R. c. Terry, [1996] 2 RCS 207
28 (...) Un aveu fait par l'accusé contre ses intérêts est admissible en vertu d'une exception reconnue à la règle du ouï‑dire, dans la mesure où sa valeur probante l'emporte sur son effet préjudiciable.
mardi 31 mai 2011
dimanche 29 mai 2011
La juridiction territoriale
R. c. Larche, 2004 CanLII 31408 (QC CA)
[38] Sous réserve de certaines exceptions statutaires, les tribunaux canadiens n'ont pas juridiction sur les infractions commises à l'étranger. Le paragraphe 6(2) du Code criminel expose:
Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction commise à l'étranger.
[…]
[39] Dans R. c. Libman, 1985 CanLII 51 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 178, la Cour suprême s'est prononcée sur la question de la juridiction territoriale des tribunaux canadiens. Aux pages 212 et 213, elle a énoncé qu'il devait exister un lien réel et important ou, selon la version anglaise, a real and substancial link, entre l'infraction et le Canada, pour que les tribunaux canadiens aient juridiction:
Je pourrais résumer ainsi ma façon d'aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu'une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l'affirment les auteurs modernes, il suffit qu'il y ait un "lien réel et important" entre l'infraction et notre pays, ce qui est un critère bien connu en droit international public et privé; voir Williams et Castel, ainsi que Hall, précités. Comme le professeur Hall le note (à la p. 277), cela n'exige aucun texte de loi. Après tout ce sont les tribunaux qui ont défini la façon dont le principe de la territorialité s'applique et le critère proposé équivaut simplement à rétablir la formulation antérieure de ce principe. C'est en réalité le critère qui s'accorde le mieux avec tous les arrêts. […] (je souligne)
[40] Dans R. c. B.(O.) 1997 CanLII 949 (ON C.A.), (1977), 116 C.C.C. (3d) 189 (C.A Ont.), la Cour d'appel devait déterminer si les tribunaux canadiens avaient juridiction sur une infraction d'agression sexuelle commise par un canadien, aux États-Unis, à bord d'un véhicule en provenance du Canada. La Cour a conclu à l'absence de juridiction de la façon suivante:
12. With respect, this is an analysis which focuses more on aspects of the alleged offender than on elements of the alleged offence. The offence was one which in every respect occurred outside Canada, albeit in a Canadian vehicle on a trip from Canada with two Canadians in it. Other than in s. 7, the Criminal Code does not purport to assume original jurisdiction over criminal activity in foreign territories simply because the activity was carried on by Canadians in a Canadian vehicle. There must be more than Canadian residence or vehicular ownership: there must be a significant link between Canada and the formulation, initiation, or commission of the offence. There is no such link here with respect to any part of the offence. […]
[41] En conséquence, les faits «liés» ne pourraient être pris en considération s'ils sous-tendent une infraction commise à l'étranger: il en serait de même si la reconnaissance d'une infraction enfreignait le principe de courtoisie internationale.
[42] Dans Spencer c. Sa Majesté la Reine, [1985] 2 R.C.S., à la page 283, la Cour suprême a défini la portée du principe de courtoisie internationale de la façon suivante:
La "courtoisie" au sens juridique n'est ni une question d'obligation absolue d'une part ni de simple politesse et bonne volonté de l'autre. Mais c'est la reconnaissance qu'une nation accorde sur son territoire aux actes législatifs, exécutifs ou judiciaires d'une autre nation, compte tenu à la fois des obligations et des convenances internationales et des droits de ses propres citoyens ou des autres personnes qui sont sous la protection de ses lois: Hilton v. Guyot, 159 U.S. 113 (1895), aux pp. 163 et 164.
[43] Sans doute, le respect de la juridiction territoriale des pays étrangers est précisément la façon pour le Canada de se conformer au principe de courtoisie internationale.
[38] Sous réserve de certaines exceptions statutaires, les tribunaux canadiens n'ont pas juridiction sur les infractions commises à l'étranger. Le paragraphe 6(2) du Code criminel expose:
Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction commise à l'étranger.
[…]
[39] Dans R. c. Libman, 1985 CanLII 51 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 178, la Cour suprême s'est prononcée sur la question de la juridiction territoriale des tribunaux canadiens. Aux pages 212 et 213, elle a énoncé qu'il devait exister un lien réel et important ou, selon la version anglaise, a real and substancial link, entre l'infraction et le Canada, pour que les tribunaux canadiens aient juridiction:
Je pourrais résumer ainsi ma façon d'aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu'une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l'affirment les auteurs modernes, il suffit qu'il y ait un "lien réel et important" entre l'infraction et notre pays, ce qui est un critère bien connu en droit international public et privé; voir Williams et Castel, ainsi que Hall, précités. Comme le professeur Hall le note (à la p. 277), cela n'exige aucun texte de loi. Après tout ce sont les tribunaux qui ont défini la façon dont le principe de la territorialité s'applique et le critère proposé équivaut simplement à rétablir la formulation antérieure de ce principe. C'est en réalité le critère qui s'accorde le mieux avec tous les arrêts. […] (je souligne)
[40] Dans R. c. B.(O.) 1997 CanLII 949 (ON C.A.), (1977), 116 C.C.C. (3d) 189 (C.A Ont.), la Cour d'appel devait déterminer si les tribunaux canadiens avaient juridiction sur une infraction d'agression sexuelle commise par un canadien, aux États-Unis, à bord d'un véhicule en provenance du Canada. La Cour a conclu à l'absence de juridiction de la façon suivante:
12. With respect, this is an analysis which focuses more on aspects of the alleged offender than on elements of the alleged offence. The offence was one which in every respect occurred outside Canada, albeit in a Canadian vehicle on a trip from Canada with two Canadians in it. Other than in s. 7, the Criminal Code does not purport to assume original jurisdiction over criminal activity in foreign territories simply because the activity was carried on by Canadians in a Canadian vehicle. There must be more than Canadian residence or vehicular ownership: there must be a significant link between Canada and the formulation, initiation, or commission of the offence. There is no such link here with respect to any part of the offence. […]
[41] En conséquence, les faits «liés» ne pourraient être pris en considération s'ils sous-tendent une infraction commise à l'étranger: il en serait de même si la reconnaissance d'une infraction enfreignait le principe de courtoisie internationale.
[42] Dans Spencer c. Sa Majesté la Reine, [1985] 2 R.C.S., à la page 283, la Cour suprême a défini la portée du principe de courtoisie internationale de la façon suivante:
La "courtoisie" au sens juridique n'est ni une question d'obligation absolue d'une part ni de simple politesse et bonne volonté de l'autre. Mais c'est la reconnaissance qu'une nation accorde sur son territoire aux actes législatifs, exécutifs ou judiciaires d'une autre nation, compte tenu à la fois des obligations et des convenances internationales et des droits de ses propres citoyens ou des autres personnes qui sont sous la protection de ses lois: Hilton v. Guyot, 159 U.S. 113 (1895), aux pp. 163 et 164.
[43] Sans doute, le respect de la juridiction territoriale des pays étrangers est précisément la façon pour le Canada de se conformer au principe de courtoisie internationale.
samedi 28 mai 2011
Le retard à accuser et à poursuivre une personne ne peut, en l'absence d'autres facteurs, justifier l'arrêt des procédures au motif qu'elles constitueraient un abus de procédure
R. c. L. (W.K.), [1991] 1 RCS 1091
Le retard à accuser et à poursuivre une personne ne peut, en l'absence d'autres facteurs, justifier l'arrêt des procédures au motif qu'elles constitueraient un abus de procédure selon la common law. Dans l'arrêt Rourke c. La Reine, 1977 CanLII 191 (C.S.C.), [1978] 1 R.C.S. 1021, le juge en chef Laskin (avec l'accord de la majorité sur ce point) a dit ce qui suit, aux pp. 1040 et 1041:
En l'absence de toute prétention que le retard mis à arrêter l'accusé avait quelque but caché, les tribunaux ne sont pas en mesure de dire à la police qu'elle n'a pas enquêté avec assez de diligence et ensuite, comme sanction, de suspendre les procédures quand la poursuite est engagée. Le délai qui s'écoule entre la perpétration d'une infraction et la mise en accusation d'un prévenu à la suite de son arrestation ne peut pas être contrôlé par les tribunaux en imposant des normes strictes aux enquêtes. Preuves et témoins peuvent disparaître à brève comme à longue échéance; de même, on peut avoir à rechercher le prévenu plus ou moins longtemps. Sous réserve des contrôles prescrits par le Code criminel, les poursuites engagées longtemps après la perpétration alléguée d'une infraction doivent suivre leur cours et être traitées par les tribunaux selon la preuve fournie, preuve dont le bien‑fondé et la crédibilité doivent être évalués par les juges. La Cour peut demander une explication sur tout retard fâcheux de la poursuite et être ainsi en mesure d'évaluer le poids de certains éléments de la preuve.
La Charte met‑elle maintenant les accusés à l'abri des poursuites simplement en raison du délai écoulé entre la perpétration de l'infraction et la mise en accusation? À mon sens, tel n'est pas le cas.
Mettre fin aux procédures simplement en raison du temps écoulé équivaudrait à imposer une prescription de création judiciaire à l'égard d'une infraction criminelle. Au Canada, sauf dans de rares circonstances, il n'existe pas de prescription en matière criminelle. Les observations du juge en chef Laskin dans l'arrêt Rourke s'appliquent aussi sous l'empire de la Charte.
L'article 7 et l'al. 11d) de la Charte garantissent notamment le droit de l'inculpé à un procès équitable. Cette équité n'est toutefois pas automatiquement compromise même par un long délai avant le dépôt de l'accusation. En fait, un retard peut jouer en faveur de l'accusé, puisque des témoins à charge peuvent oublier ou disparaître. Les observations du juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Mills c. La Reine, précité, à la p. 945, sont pertinentes:
Le délai antérieur à l'inculpation est pertinent en vertu de l'art. 7 et de l'al. 11d), car ce n'est pas la durée du délai qui importe, mais plutôt l'effet de ce délai sur l'équité du procès.
Par conséquent, les tribunaux ne peuvent pas apprécier l'équité d'un procès donné sans prendre en considération les circonstances propres à l'espèce. Il n'y a pas violation des droits de l'accusé simplement en raison du long délai qui ressort de l'acte d'accusation même.
Il faut beaucoup de courage et de force de caractère aux victimes d'abus sexuels pour révéler ces secrets personnels et ouvrir d'anciennes blessures. Si les procédures devaient être arrêtées en raison du seul temps écoulé entre les mauvais traitements et la mise en accusation, les victimes seraient tenues de dénoncer ces incidents avant d'être psychologiquement prêtes à assumer les conséquences de leur dénonciation.
Le retard à accuser et à poursuivre une personne ne peut, en l'absence d'autres facteurs, justifier l'arrêt des procédures au motif qu'elles constitueraient un abus de procédure selon la common law. Dans l'arrêt Rourke c. La Reine, 1977 CanLII 191 (C.S.C.), [1978] 1 R.C.S. 1021, le juge en chef Laskin (avec l'accord de la majorité sur ce point) a dit ce qui suit, aux pp. 1040 et 1041:
En l'absence de toute prétention que le retard mis à arrêter l'accusé avait quelque but caché, les tribunaux ne sont pas en mesure de dire à la police qu'elle n'a pas enquêté avec assez de diligence et ensuite, comme sanction, de suspendre les procédures quand la poursuite est engagée. Le délai qui s'écoule entre la perpétration d'une infraction et la mise en accusation d'un prévenu à la suite de son arrestation ne peut pas être contrôlé par les tribunaux en imposant des normes strictes aux enquêtes. Preuves et témoins peuvent disparaître à brève comme à longue échéance; de même, on peut avoir à rechercher le prévenu plus ou moins longtemps. Sous réserve des contrôles prescrits par le Code criminel, les poursuites engagées longtemps après la perpétration alléguée d'une infraction doivent suivre leur cours et être traitées par les tribunaux selon la preuve fournie, preuve dont le bien‑fondé et la crédibilité doivent être évalués par les juges. La Cour peut demander une explication sur tout retard fâcheux de la poursuite et être ainsi en mesure d'évaluer le poids de certains éléments de la preuve.
La Charte met‑elle maintenant les accusés à l'abri des poursuites simplement en raison du délai écoulé entre la perpétration de l'infraction et la mise en accusation? À mon sens, tel n'est pas le cas.
Mettre fin aux procédures simplement en raison du temps écoulé équivaudrait à imposer une prescription de création judiciaire à l'égard d'une infraction criminelle. Au Canada, sauf dans de rares circonstances, il n'existe pas de prescription en matière criminelle. Les observations du juge en chef Laskin dans l'arrêt Rourke s'appliquent aussi sous l'empire de la Charte.
L'article 7 et l'al. 11d) de la Charte garantissent notamment le droit de l'inculpé à un procès équitable. Cette équité n'est toutefois pas automatiquement compromise même par un long délai avant le dépôt de l'accusation. En fait, un retard peut jouer en faveur de l'accusé, puisque des témoins à charge peuvent oublier ou disparaître. Les observations du juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Mills c. La Reine, précité, à la p. 945, sont pertinentes:
Le délai antérieur à l'inculpation est pertinent en vertu de l'art. 7 et de l'al. 11d), car ce n'est pas la durée du délai qui importe, mais plutôt l'effet de ce délai sur l'équité du procès.
Par conséquent, les tribunaux ne peuvent pas apprécier l'équité d'un procès donné sans prendre en considération les circonstances propres à l'espèce. Il n'y a pas violation des droits de l'accusé simplement en raison du long délai qui ressort de l'acte d'accusation même.
Il faut beaucoup de courage et de force de caractère aux victimes d'abus sexuels pour révéler ces secrets personnels et ouvrir d'anciennes blessures. Si les procédures devaient être arrêtées en raison du seul temps écoulé entre les mauvais traitements et la mise en accusation, les victimes seraient tenues de dénoncer ces incidents avant d'être psychologiquement prêtes à assumer les conséquences de leur dénonciation.
vendredi 27 mai 2011
Le droit applicable à l'article 16 Ccr (non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux)
R. c. C.S., 2011 QCCQ 4887 (CanLII)
[56] Pour que la responsabilité criminelle d'une personne ne soit pas engagée au sens de l'article 16 du Code criminel, les troubles mentaux, présents lors de la commission des délits, doivent rencontrer des conditions spécifiques.
[57] C'est en ces termes que l'auteur Hugues Parent, dans Traité de droit criminel s'exprime :
« Pour être exonératoire, l'aliénation mentale suppose donc la réunion des deux conditions impératives que sont : (1) la présence d'un trouble mental chez l'accusé; trouble auquel s'ajoute (2) une incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais. Si la première condition s'intéresse à l'origine du déséquilibre psychique observé chez le malade, la seconde porte quant à elle sur l'incapacité nécessaire afin de bénéficier de l'exemption de responsabilité prévue aux termes de l'article 16 du Code criminel. »
[58] Traitant de la définition juridique des troubles mentaux en droit pénal, l'auteur Parent écrit à ce propos :
« Comme l'affirme le juge Martin dans l'arrêt Rabey c. La Reine, le terme « « maladie mentale » [ou trouble mental] est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical; bien que ce soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu'un élément juridique ou d'ordre public ». Cet élément médical, précise le juge Martin, n'est pas sans importance ni signification; il s'agit généralement d'une opinion sur l'étiologie, les signes et les symptômes de la maladie ainsi que sur la manière de qualifier l'état psychique en médecine. Malgré la valeur incontestable de l'expertise psychiatrique, la qualification juridique des troubles mentaux est une question de droit qui relève exclusivement des tribunaux. En effet, s'il appartient au psychiatre de décrire l'état mental de l'accusé et d'exposer ce qu'il implique du point de vue médical, il appartient au juge de décider si l'état est compris dans l'expression « maladie mentale ». » (p. 101)
[59] Dans une récente décision rendue le 19 mars 2010, Mme la juge Lucille Chabot, Cour du Québec, dans l'affaire La Reine c. A…I..., procède à une analyse précise des conditions donnant ouverture à l'exonération de la responsabilité criminelle d'une personne atteinte de troubles mentaux, selon l'article 16 du Code criminel.
[60] À cet égard, il importe de citer textuellement les paragraphes 62 à 66 de sa décision :
« A. Incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte
[62] Les auteurs écrivent :
Il semble donc que l'emploi du terme "juger" exige quelque chose de plus que la simple connaissance des qualités physiques de l'acte. Le prévenu doit être capable de percevoir les conséquences matérielles, l'impact et les résultats de son action physique. Il doit, en d'autres termes, être conscient de la signification de sa conduite tant sur le plan émotionnel que sur le plan intellectuel. Comme l'a souligné le juge Fish dans l'arrêt Charest c. La Reine (1990 CanLII 3425 (QC CA), [1990] 76 C.R. (3d) 63, 57 C.C.C (3d) 312 (C.A. Qué.)), la capacité de juger ou d'apprécier :
[…] involves a higher level of understanding or recognition than 'knowledge'. It connotes elements of insight and of foresight. The first arm of s. 16 (2), in short requires 'an appreciation of the factors involved in the act and a mental capacity to measure and foresee the consequences of the violent conduct.
[63] Il faut donc savoir si l'accusé pouvait juger des conséquences qu'engendre l'acte qu'il a posé pour déterminer s'il est affecté de troubles mentaux. L'évaluation du premier critère de l'article 16 C.cr. repose sur la capacité de l'individu d'apprécier les conséquences matérielles de ses actes.
B. L'incapacité de savoir que l'acte était mauvais
[64] Hugues Parent, dans le Traité de droit criminel, sur la question de décider de l'orientation de la défense de l'aliénation mentale, écrit :
Sur ce point, la Cour suprême oscille puis incline en faveur d'une approche qui, tout en reconnaissant l'importance de la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal, met l'accent sur le discernement moral de l'accusé. Exprimant son opinion au nom de la majorité, la juge McLachlin affirme, dans l'arrêt R. c. Oommen (1994 CanLII 101 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 507 ) :
Il faut examiner non pas la capacité générale de distinguer le bien du mal, mais plutôt la capacité de savoir qu'un acte donné était mauvais dans les circonstances. L'accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait.
Cependant, il doit aussi avoir la capacité d'appliquer rationnellement cette connaissance à l'acte reproché.
[65] Plus loin, l'auteur écrit :
La responsabilité pénale, avons-nous dit, repose sur la présence d'un acte volontaire. Or, l'acte volontaire suppose un choix qui implique lui-même la notion de jugement rationnel. Donc l'aliénation mentale, en détruisant la faculté de juger de façon rationnelle et donc de faire un choix rationnel quant au caractère bon ou mauvais de l'acte, éclipse l'acte volontaire à la source de la responsabilité pénale.
[66] Il est clair et constant, tant en jurisprudence qu'en doctrine, qu'une maladie mentale au plan médical n'est pas nécessairement reconnue à titre de troubles mentaux disculpatoires au plan pénal. Une personne peut être affectée d'une condition mentale permanente qui n'entache pas sa responsabilité pénale. De même, quelqu'un peut être atteint, de manière tout à fait temporaire, d'une affection telle qu'elle fasse jouer l'application de l'article 16 du Code criminel. »
[61] Aux termes de la définition juridique des troubles mentaux, l'auteur précité Hugues Parent conclut ainsi après analyse de la jurisprudence pertinente :
« Si la présence d'une pathologie affectant la raison du sujet est nécessaire afin de constater la présence d'une maladie ou d'un trouble mental, encore faut-il que cette condition ne soit pas l'expression de la volonté de l'agent (p. ex.: intoxication) ou d'un état transitoire comme l'hystérie ou la commotion. Cette liste, de toute évidence, n'est ni exhaustive ni permanente. Son profil est appelé à évoluer au gré des tendances médicales et des courants jurisprudentiels. Vingt ans plus tard, il est possible d'affirmer sans trop se tromper, que la définition des troubles mentaux contenue à l'article 16 du Code criminel comprend généralement tout trouble, toute affection, toute pathologie qui affecte la raison et son fonctionnement à l'exclusion des états volontairement provoqués par l'alcool et les stupéfiants (ne pas inclure ici cependant la psychose toxique) et des états d'inconscience momentanés comme la commotion cérébrale, l'accès de panique, l'hypoglycémie, le somnambulisme et les tumeurs cérébrales. Dans la mesure où ces trois dernières affections traduisent une altération des fonctions cérébrales, il est fort possible que celles-ci donnent lieu, dans certaines circonstances, à un verdict d'automatisme avec aliénation mentale. » (p. 103, 104)
[63] Aux paragraphes 22 et 23 de sa décision, il écrit :
« [22] Selon les prétentions du procureur du défendeur, M. P... était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes à cause de sa maladie bipolaire. Dans l'arrêt Cooper c. La Reine (1980 1R.C.S. 1149), le juge Dickson, rendant jugement pour la majorité, énonça ce qu'impliquait ce critère:
Avec égards, j'accepte l'opinion qu'en employant le mot "juger", la première partie du critère introduit une exigence qui s'ajoute à la simple connaissance de la qualité matérielle de l'acte. L'exigence, propre au Canada, est celle de la perception, une capacité de percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats d'un acte matériel. Un accusé peut être conscient de l'aspect matériel de son acte (c.-à-d., la strangulation) sans nécessairement pouvoir juger que, par sa nature et sa qualité, cet acte [page1163] entraînera la mort d'un être humain. (par 23)
[23] Ce principe fut repris notamment par les arrêts Kjeldsen c. La Reine (1981 2 R.C.S. 617), R. c. Abbey (1982 1 R.C.S. 24) et R. c. Landry (1991 1 R.C.S. 99) où le juge Lamer conclut ainsi:
Conformément aux arrêts Cooper c. La Reine, [page109] précité, Kjeldsen c. La Reine, 1981 CanLII 218 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 617, et R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, la première partie du critère du par. 16(2) protège l'accusé qui, en raison d'une maladie mentale, était incapable de juger les conséquences matérielles de son acte. »(p. 108-109)
[69] Chaque cas doit donc être analysé à son mérite en prenant en compte les faits et les circonstances spécifiques, à la lumière des principes de droit qui doivent guider le Tribunal.
[56] Pour que la responsabilité criminelle d'une personne ne soit pas engagée au sens de l'article 16 du Code criminel, les troubles mentaux, présents lors de la commission des délits, doivent rencontrer des conditions spécifiques.
[57] C'est en ces termes que l'auteur Hugues Parent, dans Traité de droit criminel s'exprime :
« Pour être exonératoire, l'aliénation mentale suppose donc la réunion des deux conditions impératives que sont : (1) la présence d'un trouble mental chez l'accusé; trouble auquel s'ajoute (2) une incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais. Si la première condition s'intéresse à l'origine du déséquilibre psychique observé chez le malade, la seconde porte quant à elle sur l'incapacité nécessaire afin de bénéficier de l'exemption de responsabilité prévue aux termes de l'article 16 du Code criminel. »
[58] Traitant de la définition juridique des troubles mentaux en droit pénal, l'auteur Parent écrit à ce propos :
« Comme l'affirme le juge Martin dans l'arrêt Rabey c. La Reine, le terme « « maladie mentale » [ou trouble mental] est une expression juridique, non une expression du vocabulaire médical; bien que ce soit une notion juridique, elle renferme un élément médical important ainsi qu'un élément juridique ou d'ordre public ». Cet élément médical, précise le juge Martin, n'est pas sans importance ni signification; il s'agit généralement d'une opinion sur l'étiologie, les signes et les symptômes de la maladie ainsi que sur la manière de qualifier l'état psychique en médecine. Malgré la valeur incontestable de l'expertise psychiatrique, la qualification juridique des troubles mentaux est une question de droit qui relève exclusivement des tribunaux. En effet, s'il appartient au psychiatre de décrire l'état mental de l'accusé et d'exposer ce qu'il implique du point de vue médical, il appartient au juge de décider si l'état est compris dans l'expression « maladie mentale ». » (p. 101)
[59] Dans une récente décision rendue le 19 mars 2010, Mme la juge Lucille Chabot, Cour du Québec, dans l'affaire La Reine c. A…I..., procède à une analyse précise des conditions donnant ouverture à l'exonération de la responsabilité criminelle d'une personne atteinte de troubles mentaux, selon l'article 16 du Code criminel.
[60] À cet égard, il importe de citer textuellement les paragraphes 62 à 66 de sa décision :
« A. Incapacité de juger de la nature et de la qualité de l'acte
[62] Les auteurs écrivent :
Il semble donc que l'emploi du terme "juger" exige quelque chose de plus que la simple connaissance des qualités physiques de l'acte. Le prévenu doit être capable de percevoir les conséquences matérielles, l'impact et les résultats de son action physique. Il doit, en d'autres termes, être conscient de la signification de sa conduite tant sur le plan émotionnel que sur le plan intellectuel. Comme l'a souligné le juge Fish dans l'arrêt Charest c. La Reine (1990 CanLII 3425 (QC CA), [1990] 76 C.R. (3d) 63, 57 C.C.C (3d) 312 (C.A. Qué.)), la capacité de juger ou d'apprécier :
[…] involves a higher level of understanding or recognition than 'knowledge'. It connotes elements of insight and of foresight. The first arm of s. 16 (2), in short requires 'an appreciation of the factors involved in the act and a mental capacity to measure and foresee the consequences of the violent conduct.
[63] Il faut donc savoir si l'accusé pouvait juger des conséquences qu'engendre l'acte qu'il a posé pour déterminer s'il est affecté de troubles mentaux. L'évaluation du premier critère de l'article 16 C.cr. repose sur la capacité de l'individu d'apprécier les conséquences matérielles de ses actes.
B. L'incapacité de savoir que l'acte était mauvais
[64] Hugues Parent, dans le Traité de droit criminel, sur la question de décider de l'orientation de la défense de l'aliénation mentale, écrit :
Sur ce point, la Cour suprême oscille puis incline en faveur d'une approche qui, tout en reconnaissant l'importance de la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal, met l'accent sur le discernement moral de l'accusé. Exprimant son opinion au nom de la majorité, la juge McLachlin affirme, dans l'arrêt R. c. Oommen (1994 CanLII 101 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 507 ) :
Il faut examiner non pas la capacité générale de distinguer le bien du mal, mais plutôt la capacité de savoir qu'un acte donné était mauvais dans les circonstances. L'accusé doit avoir la capacité intellectuelle de distinguer le bien du mal au sens abstrait.
Cependant, il doit aussi avoir la capacité d'appliquer rationnellement cette connaissance à l'acte reproché.
[65] Plus loin, l'auteur écrit :
La responsabilité pénale, avons-nous dit, repose sur la présence d'un acte volontaire. Or, l'acte volontaire suppose un choix qui implique lui-même la notion de jugement rationnel. Donc l'aliénation mentale, en détruisant la faculté de juger de façon rationnelle et donc de faire un choix rationnel quant au caractère bon ou mauvais de l'acte, éclipse l'acte volontaire à la source de la responsabilité pénale.
[66] Il est clair et constant, tant en jurisprudence qu'en doctrine, qu'une maladie mentale au plan médical n'est pas nécessairement reconnue à titre de troubles mentaux disculpatoires au plan pénal. Une personne peut être affectée d'une condition mentale permanente qui n'entache pas sa responsabilité pénale. De même, quelqu'un peut être atteint, de manière tout à fait temporaire, d'une affection telle qu'elle fasse jouer l'application de l'article 16 du Code criminel. »
[61] Aux termes de la définition juridique des troubles mentaux, l'auteur précité Hugues Parent conclut ainsi après analyse de la jurisprudence pertinente :
« Si la présence d'une pathologie affectant la raison du sujet est nécessaire afin de constater la présence d'une maladie ou d'un trouble mental, encore faut-il que cette condition ne soit pas l'expression de la volonté de l'agent (p. ex.: intoxication) ou d'un état transitoire comme l'hystérie ou la commotion. Cette liste, de toute évidence, n'est ni exhaustive ni permanente. Son profil est appelé à évoluer au gré des tendances médicales et des courants jurisprudentiels. Vingt ans plus tard, il est possible d'affirmer sans trop se tromper, que la définition des troubles mentaux contenue à l'article 16 du Code criminel comprend généralement tout trouble, toute affection, toute pathologie qui affecte la raison et son fonctionnement à l'exclusion des états volontairement provoqués par l'alcool et les stupéfiants (ne pas inclure ici cependant la psychose toxique) et des états d'inconscience momentanés comme la commotion cérébrale, l'accès de panique, l'hypoglycémie, le somnambulisme et les tumeurs cérébrales. Dans la mesure où ces trois dernières affections traduisent une altération des fonctions cérébrales, il est fort possible que celles-ci donnent lieu, dans certaines circonstances, à un verdict d'automatisme avec aliénation mentale. » (p. 103, 104)
[63] Aux paragraphes 22 et 23 de sa décision, il écrit :
« [22] Selon les prétentions du procureur du défendeur, M. P... était atteint de troubles mentaux qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de ses actes à cause de sa maladie bipolaire. Dans l'arrêt Cooper c. La Reine (1980 1R.C.S. 1149), le juge Dickson, rendant jugement pour la majorité, énonça ce qu'impliquait ce critère:
Avec égards, j'accepte l'opinion qu'en employant le mot "juger", la première partie du critère introduit une exigence qui s'ajoute à la simple connaissance de la qualité matérielle de l'acte. L'exigence, propre au Canada, est celle de la perception, une capacité de percevoir les conséquences, les répercussions et les résultats d'un acte matériel. Un accusé peut être conscient de l'aspect matériel de son acte (c.-à-d., la strangulation) sans nécessairement pouvoir juger que, par sa nature et sa qualité, cet acte [page1163] entraînera la mort d'un être humain. (par 23)
[23] Ce principe fut repris notamment par les arrêts Kjeldsen c. La Reine (1981 2 R.C.S. 617), R. c. Abbey (1982 1 R.C.S. 24) et R. c. Landry (1991 1 R.C.S. 99) où le juge Lamer conclut ainsi:
Conformément aux arrêts Cooper c. La Reine, [page109] précité, Kjeldsen c. La Reine, 1981 CanLII 218 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 617, et R. c. Abbey, 1982 CanLII 25 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 24, la première partie du critère du par. 16(2) protège l'accusé qui, en raison d'une maladie mentale, était incapable de juger les conséquences matérielles de son acte. »(p. 108-109)
[69] Chaque cas doit donc être analysé à son mérite en prenant en compte les faits et les circonstances spécifiques, à la lumière des principes de droit qui doivent guider le Tribunal.
La maladie dépressive VS la défense d’automatisme / Le mobile VS la défense d’automatisme
Hotte c. R., 2005 QCCA 625 (CanLII)
[161] Si la maladie dépressive a pu altérer les freins comportementaux et les inhibitions de l'appelant, le psychiatre précise que :
L'intensité de la maladie dépressive de M. Hotte ne vient pas enlever totalement le contrôle qu'il a, l'enlève partiellement (…) (je souligne)
[162] Comme le rappelle l’auteur Hugues Parent dans Traité de droit criminel, Tome 1, L’acte volontaire et les moyens de défense, Ed. Thémis, 2003, à la page 200, la défense d’automatisme se conçoit mal lorsque le seuil de tolérance aux conflits n’est que diminué :
(…) S’il est vrai qu’il faut laisser de côté les affections qui n’ont eu pour effet que de diminuer le seuil de tolérance de l’individu face aux situations conflictuelles, on doit, par contre, accepter les troubles qui ont entraîné chez l’accusé une véritable incapacité de contrôler sa conduite. (je souligne). (voir également R. c. Bergamin (1997), 3 C.R. (5TH), 140, C.A. Alberta)
[163] Dans ces circonstances, l'on peut difficilement conclure qu'il y ait une preuve de comportement automatique. À mon avis, ce témoignage est plutôt compatible avec une perte de contrôle, qui, vu la maladie, sans toutefois constituer un automatisme, aurait peut-être pu diminuer la responsabilité criminelle, tel que l'a plaidé l'appelant tant en première instance que devant nous. C'est la théorie que le premier juge a exposée aux jurés; toutefois elle n'a pas suscité un doute raisonnable dans leur esprit.
[169] D'ailleurs, parmi les critères que l'on peut considérer, à cet égard, il y a l'existence ou non d'un mobile et l'identité de la victime. Le juge Bastarache écrit, dans Stone :
Le mobile est un autre facteur que le juge du procès devrait prendre en considération pour déterminer si la défense a présenté une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé a agi involontairement. Un acte gratuit confère généralement une plausibilité à une allégation de caractère involontaire par l'accusé. En réalité, dans la présente affaire, le Dr Murphy, psychiatre du ministère public, a témoigné que, puisque l'esprit et le corps d'une personne en état de dissociation sont séparés, elle s'attendrait à ce qu'il n'y ait habituellement aucun lien entre les actes involontaires accomplis en état d'automatisme et le contexte social qui les a précédés immédiatement. Elle a également fait observer que, lorsqu'une même personne est à la fois l'élément déclencheur de l'automatisme allégué et la victime de la violence qui en a résulté, il y a lieu de mettre en doute l'allégation de caractère involontaire. Je conviens qu'une allégation d'automatisme sera moins plausible si l'accusé avait un motif de commettre le crime en cause ou si l'«élément déclencheur» de l'automatisme allégué est la victime elle-même. Par ailleurs, si l'acte involontaire est accompli au hasard et sans motif, l'allégation d'automatisme sera davantage plausible. (…)
[161] Si la maladie dépressive a pu altérer les freins comportementaux et les inhibitions de l'appelant, le psychiatre précise que :
L'intensité de la maladie dépressive de M. Hotte ne vient pas enlever totalement le contrôle qu'il a, l'enlève partiellement (…) (je souligne)
[162] Comme le rappelle l’auteur Hugues Parent dans Traité de droit criminel, Tome 1, L’acte volontaire et les moyens de défense, Ed. Thémis, 2003, à la page 200, la défense d’automatisme se conçoit mal lorsque le seuil de tolérance aux conflits n’est que diminué :
(…) S’il est vrai qu’il faut laisser de côté les affections qui n’ont eu pour effet que de diminuer le seuil de tolérance de l’individu face aux situations conflictuelles, on doit, par contre, accepter les troubles qui ont entraîné chez l’accusé une véritable incapacité de contrôler sa conduite. (je souligne). (voir également R. c. Bergamin (1997), 3 C.R. (5TH), 140, C.A. Alberta)
[163] Dans ces circonstances, l'on peut difficilement conclure qu'il y ait une preuve de comportement automatique. À mon avis, ce témoignage est plutôt compatible avec une perte de contrôle, qui, vu la maladie, sans toutefois constituer un automatisme, aurait peut-être pu diminuer la responsabilité criminelle, tel que l'a plaidé l'appelant tant en première instance que devant nous. C'est la théorie que le premier juge a exposée aux jurés; toutefois elle n'a pas suscité un doute raisonnable dans leur esprit.
[169] D'ailleurs, parmi les critères que l'on peut considérer, à cet égard, il y a l'existence ou non d'un mobile et l'identité de la victime. Le juge Bastarache écrit, dans Stone :
Le mobile est un autre facteur que le juge du procès devrait prendre en considération pour déterminer si la défense a présenté une preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l'accusé a agi involontairement. Un acte gratuit confère généralement une plausibilité à une allégation de caractère involontaire par l'accusé. En réalité, dans la présente affaire, le Dr Murphy, psychiatre du ministère public, a témoigné que, puisque l'esprit et le corps d'une personne en état de dissociation sont séparés, elle s'attendrait à ce qu'il n'y ait habituellement aucun lien entre les actes involontaires accomplis en état d'automatisme et le contexte social qui les a précédés immédiatement. Elle a également fait observer que, lorsqu'une même personne est à la fois l'élément déclencheur de l'automatisme allégué et la victime de la violence qui en a résulté, il y a lieu de mettre en doute l'allégation de caractère involontaire. Je conviens qu'une allégation d'automatisme sera moins plausible si l'accusé avait un motif de commettre le crime en cause ou si l'«élément déclencheur» de l'automatisme allégué est la victime elle-même. Par ailleurs, si l'acte involontaire est accompli au hasard et sans motif, l'allégation d'automatisme sera davantage plausible. (…)
jeudi 26 mai 2011
Le cas où la preuve par ouï-dire peut être jugée admissible, suivant la méthode d'analyse raisonnée, vu les indices de fiabilité et de nécessité
R. c. Teuritahar Moeino, 2007 QCCS 649 (CanLII)
[10] Pour permettre pareilles verbalisations, qui constituent du ouï-dire, le Tribunal doit être convaincu qu'il est en présence d'un cas où la preuve par ouï-dire, même si elle ne relève pas d'une exception traditionnelle, peut être jugée admissible, suivant la méthode d'analyse raisonnée, compte tenu des indices de fiabilité et de nécessité établis lors d'un voir-dire.
[11] Dans l'arrêt Seaboyer, madame la juge McLachlin réaffirme la règle élargissant les règles de preuve en matière de ouï-dire :
« Dans l'arrêt Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 608, notre Cour a statué que les anciennes catégories de preuve ne sont plus absolues et que la preuve par ouï-dire, qui ne relève pas des exceptions traditionnelles, pouvait être admise une fois établie a) sa nécessité, b) sa fiabilité. Cette attitude a récemment été confirmée par notre Cour dans l'arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 531. La raison de ce changement est simple. Les juges se sont rendu compte que les règles de preuve restreignaient injustement le droit de produire des éléments de preuve pertinents et utiles et portaient ainsi atteinte à la capacité du Tribunal de découvrir la vérité et de rendre justice. Les tribunaux ont donc élargi la règle pour répondre à leur sens de la justice en permettant au juge convaincu de la fiabilité et de l'exactitude d'une preuve de l'admettre même si elle ne relève pas des exceptions traditionnelles à la règle du ouï-dire. »
[12] Depuis l'arrêt Khelawon, arrêt rendu le 16 décembre 2006, le Tribunal est justifié de considérer la présence des éléments de preuve venant soutenir les déclarations que la poursuite veut mettre en preuve.
[13] Le rôle du juge qui préside un procès par jury est simplement de faire une appréciation préliminaire du « seuil de fiabilité », des déclarations relatées, il doit laisser aux membres du jury, les juges des faits, le soin d'en déterminer la valeur probante.
[14] Le président du Tribunal, conscient que la preuve par ouï-dire est présumée inadmissible, est d'avis que dans la présente affaire, il y a, selon l'expression du juge Lamer dans l'arrêt K.G.B, « des garanties circonstancielles de fiabilité suffisantes » qui sont de nature à rendre les déclarations soumises par la poursuite admissibles, quant au fond, puisque ces déclarations sont à la fois nécessaires et suffisamment fiables.
[15] Comme l'écrivait le juge Lamer dans l'affaire K.G.B., précitée :
« C'est au juge des faits qu'il appartient de se prononcer sur la fiabilité de la déclaration, sur le poids qu'il y a lieu de lui accorder. Ce que vise l'élément fiabilité d'une analyse fondée sur les principes de la règle de l'exclusion du ouï-dire, c'est un seuil de fiabilité, et non la fiabilité absolue ou indiscutable. Il n'appartient pas au juge du droit de soupeser le poids ou la qualité de la fiabilité de la déclaration, ce qui est le rôle du juge des faits. Le juge du droit doit s'assurer en quelque sorte qu'il y a une preuve prima facie de fiabilité et de nécessité qui devra être déterminée par le juge des faits. »
« Le critère de la fiabilité vise un seuil de fiabilité et non une fiabilité absolue. La tâche du juge du procès se limite à déterminer si les déclarations relatées en question renferment suffisamment d'indices de fiabilité pour fournir au juge des faits une base satisfaisante pour examiner la véracité de la déclaration. Plus particulièrement, le juge doit cerner les dangers spécifiques du ouï-dire auquel donne lieu la déclaration et déterminer ensuite si les faits entourant cette déclaration offrent suffisamment de garanties circonstancielles de fiabilité pour contrebalancer ces dangers. Il continue d'appartenir au juge des faits de se prononcer sur la fiabilité absolue de la déclaration et le poids à lui accorder. »
[16] L'arrêt Khelawon, précité, fait la revue de la jurisprudence pertinente sur le sujet depuis les arrêts Khan, précité, et Smith, décisions qui ont établi que la preuve par ouï-dire sera admissible, quant au fond, lorsqu'elle est nécessaire et suffisamment fiable. Cette décision permet au juge du droit de tenir compte, dans l'évaluation du seuil de fiabilité, de la preuve de nature confirmative, ce que prohibait R. c. Starr.
[17] Madame la juge Charron reprend, dans Khelawon, avec approbation, l'opinion du juge Kennedy dans Idaho c. Wright, 497 U.S. 805 (990). Celui-ci affirme :
« [TRADUCTION] Je ne vois rien qui justifie constitutionnellement cette décision de dissocier la preuve corroborante de l'examen de la question de savoir si les déclarations d'un enfant sont fiables. Il va de soi, pour la plupart des gens, que l'un des meilleurs moyens de savoir si quelqu'un est digne de foi consiste à vérifier si ses propos sont corroborés par une autre preuve. Par exemple, dans un cas de violence envers un enfant, si une partie de la déclaration relatée de l'enfant veut que l'assaillant lui ait lié les poignets ou qu'il ait une cicatrice au bas de l'abdomen, qu'une preuve matérielle ou un témoignage corrobore cette déclaration – preuve que l'enfant n'aurait pas pu fabriquer -, nous serons probablement plus enclins à croire que l'enfant a dit la vérité. À l'inverse, on peut penser à la déclaration qu'un enfant fait de manière spontanée ou, par ailleurs, dans des circonstances indiquant qu'elle est fiable, et qui contient aussi des inexactitudes factuelles incontestées si énormes que la crédibilité de ces déclarations s'en trouvent considérablement minée. »
[10] Pour permettre pareilles verbalisations, qui constituent du ouï-dire, le Tribunal doit être convaincu qu'il est en présence d'un cas où la preuve par ouï-dire, même si elle ne relève pas d'une exception traditionnelle, peut être jugée admissible, suivant la méthode d'analyse raisonnée, compte tenu des indices de fiabilité et de nécessité établis lors d'un voir-dire.
[11] Dans l'arrêt Seaboyer, madame la juge McLachlin réaffirme la règle élargissant les règles de preuve en matière de ouï-dire :
« Dans l'arrêt Ares c. Venner, 1970 CanLII 5 (C.S.C.), [1970] R.C.S. 608, notre Cour a statué que les anciennes catégories de preuve ne sont plus absolues et que la preuve par ouï-dire, qui ne relève pas des exceptions traditionnelles, pouvait être admise une fois établie a) sa nécessité, b) sa fiabilité. Cette attitude a récemment été confirmée par notre Cour dans l'arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 531. La raison de ce changement est simple. Les juges se sont rendu compte que les règles de preuve restreignaient injustement le droit de produire des éléments de preuve pertinents et utiles et portaient ainsi atteinte à la capacité du Tribunal de découvrir la vérité et de rendre justice. Les tribunaux ont donc élargi la règle pour répondre à leur sens de la justice en permettant au juge convaincu de la fiabilité et de l'exactitude d'une preuve de l'admettre même si elle ne relève pas des exceptions traditionnelles à la règle du ouï-dire. »
[12] Depuis l'arrêt Khelawon, arrêt rendu le 16 décembre 2006, le Tribunal est justifié de considérer la présence des éléments de preuve venant soutenir les déclarations que la poursuite veut mettre en preuve.
[13] Le rôle du juge qui préside un procès par jury est simplement de faire une appréciation préliminaire du « seuil de fiabilité », des déclarations relatées, il doit laisser aux membres du jury, les juges des faits, le soin d'en déterminer la valeur probante.
[14] Le président du Tribunal, conscient que la preuve par ouï-dire est présumée inadmissible, est d'avis que dans la présente affaire, il y a, selon l'expression du juge Lamer dans l'arrêt K.G.B, « des garanties circonstancielles de fiabilité suffisantes » qui sont de nature à rendre les déclarations soumises par la poursuite admissibles, quant au fond, puisque ces déclarations sont à la fois nécessaires et suffisamment fiables.
[15] Comme l'écrivait le juge Lamer dans l'affaire K.G.B., précitée :
« C'est au juge des faits qu'il appartient de se prononcer sur la fiabilité de la déclaration, sur le poids qu'il y a lieu de lui accorder. Ce que vise l'élément fiabilité d'une analyse fondée sur les principes de la règle de l'exclusion du ouï-dire, c'est un seuil de fiabilité, et non la fiabilité absolue ou indiscutable. Il n'appartient pas au juge du droit de soupeser le poids ou la qualité de la fiabilité de la déclaration, ce qui est le rôle du juge des faits. Le juge du droit doit s'assurer en quelque sorte qu'il y a une preuve prima facie de fiabilité et de nécessité qui devra être déterminée par le juge des faits. »
« Le critère de la fiabilité vise un seuil de fiabilité et non une fiabilité absolue. La tâche du juge du procès se limite à déterminer si les déclarations relatées en question renferment suffisamment d'indices de fiabilité pour fournir au juge des faits une base satisfaisante pour examiner la véracité de la déclaration. Plus particulièrement, le juge doit cerner les dangers spécifiques du ouï-dire auquel donne lieu la déclaration et déterminer ensuite si les faits entourant cette déclaration offrent suffisamment de garanties circonstancielles de fiabilité pour contrebalancer ces dangers. Il continue d'appartenir au juge des faits de se prononcer sur la fiabilité absolue de la déclaration et le poids à lui accorder. »
[16] L'arrêt Khelawon, précité, fait la revue de la jurisprudence pertinente sur le sujet depuis les arrêts Khan, précité, et Smith, décisions qui ont établi que la preuve par ouï-dire sera admissible, quant au fond, lorsqu'elle est nécessaire et suffisamment fiable. Cette décision permet au juge du droit de tenir compte, dans l'évaluation du seuil de fiabilité, de la preuve de nature confirmative, ce que prohibait R. c. Starr.
[17] Madame la juge Charron reprend, dans Khelawon, avec approbation, l'opinion du juge Kennedy dans Idaho c. Wright, 497 U.S. 805 (990). Celui-ci affirme :
« [TRADUCTION] Je ne vois rien qui justifie constitutionnellement cette décision de dissocier la preuve corroborante de l'examen de la question de savoir si les déclarations d'un enfant sont fiables. Il va de soi, pour la plupart des gens, que l'un des meilleurs moyens de savoir si quelqu'un est digne de foi consiste à vérifier si ses propos sont corroborés par une autre preuve. Par exemple, dans un cas de violence envers un enfant, si une partie de la déclaration relatée de l'enfant veut que l'assaillant lui ait lié les poignets ou qu'il ait une cicatrice au bas de l'abdomen, qu'une preuve matérielle ou un témoignage corrobore cette déclaration – preuve que l'enfant n'aurait pas pu fabriquer -, nous serons probablement plus enclins à croire que l'enfant a dit la vérité. À l'inverse, on peut penser à la déclaration qu'un enfant fait de manière spontanée ou, par ailleurs, dans des circonstances indiquant qu'elle est fiable, et qui contient aussi des inexactitudes factuelles incontestées si énormes que la crédibilité de ces déclarations s'en trouvent considérablement minée. »
mercredi 25 mai 2011
Les principes relatifs à l'amendement
R. c. Dihel, 2000 CanLII 21540 (QC CM)
Un contrevenant ne peut être déclaré coupable d'une infraction qui n’est pas spécifiquement énoncée dans la dénonciation. La poursuite est donc liée par l'accusation qu'elle choisit, sauf quant à une infraction incluse qui n’est pas visée par la dénonciation.
La poursuite (ou le juge de son propre chef) peut par contre demander au juge du procès d'amender une dénonciation.
L'article 601 et s. du C.cr. donne au juge du procès un large pouvoir discrétionnaire pour modifier une dénonciation, en particulier d'amender lorsqu'il y a divergence entre la preuve et la dénonciation telle qu’elle est présentée.
L'article 601(4) du C.cr. précise qu'avant de modifier une dénonciation, le juge doit être guidé par les facteurs suivants :
- la preuve,
- les circonstances de l'espèce,
- si l'accusé a été induit en erreur ou lésé dans sa défense,
- absence d'injustice.
Le formalisme rigoureux de la procédure et la forme des codes civil et criminel d'antan ont été graduellement transformés par la jurisprudence et le législateur. Maintenant, la règle générale en droit criminel est la modification tout en préservant les droits des accusés.
La Cour suprême se prononce clairement sur les pouvoirs d'un juge d'amender dans R.v. Moore. L'acte d'accusation dans cet arrêt omet un élément essentiel de l'infraction. Le chef d'accusation est annulé par la cour de première instance puisqu’il n’allègue aucune infraction en droit et non une infraction mal rédigée.
Après avoir considéré la jurisprudence la Cour suprême indique:
"... it is no longer possible to say that a defective information is automatically a nullity disclosing no offence known to law. If the document gives fair notice of the offence... it is not a nullity and can be amended under the broad powers of amendment... given to the courts."
Dans Moore la dénonciation n'est donc pas nulle et peut être amendée puisque l'accusé est au courant de l'essentiel de l'infraction et qu'il ne subit aucun préjudice. La Cour suprême souligne que suivant la "common law" la jurisprudence antérieure nécessitait l'annulation d'une dénonciation même pour des erreurs «techniques», et le poursuivant devait déposer une nouvelle dénonciation. Par contre :
"The Law in this area has now been atlered, with extensive powers to amend ...
... A court has broad powers to remedy defective process..."
Le juge Lamer dans cet arrêt est encore plus clair au sujet des nouveaux pouvoirs d'amendement accordés aux tribunaux par la jurisprudence et des amendements au Code criminel:
"... a gradual shift from requiring judges to quash to requiring them to amend in the stead; in fact, there remains little discretion
to quash.... if the charge is an absolute nullity... no cure is available as the matter goes to the very jurisdiction of the judge."
Le juge Lamer souligne que le critère primordial à considérer est le préjudice irréparable.
La règle générale est donc, en l'absence d'un préjudice irréparable, les juges doivent amender.
Cette règle est confirmée dans R. v. Tremblay
«[art. 601] confèrent au tribunal des pouvoirs de modification assez étendus. Cependant un important principe... demeure... la personne... doit être informée de l’accusation qui pèse contre elle...Le Tribunal ne peut modifier la dénonciation... lorsqu'il en résulterait un préjudice irréparable.»
Est-ce que ce nouveau pouvoir élargi d'amender, souligné par la Cour suprême, comprend le pouvoir de substituer une infraction par une autre?
Malheureusement, cette question n'a pas encore été soumise de façon claire à la Cour suprême. Par contre, le Tribunal soumet que les décisions suivantes des cours d'appels des autres provinces apportent une réponse.
La première décision à aborder clairement cette question pour la première fois est la cause de R. v. Irwin, de la Cour d'appel de l'Ontario.
Dans cet arrêt la Cour d'appel est d'avis qu'un amendement peut permettre de substituer une infraction par une autre. Comme dans Moore la Cour d'appel souligne que le seul test à appliquer lors d'un amendement est celui du préjudice:
"I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment... simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test. against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced, the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge ..."
Les tribunaux ne doivent donc pas se limiter à examiner la nature de l'amendement, mais bien plus l'effet que cet amendement aura sur les droits du défendeur:
"... it is the effect of the proposed amendment on the accused's ability to meet the charge, and not the effect of the proposed amendment on the charge itself which is determinative."
En refusant l'amendement de cette nature, la poursuite serait obligée de déposer une nouvelle dénonciation et procéder à un nouveau procès, parfois nécessitant de nouveau le déplacement des témoins.
Dans R. v. A.L.B. la Cour d'appel de la Colombie Britanique, même s'il ne s'agit pas de substituer une offense par une autre, permet un amendement qui change substantiellement l'infraction initiale tout en visant la même transaction. La Cour applique le même test de préjudice élaboré dans Irwin, et rejette l'argument de la défense à l'effet que l'amendement lui causerait un préjudice puisque l'accusé avait préparé sa défense pour faire face à la dénonciation initiale.
Huit mois après avoir rendu la décision dans Irwin, la Cour d'appel de l'Ontario apporte une limite au pouvoir d'amender : si la dénonciation est une nullité absolue, elle ne peut être amendée même si aucun préjudice existe :
"The appellant was convicted of an unconstitutional offence, on that he should not have been charged with in the first place because it did not exist at law. No cure is available because the matter goes to the very jurisdiction of the court... Prejudice to the appellant does not enter into the discussion..."
Donc, la règle générale est que tout amendement est permis, incluant celui qui substitut une infraction par une autre, en autant que les principes suivants sont respectés :
• l'infraction initial en est pas nulle; ne privant pas ainsi le juge de sa juridiction sur l'infraction;
• absence de préjudice, un amendement sera refusé s'il y a préjudice irréparable qu'un ajournement ne peut y remédier, ou si le défendeur est induit en erreur;
• la nouvelle infraction vise la même transaction afin que le contrevenant soit raisonnablement informé de la conduite qui lui est reprochée;
• la demande d'amendement est rendue nécessaire à cause d'une erreur de bonne foi, même s'il y a eu négligence de la part de la poursuite.
Dans le présent dossier, la nouvelle infraction proposée n'est pas nulle. Aucun préjudice n'est causé au défendeur et il n'est pas induit en erreur, étant donné que la divulgation de la preuve lui a permis de connaître la situation factuelle dès le début, et que l'amendement est proposé au début du procès. Une remise lui permettra de préparer sa défense à la lumière de la nouvelle infraction.
La nouvelle infraction vise exactement la même transaction que l'infraction initiale et de plus, l'amendement est requis suite à une erreur de bonne foi et non une tentative de la part de la poursuite de changer sa stratégie.
L'étape à laquelle est rendu le procès est aussi un facteur important à considérer pour déterminer si le préjudice affecte l'habilité à assumer une défense. La question qui devra être posée est la suivante : si la dénonciation avait été déposée à l'origine comme suggérée par l'amendement, est-ce que la défense a fait quelque chose qu'elle n'aurait pas fait ou quelque chose qu’elle n'a pas fait qu'elle aurait fait ? Une réponse affirmative démontre une forte probabilité que l'amendement causera un préjudice.
La deuxième question est la suivante : est-ce que le Tribunal peut prendre des mesures pour remédier substantiellement au préjudice ? C'est-à-dire :
• une remise pour permettre à la défense de mieux se préparer;
• rappeler un témoin de la poursuite;
• ré-ouverture de la défense.
Si la réponse est négative l'amendement ne sera pas permis.
De plus, l'habilité de faire face à une accusation n'est pas un droit à une défense particulière, mais bien un droit à une habilité générale de faire face à une accusation. Le défendeur, dans le présent dossier, n'a donc aucun droit de préserver la défense initiale qu'il souhaitait soumettre à l'infraction initiale.
Un contrevenant ne peut être déclaré coupable d'une infraction qui n’est pas spécifiquement énoncée dans la dénonciation. La poursuite est donc liée par l'accusation qu'elle choisit, sauf quant à une infraction incluse qui n’est pas visée par la dénonciation.
La poursuite (ou le juge de son propre chef) peut par contre demander au juge du procès d'amender une dénonciation.
L'article 601 et s. du C.cr. donne au juge du procès un large pouvoir discrétionnaire pour modifier une dénonciation, en particulier d'amender lorsqu'il y a divergence entre la preuve et la dénonciation telle qu’elle est présentée.
L'article 601(4) du C.cr. précise qu'avant de modifier une dénonciation, le juge doit être guidé par les facteurs suivants :
- la preuve,
- les circonstances de l'espèce,
- si l'accusé a été induit en erreur ou lésé dans sa défense,
- absence d'injustice.
Le formalisme rigoureux de la procédure et la forme des codes civil et criminel d'antan ont été graduellement transformés par la jurisprudence et le législateur. Maintenant, la règle générale en droit criminel est la modification tout en préservant les droits des accusés.
La Cour suprême se prononce clairement sur les pouvoirs d'un juge d'amender dans R.v. Moore. L'acte d'accusation dans cet arrêt omet un élément essentiel de l'infraction. Le chef d'accusation est annulé par la cour de première instance puisqu’il n’allègue aucune infraction en droit et non une infraction mal rédigée.
Après avoir considéré la jurisprudence la Cour suprême indique:
"... it is no longer possible to say that a defective information is automatically a nullity disclosing no offence known to law. If the document gives fair notice of the offence... it is not a nullity and can be amended under the broad powers of amendment... given to the courts."
Dans Moore la dénonciation n'est donc pas nulle et peut être amendée puisque l'accusé est au courant de l'essentiel de l'infraction et qu'il ne subit aucun préjudice. La Cour suprême souligne que suivant la "common law" la jurisprudence antérieure nécessitait l'annulation d'une dénonciation même pour des erreurs «techniques», et le poursuivant devait déposer une nouvelle dénonciation. Par contre :
"The Law in this area has now been atlered, with extensive powers to amend ...
... A court has broad powers to remedy defective process..."
Le juge Lamer dans cet arrêt est encore plus clair au sujet des nouveaux pouvoirs d'amendement accordés aux tribunaux par la jurisprudence et des amendements au Code criminel:
"... a gradual shift from requiring judges to quash to requiring them to amend in the stead; in fact, there remains little discretion
to quash.... if the charge is an absolute nullity... no cure is available as the matter goes to the very jurisdiction of the judge."
Le juge Lamer souligne que le critère primordial à considérer est le préjudice irréparable.
La règle générale est donc, en l'absence d'un préjudice irréparable, les juges doivent amender.
Cette règle est confirmée dans R. v. Tremblay
«[art. 601] confèrent au tribunal des pouvoirs de modification assez étendus. Cependant un important principe... demeure... la personne... doit être informée de l’accusation qui pèse contre elle...Le Tribunal ne peut modifier la dénonciation... lorsqu'il en résulterait un préjudice irréparable.»
Est-ce que ce nouveau pouvoir élargi d'amender, souligné par la Cour suprême, comprend le pouvoir de substituer une infraction par une autre?
Malheureusement, cette question n'a pas encore été soumise de façon claire à la Cour suprême. Par contre, le Tribunal soumet que les décisions suivantes des cours d'appels des autres provinces apportent une réponse.
La première décision à aborder clairement cette question pour la première fois est la cause de R. v. Irwin, de la Cour d'appel de l'Ontario.
Dans cet arrêt la Cour d'appel est d'avis qu'un amendement peut permettre de substituer une infraction par une autre. Comme dans Moore la Cour d'appel souligne que le seul test à appliquer lors d'un amendement est celui du préjudice:
"I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment... simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test. against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced, the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge ..."
Les tribunaux ne doivent donc pas se limiter à examiner la nature de l'amendement, mais bien plus l'effet que cet amendement aura sur les droits du défendeur:
"... it is the effect of the proposed amendment on the accused's ability to meet the charge, and not the effect of the proposed amendment on the charge itself which is determinative."
En refusant l'amendement de cette nature, la poursuite serait obligée de déposer une nouvelle dénonciation et procéder à un nouveau procès, parfois nécessitant de nouveau le déplacement des témoins.
Dans R. v. A.L.B. la Cour d'appel de la Colombie Britanique, même s'il ne s'agit pas de substituer une offense par une autre, permet un amendement qui change substantiellement l'infraction initiale tout en visant la même transaction. La Cour applique le même test de préjudice élaboré dans Irwin, et rejette l'argument de la défense à l'effet que l'amendement lui causerait un préjudice puisque l'accusé avait préparé sa défense pour faire face à la dénonciation initiale.
Huit mois après avoir rendu la décision dans Irwin, la Cour d'appel de l'Ontario apporte une limite au pouvoir d'amender : si la dénonciation est une nullité absolue, elle ne peut être amendée même si aucun préjudice existe :
"The appellant was convicted of an unconstitutional offence, on that he should not have been charged with in the first place because it did not exist at law. No cure is available because the matter goes to the very jurisdiction of the court... Prejudice to the appellant does not enter into the discussion..."
Donc, la règle générale est que tout amendement est permis, incluant celui qui substitut une infraction par une autre, en autant que les principes suivants sont respectés :
• l'infraction initial en est pas nulle; ne privant pas ainsi le juge de sa juridiction sur l'infraction;
• absence de préjudice, un amendement sera refusé s'il y a préjudice irréparable qu'un ajournement ne peut y remédier, ou si le défendeur est induit en erreur;
• la nouvelle infraction vise la même transaction afin que le contrevenant soit raisonnablement informé de la conduite qui lui est reprochée;
• la demande d'amendement est rendue nécessaire à cause d'une erreur de bonne foi, même s'il y a eu négligence de la part de la poursuite.
Dans le présent dossier, la nouvelle infraction proposée n'est pas nulle. Aucun préjudice n'est causé au défendeur et il n'est pas induit en erreur, étant donné que la divulgation de la preuve lui a permis de connaître la situation factuelle dès le début, et que l'amendement est proposé au début du procès. Une remise lui permettra de préparer sa défense à la lumière de la nouvelle infraction.
La nouvelle infraction vise exactement la même transaction que l'infraction initiale et de plus, l'amendement est requis suite à une erreur de bonne foi et non une tentative de la part de la poursuite de changer sa stratégie.
L'étape à laquelle est rendu le procès est aussi un facteur important à considérer pour déterminer si le préjudice affecte l'habilité à assumer une défense. La question qui devra être posée est la suivante : si la dénonciation avait été déposée à l'origine comme suggérée par l'amendement, est-ce que la défense a fait quelque chose qu'elle n'aurait pas fait ou quelque chose qu’elle n'a pas fait qu'elle aurait fait ? Une réponse affirmative démontre une forte probabilité que l'amendement causera un préjudice.
La deuxième question est la suivante : est-ce que le Tribunal peut prendre des mesures pour remédier substantiellement au préjudice ? C'est-à-dire :
• une remise pour permettre à la défense de mieux se préparer;
• rappeler un témoin de la poursuite;
• ré-ouverture de la défense.
Si la réponse est négative l'amendement ne sera pas permis.
De plus, l'habilité de faire face à une accusation n'est pas un droit à une défense particulière, mais bien un droit à une habilité générale de faire face à une accusation. Le défendeur, dans le présent dossier, n'a donc aucun droit de préserver la défense initiale qu'il souhaitait soumettre à l'infraction initiale.
Le risque objectif de lésions corporelles doit s'apprécier in concreto et les circonstances de chaque cas sont pertinentes, voire décisives
R. c. Tremblay, 2011 QCCA 292 (CanLII)
[12] Revenons à l'article 269 du Code criminel. Pour conclure à la responsabilité d'avoir illégalement causé des lésions corporelles, il doit y avoir un lien de cause à effet entre l'infraction sous‑jacente commise et le préjudice causé. Le moyen avancé par le ministère public est lié à la mens rea de l'infraction prévue à l'article 269 C. cr., à son élément moral. Le ministère public doit démontrer l'élément moral de l'infraction sous-jacente ainsi que la prévisibilité objective des lésions corporelles. Dans l'arrêt R. c. DeSousa, une affaire dans laquelle une femme a été blessée sérieusement par les éclats d'une bouteille de bière lancée sur un mur au cours d'une bagarre, la Cour suprême du Canada se penche sur l'article 269 C. cr. :
[…] le critère est celui de la prévision objective des lésions corporelles en ce qui concerne toutes les infractions sous-jacentes. L'acte doit être à la fois illégal, tel que ce terme a été défini plus haut, et de nature à soumettre une autre personne à un risque de préjudice ou de lésions corporelles. Ces lésions corporelles ne doivent pas être de nature passagère ou sans importance et doivent, dans la plupart des cas, comporter un acte violent commis délibérément à l'endroit d'autrui. […] Pour ne pas déplacer indûment l'accent, il est préférable de se demander si une personne raisonnable se rendrait inévitablement compte que l'acte illégal sous-jacent ferait courir à autrui le risque de lésions corporelles, plutôt que de s'écarter du sujet et de se pencher sur une question touchant la qualification de l'infraction.
[13] Dans leur Traité de droit pénal canadien, les auteurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon écrivent, au sujet de l'élément mental requis en matière d'infractions criminelles :
La mens rea subjective, c'est-à-dire celle qui requiert la preuve de la conscience qu'a l'accusé de l'acte reproché, ou à tout le moins sa conscience de la vraisemblance de certaines conséquences, demeure la norme pour la plupart des infractions. C'est le sens que l'on a traditionnellement attribué à cette notion de mens rea. On note cependant que la Cour suprême du Canada, dans une série de décisions, a développé la responsabilité de l'inculpé reposant sur une faute objective en matière de certaines infractions de conséquence et de crimes de négligence en vertu de laquelle la faute repose sur un écart marqué de la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ainsi, dans de telles situations, on n'exigera pas la preuve de l'état d'esprit subjectif de l'accusé, son comportement s'appréciant en fonction d'une norme objective. Conséquemment, la poursuite n'aura pas à prouver la conscience subjective de l'inculpé pour obtenir une déclaration de culpabilité. Cependant, la personne accusée pourra se disculper en soulevant un doute raisonnable quant à savoir si une personne raisonnable aurait été consciente des risques soulevés par son comportement, ou qu'il n'y a pas d'écart marqué par rapport à la norme de diligence.
[17] Le risque objectif de lésions corporelles doit s'apprécier in concreto. Les circonstances de chaque cas sont pertinentes, voire décisives. Le juge a considéré le risque de lésions corporelles associé à la présence de la grille installée près de la sortie du bar et il a fait bénéficier l'intimé du doute raisonnable. Sa démarche est adéquate et sans reproche. Rien ne permet de croire qu'un autre facteur de risque a été porté à l'attention du juge de première instance et qu'il aurait été occulté dans l'application du critère de la prévision objective des lésions corporelles.
[18] Il est vrai que ce ne sont pas les blessures subies par la victime qui doivent être prévisibles objectivement, mais plutôt le risque de lésions corporelles qui ne sera pas de nature passagère ou sans importance, comme l'a rappelé la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R.c. Dewey. Mais il faut dire que dans cette affaire, l'accusé « pushed the complainant more forcefully than would cause a stumble ». Le premier juge n'est pas parvenu à une semblable conclusion de fait.
[12] Revenons à l'article 269 du Code criminel. Pour conclure à la responsabilité d'avoir illégalement causé des lésions corporelles, il doit y avoir un lien de cause à effet entre l'infraction sous‑jacente commise et le préjudice causé. Le moyen avancé par le ministère public est lié à la mens rea de l'infraction prévue à l'article 269 C. cr., à son élément moral. Le ministère public doit démontrer l'élément moral de l'infraction sous-jacente ainsi que la prévisibilité objective des lésions corporelles. Dans l'arrêt R. c. DeSousa, une affaire dans laquelle une femme a été blessée sérieusement par les éclats d'une bouteille de bière lancée sur un mur au cours d'une bagarre, la Cour suprême du Canada se penche sur l'article 269 C. cr. :
[…] le critère est celui de la prévision objective des lésions corporelles en ce qui concerne toutes les infractions sous-jacentes. L'acte doit être à la fois illégal, tel que ce terme a été défini plus haut, et de nature à soumettre une autre personne à un risque de préjudice ou de lésions corporelles. Ces lésions corporelles ne doivent pas être de nature passagère ou sans importance et doivent, dans la plupart des cas, comporter un acte violent commis délibérément à l'endroit d'autrui. […] Pour ne pas déplacer indûment l'accent, il est préférable de se demander si une personne raisonnable se rendrait inévitablement compte que l'acte illégal sous-jacent ferait courir à autrui le risque de lésions corporelles, plutôt que de s'écarter du sujet et de se pencher sur une question touchant la qualification de l'infraction.
[13] Dans leur Traité de droit pénal canadien, les auteurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon écrivent, au sujet de l'élément mental requis en matière d'infractions criminelles :
La mens rea subjective, c'est-à-dire celle qui requiert la preuve de la conscience qu'a l'accusé de l'acte reproché, ou à tout le moins sa conscience de la vraisemblance de certaines conséquences, demeure la norme pour la plupart des infractions. C'est le sens que l'on a traditionnellement attribué à cette notion de mens rea. On note cependant que la Cour suprême du Canada, dans une série de décisions, a développé la responsabilité de l'inculpé reposant sur une faute objective en matière de certaines infractions de conséquence et de crimes de négligence en vertu de laquelle la faute repose sur un écart marqué de la norme de diligence qu'observerait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ainsi, dans de telles situations, on n'exigera pas la preuve de l'état d'esprit subjectif de l'accusé, son comportement s'appréciant en fonction d'une norme objective. Conséquemment, la poursuite n'aura pas à prouver la conscience subjective de l'inculpé pour obtenir une déclaration de culpabilité. Cependant, la personne accusée pourra se disculper en soulevant un doute raisonnable quant à savoir si une personne raisonnable aurait été consciente des risques soulevés par son comportement, ou qu'il n'y a pas d'écart marqué par rapport à la norme de diligence.
[17] Le risque objectif de lésions corporelles doit s'apprécier in concreto. Les circonstances de chaque cas sont pertinentes, voire décisives. Le juge a considéré le risque de lésions corporelles associé à la présence de la grille installée près de la sortie du bar et il a fait bénéficier l'intimé du doute raisonnable. Sa démarche est adéquate et sans reproche. Rien ne permet de croire qu'un autre facteur de risque a été porté à l'attention du juge de première instance et qu'il aurait été occulté dans l'application du critère de la prévision objective des lésions corporelles.
[18] Il est vrai que ce ne sont pas les blessures subies par la victime qui doivent être prévisibles objectivement, mais plutôt le risque de lésions corporelles qui ne sera pas de nature passagère ou sans importance, comme l'a rappelé la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R.c. Dewey. Mais il faut dire que dans cette affaire, l'accusé « pushed the complainant more forcefully than would cause a stumble ». Le premier juge n'est pas parvenu à une semblable conclusion de fait.
dimanche 22 mai 2011
Revue de l'état du droit au sujet de la garde et contrôle par le juge Vauclair
Ugur c. R., 2011 QCCS 2420 (CanLII)
[16] Dans l'arrêt R. c. Ford 1982 CanLII 16 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 231, la Cour a conclu que si la preuve de la poursuite repose uniquement sur la présomption et que celle-ci est réfutée, l'accusé doit être acquitté. Le juge Ritchie a écrit, à la page 247 (je souligne):
I have also had the benefit of reading the reasons for judgment delivered by Jessup J.A. on behalf of the Ontario Court of Appeal in R. v. McPhee; R v. Mullen (1975), 30 C.R.N.S. 4 and I note his conclusion that:
... if the only proof offered by the Crown of care or control is that the accused occupied the seat ordinarily occupied by the driver of a motor vehicle and the accused establishes that he did not enter or mount the vehicle for the purpose of setting it in motion, the accused must be acquitted.
With all respect this amounts to nothing more than saying that where the Crown is relying exclusively on the presumption and the presumption is rebutted, there is then no evidence left for the prosecution and the accused must be acquitted. There can in my view be no denying the force of this reasoning.
[17] Il faut donc conclure qu'une fois la présomption écartée, l'unique preuve d'occuper le siège du conducteur sans autres actes de garde ou de contrôle entraîne l'acquittement. Il n'est pas question de s'interroger, à ce moment, sur des risques hypothétiques de mise en mouvement. C'est d'ailleurs le sens du raisonnement de la Cour dans l'arrêt R. c. Toews, 1985 CanLII 46 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 119 et j'y reviendrai.
[18] Par contre, toujours dans l'arrêt R. c. Ford, précité, aux pages 246-247, la Cour a précisé que l'absence d'intention de mettre le véhicule en mouvement n'est pas un élément de l'infraction de garde ou de contrôle. Elle a ajouté que l'acquittement ne suit donc automatiquement pas la réfutation de la présomption si la poursuite peut démontrer par d'autres preuves des actes de garde ou contrôle: R. c. Ford, précité, page 248.
[19] En fait, la garde ou le contrôle peut être prouvé indépendamment de l'intention de mettre le véhicule en mouvement. La Cour suprême, à la page 249, a conclu que même en l'absence de cette intention, il y a garde ou contrôle :
Care or control may be exercised without such intent where an accused performs some act or series of acts involving the use of the car, its fittings or equipment, such as occurred in this case, whereby the vehicle may unintentionally be set in motion creating the danger the section is designed to prevent.
[20] La présomption, et c'est son rôle, entre en jeu si la place occupée est celle du conducteur. À défaut pour l'accusé de la réfuter, il sera déclaré coupable même si la preuve ne révèle aucun acte de garde ou de contrôle: R. c. Whyte, 1988 CanLII 47 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 3, p. 18. Mais sans cette présomption, la simple présence dans un véhicule ne permet pas de conclure à une garde ou contrôle.
[21] C'est d'ailleurs ce qu'a observé le juge Lamer dans l'arrêt R. c. Penno 1990 CanLII 88 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 865, alors que la Cour était saisie d'une tout autre question, lorsqu'il écrit, à la page 877, que : " la loi ne manque pas totalement de souplesse et ne va pas jusqu'à punir la simple présence dans un véhicule à moteur d'une personne dont la capacité de conduire est affaiblie. " Notre Cour d'appel a rappelé que cette dernière situation, alors qu'il y avait pourtant d'autres actes de garde ou contrôle, n'entraîne pas nécessairement une condamnation, même si généralement, ce sera le cas: R. c. Olivier, 1998 CanLII 12928 (QC CA), 1998 CanLII 12928 (C.A.Q.).
[22] Tout doute à cet égard avait été dissipé dans l'arrêt R. c. Toews, précité, où la Cour était saisie de la question spécifique des éléments constitutifs de l'infraction et plus particulièrement de l'intention. Comme elle l'avait fait dans l'arrêt R. c. Ford, elle a rejeté l'argument voulant que l'intention de mettre le véhicule en mouvement soit un élément de l'infraction de garde ou de contrôle: R. c. Toews, précité, p. 123.
[23] Arrêtons ici un instant pour rappeler que les policiers avaient trouvé Toews endormi et couché sur le siège avant de son camion et qu'il avait la tête près de la portière du côté du passager, enveloppé jusqu'à la ceinture dans un sac de couchage étendu jusque sous le volant. La clé de contact était dans le démarreur, la radio jouait, mais le moteur et les phares étaient éteints. La Cour a conclu que la présomption n'entrait pas en jeu. Toews avait affirmé qu'un ami l'y avait reconduit et qu'il s'est endormi tout en attendant son retour. Il a témoigné que son intention n'était pas de conduire lorsqu'il est monté dans le camion. Le premier juge l'a trouvé coupable parce que Toews aurait pu changer d'idée et conduire: voir R. c. Toews, précité, p. 121.
[24] Le juge McIntyre, pour la Cour, a donc confirmé l'arrêt R. c. Ford, précité, concernant l'élément de l'intention de conduire pour ajouter que cette intention était néanmoins pertinente pour trancher celle de la garde ou contrôle. Dans l'arrêt R. c. Toews, précité, il a écrit, à la page 123 (je souligne):
I am of the view that the intention of an accused charged under s. 234(1) is relevant in so far as it may contribute to the presence of the required mens rea for the offence or tend to exclude it..
[25] Le juge McIntyre a ensuite déterminé les éléments constitutifs de l'infraction, à la page 124, à savoir que «…the mens rea for having care or control of a motor vehicle is the intent to assume care or control after the voluntary consumption of alcohol or a drug. The actus reus is the act of assumption of care or control when the voluntary consumption of alcohol or a drug has impaired the ability to drive.»
[26] Cela dit, le juge McIntyre a alors posé la question précise de savoir ce qu'est la garde ou le contrôle d'un véhicule lorsqu'on ne le conduit pas. Il a admis d'emblée l'impossibilité d'en faire une nomenclature exhaustive et il a conclu, à la page 125:
The cases cited, however, illustrate the point and lead to the conclusion that acts of care or control, short of driving, are acts which involve some use of the car or its fittings and equipment, or some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous. Each case will depend on its own facts and the circumstances in which acts of care or control may be found will vary widely.
[27] Ainsi, il faut que l'accusé pose des actes de garde ou contrôle et que ces actes comportent le risque de le mettre en mouvement. Il doit exister un lien entre les deux suffisamment soutenu par la preuve. D'ailleurs, dans l'arrêt R. c. Toews, précité, la Cour a conclu que rien dans la preuve ne démontrait des actes de cette nature et conséquemment, l'actus reus n'avait pas été démontré. Ce faisant, la Cour a rejeté le raisonnement et la conclusion du premier juge dans cette affaire qui avait conclu que l'accusé Toews aurait pu changer d'idée et conduire.
[28] Ces règles sont bien connues et elles sont d'application constante, dont notamment : (références omises)
[16] Dans l'arrêt R. c. Ford 1982 CanLII 16 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 231, la Cour a conclu que si la preuve de la poursuite repose uniquement sur la présomption et que celle-ci est réfutée, l'accusé doit être acquitté. Le juge Ritchie a écrit, à la page 247 (je souligne):
I have also had the benefit of reading the reasons for judgment delivered by Jessup J.A. on behalf of the Ontario Court of Appeal in R. v. McPhee; R v. Mullen (1975), 30 C.R.N.S. 4 and I note his conclusion that:
... if the only proof offered by the Crown of care or control is that the accused occupied the seat ordinarily occupied by the driver of a motor vehicle and the accused establishes that he did not enter or mount the vehicle for the purpose of setting it in motion, the accused must be acquitted.
With all respect this amounts to nothing more than saying that where the Crown is relying exclusively on the presumption and the presumption is rebutted, there is then no evidence left for the prosecution and the accused must be acquitted. There can in my view be no denying the force of this reasoning.
[17] Il faut donc conclure qu'une fois la présomption écartée, l'unique preuve d'occuper le siège du conducteur sans autres actes de garde ou de contrôle entraîne l'acquittement. Il n'est pas question de s'interroger, à ce moment, sur des risques hypothétiques de mise en mouvement. C'est d'ailleurs le sens du raisonnement de la Cour dans l'arrêt R. c. Toews, 1985 CanLII 46 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 119 et j'y reviendrai.
[18] Par contre, toujours dans l'arrêt R. c. Ford, précité, aux pages 246-247, la Cour a précisé que l'absence d'intention de mettre le véhicule en mouvement n'est pas un élément de l'infraction de garde ou de contrôle. Elle a ajouté que l'acquittement ne suit donc automatiquement pas la réfutation de la présomption si la poursuite peut démontrer par d'autres preuves des actes de garde ou contrôle: R. c. Ford, précité, page 248.
[19] En fait, la garde ou le contrôle peut être prouvé indépendamment de l'intention de mettre le véhicule en mouvement. La Cour suprême, à la page 249, a conclu que même en l'absence de cette intention, il y a garde ou contrôle :
Care or control may be exercised without such intent where an accused performs some act or series of acts involving the use of the car, its fittings or equipment, such as occurred in this case, whereby the vehicle may unintentionally be set in motion creating the danger the section is designed to prevent.
[20] La présomption, et c'est son rôle, entre en jeu si la place occupée est celle du conducteur. À défaut pour l'accusé de la réfuter, il sera déclaré coupable même si la preuve ne révèle aucun acte de garde ou de contrôle: R. c. Whyte, 1988 CanLII 47 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 3, p. 18. Mais sans cette présomption, la simple présence dans un véhicule ne permet pas de conclure à une garde ou contrôle.
[21] C'est d'ailleurs ce qu'a observé le juge Lamer dans l'arrêt R. c. Penno 1990 CanLII 88 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 865, alors que la Cour était saisie d'une tout autre question, lorsqu'il écrit, à la page 877, que : " la loi ne manque pas totalement de souplesse et ne va pas jusqu'à punir la simple présence dans un véhicule à moteur d'une personne dont la capacité de conduire est affaiblie. " Notre Cour d'appel a rappelé que cette dernière situation, alors qu'il y avait pourtant d'autres actes de garde ou contrôle, n'entraîne pas nécessairement une condamnation, même si généralement, ce sera le cas: R. c. Olivier, 1998 CanLII 12928 (QC CA), 1998 CanLII 12928 (C.A.Q.).
[22] Tout doute à cet égard avait été dissipé dans l'arrêt R. c. Toews, précité, où la Cour était saisie de la question spécifique des éléments constitutifs de l'infraction et plus particulièrement de l'intention. Comme elle l'avait fait dans l'arrêt R. c. Ford, elle a rejeté l'argument voulant que l'intention de mettre le véhicule en mouvement soit un élément de l'infraction de garde ou de contrôle: R. c. Toews, précité, p. 123.
[23] Arrêtons ici un instant pour rappeler que les policiers avaient trouvé Toews endormi et couché sur le siège avant de son camion et qu'il avait la tête près de la portière du côté du passager, enveloppé jusqu'à la ceinture dans un sac de couchage étendu jusque sous le volant. La clé de contact était dans le démarreur, la radio jouait, mais le moteur et les phares étaient éteints. La Cour a conclu que la présomption n'entrait pas en jeu. Toews avait affirmé qu'un ami l'y avait reconduit et qu'il s'est endormi tout en attendant son retour. Il a témoigné que son intention n'était pas de conduire lorsqu'il est monté dans le camion. Le premier juge l'a trouvé coupable parce que Toews aurait pu changer d'idée et conduire: voir R. c. Toews, précité, p. 121.
[24] Le juge McIntyre, pour la Cour, a donc confirmé l'arrêt R. c. Ford, précité, concernant l'élément de l'intention de conduire pour ajouter que cette intention était néanmoins pertinente pour trancher celle de la garde ou contrôle. Dans l'arrêt R. c. Toews, précité, il a écrit, à la page 123 (je souligne):
I am of the view that the intention of an accused charged under s. 234(1) is relevant in so far as it may contribute to the presence of the required mens rea for the offence or tend to exclude it..
[25] Le juge McIntyre a ensuite déterminé les éléments constitutifs de l'infraction, à la page 124, à savoir que «…the mens rea for having care or control of a motor vehicle is the intent to assume care or control after the voluntary consumption of alcohol or a drug. The actus reus is the act of assumption of care or control when the voluntary consumption of alcohol or a drug has impaired the ability to drive.»
[26] Cela dit, le juge McIntyre a alors posé la question précise de savoir ce qu'est la garde ou le contrôle d'un véhicule lorsqu'on ne le conduit pas. Il a admis d'emblée l'impossibilité d'en faire une nomenclature exhaustive et il a conclu, à la page 125:
The cases cited, however, illustrate the point and lead to the conclusion that acts of care or control, short of driving, are acts which involve some use of the car or its fittings and equipment, or some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous. Each case will depend on its own facts and the circumstances in which acts of care or control may be found will vary widely.
[27] Ainsi, il faut que l'accusé pose des actes de garde ou contrôle et que ces actes comportent le risque de le mettre en mouvement. Il doit exister un lien entre les deux suffisamment soutenu par la preuve. D'ailleurs, dans l'arrêt R. c. Toews, précité, la Cour a conclu que rien dans la preuve ne démontrait des actes de cette nature et conséquemment, l'actus reus n'avait pas été démontré. Ce faisant, la Cour a rejeté le raisonnement et la conclusion du premier juge dans cette affaire qui avait conclu que l'accusé Toews aurait pu changer d'idée et conduire.
[28] Ces règles sont bien connues et elles sont d'application constante, dont notamment : (références omises)
vendredi 20 mai 2011
La défense du dernier verre qui ne remet pas en cause l'exactitude des résultats du test d'alcoolémie sera recevable à titre de preuve contraire pour contrer la présomption d'identité
R. c. Laforge, 2010 QCCQ 7718 (CanLII)
[186] La défense du dernier verre évoquée dans Powichrowski a fait l’objet d’une analyse par le juge Jean-François Dionne de la Cour du Québec dans l’affaire R. c. Néron rendue le 20 janvier 2010. Les faits se résument comme suit. Dans la nuit du 30 au 31 août 2008, l'accusé consomme quatre bières entre 22 h 30 et 2 h 30. Il « cale » une cinquième bière puis quitte le bar à 3 h. Vers 3 h 15, il est intercepté par les policiers lors d’un barrage routier. Après l’arrestation, les échantillons d’haleine prélevés 3 h 59 et 4 h 20 donnent les résultats suivants : 109 et 104 mg. Après analyse de la preuve, le juge acquitte l'accusé du chef de conduite avec capacité affaiblie. Quant au chef de 80 mg, l'accusé, sur la base d’un rapport d’expert, invoque la défense du dernier verre qui a été reconnue par la Cour d’appel en 1988 dans l’arrêt Piuze c. Québec (Procureur général). La défense ajoute que ce moyen est toujours d’actualité à la suite de l’arrêt Boucher et malgré les amendements C-2. Dans son analyse, le juge Dionne fait état d’une controverse. Selon un premier courant, la défense du dernier verre demeure recevable. Toutefois, certains auteurs expriment une opinion contraire : la défense doit également être accompagnée d’une preuve de mauvais fonctionnement de l’appareil ou d’une utilisation incorrecte. Après une analyse fouillée des anciennes et des nouvelles dispositions, le juge Dionne développe l’analyse suivante :
[89] Depuis les amendements apportés à l'article 258 C.cr., les sous-paragraphes (1)c) et d) de l'article 258 C.cr. comportent une présomption d'exactitude en plus de la présomption d'identité.
[90] Les modifications législatives apportées par ce projet de loi ont renforcé les présomptions de l'article 258 C.cr. et précisé le régime de preuve nécessaire pour les contrer en ajustant le fardeau de présentation de l'accusé, ce qui a pour effet de restreindre radicalement l'éventail de preuves contraires recevables en imposant qu'elle soit nécessairement accompagnées du volet établissant le mauvais fonctionnement de l'alcootest ou son utilisation incorrecte.
[91] Pour que les nouvelles dispositions prennent tout leur sens et ce, de façon conforme au but poursuivi par le législateur qui est de restreindre la preuve contraire à une défense scientifiquement valide, les sous-paragraphes c) ou d), d.1) d.01) et g) de l'article 258(1) C.cr. devraient se lire ensemble et de façon distincte en fonction de la présomption examinée.
[92] Ainsi, malgré que l'une des présomptions d'identité soit incluse au sous-paragraphe c) de l'article 258 (1) C.cr., pour que ces dispositions soient cohérentes la preuve contraire qui s'y trouve ne doit être applicable qu'au regard de la présomption d'exactitude également comprise dans cette disposition.
[93] En effet, la preuve contraire (preuve du dernier verre ou de la consommation postérieure) contrecarrant la présomption d'identité ne s'attaque pas à la preuve des résultats d'analyse et à leur fiabilité, élément majeur qui met en branle le processus décrit au paragraphe c) de l'article 258(1).
[94] Peu importe la présomption, si on ne met pas en cause les résultats des tests et leur fiabilité, les tests font donc preuve du taux d'alcoolémie de l'accusé et en conséquence le régime de preuve exigé par l'article 258 (1)c) C.cr. n'a pas à être suivi.
[95] Les restrictions qu'impose le sous-paragraphe d.01) de l'article 258 (1) du Code criminel ne sont applicables en réalité qu'à cette preuve contraire, c'est-à-dire à la preuve qui met en cause la présomption d'exactitude. C'est l'ajout de ce paragraphe qui soustrait de la preuve contraire la possibilité de recourir à la défense fondée sur un scénario de consommation (type Carter).
[96] Pour plus de compréhension et par souci de clarté et de précision, le législateur a également ajouté le sous-paragraphe (1)d.01) à l'article 258 C.cr. qui prévoit que le dysfonctionnement de l'appareil ou sa mauvaise utilisation doit être établie autrement qu'en démontrant que l'alcoolémie serait différente en raison des éléments tels que la quantité d'alcool consommée et le métabolisme de l'accusé qui y sont mentionnés:
[…]
[97] En éliminant la possibilité de recourir à une preuve contraire fondée sur le processus physiologique, le législateur faisait écho aux commentaires des juges de la Cour suprême dans l'arrêt St.Pierre et s'est assuré que la preuve contraire a un caractère probant et empêchant du même coup qu'elle ne s'attaque qu'au caractère fictif de la présomption, tel que suggéré par la Cour suprême dans certaines décisions.
[98] Les présomptions d'identité pour leur part peuvent être réfutées par une preuve contraire tendant à démontrer que la consommation d'alcool était compatible avec une alcoolémie qui n'excédait pas la limite permise au moment de l'infraction, mais également compatible avec l'alcoolémie testée conformément au paragraphe d.1) de l'article 258(1) du code qui était déjà la loi voulant, comme nous l'avons mentionné plus avant, contrecarrer les effets néfastes que pouvaient apporter l'arrêt St.Pierre.
[99] Conséquemment, la défense du dernier verre ou de la dernière consommation, qui ne remet pas en cause l'exactitude des résultats du test d'alcoolémie sera recevable à titre de preuve contraire pour contrer les présomptions d'identité dans la mesure où il est conforme aux exigences de preuve du sous-paragraphe d.1) de l'article 258(1) du Code criminel.
[…]
[101] In fine on constate que la nature de la preuve contraire est différente selon la présomption à réfuter et que l'analyse doit se faire différemment si le résultat d'analyse est remis en question ou non.
[102] Ajoutons qu'une preuve contraire qui possède les qualités requises pour contrer la présomption d'exactitude des sous-paragraphes (1)c) ou d) de l'article 258 C.cr. écartera nécessairement la présomption d'identité.
[186] La défense du dernier verre évoquée dans Powichrowski a fait l’objet d’une analyse par le juge Jean-François Dionne de la Cour du Québec dans l’affaire R. c. Néron rendue le 20 janvier 2010. Les faits se résument comme suit. Dans la nuit du 30 au 31 août 2008, l'accusé consomme quatre bières entre 22 h 30 et 2 h 30. Il « cale » une cinquième bière puis quitte le bar à 3 h. Vers 3 h 15, il est intercepté par les policiers lors d’un barrage routier. Après l’arrestation, les échantillons d’haleine prélevés 3 h 59 et 4 h 20 donnent les résultats suivants : 109 et 104 mg. Après analyse de la preuve, le juge acquitte l'accusé du chef de conduite avec capacité affaiblie. Quant au chef de 80 mg, l'accusé, sur la base d’un rapport d’expert, invoque la défense du dernier verre qui a été reconnue par la Cour d’appel en 1988 dans l’arrêt Piuze c. Québec (Procureur général). La défense ajoute que ce moyen est toujours d’actualité à la suite de l’arrêt Boucher et malgré les amendements C-2. Dans son analyse, le juge Dionne fait état d’une controverse. Selon un premier courant, la défense du dernier verre demeure recevable. Toutefois, certains auteurs expriment une opinion contraire : la défense doit également être accompagnée d’une preuve de mauvais fonctionnement de l’appareil ou d’une utilisation incorrecte. Après une analyse fouillée des anciennes et des nouvelles dispositions, le juge Dionne développe l’analyse suivante :
[89] Depuis les amendements apportés à l'article 258 C.cr., les sous-paragraphes (1)c) et d) de l'article 258 C.cr. comportent une présomption d'exactitude en plus de la présomption d'identité.
[90] Les modifications législatives apportées par ce projet de loi ont renforcé les présomptions de l'article 258 C.cr. et précisé le régime de preuve nécessaire pour les contrer en ajustant le fardeau de présentation de l'accusé, ce qui a pour effet de restreindre radicalement l'éventail de preuves contraires recevables en imposant qu'elle soit nécessairement accompagnées du volet établissant le mauvais fonctionnement de l'alcootest ou son utilisation incorrecte.
[91] Pour que les nouvelles dispositions prennent tout leur sens et ce, de façon conforme au but poursuivi par le législateur qui est de restreindre la preuve contraire à une défense scientifiquement valide, les sous-paragraphes c) ou d), d.1) d.01) et g) de l'article 258(1) C.cr. devraient se lire ensemble et de façon distincte en fonction de la présomption examinée.
[92] Ainsi, malgré que l'une des présomptions d'identité soit incluse au sous-paragraphe c) de l'article 258 (1) C.cr., pour que ces dispositions soient cohérentes la preuve contraire qui s'y trouve ne doit être applicable qu'au regard de la présomption d'exactitude également comprise dans cette disposition.
[93] En effet, la preuve contraire (preuve du dernier verre ou de la consommation postérieure) contrecarrant la présomption d'identité ne s'attaque pas à la preuve des résultats d'analyse et à leur fiabilité, élément majeur qui met en branle le processus décrit au paragraphe c) de l'article 258(1).
[94] Peu importe la présomption, si on ne met pas en cause les résultats des tests et leur fiabilité, les tests font donc preuve du taux d'alcoolémie de l'accusé et en conséquence le régime de preuve exigé par l'article 258 (1)c) C.cr. n'a pas à être suivi.
[95] Les restrictions qu'impose le sous-paragraphe d.01) de l'article 258 (1) du Code criminel ne sont applicables en réalité qu'à cette preuve contraire, c'est-à-dire à la preuve qui met en cause la présomption d'exactitude. C'est l'ajout de ce paragraphe qui soustrait de la preuve contraire la possibilité de recourir à la défense fondée sur un scénario de consommation (type Carter).
[96] Pour plus de compréhension et par souci de clarté et de précision, le législateur a également ajouté le sous-paragraphe (1)d.01) à l'article 258 C.cr. qui prévoit que le dysfonctionnement de l'appareil ou sa mauvaise utilisation doit être établie autrement qu'en démontrant que l'alcoolémie serait différente en raison des éléments tels que la quantité d'alcool consommée et le métabolisme de l'accusé qui y sont mentionnés:
[…]
[97] En éliminant la possibilité de recourir à une preuve contraire fondée sur le processus physiologique, le législateur faisait écho aux commentaires des juges de la Cour suprême dans l'arrêt St.Pierre et s'est assuré que la preuve contraire a un caractère probant et empêchant du même coup qu'elle ne s'attaque qu'au caractère fictif de la présomption, tel que suggéré par la Cour suprême dans certaines décisions.
[98] Les présomptions d'identité pour leur part peuvent être réfutées par une preuve contraire tendant à démontrer que la consommation d'alcool était compatible avec une alcoolémie qui n'excédait pas la limite permise au moment de l'infraction, mais également compatible avec l'alcoolémie testée conformément au paragraphe d.1) de l'article 258(1) du code qui était déjà la loi voulant, comme nous l'avons mentionné plus avant, contrecarrer les effets néfastes que pouvaient apporter l'arrêt St.Pierre.
[99] Conséquemment, la défense du dernier verre ou de la dernière consommation, qui ne remet pas en cause l'exactitude des résultats du test d'alcoolémie sera recevable à titre de preuve contraire pour contrer les présomptions d'identité dans la mesure où il est conforme aux exigences de preuve du sous-paragraphe d.1) de l'article 258(1) du Code criminel.
[…]
[101] In fine on constate que la nature de la preuve contraire est différente selon la présomption à réfuter et que l'analyse doit se faire différemment si le résultat d'analyse est remis en question ou non.
[102] Ajoutons qu'une preuve contraire qui possède les qualités requises pour contrer la présomption d'exactitude des sous-paragraphes (1)c) ou d) de l'article 258 C.cr. écartera nécessairement la présomption d'identité.
L'arrêt Piuze VS la présomption d'identité
Piuze c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 490 (QC CA)
"Divers tribunaux ont déjà eu l'occasion de discuter du sens de l'expression "preuve contraire" dans le contexte de cet article. Je souscris à ce qu'en dit le juge McFarlane, au nom de la Cour d'Appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt R. v. Davis (l), à la p. 516:
"A mon avis, l'intention du Parlement, bien qu'exprimée peu clairement, devient manifeste si l'on se souvient que le fait à prouver est la proportion d'alcool dans le sang au moment de l'infraction. Le résultat de l'analyse chimique est un des moyens de prouver ce fait et les certificats constituent une preuve, parmi d'autres de ce résultat. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la fin du paragraphe signifie que le résultat de l'analyse chimique fait preuve de la proportion d'alcool dans le sang du prévenu au moment de l'infraction en l'absence de toute preuve que le taux d'alcoolémie à ce moment n'excédait pas 80 pour cent. En conséquence, toute preuve tendant à montrer qu'au moment de l'infraction, le taux d'alcoolémie était dans les limites permises constitue une "preuve contraire" au sens de ce paragraphe.
Aux termes du Code, la "preuve contraire" doit être une preuve tendant à démontrer que le taux d'alcoolémie de l'accusé au moment de l'infraction alléguée ne correspondait pas au résultat de l'analyse chimique."
(1) (1973), 14 C.C.C. (2d) 513.
En l'espèce, les résultats des analyses ne sont pas contestés non plus que le bon fonctionnement de l'instrument utilisé, les qualifications du technicien et la procédure qu'il a suivie. En somme, l'accusé admet qu'au moment du test, le taux d'alcool dans son sang était au-delà de la limite légale mais il a, par ailleurs, démontré qu'au moment de son interception, près d'une heure plus tôt il était probable qu'il n'avait pas encore atteint ce niveau et que ce taux d'alcoolémie se situait alors à l'intérieur de la limite permise.
"Divers tribunaux ont déjà eu l'occasion de discuter du sens de l'expression "preuve contraire" dans le contexte de cet article. Je souscris à ce qu'en dit le juge McFarlane, au nom de la Cour d'Appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt R. v. Davis (l), à la p. 516:
"A mon avis, l'intention du Parlement, bien qu'exprimée peu clairement, devient manifeste si l'on se souvient que le fait à prouver est la proportion d'alcool dans le sang au moment de l'infraction. Le résultat de l'analyse chimique est un des moyens de prouver ce fait et les certificats constituent une preuve, parmi d'autres de ce résultat. Il s'ensuit donc, à mon avis, que la fin du paragraphe signifie que le résultat de l'analyse chimique fait preuve de la proportion d'alcool dans le sang du prévenu au moment de l'infraction en l'absence de toute preuve que le taux d'alcoolémie à ce moment n'excédait pas 80 pour cent. En conséquence, toute preuve tendant à montrer qu'au moment de l'infraction, le taux d'alcoolémie était dans les limites permises constitue une "preuve contraire" au sens de ce paragraphe.
Aux termes du Code, la "preuve contraire" doit être une preuve tendant à démontrer que le taux d'alcoolémie de l'accusé au moment de l'infraction alléguée ne correspondait pas au résultat de l'analyse chimique."
(1) (1973), 14 C.C.C. (2d) 513.
En l'espèce, les résultats des analyses ne sont pas contestés non plus que le bon fonctionnement de l'instrument utilisé, les qualifications du technicien et la procédure qu'il a suivie. En somme, l'accusé admet qu'au moment du test, le taux d'alcool dans son sang était au-delà de la limite légale mais il a, par ailleurs, démontré qu'au moment de son interception, près d'une heure plus tôt il était probable qu'il n'avait pas encore atteint ce niveau et que ce taux d'alcoolémie se situait alors à l'intérieur de la limite permise.
jeudi 19 mai 2011
Prévenir l'attaque contre une personne placée sous sa protection
R. c. Crispin, 2011 QCCQ 4431 (CanLII)
[24] L'arrêt Hébert précité a déterminé, à l'instar de l'arrêt Pétel, qu'il faut que le juge des faits analyse la conduite et l'état d'esprit de l'accusé et non celle du plaignant. Ainsi, si le juge des faits croit, ou a des motifs raisonnables de croire, que l'accusé prévient une attaque de la part du plaignant, le par. 37 (1) peut lui fournir un moyen de défense.
[25] Dans l'affaire sous étude, l'accusé invoque que la personne attaquée était sous sa protection. Le législateur ne définit pas cette expression. L'expression anglaise est au même effet : «any one under his protection». Dans l'affaire R. c. Arias, le juge Michel Bellehumeur de notre Cour écrit ce qui suit :
[48] Le Code ne définit pas les termes "sous sa protection " mais on peut penser que le Législateur voulait couvrir les enfants, les parents, le conjoint ou la conjointe de l'accusé. Il pourrait même couvrir des personnes que l'accusé ait la garde à cause de son âge, de son état de santé ou d'une déficience quelconque.
[49] Cependant, un beau-frère majeur qui sort dans les bars aux petites heures, qui danse jusqu'à 3 heures du matin et qui discute en fin de soirée avec une ancienne petite amie, selon le témoignage de l'accusé, n'est sûrement pas "sous la protection de l'accusé", au sens de l'article 37.
[26] Nous faisons nôtre cette réflexion. À cela on peut ajouter que le sens commun des mots de cette expression, notamment «placée sous», commande nécessairement la présence d'une notion d'autorité et de responsabilité à l'égard de la personne à protéger. La notion implique qu'une personne visée en est une qui est en situation de faiblesse, de vulnérabilité ou de fragilité qui nécessite d'être protégée. L'amitié de longue date entre deux adultes majeurs, indépendants l'un de l'autre, festoyant de façon séparée dans un bar et n'éprouvant aucune vulnérabilité particulière ou ne bénéficiant d'aucun régime de protection quelconque ne répond pas à la qualité requise de ''personne placée sous sa protection'' de l'article 37 C.cr.
[27] Quant à la force permise, la Cour d'appel de Colombie-Britannique a établi que :
[45] That part of s. 37(2) which excludes from justification "the wilful infliction of any hurt or mischief that is excessive" appears to be simply another way of expressing the concept of proportionality, and of limiting the use of force to that which is no more than necessary.
[24] L'arrêt Hébert précité a déterminé, à l'instar de l'arrêt Pétel, qu'il faut que le juge des faits analyse la conduite et l'état d'esprit de l'accusé et non celle du plaignant. Ainsi, si le juge des faits croit, ou a des motifs raisonnables de croire, que l'accusé prévient une attaque de la part du plaignant, le par. 37 (1) peut lui fournir un moyen de défense.
[25] Dans l'affaire sous étude, l'accusé invoque que la personne attaquée était sous sa protection. Le législateur ne définit pas cette expression. L'expression anglaise est au même effet : «any one under his protection». Dans l'affaire R. c. Arias, le juge Michel Bellehumeur de notre Cour écrit ce qui suit :
[48] Le Code ne définit pas les termes "sous sa protection " mais on peut penser que le Législateur voulait couvrir les enfants, les parents, le conjoint ou la conjointe de l'accusé. Il pourrait même couvrir des personnes que l'accusé ait la garde à cause de son âge, de son état de santé ou d'une déficience quelconque.
[49] Cependant, un beau-frère majeur qui sort dans les bars aux petites heures, qui danse jusqu'à 3 heures du matin et qui discute en fin de soirée avec une ancienne petite amie, selon le témoignage de l'accusé, n'est sûrement pas "sous la protection de l'accusé", au sens de l'article 37.
[26] Nous faisons nôtre cette réflexion. À cela on peut ajouter que le sens commun des mots de cette expression, notamment «placée sous», commande nécessairement la présence d'une notion d'autorité et de responsabilité à l'égard de la personne à protéger. La notion implique qu'une personne visée en est une qui est en situation de faiblesse, de vulnérabilité ou de fragilité qui nécessite d'être protégée. L'amitié de longue date entre deux adultes majeurs, indépendants l'un de l'autre, festoyant de façon séparée dans un bar et n'éprouvant aucune vulnérabilité particulière ou ne bénéficiant d'aucun régime de protection quelconque ne répond pas à la qualité requise de ''personne placée sous sa protection'' de l'article 37 C.cr.
[27] Quant à la force permise, la Cour d'appel de Colombie-Britannique a établi que :
[45] That part of s. 37(2) which excludes from justification "the wilful infliction of any hurt or mischief that is excessive" appears to be simply another way of expressing the concept of proportionality, and of limiting the use of force to that which is no more than necessary.
Empêcher la continuation ou le renouvellement d'une violation de la paix
R. c. Crispin, 2011 QCCQ 4431 (CanLII)
[21] Pour se prévaloir de l'art. 30 C.cr., la personne doit intervenir dans le but de faire cesser une violation de la paix et pour détenir et remettre le contrevenant à un agent. Notre Cour d'appel dans R. c. Bélanger a établi qu' «[i]l ne suffit pas d'avoir l'impression qu'une chose pourrait se produire pour se prévaloir de l'art. 30 C.cr.; il faut que la personne soit témoin d'une violation de la paix ou qu'elle ait des motifs raisonnables de croire qu'il y a ou aura violation de la paix (voir Arrest for Breach of the Peace, Glanville Williams, [1954] Crim. L.R. 578)».
[22] En plus de la force raisonnablement nécessaire, telle que définie précédemment, cette défense permet également l'utilisation d'une force raisonnablement proportionnée au danger à craindre par suite de la continuation ou du renouvellement de cette violation.
[21] Pour se prévaloir de l'art. 30 C.cr., la personne doit intervenir dans le but de faire cesser une violation de la paix et pour détenir et remettre le contrevenant à un agent. Notre Cour d'appel dans R. c. Bélanger a établi qu' «[i]l ne suffit pas d'avoir l'impression qu'une chose pourrait se produire pour se prévaloir de l'art. 30 C.cr.; il faut que la personne soit témoin d'une violation de la paix ou qu'elle ait des motifs raisonnables de croire qu'il y a ou aura violation de la paix (voir Arrest for Breach of the Peace, Glanville Williams, [1954] Crim. L.R. 578)».
[22] En plus de la force raisonnablement nécessaire, telle que définie précédemment, cette défense permet également l'utilisation d'une force raisonnablement proportionnée au danger à craindre par suite de la continuation ou du renouvellement de cette violation.
Recours à la force pour empêcher la perpétration d'une infraction
R. c. Crispin, 2011 QCCQ 4431 (CanLII)
[15] La Cour suprême du Canada dans R. c. Hébert définit le contexte d'application de cette disposition :
[…] l'art. 27 justifie l'emploi de la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction. C'est un article d'application générale et il n'est pas nécessaire que la personne qui invoque la justification soit un agent de la paix ou un fonctionnaire public, ou un membre d'une catégorie restreinte de personnes. Cependant, cet article vise nettement à permettre à un passant qui constate qu'une infraction est en train d'être commise ou sur le point de l'être d'employer la force pour en empêcher la perpétration.
[16] Comme le rappelle notre Cour d'appel dans Plante c. R., l'article 27 C. cr. est d'application générale et permet à toute personne à utiliser la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction. Cet arrêt revêt certaines similitudes avec l'événement sous étude. Dans cette affaire, le plaignant était sur le point de donner un coup de poing à un autre client du bar. L'appelant est aussitôt intervenu. La Cour d'appel reconnaît que «[C]ompte tenu de l'agressivité démontrée par le plaignant et du coup qu'il était sur le point de porter, les conditions d'ouverture de l'article 27 étaient certainement présentes». La Cour souligne qu'il faut prendre en considération les éléments de preuve – y compris ceux qui sont déterminants et favorables à l'accusé – aux fins de déterminer la nécessité de l'intervention.
[17] La Cour rappelle également que la justification de la force sous l'article 27 s'applique seulement à la « la force raisonnablement nécessaire » pour empêcher la commission de l’infraction. Pour évaluer le caractère raisonnable de cette force, elle réitère les principes énoncés par la Cour suprême dans R. c. Szczerbaniwicz de la façon suivante :
[86]…Dans cet arrêt, la Cour suprême enseigne qu’il faut interpréter l’expression « que la force nécessaire » dans cette disposition [l'article 39 C.cr.] et dans des dispositions similaires comme celle de l’article 41(1) C.cr. en procédant à un examen pour savoir si la force utilisée est « raisonnable dans les circonstances ». Le caractère raisonnable « dans les circonstances » doit tenir compte de la croyance subjective de l’accusé quant à la nature du danger ou du tort appréhendé et de la présence d’un élément objectif selon lequel la croyance subjective doit être fondée sur des motifs raisonnables.
[18] Dans l'arrêt Plante précité, la Cour d'appel rappelle que la défense n'a pas à prouver la défense alléguée. Le fardeau de la poursuite de prouver l'infraction hors de tout doute raisonnable inclut également la charge de réfuter la défense hors de tout doute raisonnable. Ainsi la défense a un fardeau de présentation et le moyen de défense doit satisfaire au critère de la vraisemblance.
[19] Il est utile de souligner la teneur de l'article 26 C. cr. qui prévoit que: «[Q]uiconque est autorisé par la loi à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force, selon la nature et la qualité de l'acte qui constitue l'excès».
[15] La Cour suprême du Canada dans R. c. Hébert définit le contexte d'application de cette disposition :
[…] l'art. 27 justifie l'emploi de la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction. C'est un article d'application générale et il n'est pas nécessaire que la personne qui invoque la justification soit un agent de la paix ou un fonctionnaire public, ou un membre d'une catégorie restreinte de personnes. Cependant, cet article vise nettement à permettre à un passant qui constate qu'une infraction est en train d'être commise ou sur le point de l'être d'employer la force pour en empêcher la perpétration.
[16] Comme le rappelle notre Cour d'appel dans Plante c. R., l'article 27 C. cr. est d'application générale et permet à toute personne à utiliser la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d'une infraction. Cet arrêt revêt certaines similitudes avec l'événement sous étude. Dans cette affaire, le plaignant était sur le point de donner un coup de poing à un autre client du bar. L'appelant est aussitôt intervenu. La Cour d'appel reconnaît que «[C]ompte tenu de l'agressivité démontrée par le plaignant et du coup qu'il était sur le point de porter, les conditions d'ouverture de l'article 27 étaient certainement présentes». La Cour souligne qu'il faut prendre en considération les éléments de preuve – y compris ceux qui sont déterminants et favorables à l'accusé – aux fins de déterminer la nécessité de l'intervention.
[17] La Cour rappelle également que la justification de la force sous l'article 27 s'applique seulement à la « la force raisonnablement nécessaire » pour empêcher la commission de l’infraction. Pour évaluer le caractère raisonnable de cette force, elle réitère les principes énoncés par la Cour suprême dans R. c. Szczerbaniwicz de la façon suivante :
[86]…Dans cet arrêt, la Cour suprême enseigne qu’il faut interpréter l’expression « que la force nécessaire » dans cette disposition [l'article 39 C.cr.] et dans des dispositions similaires comme celle de l’article 41(1) C.cr. en procédant à un examen pour savoir si la force utilisée est « raisonnable dans les circonstances ». Le caractère raisonnable « dans les circonstances » doit tenir compte de la croyance subjective de l’accusé quant à la nature du danger ou du tort appréhendé et de la présence d’un élément objectif selon lequel la croyance subjective doit être fondée sur des motifs raisonnables.
[18] Dans l'arrêt Plante précité, la Cour d'appel rappelle que la défense n'a pas à prouver la défense alléguée. Le fardeau de la poursuite de prouver l'infraction hors de tout doute raisonnable inclut également la charge de réfuter la défense hors de tout doute raisonnable. Ainsi la défense a un fardeau de présentation et le moyen de défense doit satisfaire au critère de la vraisemblance.
[19] Il est utile de souligner la teneur de l'article 26 C. cr. qui prévoit que: «[Q]uiconque est autorisé par la loi à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force, selon la nature et la qualité de l'acte qui constitue l'excès».
mercredi 18 mai 2011
Est-ce que l'odeur de cannabis (fumé / frais) peut à elle seule donner des motifs raisonnables de croire à la commission de l'infraction?
R. v. Polashek, 1999 CanLII 3714 (ON C.A.)
[13] I agree, in part, with the appellantÆs position. Had Constable Ross based his arrest of the appellant solely on the presence of the odour I would have held that there were notreasonable and probable grounds to make the arrest. Given Constable RossÆ admission that he could not from the odour alone determine whether the marijuana had been smoked recently or evenif he was detecting the smell of smoked marijuana, the presence of odour alone did not provide reasonable grounds to believe that the occupant was committing an offence. The sense of smell is highly subjective and to authorize an arrest solely on that basis puts an unreviewable discretion in the hands of the officer. By their nature, smells are transitory and thus largely incapable of objective verification. A smell will often leave no trace. AsDoherty J.A. observed in R. v. Simpson at p. 202 ôsubjectivelybased assessments can too easily mask discriminatory conductbased on such irrelevant factors as the detaineeÆs sex, colour,age, ethnic origin or sexual orientation.
[14] On the other hand, I would not go so far as was urged by the appellant that the presence of the smell of marijuana can never provide the requisite reasonable and probable grounds for an arrest. The circumstances under which the olfactory observation was made will determine the matter. It may be that some officers through experience or training can convince the trial judge thatthey possesses sufficient expertise that their opinion of present possession can be relied upon. Even in this case, the Crownadduced sufficient evidence from which the trial judge could reasonably conclude that Constable Ross accurately detected theodour of marijuana rather than some other substance.
[13] I agree, in part, with the appellantÆs position. Had Constable Ross based his arrest of the appellant solely on the presence of the odour I would have held that there were notreasonable and probable grounds to make the arrest. Given Constable RossÆ admission that he could not from the odour alone determine whether the marijuana had been smoked recently or evenif he was detecting the smell of smoked marijuana, the presence of odour alone did not provide reasonable grounds to believe that the occupant was committing an offence. The sense of smell is highly subjective and to authorize an arrest solely on that basis puts an unreviewable discretion in the hands of the officer. By their nature, smells are transitory and thus largely incapable of objective verification. A smell will often leave no trace. AsDoherty J.A. observed in R. v. Simpson at p. 202 ôsubjectivelybased assessments can too easily mask discriminatory conductbased on such irrelevant factors as the detaineeÆs sex, colour,age, ethnic origin or sexual orientation.
[14] On the other hand, I would not go so far as was urged by the appellant that the presence of the smell of marijuana can never provide the requisite reasonable and probable grounds for an arrest. The circumstances under which the olfactory observation was made will determine the matter. It may be that some officers through experience or training can convince the trial judge thatthey possesses sufficient expertise that their opinion of present possession can be relied upon. Even in this case, the Crownadduced sufficient evidence from which the trial judge could reasonably conclude that Constable Ross accurately detected theodour of marijuana rather than some other substance.
lundi 16 mai 2011
Les conditions nécessaires à l’émission d’une ordonnance de confiscation en vertu de l'article 462.38 Ccr
R. c. Kelly, 2011 QCCQ 4080 (CanLII)
[47] L'article 462.38 établit les conditions nécessaires à l’émission d’une ordonnance de confiscation:
1. Les biens visés par l'ordonnance constituent hors de tout doute raisonnable des produits de la criminalité;
2. Des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard de ces biens ont été commencées;
3. La personne accusée de l'infraction visée à la condition précédente est décédée ou s'est esquivée.
[48] La deuxième et la troisième conditions nécessaires à la confiscation énumérée à l'article 462.38(2) sont clairement établies par la preuve.
[49] Plus particulièrement, quant à la deuxième condition, le Tribunal note que les accusations contre monsieur Kelly sont incluses dans la définition de «infraction désignée» à l'article 462.31 du Code criminel. Ensuite, la preuve a établi que des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard des biens de monsieur Kelly ont été commencées depuis quelque temps déjà.
[50] En ce qui concerne l'esquive—la troisième condition nécessaire à une confiscation des produits de la criminalité ex parte—elle est définie à l'article 462.38(3). Selon cet article, une personne est réputée s'être esquivée si les trois conditions suivantes sont réunies:
• Une dénonciation a été déposée à l'effet qu'elle aurait perpétré (une infraction désignée);
• Un mandat d'arrestation …fondé sur la dénonciation a été délivré à …cette personne;
• Il a été impossible malgré des efforts raisonnables…d'arrêter cette personne ou de signifier la sommation durant la période de six mois qui suit la délivrance du mandat ou de la sommation.
[51] Dans l'affidavit de l'agent Harrison, déposé en preuve comme pièce PG-10, il décrit les efforts déployés par les autorités pour arrêter l'accusé. Sans rentrer dans les détails, le Tribunal constate que le contenu dudit affidavit répond à tous les critères énoncés à l'article 462.38(3) pour présumer que Gilbert Kelly s'est esquivé.
[52] Quant au premier critère—la preuve hors de tout doute que les biens visés sont le produit de la criminalité—le Tribunal adopte le raisonnement de la Couronne. Selon la Couronne, monsieur Kelly ne pouvait acquérir ses biens autrement que par la criminalité. Depuis sa remise en liberté, il n'a jamais eu un emploi légitime et rémunéré. Il n'y aucune indication qu'il a ouvert un commerce. Il n'a même pas produit de rapport d'impôt depuis sa remise en liberté sous conditions dans l'année 2000. Pourtant, il s'enrichit et il dépense beaucoup d'argent.
[53] La poursuite a présenté une preuve étoffée à l'effet que l'accusé-intimé était un important trafiquant impliqué dans toutes les étapes du trafic, de l’importation de la cocaïne en provenance d’Amérique latine à la revente à l’once à partir d'un appartement dans un sous-sol qu'il loue à Ville d'Anjou. Par ces actes illégaux, l'accusé a généré pour son compte des sommes importantes d'argent.
[54] Pour la Couronne, l'absence d'une source légitime d'argent jumelée avec l'implication de l'accusé dans l'importation et le trafic de drogues ne mène qu'à une seule conclusion logique: ce n'est que par sa criminalité que l'accusé a pu acquérir tous ses biens. Le Tribunal partage entièrement cette opinion.
[47] L'article 462.38 établit les conditions nécessaires à l’émission d’une ordonnance de confiscation:
1. Les biens visés par l'ordonnance constituent hors de tout doute raisonnable des produits de la criminalité;
2. Des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard de ces biens ont été commencées;
3. La personne accusée de l'infraction visée à la condition précédente est décédée ou s'est esquivée.
[48] La deuxième et la troisième conditions nécessaires à la confiscation énumérée à l'article 462.38(2) sont clairement établies par la preuve.
[49] Plus particulièrement, quant à la deuxième condition, le Tribunal note que les accusations contre monsieur Kelly sont incluses dans la définition de «infraction désignée» à l'article 462.31 du Code criminel. Ensuite, la preuve a établi que des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard des biens de monsieur Kelly ont été commencées depuis quelque temps déjà.
[50] En ce qui concerne l'esquive—la troisième condition nécessaire à une confiscation des produits de la criminalité ex parte—elle est définie à l'article 462.38(3). Selon cet article, une personne est réputée s'être esquivée si les trois conditions suivantes sont réunies:
• Une dénonciation a été déposée à l'effet qu'elle aurait perpétré (une infraction désignée);
• Un mandat d'arrestation …fondé sur la dénonciation a été délivré à …cette personne;
• Il a été impossible malgré des efforts raisonnables…d'arrêter cette personne ou de signifier la sommation durant la période de six mois qui suit la délivrance du mandat ou de la sommation.
[51] Dans l'affidavit de l'agent Harrison, déposé en preuve comme pièce PG-10, il décrit les efforts déployés par les autorités pour arrêter l'accusé. Sans rentrer dans les détails, le Tribunal constate que le contenu dudit affidavit répond à tous les critères énoncés à l'article 462.38(3) pour présumer que Gilbert Kelly s'est esquivé.
[52] Quant au premier critère—la preuve hors de tout doute que les biens visés sont le produit de la criminalité—le Tribunal adopte le raisonnement de la Couronne. Selon la Couronne, monsieur Kelly ne pouvait acquérir ses biens autrement que par la criminalité. Depuis sa remise en liberté, il n'a jamais eu un emploi légitime et rémunéré. Il n'y aucune indication qu'il a ouvert un commerce. Il n'a même pas produit de rapport d'impôt depuis sa remise en liberté sous conditions dans l'année 2000. Pourtant, il s'enrichit et il dépense beaucoup d'argent.
[53] La poursuite a présenté une preuve étoffée à l'effet que l'accusé-intimé était un important trafiquant impliqué dans toutes les étapes du trafic, de l’importation de la cocaïne en provenance d’Amérique latine à la revente à l’once à partir d'un appartement dans un sous-sol qu'il loue à Ville d'Anjou. Par ces actes illégaux, l'accusé a généré pour son compte des sommes importantes d'argent.
[54] Pour la Couronne, l'absence d'une source légitime d'argent jumelée avec l'implication de l'accusé dans l'importation et le trafic de drogues ne mène qu'à une seule conclusion logique: ce n'est que par sa criminalité que l'accusé a pu acquérir tous ses biens. Le Tribunal partage entièrement cette opinion.
vendredi 13 mai 2011
Le droit relatif aux travaux communautaires
R. c. Cherchar, 2011 QCCQ 4143 (CanLII)
[4] La possibilité d'imposer des travaux communautaires est prévue à l'article 732.1(3)f) du Code criminel, où le Parlement énumère les conditions facultatives d'une ordonnance de probation. Donc, une telle condition est prévue explicitement comme étant une condition dans une ordonnance de probation. Elle serait appropriée dans un cas où les objectifs de dénonciation et dissuasion ne demande pas l'isolement du délinquant. Je conviens entièrement avec le juge Bisson dans Lafranchise. Pourtant, dire que les travaux communautaires peuvent servir comme alternative à l'emprisonnement ne veut pas dire forcément qu'ils sont toujours l'équivalent à l'emprisonnement ferme. Ils représentent une alternative à l'emprisonnement dans le sens qu'une prestation constructive par le délinquant répond adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion sans son isolement. Les travaux communautaires visent à sensibiliser d'une façon constructive la responsabilité du délinquant. Dans ce sens cette option est entièrement compatible avec l'injonction du Parlement de ne pas ordonner l'emprisonnement à moins que ça soit nécessaire. Les conditions imposées dans le cadre d'une ordonnance de probation doivent être raisonnables dans les circonstances en l'espèce et elles doivent viser à la fois la protection de la société et la réinsertion sociale du délinquant. Des travaux communautaires répondent à cette exigence.
[4] La possibilité d'imposer des travaux communautaires est prévue à l'article 732.1(3)f) du Code criminel, où le Parlement énumère les conditions facultatives d'une ordonnance de probation. Donc, une telle condition est prévue explicitement comme étant une condition dans une ordonnance de probation. Elle serait appropriée dans un cas où les objectifs de dénonciation et dissuasion ne demande pas l'isolement du délinquant. Je conviens entièrement avec le juge Bisson dans Lafranchise. Pourtant, dire que les travaux communautaires peuvent servir comme alternative à l'emprisonnement ne veut pas dire forcément qu'ils sont toujours l'équivalent à l'emprisonnement ferme. Ils représentent une alternative à l'emprisonnement dans le sens qu'une prestation constructive par le délinquant répond adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion sans son isolement. Les travaux communautaires visent à sensibiliser d'une façon constructive la responsabilité du délinquant. Dans ce sens cette option est entièrement compatible avec l'injonction du Parlement de ne pas ordonner l'emprisonnement à moins que ça soit nécessaire. Les conditions imposées dans le cadre d'une ordonnance de probation doivent être raisonnables dans les circonstances en l'espèce et elles doivent viser à la fois la protection de la société et la réinsertion sociale du délinquant. Des travaux communautaires répondent à cette exigence.
mardi 10 mai 2011
L'enquête VS le voir-dire
Erven c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 926
Je ne puis admettre qu’un voir dire soit superflu (ou nécessaire seulement lorsque des circonstances particulières jettent un doute sur le caractère volontaire) lorsqu’il s’agit d’une déclaration faite à la police pendant l’enquête sur un crime, plutôt qu’après la mise en détention ou l’inculpation de l’accusé, ou après qu’on a décidé de l’inculper, voir R. v. Rushton; R. v. Sweezey; R. v. Spencer, précité; R. v. Armstrong. De telles déclarations de l’accusé ne sont en aucune façon exemptées de la règle, savoir que la preuve de leur caractère volontaire doit être faite avant qu’on puisse les admettre. Je me rallie à ce que disait le juge Martin dans R. v. Sweezey, à la p. 413:
[TRADUCTION] Je conclus que la règle concernant le caractère volontaire ne se limite pas aux déclarations faites par une personne en détention, inculpée ou sur le point de l’être. Je suis donc d’avis qu’il faut établir le caractère volontaire d’une déclaration faite à un policier pendant l’enquête sur une infraction possible avant que cette déclaration soit recevable au procès de la personne qui l’a faite. L’expression «déclaration d’un accusé» (utilisée par lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim v. The King, [1914] A.C. 599) vise, à mon avis, toute déclaration faite par une personne qui est accusée dans une affaire criminelle lorsqu’on veut produire ladite déclaration et non pas les seules déclarations faites par cette personne après sa mise en accusation.
Comme le disait le juge Idington dans un arrêt de cette Cour, Prosko c. Le Roi, précité, à la p. 234:
[TRADUCTION] Il faut se garder de l’influence exercée par les policiers en service et non des circonstances accessoires de l’arrestation et des conséquences qu’elle peut avoir sur l’esprit de l’accusé.
La règle concernant le caractère volontaire doit recevoir une application large et générale. Elle s’applique tout autant aux déclarations faites pendant l’enquête qu’aux déclarations faites pendant la détention de l’accusé. La procédure ne diffère pas selon le moment auquel la déclaration est faite. L’application d’une telle distinction serait fertile en difficultés. Le critère est-il subjectif ou objectif? Comment délimiter l’enquête, le repérage, la détention et l’arrestation lorsqu’ils constituent une succession rapide d’événements? Des considérations d’ordre pratique justifient également le rejet de cette distinction. Les possibilités d’abus par le moyen d’arrestations tardives sont évidentes. Je ferai remarquer que même les arrêts qui appuient une règle spéciale pour les déclarations faites lors de l’enquête exigent généralement un voir dire lorsque l’avocat conteste expressément l’admissibilité des déclarations, comme il l’a fait en l’espèce: voir R. v. Sweezey, précité, à la p. 417.
Je ne puis admettre qu’un voir dire soit superflu (ou nécessaire seulement lorsque des circonstances particulières jettent un doute sur le caractère volontaire) lorsqu’il s’agit d’une déclaration faite à la police pendant l’enquête sur un crime, plutôt qu’après la mise en détention ou l’inculpation de l’accusé, ou après qu’on a décidé de l’inculper, voir R. v. Rushton; R. v. Sweezey; R. v. Spencer, précité; R. v. Armstrong. De telles déclarations de l’accusé ne sont en aucune façon exemptées de la règle, savoir que la preuve de leur caractère volontaire doit être faite avant qu’on puisse les admettre. Je me rallie à ce que disait le juge Martin dans R. v. Sweezey, à la p. 413:
[TRADUCTION] Je conclus que la règle concernant le caractère volontaire ne se limite pas aux déclarations faites par une personne en détention, inculpée ou sur le point de l’être. Je suis donc d’avis qu’il faut établir le caractère volontaire d’une déclaration faite à un policier pendant l’enquête sur une infraction possible avant que cette déclaration soit recevable au procès de la personne qui l’a faite. L’expression «déclaration d’un accusé» (utilisée par lord Sumner dans l’arrêt Ibrahim v. The King, [1914] A.C. 599) vise, à mon avis, toute déclaration faite par une personne qui est accusée dans une affaire criminelle lorsqu’on veut produire ladite déclaration et non pas les seules déclarations faites par cette personne après sa mise en accusation.
Comme le disait le juge Idington dans un arrêt de cette Cour, Prosko c. Le Roi, précité, à la p. 234:
[TRADUCTION] Il faut se garder de l’influence exercée par les policiers en service et non des circonstances accessoires de l’arrestation et des conséquences qu’elle peut avoir sur l’esprit de l’accusé.
La règle concernant le caractère volontaire doit recevoir une application large et générale. Elle s’applique tout autant aux déclarations faites pendant l’enquête qu’aux déclarations faites pendant la détention de l’accusé. La procédure ne diffère pas selon le moment auquel la déclaration est faite. L’application d’une telle distinction serait fertile en difficultés. Le critère est-il subjectif ou objectif? Comment délimiter l’enquête, le repérage, la détention et l’arrestation lorsqu’ils constituent une succession rapide d’événements? Des considérations d’ordre pratique justifient également le rejet de cette distinction. Les possibilités d’abus par le moyen d’arrestations tardives sont évidentes. Je ferai remarquer que même les arrêts qui appuient une règle spéciale pour les déclarations faites lors de l’enquête exigent généralement un voir dire lorsque l’avocat conteste expressément l’admissibilité des déclarations, comme il l’a fait en l’espèce: voir R. v. Sweezey, précité, à la p. 417.
lundi 9 mai 2011
La preuve d'identification
Ragab c. R., 2011 QCCS 2000 (CanLII)
[32] Dans l'arrêt R. c. Beaulieu, 2007 QCCA 402 (CanLII), 2007 QCCA 402, le juge Chamberland rappelait encore la fragilité de la preuve d'identification fondée sur des témoignages:
[42] Les erreurs d'identification visuelle sont possibles; le témoin le mieux intentionné et le plus honnête peut se tromper quand il s'agit pour lui d'identifier un agresseur dont il n'a souvent eu que quelques secondes pour remarquer les traits du visage, souvent dans un moment de grande tension. Les tribunaux canadiens reconnaissent depuis longtemps la fragilité inhérente de toute preuve de reconnaissance visuelle par les témoins.
[44] Les erreurs d'identification ont été la cause de plusieurs erreurs judiciaires par suite de la condamnation injustifiée de personnes qu'un ou plusieurs témoins de bonne foi avaient identifiées par erreur.
[45] Plusieurs commissions d'enquête, groupes de travail et universitaires se sont penchés sur la question et ont fait des recommandations visant à préserver l'intégrité, la qualité et la fiabilité des preuves d'identification en réduisant le risque que des influences externes ne les contaminent, même par accident.
[33] En cette matière, la jurisprudence exige une motivation adéquate de la décision afin de comprendre que le juge des faits a dûment pris acte des écueils relativement à l'identification et de la preuve pertinente à cet égard. Lorsque la preuve de la poursuite dépend largement sur la preuve d'identification, le juge doit démontrer qu'il avait à l'esprit les difficultés inhérentes à la preuve d'identification lorsqu'il l'analyse.
[34] Sans vouloir prétendre qu'il s'agit de la liste exhaustive des considérations pertinentes, je crois opportun de rappeler ce que la Cour d'appel de la Saskatchewan a écrit dans l'arrêt
R. c. Bigsky 2006 SKCA 145 (CanLII), (2007), 217 C.C.C. (3d) 441, au paragraphe 41:
In the judge-alone cases, when a court of appeal will intervene depends on a variety of factors: (i) whether the trial judge can be taken to have instructed himself or herself regarding the frailties of eyewitness testimony and the need to test its reliability; (ii) the extent to which the trial judge has reviewed the evidence with such an instruction in mind; (iii) the extent to which proof of the Crown's case depends on the eyewitness's testimony or, in other words, the presence or absence of other evidence that can be considered in determining whether a court of appeal should intervene; (iv) the nature of the eyewitness observation including such matters as whether the eyewitness had previously known the accused and the length and quality of the observation; and (v) whether there is other evidence which may tend to make the evidence unreliable, i.e., the witness's evidence has been strengthened by inappropriate police or other procedures between the time of the eyewitness observation and the time of testimony.
[32] Dans l'arrêt R. c. Beaulieu, 2007 QCCA 402 (CanLII), 2007 QCCA 402, le juge Chamberland rappelait encore la fragilité de la preuve d'identification fondée sur des témoignages:
[42] Les erreurs d'identification visuelle sont possibles; le témoin le mieux intentionné et le plus honnête peut se tromper quand il s'agit pour lui d'identifier un agresseur dont il n'a souvent eu que quelques secondes pour remarquer les traits du visage, souvent dans un moment de grande tension. Les tribunaux canadiens reconnaissent depuis longtemps la fragilité inhérente de toute preuve de reconnaissance visuelle par les témoins.
[44] Les erreurs d'identification ont été la cause de plusieurs erreurs judiciaires par suite de la condamnation injustifiée de personnes qu'un ou plusieurs témoins de bonne foi avaient identifiées par erreur.
[45] Plusieurs commissions d'enquête, groupes de travail et universitaires se sont penchés sur la question et ont fait des recommandations visant à préserver l'intégrité, la qualité et la fiabilité des preuves d'identification en réduisant le risque que des influences externes ne les contaminent, même par accident.
[33] En cette matière, la jurisprudence exige une motivation adéquate de la décision afin de comprendre que le juge des faits a dûment pris acte des écueils relativement à l'identification et de la preuve pertinente à cet égard. Lorsque la preuve de la poursuite dépend largement sur la preuve d'identification, le juge doit démontrer qu'il avait à l'esprit les difficultés inhérentes à la preuve d'identification lorsqu'il l'analyse.
[34] Sans vouloir prétendre qu'il s'agit de la liste exhaustive des considérations pertinentes, je crois opportun de rappeler ce que la Cour d'appel de la Saskatchewan a écrit dans l'arrêt
R. c. Bigsky 2006 SKCA 145 (CanLII), (2007), 217 C.C.C. (3d) 441, au paragraphe 41:
In the judge-alone cases, when a court of appeal will intervene depends on a variety of factors: (i) whether the trial judge can be taken to have instructed himself or herself regarding the frailties of eyewitness testimony and the need to test its reliability; (ii) the extent to which the trial judge has reviewed the evidence with such an instruction in mind; (iii) the extent to which proof of the Crown's case depends on the eyewitness's testimony or, in other words, the presence or absence of other evidence that can be considered in determining whether a court of appeal should intervene; (iv) the nature of the eyewitness observation including such matters as whether the eyewitness had previously known the accused and the length and quality of the observation; and (v) whether there is other evidence which may tend to make the evidence unreliable, i.e., the witness's evidence has been strengthened by inappropriate police or other procedures between the time of the eyewitness observation and the time of testimony.
mardi 3 mai 2011
La preuve du comportement postérieur à l'infraction
Robert c. R., 2011 QCCA 703 (CanLII)
[52] Il est acquis que le juge du procès doit donner des directives appropriées au jury sur le comportement postérieur à l'infraction d'un accusé pour éviter que le jury puisse être induit en erreur. Dans R. c. White, la Cour suprême, sous la plume du juge Major, résume ainsi les principes applicables en matière de comportement postérieur à l'infraction :
23. Deux principes ont été énoncés pour dissiper ces craintes. À titre préliminaire, notre Cour a statué, dans l’arrêt Arcangioli, que le jury ne doit pas être autorisé à tenir compte d’un élément de preuve se rapportant au comportement de l’accusé après l’infraction lorsque l’accusé a avoué avoir commis une autre infraction et que cet élément de preuve ne peut logiquement appuyer une conclusion de culpabilité à l’égard d’un de ces crimes, à l’exclusion de l’autre. Il est essentiellement question ici de pertinence et cette règle s’appliquera habituellement dans des circonstances très particulières. De façon plus générale, notre Cour a statué également que lorsqu’est présenté au jury un élément de preuve relatif au comportement de l’accusé après l’infraction, des «directives appropriées» doivent lui être données afin que cet élément ne soit pas mal utilisé: Arcangioli, à la p. 143, et Gudmondson c. The King (1933), 60 C.C.C. 332 (C.S.C.), aux pp. 332 et 333. […]
27. En règle générale, il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable. Il est également du ressort du jury de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve aux fins de rendre ultimement un verdict de culpabilité ou de non‑culpabilité. Dans la plupart des cas, le juge du procès qui s’immisce dans ce processus usurpe le rôle de juge des faits exclusivement dévolu au jury. Par conséquent, une directive selon laquelle un élément de preuve n’a «aucune valeur probante», comme celle exigée dans l’arrêt Arcangioli, ne s’impose que dans certaines circonstances particulières.
[…]
36. […] Une telle mise en garde vise à faire échec à la tendance naturelle des membres d’un jury à s’appuyer sur une preuve de fuite ou de dissimulation pour conclure immédiatement à la culpabilité; elle vise aussi à faire en sorte que les autres explications du comportement de l’accusé soient véritablement prises en considération. Plus particulièrement, le juge du procès doit rappeler au jury qu’il arrive que des gens fuient ou mentent pour des raisons parfaitement innocentes et que même si l’accusé était animé d’un sentiment de culpabilité, celui‑ci pouvait être attribuable à un autre acte coupable que l’infraction pour laquelle il est jugé. Le jury doit être invité à garder à l’esprit ces principes au moment de déterminer quel poids il y a lieu d’accorder à cette preuve, le cas échéant, aux fins de l’appréciation définitive de la culpabilité ou non‑culpabilité.
[53] Plus récemment, dans R. c. Jaw, le juge LeBel réitère la règle :
[39] […] On ne peut généralement se fonder uniquement sur le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction pour inférer le degré particulier de culpabilité d'un accusé qui a admis avoir commis une infraction (R. c. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 129, p. 145; R. c. Marinaro, 1996 CanLII 222 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 462; R. c. Peavoy 1997 CanLII 3028 (ON C.A.), (1997), 34 O.R. (3d) 620 (C.A.), p. 631). Cependant, la preuve de ce comportement peut servir à miner la crédibilité de l'accusé en général (R. c. White, 1998 CanLII 789 (C.S.C.), [1998] 2 R.C.S. 72, par. 26).
[40] Le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction peut également servir à discréditer les moyens de défense relatifs à l'état d'esprit de l'accusé au moment de la perpétration de l'infraction, qui peuvent donc influer sur sa capacité de former l'intention requise pour commettre l'infraction, par exemple le moyen de défense fondé sur l'intoxication (R. c. Pharr, 2007 ONCA 551 (CanLII), 2007 ONCA 551, 227 O.A.C. 112, par. 8-15; Peavoy, p. 630-631) et celui fondé sur la « non-responsabilité criminelle » que l'accusé peut invoquer en vertu de l'art. 16 (R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 42-53). […]
[52] Il est acquis que le juge du procès doit donner des directives appropriées au jury sur le comportement postérieur à l'infraction d'un accusé pour éviter que le jury puisse être induit en erreur. Dans R. c. White, la Cour suprême, sous la plume du juge Major, résume ainsi les principes applicables en matière de comportement postérieur à l'infraction :
23. Deux principes ont été énoncés pour dissiper ces craintes. À titre préliminaire, notre Cour a statué, dans l’arrêt Arcangioli, que le jury ne doit pas être autorisé à tenir compte d’un élément de preuve se rapportant au comportement de l’accusé après l’infraction lorsque l’accusé a avoué avoir commis une autre infraction et que cet élément de preuve ne peut logiquement appuyer une conclusion de culpabilité à l’égard d’un de ces crimes, à l’exclusion de l’autre. Il est essentiellement question ici de pertinence et cette règle s’appliquera habituellement dans des circonstances très particulières. De façon plus générale, notre Cour a statué également que lorsqu’est présenté au jury un élément de preuve relatif au comportement de l’accusé après l’infraction, des «directives appropriées» doivent lui être données afin que cet élément ne soit pas mal utilisé: Arcangioli, à la p. 143, et Gudmondson c. The King (1933), 60 C.C.C. 332 (C.S.C.), aux pp. 332 et 333. […]
27. En règle générale, il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable. Il est également du ressort du jury de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve aux fins de rendre ultimement un verdict de culpabilité ou de non‑culpabilité. Dans la plupart des cas, le juge du procès qui s’immisce dans ce processus usurpe le rôle de juge des faits exclusivement dévolu au jury. Par conséquent, une directive selon laquelle un élément de preuve n’a «aucune valeur probante», comme celle exigée dans l’arrêt Arcangioli, ne s’impose que dans certaines circonstances particulières.
[…]
36. […] Une telle mise en garde vise à faire échec à la tendance naturelle des membres d’un jury à s’appuyer sur une preuve de fuite ou de dissimulation pour conclure immédiatement à la culpabilité; elle vise aussi à faire en sorte que les autres explications du comportement de l’accusé soient véritablement prises en considération. Plus particulièrement, le juge du procès doit rappeler au jury qu’il arrive que des gens fuient ou mentent pour des raisons parfaitement innocentes et que même si l’accusé était animé d’un sentiment de culpabilité, celui‑ci pouvait être attribuable à un autre acte coupable que l’infraction pour laquelle il est jugé. Le jury doit être invité à garder à l’esprit ces principes au moment de déterminer quel poids il y a lieu d’accorder à cette preuve, le cas échéant, aux fins de l’appréciation définitive de la culpabilité ou non‑culpabilité.
[53] Plus récemment, dans R. c. Jaw, le juge LeBel réitère la règle :
[39] […] On ne peut généralement se fonder uniquement sur le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction pour inférer le degré particulier de culpabilité d'un accusé qui a admis avoir commis une infraction (R. c. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 129, p. 145; R. c. Marinaro, 1996 CanLII 222 (C.S.C.), [1996] 1 R.C.S. 462; R. c. Peavoy 1997 CanLII 3028 (ON C.A.), (1997), 34 O.R. (3d) 620 (C.A.), p. 631). Cependant, la preuve de ce comportement peut servir à miner la crédibilité de l'accusé en général (R. c. White, 1998 CanLII 789 (C.S.C.), [1998] 2 R.C.S. 72, par. 26).
[40] Le comportement de l'accusé postérieur à l'infraction peut également servir à discréditer les moyens de défense relatifs à l'état d'esprit de l'accusé au moment de la perpétration de l'infraction, qui peuvent donc influer sur sa capacité de former l'intention requise pour commettre l'infraction, par exemple le moyen de défense fondé sur l'intoxication (R. c. Pharr, 2007 ONCA 551 (CanLII), 2007 ONCA 551, 227 O.A.C. 112, par. 8-15; Peavoy, p. 630-631) et celui fondé sur la « non-responsabilité criminelle » que l'accusé peut invoquer en vertu de l'art. 16 (R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 314, par. 42-53). […]
Le témoignage de l'expert / Les principes et leur application
Robert c. R., 2011 QCCA 703 (CanLII)
[28] Le témoignage d’expert est nécessaire lorsqu’une question exige des connaissances particulières que le juge ou le jury ne possèdent pas. Le témoignage psychiatrique satisfait cette exigence et constitue une preuve d’expert.
[29] Dans l'arrêt Mohan, la Cour suprême, sous la plume du juge Sopinka, abordant le critère de la nécessité du témoignage d'opinion d'un expert pour aider le juge des faits, précise la portée ou les limites de la preuve d'expert sur une question fondamentale (ultimate issue rule) :
Comme la pertinence, analysée précédemment, la nécessité de la preuve est évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits. Comme le lord juge Lawton l'a remarqué dans l'arrêt R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, à la p. 841, qui a été approuvé par lord Wilberforce dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Jordan, [1977] A.C. 699, à la p. 718:
[traduction] «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire. Dans un tel cas, si elle est exprimée dans un jargon scientifique, elle rend la tâche de juger plus difficile. Le seul fait qu'un témoin expert possède des qualifications scientifiques impressionnantes ne signifie pas que son opinion sur les questions de la nature et du comportement humains dans le cadre de la normalité est plus utile que celle des jurés eux‑mêmes; ces derniers risquent toutefois de croire qu'elle l'est.»
La possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches peut souvent être contrecarrée par des directives appropriées.
Il y a également la crainte inhérente à l'application de ce critère que les experts ne puissent usurper les fonctions du juge des faits. Une conception trop libérale pourrait réduire le procès à un simple concours d'experts, dont le juge des faits se ferait l'arbitre en décidant quel expert accepter.
Ces préoccupations sont le fondement de la règle d'exclusion de la preuve d'expert relativement à une question fondamentale. Bien que la règle ne soit plus d'application générale, les préoccupations qui la sous‑tendent demeurent. En raison de ces préoccupations, les critères de pertinence et de nécessité sont à l'occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d'expert sur une question fondamentale. La preuve d'expert sur la crédibilité ou la justification a été exclue pour ce motif. Voir l'arrêt R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223, les motifs du juge McLachlin.
[36] Le témoin expert jouit nécessairement d’une influence auprès du jury. Son expertise pointue dans un domaine d’expertise souvent inconnu des jurés suscite généralement un grand intérêt chez ces derniers. Lorsqu’il témoigne de son expertise, le poids accordé à son témoignage ne risque pas, a priori du moins, de créer une distorsion ou un déséquilibre, d’autant que son point de vue technique, médical ou scientifique par rapport aux faits de la cause peut être objet d’une preuve contradictoire. Cependant, lorsque l’expert donne son interprétation des faits, s’exprime sur la crédibilité des témoins ou qu’il tire des inférences de la preuve, sans connotation avec son domaine d’expertise, le risque de causer un préjudice à l’accusé est réel. Une mise en garde spécifique du juge au jury est alors requise pour rétablir l’équilibre. C’est ce qui devait être fait ici et qui ne l’a pas été.
[43] Ces mises en garde générales sont insuffisantes en l'espèce. Un expert ne peut généralement pas témoigner sur des questions qui ne relèvent pas de son expertise. Or, comme le témoignage de l'expert Faucher outrepassait sa mission, s'écartait de l'objet médical et scientifique de son opinion et risquait de causer préjudice à l'appelant, le juge devait formuler une mise en garde particulière pour éviter que le jury ne soit indûment influencé par son témoignage sur des sujets qui débordaient le cadre de son expertise psychiatrique. L’expert a abondamment commenté la preuve et remis en question la crédibilité du témoignage de l’accusé, sans égard à son champ d’expertise. En pareil cas, des directives au jury sont nécessaires, comme la Cour suprême l'a décidé dans l'arrêt R. c. Marquard :
Si importante que puisse être la qualification initiale d'un expert, il serait excessivement formaliste de rejeter le témoignage d'expert pour la simple raison que le témoin se permet de donner une opinion qui s'étend au-delà du domaine d'expertise pour lequel il a été qualifié. En pratique, il appartient à l'avocat de la partie adverse de faire objection si le témoin sort des limites de son expertise. L'objection peut être soulevée à l'étape de la qualification initiale ou au cours de la déposition du témoin s'il devient évident que ce dernier outrepasse le domaine pour lequel il a été reconnu qualifié pour donner une opinion d'expert. En l'absence d'objection, l'omission technique de qualifier un témoin qui possède manifestement l'expertise dans le domaine en question ne signifie pas automatiquement que son témoignage doit être écarté. Toutefois, s'il n'est pas démontré que le témoin possède une expertise lui permettant de témoigner dans le domaine en cause, il ne faut pas tenir compte de son témoignage et le jury doit recevoir des directives à cet effet.
[44] Dans cet arrêt, la Cour suprême confirme que l'évaluation de la crédibilité relève du juge ou du jury (et non d'un témoin expert), mais que, dans certains cas, le témoignage d'expert peut être admissible pour expliquer le comportement humain :
Le juge ou jury qui se contente d'accepter une opinion d'expert sur la crédibilité d'un témoin ne respecterait pas son devoir d'établir lui-même la crédibilité du témoin. La crédibilité doit toujours être le résultat de l'opinion du juge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son intuition à l'égard de l'affaire: voir R. c. B. (G.) 1988 CanLII 208 (SK C.A.), (1988), 65 Sask. R. 134 (C.A.), à la p. 149, par le juge Wakeling, confirmé par 1990 CanLII 115 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 3. La question de la crédibilité relève de la compétence des profanes. Les gens ordinaires jugent quotidiennement si une personne ment ou dit la vérité. L'expert qui témoigne sur la crédibilité n'est pas tenu par la lourde tâche du juge ou du juré. De plus, il se peut que l'opinion de l'expert repose sur des éléments qui ne font pas partie de la preuve en vertu de laquelle le juge et le juré sont tenus de rendre un juste verdict. Enfin, la crédibilité est un problème notoirement complexe, et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés. Toutes ces considérations ont donné naissance à la sage politique en droit qui consiste à rejeter le témoignage d'expert sur la sincérité des témoins.
En revanche, il se peut que certaines parties de la déposition d'un témoin dépassent la capacité d'un profane de comprendre, et justifient donc le recours au témoignage d'expert. C'est le cas en particulier pour les témoignages d'enfants. Par exemple, dans le cas d'un enfant qui omet de se plaindre sans tarder d'une agression sexuelle, on pourrait ordinairement conclure que l'enfant invente un récit après coup, poussé par la malice ou un autre stratagème calculé. Des témoignages d'experts ont été à bon droit présentés pour expliquer pourquoi il arrive fréquemment que de jeunes victimes d'agression sexuelle ne portent pas plainte immédiatement. Ces témoignages sont utiles et peuvent même être essentiels à un juste verdict.
Pour cette raison, il est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au‑delà de l'expérience ordinaire du juge des faits. […]
Si le Dr Mian avait limité ses commentaires à un témoignage d'expert expliquant la raison pour laquelle des enfants peuvent mentir au personnel hospitalier sur la cause de leurs blessures, on n'aurait pu soulever aucune objection à son témoignage. Elle était expert en comportement infantile, et on peut soutenir que le témoignage était nécessaire à un jury profane pour comprendre pleinement les implications de la modification du récit par le témoin. Toutefois, le Dr Mian est allée plus loin. Elle a clairement indiqué qu'elle ne croyait personnellement pas la première version de l'enfant, préférant la deuxième, relatée au procès. En faisant cela, elle a franchi la ligne de démarcation entre le témoignage d'expert sur le comportement humain et l'appréciation de la crédibilité du témoin lui‑même. En outre, le juge du procès n'a pas indiqué au jury qu'il était de son devoir de déterminer la crédibilité de l'enfant sans être indûment influencé par le témoignage d'expert. En fait, la déclaration du juge du procès que le Dr Mian a [traduction] «témoigné à titre d'expert en enfance maltraitée et sur la véracité du témoignage de jeunes enfants», a renforcé l'effet du témoignage inadmissible.
À mon avis, cette erreur, considérée avec d'autres, exige la tenue d'un nouveau procès.
[45] La Cour, dans l'arrêt Demers c. R., sous la plume du juge Michel Proulx, a précisé qu’un expert ne peut généralement pas témoigner sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné à son procès:
Mais il y a plus. Au cours de son témoignage, l'expert s'en est pris maintes fois à la crédibilité de l'appelant comme témoin dans sa défense. L'avocat de l'appelant s'est objecté mais la juge a rejeté les objections. Voici quelques exemples de ce type d'intervention.
[…]
Comme cette Cour en a conclu dans les arrêts Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988), 62 C.R. (3d) 127, et plus récemment Gervais Fortin c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000297-927, le 25 août 1997 (les juges Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias), il est irrégulier et très préjudiciable à un accusé qu'un expert se prononce de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné en défense. À ce sujet, j'ai écrit ce qui suit dans l'arrêt Fortin:
Déjà en 1988, dans l'arrêt Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988) 62 C.R. (3d) 127, notre Cour avait cassé le verdict d'un jury au motif que le témoin expert de la poursuite (il s'agissait incidemment du même expert) avait outrepassé les limites d'un témoignage d'expert en se prononçant de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui s'était fait entendre au soutien de sa défense fondée sur l'intoxication et l'absence d'intention spécifique de meurtre.
Depuis, la Cour Suprême du Canada, notamment dans les arrêts R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223 et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 656, a rappelé que le droit pénal n'autorise pas le témoignage d'expert sur la sincérité ou la crédibilité des témoins: cette question doit être tranchée par le jury. Comme la juge McLachlin l'a affirmé dans Marquard, la crédibilité demeure un problème notoirement complexe et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés.
Pour ces deux motifs reliés au témoignage du Dr Wolwertz, je conclus également que cette erreur a causé un tort irréparable à l'appelant et qu'un nouveau procès doit être ordonné.
[46] Si, dans certaines circonstances, le témoignage de l'expert peut être admis pour expliquer le comportement humain de l'accusé, encore faut-il que le comportement humain dont il est question requière le témoignage d'un expert. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
[47] À titre indicatif, un exemple jurisprudentiel d’une situation d’exception est le cas de l'arrêt de la Cour suprême dans Lavallee, où l'accusée, une femme battue qui a tué son conjoint de fait, tard une nuit, en l’atteignant à la partie postérieure de la tête, alors qu’il quittait sa chambre, plaidait la légitime défense. Invoquant, dans cette affaire, le syndrome de la femme battue, la preuve de l'expert sert à expliquer le comportement de l'accusée, qui autrement, pourrait paraître incompréhensible, à savoir que si elle ne s'est pas sauvée, c'est qu'elle avait trop peur de son conjoint, et non qu'elle ne le craignait pas. Cette preuve a été, dans ce contexte particulier, jugée pertinente et admissible.
[48] Il en va autrement dans le cas présent lorsque l'expert plaide, à l’occasion, plus qu'il ne témoigne, sur quelque chose que le profane peut comprendre. Il abandonne ainsi son rôle d'expert et son témoignage à cet égard requérait, à tout le moins, une mise en garde précise pour s'assurer que le jury ne donne pas de poids à son témoignage sur les faits et sur la crédibilité de l’accusé lorsqu’ils n’ont aucun lien avec son domaine d’expertise. Il revenait plutôt à l'avocat du ministère public, et non à son expert, de plaider sur ces questions qui relevaient de l'appréciation de la preuve et de la crédibilité de l'appelant.
[28] Le témoignage d’expert est nécessaire lorsqu’une question exige des connaissances particulières que le juge ou le jury ne possèdent pas. Le témoignage psychiatrique satisfait cette exigence et constitue une preuve d’expert.
[29] Dans l'arrêt Mohan, la Cour suprême, sous la plume du juge Sopinka, abordant le critère de la nécessité du témoignage d'opinion d'un expert pour aider le juge des faits, précise la portée ou les limites de la preuve d'expert sur une question fondamentale (ultimate issue rule) :
Comme la pertinence, analysée précédemment, la nécessité de la preuve est évaluée à la lumière de la possibilité qu'elle fausse le processus de recherche des faits. Comme le lord juge Lawton l'a remarqué dans l'arrêt R. c. Turner, [1975] Q.B. 834, à la p. 841, qui a été approuvé par lord Wilberforce dans l'arrêt Director of Public Prosecutions c. Jordan, [1977] A.C. 699, à la p. 718:
[traduction] «L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire. Dans un tel cas, si elle est exprimée dans un jargon scientifique, elle rend la tâche de juger plus difficile. Le seul fait qu'un témoin expert possède des qualifications scientifiques impressionnantes ne signifie pas que son opinion sur les questions de la nature et du comportement humains dans le cadre de la normalité est plus utile que celle des jurés eux‑mêmes; ces derniers risquent toutefois de croire qu'elle l'est.»
La possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches peut souvent être contrecarrée par des directives appropriées.
Il y a également la crainte inhérente à l'application de ce critère que les experts ne puissent usurper les fonctions du juge des faits. Une conception trop libérale pourrait réduire le procès à un simple concours d'experts, dont le juge des faits se ferait l'arbitre en décidant quel expert accepter.
Ces préoccupations sont le fondement de la règle d'exclusion de la preuve d'expert relativement à une question fondamentale. Bien que la règle ne soit plus d'application générale, les préoccupations qui la sous‑tendent demeurent. En raison de ces préoccupations, les critères de pertinence et de nécessité sont à l'occasion appliqués strictement pour exclure la preuve d'expert sur une question fondamentale. La preuve d'expert sur la crédibilité ou la justification a été exclue pour ce motif. Voir l'arrêt R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223, les motifs du juge McLachlin.
[36] Le témoin expert jouit nécessairement d’une influence auprès du jury. Son expertise pointue dans un domaine d’expertise souvent inconnu des jurés suscite généralement un grand intérêt chez ces derniers. Lorsqu’il témoigne de son expertise, le poids accordé à son témoignage ne risque pas, a priori du moins, de créer une distorsion ou un déséquilibre, d’autant que son point de vue technique, médical ou scientifique par rapport aux faits de la cause peut être objet d’une preuve contradictoire. Cependant, lorsque l’expert donne son interprétation des faits, s’exprime sur la crédibilité des témoins ou qu’il tire des inférences de la preuve, sans connotation avec son domaine d’expertise, le risque de causer un préjudice à l’accusé est réel. Une mise en garde spécifique du juge au jury est alors requise pour rétablir l’équilibre. C’est ce qui devait être fait ici et qui ne l’a pas été.
[43] Ces mises en garde générales sont insuffisantes en l'espèce. Un expert ne peut généralement pas témoigner sur des questions qui ne relèvent pas de son expertise. Or, comme le témoignage de l'expert Faucher outrepassait sa mission, s'écartait de l'objet médical et scientifique de son opinion et risquait de causer préjudice à l'appelant, le juge devait formuler une mise en garde particulière pour éviter que le jury ne soit indûment influencé par son témoignage sur des sujets qui débordaient le cadre de son expertise psychiatrique. L’expert a abondamment commenté la preuve et remis en question la crédibilité du témoignage de l’accusé, sans égard à son champ d’expertise. En pareil cas, des directives au jury sont nécessaires, comme la Cour suprême l'a décidé dans l'arrêt R. c. Marquard :
Si importante que puisse être la qualification initiale d'un expert, il serait excessivement formaliste de rejeter le témoignage d'expert pour la simple raison que le témoin se permet de donner une opinion qui s'étend au-delà du domaine d'expertise pour lequel il a été qualifié. En pratique, il appartient à l'avocat de la partie adverse de faire objection si le témoin sort des limites de son expertise. L'objection peut être soulevée à l'étape de la qualification initiale ou au cours de la déposition du témoin s'il devient évident que ce dernier outrepasse le domaine pour lequel il a été reconnu qualifié pour donner une opinion d'expert. En l'absence d'objection, l'omission technique de qualifier un témoin qui possède manifestement l'expertise dans le domaine en question ne signifie pas automatiquement que son témoignage doit être écarté. Toutefois, s'il n'est pas démontré que le témoin possède une expertise lui permettant de témoigner dans le domaine en cause, il ne faut pas tenir compte de son témoignage et le jury doit recevoir des directives à cet effet.
[44] Dans cet arrêt, la Cour suprême confirme que l'évaluation de la crédibilité relève du juge ou du jury (et non d'un témoin expert), mais que, dans certains cas, le témoignage d'expert peut être admissible pour expliquer le comportement humain :
Le juge ou jury qui se contente d'accepter une opinion d'expert sur la crédibilité d'un témoin ne respecterait pas son devoir d'établir lui-même la crédibilité du témoin. La crédibilité doit toujours être le résultat de l'opinion du juge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son intuition à l'égard de l'affaire: voir R. c. B. (G.) 1988 CanLII 208 (SK C.A.), (1988), 65 Sask. R. 134 (C.A.), à la p. 149, par le juge Wakeling, confirmé par 1990 CanLII 115 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 3. La question de la crédibilité relève de la compétence des profanes. Les gens ordinaires jugent quotidiennement si une personne ment ou dit la vérité. L'expert qui témoigne sur la crédibilité n'est pas tenu par la lourde tâche du juge ou du juré. De plus, il se peut que l'opinion de l'expert repose sur des éléments qui ne font pas partie de la preuve en vertu de laquelle le juge et le juré sont tenus de rendre un juste verdict. Enfin, la crédibilité est un problème notoirement complexe, et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés. Toutes ces considérations ont donné naissance à la sage politique en droit qui consiste à rejeter le témoignage d'expert sur la sincérité des témoins.
En revanche, il se peut que certaines parties de la déposition d'un témoin dépassent la capacité d'un profane de comprendre, et justifient donc le recours au témoignage d'expert. C'est le cas en particulier pour les témoignages d'enfants. Par exemple, dans le cas d'un enfant qui omet de se plaindre sans tarder d'une agression sexuelle, on pourrait ordinairement conclure que l'enfant invente un récit après coup, poussé par la malice ou un autre stratagème calculé. Des témoignages d'experts ont été à bon droit présentés pour expliquer pourquoi il arrive fréquemment que de jeunes victimes d'agression sexuelle ne portent pas plainte immédiatement. Ces témoignages sont utiles et peuvent même être essentiels à un juste verdict.
Pour cette raison, il est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au‑delà de l'expérience ordinaire du juge des faits. […]
Si le Dr Mian avait limité ses commentaires à un témoignage d'expert expliquant la raison pour laquelle des enfants peuvent mentir au personnel hospitalier sur la cause de leurs blessures, on n'aurait pu soulever aucune objection à son témoignage. Elle était expert en comportement infantile, et on peut soutenir que le témoignage était nécessaire à un jury profane pour comprendre pleinement les implications de la modification du récit par le témoin. Toutefois, le Dr Mian est allée plus loin. Elle a clairement indiqué qu'elle ne croyait personnellement pas la première version de l'enfant, préférant la deuxième, relatée au procès. En faisant cela, elle a franchi la ligne de démarcation entre le témoignage d'expert sur le comportement humain et l'appréciation de la crédibilité du témoin lui‑même. En outre, le juge du procès n'a pas indiqué au jury qu'il était de son devoir de déterminer la crédibilité de l'enfant sans être indûment influencé par le témoignage d'expert. En fait, la déclaration du juge du procès que le Dr Mian a [traduction] «témoigné à titre d'expert en enfance maltraitée et sur la véracité du témoignage de jeunes enfants», a renforcé l'effet du témoignage inadmissible.
À mon avis, cette erreur, considérée avec d'autres, exige la tenue d'un nouveau procès.
[45] La Cour, dans l'arrêt Demers c. R., sous la plume du juge Michel Proulx, a précisé qu’un expert ne peut généralement pas témoigner sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné à son procès:
Mais il y a plus. Au cours de son témoignage, l'expert s'en est pris maintes fois à la crédibilité de l'appelant comme témoin dans sa défense. L'avocat de l'appelant s'est objecté mais la juge a rejeté les objections. Voici quelques exemples de ce type d'intervention.
[…]
Comme cette Cour en a conclu dans les arrêts Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988), 62 C.R. (3d) 127, et plus récemment Gervais Fortin c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000297-927, le 25 août 1997 (les juges Proulx, Rousseau-Houle et Zerbisias), il est irrégulier et très préjudiciable à un accusé qu'un expert se prononce de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui a témoigné en défense. À ce sujet, j'ai écrit ce qui suit dans l'arrêt Fortin:
Déjà en 1988, dans l'arrêt Roy v. R. 1988 CanLII 308 (QC C.A.), (1988) 62 C.R. (3d) 127, notre Cour avait cassé le verdict d'un jury au motif que le témoin expert de la poursuite (il s'agissait incidemment du même expert) avait outrepassé les limites d'un témoignage d'expert en se prononçant de façon expresse sur la crédibilité de l'accusé qui s'était fait entendre au soutien de sa défense fondée sur l'intoxication et l'absence d'intention spécifique de meurtre.
Depuis, la Cour Suprême du Canada, notamment dans les arrêts R. c. Marquard, 1993 CanLII 37 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 223 et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (C.S.C.), [1994] 1 R.C.S. 656, a rappelé que le droit pénal n'autorise pas le témoignage d'expert sur la sincérité ou la crédibilité des témoins: cette question doit être tranchée par le jury. Comme la juge McLachlin l'a affirmé dans Marquard, la crédibilité demeure un problème notoirement complexe et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés.
Pour ces deux motifs reliés au témoignage du Dr Wolwertz, je conclus également que cette erreur a causé un tort irréparable à l'appelant et qu'un nouveau procès doit être ordonné.
[46] Si, dans certaines circonstances, le témoignage de l'expert peut être admis pour expliquer le comportement humain de l'accusé, encore faut-il que le comportement humain dont il est question requière le témoignage d'un expert. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
[47] À titre indicatif, un exemple jurisprudentiel d’une situation d’exception est le cas de l'arrêt de la Cour suprême dans Lavallee, où l'accusée, une femme battue qui a tué son conjoint de fait, tard une nuit, en l’atteignant à la partie postérieure de la tête, alors qu’il quittait sa chambre, plaidait la légitime défense. Invoquant, dans cette affaire, le syndrome de la femme battue, la preuve de l'expert sert à expliquer le comportement de l'accusée, qui autrement, pourrait paraître incompréhensible, à savoir que si elle ne s'est pas sauvée, c'est qu'elle avait trop peur de son conjoint, et non qu'elle ne le craignait pas. Cette preuve a été, dans ce contexte particulier, jugée pertinente et admissible.
[48] Il en va autrement dans le cas présent lorsque l'expert plaide, à l’occasion, plus qu'il ne témoigne, sur quelque chose que le profane peut comprendre. Il abandonne ainsi son rôle d'expert et son témoignage à cet égard requérait, à tout le moins, une mise en garde précise pour s'assurer que le jury ne donne pas de poids à son témoignage sur les faits et sur la crédibilité de l’accusé lorsqu’ils n’ont aucun lien avec son domaine d’expertise. Il revenait plutôt à l'avocat du ministère public, et non à son expert, de plaider sur ces questions qui relevaient de l'appréciation de la preuve et de la crédibilité de l'appelant.
La distinction entre l'affaiblissement des capacités en générale et l'affaiblissement des capacités de conduire
R. c. Guillemette, 2011 QCCS 1964 (CanLII)
[15] Dans son mémoire, l'appelante énonce la question en litige : les facultés de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool? Or, avec égards, cette question est imparfaite. Par contre, le juge ne se méprend pas sur la question essentielle qu'il doit résoudre. Dans sa décision, le juge fait référence au véritable test applicable — et il a raison — qui est: les facultés de conduire de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool?
[16] En effet, notre Cour d'appel dans les arrêts R. c. Guibord, [1998] J.Q. no 564 au par. 11 et R. c. Laprise [1996] J.Q. no 3950, a reconnu l'application des principes énoncés par l'arrêt R. c. Stellato 1994 CanLII 94 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 478 de la Cour suprême, tels qu'appliqués par l'arrêt c. Andrews, 1996 CanLII 6628 (AB C.A.), (1996), 104 C.C.C. (3d) 392, rendu peu après par la Cour d'appel de l'Alberta.
[17] Dans ce dernier arrêt, d'ailleurs mentionné par le premier juge, la Cour fait la distinction entre l'affaiblissement des capacités en générale et l'affaiblissement des capacités de conduire. Le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'habileté de conduire de l'accusé est affaiblie légèrement par l'alcool ou une drogue conformément à l'arrêt R. c. Stellato, précité, la question n'étant pas de savoir si l'habileté générale d'une personne est affaiblie.
[18] Dans l'arrêt R. c. Andrews, précité, la Cour écrit aux pp. 399 et 402:
This case turns upon the meaning of the words in s.253(b) of the Criminal Code, "while the person's ability to operate the vehicle ... is impaired by alcohol". The trial judge felt that the Stellato decision meant that "slight impairment by the accused at the particular time" was sufficient for a conviction. In applying this as the legal test, he made a critical error. He failed to focus the issue upon the question of whether Mr. Andrews' ability to operate a motor vehicle was impaired.
The courts must not fail to recognize the fine but crucial distinction between "slight impairment" generally, and "slight impairment of one's ability to operate a motor vehicle". Every time a person has a drink, his or her ability to drive is not necessarily impaired. It may well be that one drink would impair one's ability to do brain surgery, or one's ability to thread a needle. The question is not whether the individual's functional ability is impaired to any degree. The question is whether the person's ability to drive is impaired to any degree by alcohol or a drug. In considering this question, judges must be careful not to assume that, where a person's functional ability is affected in some respects by consumption of alcohol, his or her ability to drive is also automatically impaired.
Impairment is a question of fact which can be proven in different ways. On occasion, proof may consist of expert evidence, coupled with proof of the amount consumed. The driving pattern, or the deviation in conduct, may be unnecessary to prove impairment. More frequently, as suggested by Sissons C.J.D.C. in McKenzie, [1955] A.J. No. 38 proof consists of observations of conduct. Where the evidence indicates that an accused's ability to walk, talk, and perform basic tests of manual dexterity was impaired by alcohol, the logical inference may be drawn that the accused's ability to drive was also impaired. In most cases, if the conduct of the accused was a slight departure from normal conduct, it would be unsafe to conclude, beyond a reasonable doubt, that his or her ability to drive was impaired by alcohol. Put another way, as was done in Stellato, the conduct observed must satisfy the trier of fact beyond a reasonable doubt that the ability to drive was impaired to some degree by alcohol. McKenzie does not state a rule of law. It suggests a reasonable, common sense approach to the assessment of evidence necessary for proof....
[21] D'ailleurs, les propos du juge Fish alors à la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt R. c. Newman 1995 CanLII 5458 (QC C.A.), (1995) 99 C.C.C. (3d) 275 aux pages 279 et 280, sont à-propos:
The trial in this case was a straightforward affair. No complex question, either of fact or of law, had been raised in argument by either side. There was no dispute as to the constituent elements of the offences charged. The issues were clearly delineated and the outcome depended solely on the judge's appreciation of the evidence.
On the second count, a conviction would lie only if the trial judge was satisfied that the accused's ability to drive was in fact impaired. Proof of bad driving was neither required nor decisive: … Intoxication and impairment were questions of fact to be determined by the trier of fact: … Any degree of impairment was sufficient …. but mere evidence of consumption of alcohol or a drug was not.
[15] Dans son mémoire, l'appelante énonce la question en litige : les facultés de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool? Or, avec égards, cette question est imparfaite. Par contre, le juge ne se méprend pas sur la question essentielle qu'il doit résoudre. Dans sa décision, le juge fait référence au véritable test applicable — et il a raison — qui est: les facultés de conduire de l'intimé étaient-elles affaiblies un tant soit peu par l'alcool?
[16] En effet, notre Cour d'appel dans les arrêts R. c. Guibord, [1998] J.Q. no 564 au par. 11 et R. c. Laprise [1996] J.Q. no 3950, a reconnu l'application des principes énoncés par l'arrêt R. c. Stellato 1994 CanLII 94 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 478 de la Cour suprême, tels qu'appliqués par l'arrêt c. Andrews, 1996 CanLII 6628 (AB C.A.), (1996), 104 C.C.C. (3d) 392, rendu peu après par la Cour d'appel de l'Alberta.
[17] Dans ce dernier arrêt, d'ailleurs mentionné par le premier juge, la Cour fait la distinction entre l'affaiblissement des capacités en générale et l'affaiblissement des capacités de conduire. Le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que l'habileté de conduire de l'accusé est affaiblie légèrement par l'alcool ou une drogue conformément à l'arrêt R. c. Stellato, précité, la question n'étant pas de savoir si l'habileté générale d'une personne est affaiblie.
[18] Dans l'arrêt R. c. Andrews, précité, la Cour écrit aux pp. 399 et 402:
This case turns upon the meaning of the words in s.253(b) of the Criminal Code, "while the person's ability to operate the vehicle ... is impaired by alcohol". The trial judge felt that the Stellato decision meant that "slight impairment by the accused at the particular time" was sufficient for a conviction. In applying this as the legal test, he made a critical error. He failed to focus the issue upon the question of whether Mr. Andrews' ability to operate a motor vehicle was impaired.
The courts must not fail to recognize the fine but crucial distinction between "slight impairment" generally, and "slight impairment of one's ability to operate a motor vehicle". Every time a person has a drink, his or her ability to drive is not necessarily impaired. It may well be that one drink would impair one's ability to do brain surgery, or one's ability to thread a needle. The question is not whether the individual's functional ability is impaired to any degree. The question is whether the person's ability to drive is impaired to any degree by alcohol or a drug. In considering this question, judges must be careful not to assume that, where a person's functional ability is affected in some respects by consumption of alcohol, his or her ability to drive is also automatically impaired.
Impairment is a question of fact which can be proven in different ways. On occasion, proof may consist of expert evidence, coupled with proof of the amount consumed. The driving pattern, or the deviation in conduct, may be unnecessary to prove impairment. More frequently, as suggested by Sissons C.J.D.C. in McKenzie, [1955] A.J. No. 38 proof consists of observations of conduct. Where the evidence indicates that an accused's ability to walk, talk, and perform basic tests of manual dexterity was impaired by alcohol, the logical inference may be drawn that the accused's ability to drive was also impaired. In most cases, if the conduct of the accused was a slight departure from normal conduct, it would be unsafe to conclude, beyond a reasonable doubt, that his or her ability to drive was impaired by alcohol. Put another way, as was done in Stellato, the conduct observed must satisfy the trier of fact beyond a reasonable doubt that the ability to drive was impaired to some degree by alcohol. McKenzie does not state a rule of law. It suggests a reasonable, common sense approach to the assessment of evidence necessary for proof....
[21] D'ailleurs, les propos du juge Fish alors à la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt R. c. Newman 1995 CanLII 5458 (QC C.A.), (1995) 99 C.C.C. (3d) 275 aux pages 279 et 280, sont à-propos:
The trial in this case was a straightforward affair. No complex question, either of fact or of law, had been raised in argument by either side. There was no dispute as to the constituent elements of the offences charged. The issues were clearly delineated and the outcome depended solely on the judge's appreciation of the evidence.
On the second count, a conviction would lie only if the trial judge was satisfied that the accused's ability to drive was in fact impaired. Proof of bad driving was neither required nor decisive: … Intoxication and impairment were questions of fact to be determined by the trier of fact: … Any degree of impairment was sufficient …. but mere evidence of consumption of alcohol or a drug was not.
Le droit relatif en matière de marques de commerce
R. c. Gouin, 2011 QCCQ 3771 (CanLII)
[15] Quant à la notion de marque de commerce, elle n'est pas définie au Code criminel.
[16] Comme l'indique la règle d'interprétation énoncée au paragraphe (4) de l'article (4) du Code criminel, il faut référer aux définitions qui sont contenues à la Loi sur les marques de commerce, chapitre T-13.
[21] Essentiellement, une marque de commerce est donc une marque qu'une personne utilise pour distinguer la marchandise qu'elle fabrique, vend, donne à bail ou loue ou pour distinguer les services qu'elle loue ou exécute de la marchandise fabriquée, vendue, donnée à bail ou louée ou des services loués ou exécutés par des concurrents.
[22] De façon concrète, une marque de commerce peut emprunter diverses formes.
[23] Elle peut être nominale ou verbale, c'est-à-dire prendre la forme d'une lettre, d'une série de lettres, d'un mot, d'une combinaison de mots, du nom d'une personne vivante ou fictive, d'un chiffre ou d'une série de chiffres.
[24] Elle peut aussi prendre une forme figurative, comme lorsqu'il s'agit de dessins, de sceaux, de logos, d'armoiries, de mascottes, de héros de bandes dessinées. Elle peut être constituée aussi d'agencement de couleurs, de motifs ou configurations visuelles particulières. Les emballages, les étiquettes et le façonnement de marchandises peuvent aussi constituer des marques de commerce.
[25] On peut même retrouver des marques de commerce sonores, olfactives ou cinématiques.
[26] L'utilisation ou l'emploi d'une marque distinctive, par la présentation d'un façonnement de marchandises ou de contenants ou d'un mode d'enveloppement ou d'empaquetage distinctif de marchandises est un concept fondamental au droit des marques de commerce.
[29] En somme, on peut dire que la marque de commerce naît et vit par l'usage que l'on en fait ou que l'on projette d'en faire et elle meurt par l'absence d'usage.
[30] Aux termes de l'article 406 du Code criminel, il y a deux façons de contrefaire une marque de commerce.
[31] Ou bien l'accusé, sans le consentement de son propriétaire, fabrique ou reproduit la marque de commerce de ce propriétaire ou il fait ou reproduit une marque qui ressemble à la marque de commerce du propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur ou alors, deuxièmement, il falsifie de quelque manière que ce soit une marque de commerce authentique.
[32] Le premier cas concerne le fait de fabriquer ou de reproduire la marque de commerce d'une personne ou encore de fabriquer ou de reproduire une marque de commerce ressemblant à la première au point d'être conçue de manière à induire en erreur.
[33] Il faut noter que cette première forme de contrefaçon est légale si le propriétaire de la marque de commerce y consent.
[34] Le deuxième cas concerne la falsification d'une marque de commerce authentique.
[35] Lorsqu'on lit l'article 406 du Code criminel dans son entièreté, il faut nécessairement distinguer la fabrication ou la reproduction d'une marque de commerce ressemblant à une autre marque de commerce au point d'être conçue de manière à induire en erreur de la falsification d'une marque de commerce authentique.
[36] Pourtant lorsqu'une personne fabrique une marque de commerce ressemblante à la marque d'un autre propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur, il est difficile, à première vue, de ne pas conclure à la falsification de la première marque de commerce.
[37] Le Tribunal estime que l'intention du législateur était de distinguer ces deux situations et il a manifesté cette intention en utilisant d'une part les termes de fabrication et de reproduction et d'autre part le terme de falsification et, deuxièmement, en utilisant distinctement les termes marque de commerce et marque de commerce authentique.
[38] Pour comprendre en quoi consiste la falsification d'une marque de commerce, il peut être intéressant de considérer l'ancêtre de l'article 406 du Code criminel actuel qui fut d'abord l'article 486 et ensuite l'article 349.
[40] Cette définition, comme celle de l'actuel article 406 du Code criminel ne sont pas sans rappeler les définitions des mots « faux documents » aux articles 321 et 361 (2) du Code criminel.
[41] Tout comme l'article 406 qui utilise le mot « marque de commerce » en son alinéa (a) et les mots « marque de commerce authentique » à son alinéa (b), l'article 321 du Code criminel, lorsqu'il définit le « faux document », réfère à un « document » qui est donné comme étant fait par une personne et qui ne l'est pas, ou encore d'un « document » faux sous quelque rapport essentiel ou enfin d'un « document » fait par une personne avec l'intention qu'il passe comme étant fait par une personne autre que celui qui l'a vraiment fait.
[44] Certains auteurs ont écrit que le qualificatif « authentique » accolé au mot « marque de commerce » au paragraphe (b) de l'article 406 du Code criminel était superflu et ne changeait rien à l'affaire.
[45] Le Tribunal ne partage pas cette interprétation.
[46] La lecture conjuguée des paragraphes (a) et (b) de l'article 406, le texte de son prédécesseur, l'article 486 de l'ancien Code criminel, le texte des articles 321 et 366 (2) du Code criminel de même que l'interprétation qui en a été donnée par la Cour suprême du Canada à l'arrêt R. c. Gaysek 1971 RCS 888, amènent le Tribunal à conclure que l'actus reus de l'infraction de contrefaçon d'une marque de commerce consiste en deux choses qui sont totalement différentes l'une de l'autre.
[47] La première consiste dans la fabrication ou la reproduction de quelque manière, c'est-à-dire, dans le fait pour une personne de faire, de créer ou de façonner ou, encore de copier, d'imiter une marque de commerce ou une marque qui lui ressemble au point d'être conçue de manière à induire en erreur et ce, sans le consentement du propriétaire de la marque de commerce.
[48] C'est le cas de celui qui fabrique une boisson gazeuse et qui accole sur son produit les mots « Coca-Cola » ou des mots qui y ressemblent au point d'induire en erreur.
[49] C'est essentiellement la fabrication ou la copie d'une marque de commerce sans le consentement du propriétaire.
[50] Le deuxième cas consiste en la falsification, l'altération, l'addition, l'effacement, la rature d'une marque de commerce authentique.
[51] Ce procédé exclut la fabrication ou reproduction de la marque de commerce originale ou d'une marque lui ressemblant au point d'être conçue de manière à induire en erreur.
[52] Elle concerne l'altération d'une marque de commerce authentique.
[53] C'est le cas de celui qui altère, falsifie, efface ou rature la marque de commerce apposée sur des marchandises ou sur des colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, au sens de l'article (4) de la Loi sur les marques de commerce
[15] Quant à la notion de marque de commerce, elle n'est pas définie au Code criminel.
[16] Comme l'indique la règle d'interprétation énoncée au paragraphe (4) de l'article (4) du Code criminel, il faut référer aux définitions qui sont contenues à la Loi sur les marques de commerce, chapitre T-13.
[21] Essentiellement, une marque de commerce est donc une marque qu'une personne utilise pour distinguer la marchandise qu'elle fabrique, vend, donne à bail ou loue ou pour distinguer les services qu'elle loue ou exécute de la marchandise fabriquée, vendue, donnée à bail ou louée ou des services loués ou exécutés par des concurrents.
[22] De façon concrète, une marque de commerce peut emprunter diverses formes.
[23] Elle peut être nominale ou verbale, c'est-à-dire prendre la forme d'une lettre, d'une série de lettres, d'un mot, d'une combinaison de mots, du nom d'une personne vivante ou fictive, d'un chiffre ou d'une série de chiffres.
[24] Elle peut aussi prendre une forme figurative, comme lorsqu'il s'agit de dessins, de sceaux, de logos, d'armoiries, de mascottes, de héros de bandes dessinées. Elle peut être constituée aussi d'agencement de couleurs, de motifs ou configurations visuelles particulières. Les emballages, les étiquettes et le façonnement de marchandises peuvent aussi constituer des marques de commerce.
[25] On peut même retrouver des marques de commerce sonores, olfactives ou cinématiques.
[26] L'utilisation ou l'emploi d'une marque distinctive, par la présentation d'un façonnement de marchandises ou de contenants ou d'un mode d'enveloppement ou d'empaquetage distinctif de marchandises est un concept fondamental au droit des marques de commerce.
[29] En somme, on peut dire que la marque de commerce naît et vit par l'usage que l'on en fait ou que l'on projette d'en faire et elle meurt par l'absence d'usage.
[30] Aux termes de l'article 406 du Code criminel, il y a deux façons de contrefaire une marque de commerce.
[31] Ou bien l'accusé, sans le consentement de son propriétaire, fabrique ou reproduit la marque de commerce de ce propriétaire ou il fait ou reproduit une marque qui ressemble à la marque de commerce du propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur ou alors, deuxièmement, il falsifie de quelque manière que ce soit une marque de commerce authentique.
[32] Le premier cas concerne le fait de fabriquer ou de reproduire la marque de commerce d'une personne ou encore de fabriquer ou de reproduire une marque de commerce ressemblant à la première au point d'être conçue de manière à induire en erreur.
[33] Il faut noter que cette première forme de contrefaçon est légale si le propriétaire de la marque de commerce y consent.
[34] Le deuxième cas concerne la falsification d'une marque de commerce authentique.
[35] Lorsqu'on lit l'article 406 du Code criminel dans son entièreté, il faut nécessairement distinguer la fabrication ou la reproduction d'une marque de commerce ressemblant à une autre marque de commerce au point d'être conçue de manière à induire en erreur de la falsification d'une marque de commerce authentique.
[36] Pourtant lorsqu'une personne fabrique une marque de commerce ressemblante à la marque d'un autre propriétaire au point d'être conçue de manière à induire en erreur, il est difficile, à première vue, de ne pas conclure à la falsification de la première marque de commerce.
[37] Le Tribunal estime que l'intention du législateur était de distinguer ces deux situations et il a manifesté cette intention en utilisant d'une part les termes de fabrication et de reproduction et d'autre part le terme de falsification et, deuxièmement, en utilisant distinctement les termes marque de commerce et marque de commerce authentique.
[38] Pour comprendre en quoi consiste la falsification d'une marque de commerce, il peut être intéressant de considérer l'ancêtre de l'article 406 du Code criminel actuel qui fut d'abord l'article 486 et ensuite l'article 349.
[40] Cette définition, comme celle de l'actuel article 406 du Code criminel ne sont pas sans rappeler les définitions des mots « faux documents » aux articles 321 et 361 (2) du Code criminel.
[41] Tout comme l'article 406 qui utilise le mot « marque de commerce » en son alinéa (a) et les mots « marque de commerce authentique » à son alinéa (b), l'article 321 du Code criminel, lorsqu'il définit le « faux document », réfère à un « document » qui est donné comme étant fait par une personne et qui ne l'est pas, ou encore d'un « document » faux sous quelque rapport essentiel ou enfin d'un « document » fait par une personne avec l'intention qu'il passe comme étant fait par une personne autre que celui qui l'a vraiment fait.
[44] Certains auteurs ont écrit que le qualificatif « authentique » accolé au mot « marque de commerce » au paragraphe (b) de l'article 406 du Code criminel était superflu et ne changeait rien à l'affaire.
[45] Le Tribunal ne partage pas cette interprétation.
[46] La lecture conjuguée des paragraphes (a) et (b) de l'article 406, le texte de son prédécesseur, l'article 486 de l'ancien Code criminel, le texte des articles 321 et 366 (2) du Code criminel de même que l'interprétation qui en a été donnée par la Cour suprême du Canada à l'arrêt R. c. Gaysek 1971 RCS 888, amènent le Tribunal à conclure que l'actus reus de l'infraction de contrefaçon d'une marque de commerce consiste en deux choses qui sont totalement différentes l'une de l'autre.
[47] La première consiste dans la fabrication ou la reproduction de quelque manière, c'est-à-dire, dans le fait pour une personne de faire, de créer ou de façonner ou, encore de copier, d'imiter une marque de commerce ou une marque qui lui ressemble au point d'être conçue de manière à induire en erreur et ce, sans le consentement du propriétaire de la marque de commerce.
[48] C'est le cas de celui qui fabrique une boisson gazeuse et qui accole sur son produit les mots « Coca-Cola » ou des mots qui y ressemblent au point d'induire en erreur.
[49] C'est essentiellement la fabrication ou la copie d'une marque de commerce sans le consentement du propriétaire.
[50] Le deuxième cas consiste en la falsification, l'altération, l'addition, l'effacement, la rature d'une marque de commerce authentique.
[51] Ce procédé exclut la fabrication ou reproduction de la marque de commerce originale ou d'une marque lui ressemblant au point d'être conçue de manière à induire en erreur.
[52] Elle concerne l'altération d'une marque de commerce authentique.
[53] C'est le cas de celui qui altère, falsifie, efface ou rature la marque de commerce apposée sur des marchandises ou sur des colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, au sens de l'article (4) de la Loi sur les marques de commerce
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