passage in R. v. Fengstad and Stewart as read and choose to quote here only this, and this quote from para. 27 of Fengstad and Stewart:
"In the context of this case, the evidence of the appellant records, which demonstrated a persistent involvement in serious crimes would properly alert the jury to the fact that these men had an abiding and repeated contempt for the laws of this land, a fact which the jury were entitled to consider in assessing the credibility of the appellants. To expunge a number of convictions or to order that no cross-examination could take place on the record at all, would be to leave the jury with a false impression as to the circumstances surrounding the reliability and veracity of the appellants."
[19] Il peut arriver que l’effet préjudiciable de l’admission en preuve du casier judiciaire d’un accusé fasse en sorte que le juge décide qu’il est préférable de taire au jury certaines condamnations. Dans R. c. Charland, [1996] A.J. no 819, la Cour d’appel de l’Alberta fait état du risque de préjudice lorsque les antécédents judiciaires sont divulgués au jury :
[17] In Corbett, the Supreme Court discussed the nature of the prejudice which could arise from the disclosure to the jury, of the previous criminal behaviour of the accused. The prejudice arises from the risk that the jury might improperly use the evidence admitted for the limited purpose of credibility, in deciding on the guilt of the accused. There is a risk that the jury will rely on unfounded and unreliable assumptions which arise from evidence of bad character, such as propensity: that an accused who previously committed a crime is more likely to commit other crimes, including the offence with which he is charged; […]
[20] Lorsqu’il s’agit de déterminer si une condamnation antérieure doit être exclue, le juge doit se demander si l’accusé a démontré, selon le poids des probabilités, que l’admissibilité de cette condamnation antérieure entraînerait pour lui un préjudice supérieur à la valeur probante de cette preuve. Il n’y a pas de règle absolue et cet exercice s'effectue en tenant compte de plusieurs facteurs et critères. Chaque décision constitue un cas d’espèce et dépendra des faits particuliers d’une affaire. Dans R. c. Corbett, précité, le juge Dickson précise, à la p. 697, que, dans le doute, l’admissibilité en preuve doit être privilégiée :
La valeur probante d'un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l'admissibilité, à moins qu'il n'existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l'exclusion.
[21] Les critères qui doivent être considérés pour décider d’autoriser ou non le contre-interrogatoire relatif aux antécédents judiciaires sont mentionnés par la Cour dans D.V. c. R., [2003] J.Q. no 478. Elle y reprend la liste de critères retenus par le juge Brossard dans R. c. Trudel , 1994 CanLII 5397 (QC C.A.), [1994] R.J.Q. 678 (C. A.) :
[38] Dans R. c. Trudel , le juge Brossard énonce les règles utiles pour statuer sur l'admissibilité de cette preuve :
- Il y aura lieu, cependant, de soupeser la valeur probante de cette preuve en regard du préjudice qu'elle est susceptible de causer à l'accusé [...];
- "[P]lus l'infraction qui a donné lieu à la condamnation antérieure ressemble à la conduite pour laquelle l'accusé subit son procès, plus le préjudice résultant de son admission en preuve risque d'être grand." Par ailleurs, un antécédent de fraude, de tromperie, ou de tricherie, indiquant un manque d'honnêteté ou d'intégrité, vise directement la crédibilité du témoignage de l'accusé [...];
- Le Tribunal doit donc être fort réticent à admettre en preuve une condamnation pour un crime antérieur similaire, dont la nature n'a rien à voir avec la crédibilité ou la véracité possible du témoignage de l'accusé;
- C'est donc la connexité entre la crédibilité et la nature de l'antécédent judiciaire qu'il faut considérer et non la connexité entre la nature de cet antécédent et la nature du crime en l'instance;
- La proximité dans le temps entre les deux infractions constitue également un facteur susceptible d'affecter soit sa pertinence, soit le degré de préjudice causé à l'accusé;
- Enfin, la preuve de cet antécédent constitue-t-elle un élément de preuve nécessaire ou utile à la Couronne au point que la résolution du litige peut en dépendre.
[22] Il faut également rappeler que, selon la jurisprudence, la limitation de la divulgation des antécédents judiciaires constitue l’exception et non la règle. Règle générale, le casier judiciaire d’un accusé qui témoigne est admissible en preuve sauf circonstances particulières. Par exemple, dans R. c. P. (N. A.) 2002 CanLII 22359 (ON C.A.), (2002), 171 C.C.C. (3d) 70 (C.A. Ont.), le juge Doherty écrit :
[20] On a Corbett application, however, the accused seeks to testify while at the same time withholding information from the jury that would be relevant to its assessment of the accused's credibility as a witness. There is no presumption against the admissibility of the accused's criminal record where he or she chooses to testify. To the contrary, as indicated by the majority in R. v. Corbett, supra, cross-examination on a criminal record of an accused who chooses to testify will be the usual course. […]
[23] Par ailleurs, comme il est permis de contre-interroger les autres témoins sur leurs antécédents judiciaires, le fait d’ «épurer » le casier judiciaire d’un accusé ou, pire, d’en taire complètement l’existence, peut avoir pour effet de donner au jury un portrait faussé de la réalité en lui laissant croire que seuls les témoins de la poursuite ont des antécédents et que leur crédibilité est donc affaiblie par rapport à celle de l'accusé qui, lui, n'en possède pas ou encore, en apparence, a été condamné moins souvent et pour des crimes différents de la réalité. Dans R. c. Charland 1996 CanLII 7284 (AB C.A.), (1996), 110 C.C.C. (3d) 300, (pourvoi rejeté par la Cour suprême, [1997] R.C.S. 1006), la Cour d'appel de l'Alberta indique qu’il ne faut pas donner faussement au jury l’impression que l’accusé a mené une vie exemplaire :
Generally, previous convictions for violent offences such as sexual assault do not directly reflect on honesty and truthfulness and, depending on the circumstances of the case, have limited probative value in assessing credibility. However, particularly in the context of a lengthy criminal record, such prior convictions have probative value that is greater than trifling because a jury could reasonably conclude that the convictions reflect a disregard for the laws and rules of society, making it more likely that the person who harbours such attitudes would lie. Here, excluding the sexual assault convictions from the cross-examination could leave the jury with an erroneous impression that the accused had not been convicted of any offences since 1988. The accused would have appeared to have lived a "crime free" life in the community for six years, when a substantial portion of that time was spent in jail. In the circumstances of this case, I cannot say that the trial judge's finding that the probative value of the accused's prior sexual assault convictions outweighed the prejudicial effect, constituted a clear or palpable error.
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