jeudi 9 décembre 2010

Détermination de la peine relativement à l'infraction de trafic et possession aux fins de trafic de crack

R. c. Frappier, 2010 QCCQ 10365 (CanLII)

[60] Une revue de la jurisprudence permet de constater qu’en matière de trafic et possession aux fins de trafic de crack, l’emprisonnement avec sursis est envisageable, bien que peu fréquemment retenue. Quoi qu’il en soit, chaque cas est un cas d’espèce qui doit être évalué au mérite. La peine doit être individualisée à la situation particulière de l’accusé.

[61] Depuis longtemps, la Cour d’appel dénonce le fléau que représente le trafic de crack. Dans l’arrêt Dorvilus précité ci-haut, le juge Baudoin écrit :

(…) les tribunaux ont le devoir de se montrer sévères et non complaisants en matière de trafic de crack, eu égard surtout au fait que la substance crée une grande dépendance et une dépendance quasi immédiate, qu’elle est une drogue bon marché à la portée donc de la bourse des enfants et des adolescents.

[62] C’est pourquoi les juges Baudoin et Rothman ont maintenu la sentence de deux (2) ans moins un (1) jour d’emprisonnement prononcé contre l’accusé qui était un trafiquant sans antécédent, père de famille, âgé de 34 ans et lui-même consommateur de drogue. Dorvilus avait vendu, à deux (2) reprises, quatre (4) roches de crack à un agent double.

[63] Le juge Proulx, bien que dissident sur la durée de la peine, partage le commentaire ci-haut de son collègue. Par ailleurs, il précise qu’il faut distinguer la situation du trafiquant mercantile, de celle du trafiquant-toxicomane. La culpabilité de ce dernier est moins grande que celle du non-utilisateur insensible.

[64] Dans l’arrêt R. c. Blagrove, la Cour d’appel a fait passer la sentence de 14 mois à 30 mois d’emprisonnement. L’accusé avait plaidé coupable à cinq (5) chefs de trafic de petites quantités de crack (2 à 3 roches). La Cour d’appel reproche au juge de première instance de ne pas avoir tenu compte du rapport présententiel et des réponses de l’accusé qui semblaient manquer de conviction et qui, à la lumière des autres observations de l’agente de probation, ont fait conclure à la Cour d’appel que la conclusion du premier juge quant à la réhabilitation de l’accusé n’étaient pas supportées par la preuve.

[65] Dans R. v. Stanislaus, la Cour d’appel a maintenu une peine d’emprisonnement de 15 mois à un individu ayant plaidé coupable à un chef de trafic de crack (3 g) et un chef de possession aux fins de trafic de trois (3) roches de crack. L’accusé avait 20 ans, n’avait pas d’antécédent, était retourné aux études, s’était engagé dans sa communauté et avait un emploi à temps partiel. L’accusé souhaite obtenir un emprisonnement avec sursis. Voici ce qu’écrit la Cour d’appel au paragraphe 10 de l’arrêt :

Considering that at the time he committed the offences, Appellant was a member of a community drug distribution network; that he was a non-user who admitted engaging in the crimes strictly for economic gains; the particular narcotic involved, cocaine base (crack); and the principles established in our judgments in R. v. Blagrove, C.A.Q. 500-10-000582-963, August 30, 1996; Dorvilus v. R., C.A.Q. 500-10-000111-904, July 4, 1990; Farfan v. R., C.A.Q. 500-10-000369-957, January 22, 1996;

[66] Dans R. c. Blais, la Cour d’appel rejette une requête pour permission d’appeler d’une sentence de 54 mois de pénitencier. La Cour rappelle que «[l]’emprisonnement est la règle en matière de trafic de stupéfiants, sauf circonstances exceptionnelles (…)». En l’espèce, l’accusé avait démontré «une motivation de lucre et d’appât du gain sans effort.» Comme l’écrit le juge Robert :

Ici, nous sommes en présence d’un véritable commerçant et non pas d’un intermédiaire occasionnel qui aurait agi par complaisance ou d’une victime de la drogue qui se serait livrée au commerce pour pourvoir combler ses propres besoins. Le critère primordial est donc celui de l’exemplarité.

[67] Revoyons maintenant quelques décisions rendues par la Cour du Québec au cours des dernières années :

a) R. c. Bessette : L’accusé Rioux a plaidé coupable à huit (8) chefs de complot pour trafic, trafic et possession en vue de faire le trafic de crack, de cocaïne, de cannabis (marijuana) et résine de cannabis (haschich). Bessette, lui, a plaidé coupable à 4 chefs de complot, de trafic et de possession en vue de faire le trafic de crack et possession en vue de faire le trafic de cocaïne. On a retrouvé 18 roches de crack sur Bessette et 112 roches sur Rioux. Ce dernier fournissait la drogue à Bessette, lequel la livrait. Leur organisation était donc structurée. Le juge Galarneau effectue une revue de la jurisprudence. Le juge tient compte des antécédents nombreux (dont certains en semblable matière) des accusés et de leurs âges : Rioux avait 35 ans et Bessette 42 ans. Le juge Galarneau impose une peine de 30 mois d’incarcération à Rioux et 18 mois à Bessette.
Il repousse la possibilité que Bessette purge sa peine dans la collectivité.

b) R. c. Graham : L’accusé est trouvé coupable de possession de crack aux fins de trafic et de possession de cocaïne aux fins de trafic. Les quantités sont les suivantes : 6.85 g de crack (de 40 à 68 roches) et 2 g de cocaïne. Des munitions ont été saisies chez l’accusé. Graham avait de nombreux antécédents. Il n’était pas un toxicomane. L’accusé n’a pas démontré qu’il pouvait être réhabilité. La juge Westmoreland-Traoré lui a imposé une peine de 30 mois de détention en tenant compte d’une détention préventive de
11 mois calculée en double.

c) R. c. Napoléon: L’accusé s’est notamment reconnu coupable d’avoir trafiqué deux (2) roches de crack, d’avoir eu en sa possession de la marijuana. Napoléon faisait partie d’un réseau. Il trafiquait pour l’argent. Napoléon avait quelques antécédents à l’époque alors qu’il était mineur.
Vu la faible quantité de crack, le juge Chevalier condamna l’accusé à une peine d’emprisonnement d’une année. Il refusa le sursis, notamment en raison des antécédents judiciaires de l’accusé. Napoléon avait déjà été condamné pour avoir trafiqué des stupéfiants.

d) R. c. Cene : L’accusé était sans antécédent judiciaire. Il était âgé de
24 ans. Il a plaidé coupable à des accusations de trafic de crack (à deux (2) reprises : total de neuf (9) roches) et de possession en vue de trafic
(5 roches). Cene était organisé. Le juge Vauclair relève peu de facteurs atténuants, à part l’âge et l’absence d’antécédents. Cene n’avait pas d’introspection, n’avait aucun programme de réinsertion et les risques de récidive étaient élevés. Le juge Vauclair imposa donc une peine de 10 mois de détention pour les infractions liées à la drogue.

e) R. c. Leduc : Leduc et Montreuil ont plaidé coupable à trois (3) chefs de trafic de crack, deux (2) chefs de possession en vue de faire le trafic de crack et de cocaïne. Leduc recevait les commandes et en faisait la livraison. Il a été impliqué dans trois (3) trafics totalisant six (6) roches de crack. Lors de son arrestation, il avait en sa possession 1,25 g de cocaïne et huit
(8) roches de crack. Montreuil, lui, entreposait la drogue contre rémunération. Les policiers ont trouvé 200 roches de crack et 21,25 g de cocaïne divisés en 85 quarts de gramme. Leduc était âgé de 55 ans et Montreuil de 37 ans. Les deux n’avaient aucun antécédent. Ils ont été motivés par l’appât du gain. Ils ont exprimé des remords. Leduc et Montreuil avaient une conjointe et des enfants. Le juge Vauclair refusa à Leduc un emprisonnement avec sursis. Il lui imposa une peine d’emprisonnement de 18 mois moins deux (2) jours d’emprisonnement provisoire. Quant à Montreuil, le juge Vauclair lui a imposé une peine de 36 mois moins huit
(8) jours d’emprisonnement provisoire.

f) R. c. Topey : L’accusé, âgé de 21 ans, est notamment trouvé coupable de possession de crack en vue de faire le trafic (100 roches); possession de cannabis (marijuana) en vue de faire le trafic (1000 g de cannabis et deux (2) g de marijuana). Topey trafiquait depuis plusieurs mois. Il était motivé par l’appât du gain. Il a déchargé une arme à feu en direction d’un policier qui le pourchassait. Topey n’avait aucun antécédent et il a été blessé par le policier qui lui a tiré dessus. Le juge Denis Lavergne condamna Topey à une peine de deux (2) ans pour les infractions liées à la drogue. Ladite sentence devait être purgée consécutivement à la sentence imposée pour les infractions liées à l’utilisation d’une arme chargée contre un policier.

[68] Ce survol de la jurisprudence permet de constater qu’une peine supérieure à 24 mois est habituellement imposée lorsque la quantité de crack est importante, que l’accusé est motivé par l’appât du gain, qu’il exerce une activité organisée, que l’accusé a des antécédents pertinents ou que les facteurs atténuants sont peu nombreux.

[70] La nature de la drogue, la quantité importante trouvée dans le véhicule de M. Frappier, la planification et l’organisation de celui-ci, le caractère mercantile motivant ses crimes, son âge mûr, son insensibilité, ses antécédents judiciaires récents, dont un en semblable matière, sont autant de facteurs jouant en défaveur de l’accusé.

[81] Dans R. c. Dubé-Pelletier, le juge Martin Vauclair a imposé une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée de 21 mois à un accusé âgé de 22 ans ayant notamment plaidé coupable à un chef de trafic de cocaïne-base (crack), un chef de possession de cette drogue pour en faire le trafic et un chef de possession de cocaïne pour en faire le trafic. L’accusé avait transigé deux (2) roches de crack avec un agent double et lors de son arrestation, il avait en sa possession neuf (9) roches additionnelles, quatre (4) quarts de cocaïne et 195 $.

[82] Au paragraphe 13 de sa décision, le juge Vauclair écrit :

[13] Enfin, rappelons que dans un cas de trafic de cocaïne-base, il n’est généralement pas approprié de surseoir au prononcé de la peine pour imposer une période de probation. Nul besoin de rappeler les méfaits de cette drogue parmi la population et la criminalité indirecte qu’elle entraîne. Le présent dossier l’illustre parfaitement. L’emprisonnement est la peine sans aucun doute appropriée dans la plupart des cas. Quant à la durée, la jurisprudence démontre qu’une peine de prison n’est pas déraisonnable et qu’un emprisonnement avec sursis n’est pas déraisonnable dans les circonstances appropriées.

[83] Le juge Vauclair réfère aux arrêts : R. c. Dorvilus et R.c. Prokos. L’emprisonnement avec sursis a été retenu par le juge Vauclair pour les raisons suivantes : l’accusé était un jeune homme ayant eu une enfance difficile, il était aux prises avec le problème de consommation de crack; Francis Dubé-Pelletier s’est montré sincère et réaliste; l’accusé voulait s’en sortir; il était sur le point de devenir père; il avait un plan de réhabilitation sérieux; les antécédents de l’accusé étaient compatibles avec une criminalité acquisitive pour subvenir à sa consommation de drogue.

[85] Les peines d’emprisonnement de neuf (9) mois (trafic de cocaïne-base) et 27 mois (possession de la cocaïne-base (crack) dans le but d’en faire le trafic) devront être purgées concurremment.

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