vendredi 19 novembre 2010

Revue de la jurisprudence sur les suggestions communes par la juge France Charbonneau de la Cour supérieure

Cosimiuk c. R., 2010 QCCS 5494 (CanLII)

[26] D'entrée de jeu, mentionnons qu'un juge, tel que l'indique l'article 606(1.1)(b)iii) C.cr., n'est lié par aucun accord conclu entre les parties.

[27] De même, un juge, tout comme dans l'affaire Henley, peut être fondé de ne pas retenir une suggestion commune.

[28] La Cour d'appel, dans l'arrêt Poulin c. R, réitère le principe selon lequel un juge n'est pas lié par une suggestion commune tout en mentionnant que cette possibilité doit être expliquée à l'accusé avant qu'il plaide coupable à la suite de négociations.

[29] Le juge doit alors suivre la procédure telle que décrite dans les arrêts Boucher‑Gagnon c. R., Sideris c. R., Henely c. R. et R. v. McKenzie :

« [37] Si, une fois cette procédure suivie, le juge de première instance décide de ne pas suivre la suggestion commune, il doit s'en expliquer. La Cour d'appel du Manitoba dans l'arrêt R. v. Sinclair, 2004 MBCA 48 (CanLII), (2004), 185 C.C.C. (3d) 569 (Man. C.A.), résume ainsi le fardeau du juge lorsqu'il veut rejeter la recommandation commune des parties :

(1) While the discretion ultimately lies with the court, the proposed sentence should be given very serious consideration.

(2) The sentencing judge should depart from the joint submission only when there are cogent reasons for doing so. Cogent reasons may include, among others, where the sentence is unfit, unreasonable, would bring the administration of justice into disrepute or be contrary to the public interest.

(3) In determining whether cogent reasons exist (i.e., in weighing the adequacy of the proposed joint submission), the sentencing judge must take into account all the circumstances underlying the joint submission. Where the case falls on the continuum among plea bargain, evidentiary considerations, systemic pressures and joint submissions will affect, perhaps significantly, the weight given the joint submission by the sentencing judge.

[…]

(5) The sentencing judge must then provide clear and cogent reasons for departing from the joint submission. Reasons for departing from the proposed sentence must be more than an opinion on the part of the sentencing judge that the sentence would not be enough. The fact that the crime committed could reasonably attract a greater sentence is not alone reason for departing from the proposed sentence. The proposed sentence must meet the standard described in para. 2, considering all of the principles of sentencing, such as deterrence, denunciation, aggravating and mitigating factors, and the like. (Souligné dans le texte)

[38] En somme, un juge ne peut écarter une suggestion commune que si elle est déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Le juge Fish, alors de la Cour, dans R. v. Douglas, reflex, (2002), 162 C.C.C. (3d) 37, J.E. 2002-249 (sub. nom. Verdi-Douglas c. R.), écrit :

[38] I think it important to emphasize that the joint submission in this case was the object of lengthy and detailed negotiations over a considerable period of time by experienced and conscientious counsel on both sides, with the participation of the police officers in charge of the investigation, and clearly contingent on a plea of guilty by the appellant.

[…]

[42] Canadian appellate courts have expressed in different ways the standard for determining when trial judges may properly reject joint submissions on sentence accompanied by negotiated admissions of guilt.

[43] Whatever the language used, the standard is meant to be an exacting one. Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences unless they are "unreasonable", "contrary to the public interest", "unfit", or "would bring the administration of justice into disrepute".

[...]

[51] In my view, a reasonable joint submission cannot be said to "bring the administration of justice into disrepute". An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely "contrary to the public interest". Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty - provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.

[52] Moreover, I agree with the Martin Report, cited earlier, that the reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light of the evidence, submissions and reports placed on the record before the sentencing judge (subject, of course, to amplification of that record on appeal in accordance with the applicable statutory provisions and the governing case law). I believe as well that sentencing judges are bound to ensure, by putting the appropriate questions directly to the accused, that the negotiated guilty plea is voluntary and unambiguous. A full record in both respects will be essential to meaningful appellate review in those cases, fortunately rare, where an appeal is found to be warranted.

[39] Commentant l’état de la jurisprudence, Pierre Béliveau et Martin Vauclair écrivent dans Traité général de preuve et procédure pénales, 16e éd., Éd. Yvon Blais, 2009, à la page 782 :

1955. La jurisprudence récente s’est montrée de plus en plus exigeante à cet égard, allant jusqu’à une quasi-reconnaissance juridique de cette pratique. D’ailleurs, dans l’arrêt Cerasuolo, la Cour d’appel de l’Ontario a pris acte que la négociation de plaidoyer est une démarche qui amène l’accusé à renoncer à son droit à un procès par jury et à la présomption d’innocence. Le juge Finlayson a qualifié de louable cette initiative qui réduit la durée du processus judiciaire. La défense doit donc avoir l’assurance que le juge y donnera suite dans la plupart des cas. Il a précisé que cette approche n’interfère pas avec l’indépendance judiciaire si le juge explique qu’il suivra la recommandation commune si elle ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et qu’elle ne déconsidère pas l’administration de la justice. Dans l’arrêt Druken, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador est allée jusqu’à reconnaître qu’il est normal que la peine retenue soit, tout en étant un minimum acceptable, plus clémente que celle normalement attribuée, afin qu’elle constitue une légitime incitation de plaidoyer de culpabilité de l’accusé.

[40] François Dadour dans De la détermination de la peine : principes et applications, Lexis Nexis, 2007, à la page 38, souligne l’importance de certains facteurs qui militent contre un rejet d’une suggestion commune :

Le fait que la suggestion commune soit présentée par des avocats d’expérience est également un facteur qui doit être pris en compte. Il en va de même quant au fait que les négociations entre les parties aient été longues et détaillées. Un facteur qui apparaît essentiel à la juste considération des suggestions communes de la part du juge d’instance est que les parties ont une connaissance plus exhaustive des faits et des circonstances de l’accusé que ne peut en avoir le juge. »

[30] Ces trois règles sont encore une fois réitérées dans l'arrêt Bergeron c. R. où il est clairement indiqué qu'avant d'écarter toute suggestion commune, le juge doit se conformer à la procédure établie :

« 18] En matière de suggestions communes, il ressort de la jurisprudence que le juge doit suivre trois règles avant de pouvoir s'en écarter :

i. Il doit s'assurer auprès de l'accusé que son plaidoyer de culpabilité est volontaire et sans équivoque;

ii. Il doit faire savoir aux avocats la réticence qu'il éprouve envers la suggestion soumise et permettre à ceux-ci d'y répondre;

iii. Il doit finalement être d'avis que la sentence suggérée est déraisonnable ou qu'elle déconsidérerait l'administration de la justice. »

[31] De même, il incombe aux avocats de démontrer le bien-fondé de leur suggestion :

« [21] Notre Cour considère également qu'il incombe aux avocats de démontrer le bien-fondé de leur suggestion :

[7] Il faut prendre en compte qu'il appartient aux avocats de fournir au juge suffisamment de détails permettant de justifier leur suggestion. En l'espèce les raisons données sont minimales et n'ont certainement pas convaincu le juge de se rallier à la suggestion. »

[32] Le Tribunal souligne de plus, qu'en matière de détermination de la peine, un Tribunal d'appel doit faire preuve de déférence tel que le faisait remarquer la Cour d'appel dans l'arrêt Ashrafi c. R..

[33] C'est ainsi qu'après avoir constaté que le juge d'instance s'est bien conformé à la procédure, telle que suggérée dans l'arrêt Sidéris, précité, le Tribunal supérieur doit faire preuve d'une grande réserve en regard du pouvoir discrétionnaire d'un juge d'instance en matière de détermination de la peine.

[34] La Cour suprême dans l'arrêt R. c. L.M. s'exprime ainsi quant à la retenue dont doit faire preuve un Tribunal d'appel :

« [14] La jurisprudence de notre Cour a établi que les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des juges de première instance à l’occasion d’un appel de la sentence. En effet, une cour d’appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu’elle aurait prononcé une sentence différente. Elle doit être « convaincue qu'elle n'est pas indiquée », c'est-à-dire « que la peine est nettement déraisonnable » (R. c. Shropshire, 1995 CanLII 47 (C.S.C.), [1995] 4 R.C.S. 227, par. 46, cité dans R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 15). Notre Cour a d’ailleurs souligné dans R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 90 :

. . . sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée.

(Voir aussi R. c. W. (G.), 1999 CanLII 668 (C.S.C.), [1999] 3 R.C.S. 597, par. 19; A. Manson, The Law of Sentencing (2001), p. 359; et F. Dadour, De la détermination de la peine : principes et applications (2007), p. 298.)

[15] La nature profondément contextuelle du processus de détermination de la peine, qui laisse une large discrétion au juge du fait, justifie une norme de contrôle fondée sur une exigence de retenue de la part des juridictions d’appel. En effet, le juge infligeant la peine « sert en première ligne de notre système de justice pénale » et possède des qualifications uniques sur les plans de l'expérience et de l'appréciation des commentaires formulés par le ministère public et le contrevenant (M. (C.A.), par. 91). En somme, en l’espèce, la Cour d’appel était tenue de conserver une attitude de respect à l’égard de la sentence prononcée par la première juge, et ce pour des raisons fonctionnelles, la juge du fait restant la mieux placée pour évaluer la peine que méritait L.M. »

[41] Toutefois, même si la juge s'est bien conformée en droit à la procédure suggérée, un juge, tel que le précise la Cour d'appel dans l'arrêt Poulin, précité, ne peut écarter une suggestion commune que si elle est «déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice».

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