dimanche 18 novembre 2018

L'état du droit quant à l'amendement des chefs d'accusation

Catania c. R., 2016 QCCQ 5324 (CanLII)

Lien vers la décision

[58]            Le Tribunal doit maintenant déterminer si la conduite de la poursuite quant à la portée des six premiers chefs d’accusation constitue un abus ou contrevient aux droits des requérants.
[59]            Sur cette question, notons d’abord qu’il est plutôt surprenant qu’aucune démarche pour obtenir un nouvel acte d’accusation direct n’ait été entreprise en temps opportun par le ministère public pour éclaircir définitivement la question de la période d’infraction.
[60]            L’historique procédural de la présente affaire révèle que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a consenti au dépôt de deux actes d’accusation directs au début de l’année 2013.  Tenant compte de l’envergure de cette poursuite, il aurait été logique, opportun et plutôt facile de clarifier la portée temporelle des chefs d’accusation à l’occasion de l’obtention de ces deux actes d’accusation directs ou au moyen du dépôt d’un troisième.  Cette simple procédure aurait de toute évidence clarifié cet élément non négligeable et évité toute cette problématique.
[61]            Selon la preuve, ce n’est qu’au mois de novembre 2015 que les requérants ont été informés de l’intention du ministère public de solliciter l’amendement des six premiers chefs d’accusation.  En dépit des questions posées à l’audience par le Tribunal, le caractère tardif de cette annonce demeure toujours inexpliqué.  Outre une certaine négligence, rien ne permet de comprendre pourquoi ce n’est qu’à trois mois de l’ouverture du procès que cette précision a été apportée.
[62]            Le Tribunal rappelle qu’avant le procès, les parties se sont livrées à un long exercice visant à déterminer la portée de certaines admissions ayant pour objet d’en réduire la durée.  Dans ce contexte particulier, il appartenait incontestablement au ministère public de clarifier la portée temporelle des transactions criminelles reprochées aux requérants, et ce, de la manière la plus diligente possible.  Cela découlait des règles élémentaires d’équité et de courtoisie qui doivent guider les parties dans le déroulement des procédures.
[63]            Cela étant dit, sur le plan des principes, le ministère public n’a pas tort de plaider qu’en l’absence d’un nouvel acte d’accusation direct ou du consentement des accusés, le Code criminel ne permet pas d’amender la portée des chefs d’accusation avant que la preuve ne soit entendue.  Le libellé du paragraphe 601(2) du Code criminel prévoit que :
601. (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, un tribunal peut, lors du procès sur un acte d’accusation, modifier l’acte d’accusation ou un des chefs qu’il contient, ou un détail fourni en vertu de l’article 587, afin de rendre l’acte ou le chef d’accusation ou le détail conforme à la preuve, s’il y a une divergence entre la preuve et :
a) un chef de l’acte d’accusation tel que présenté; […]
[64]            Dans R. v. McConnell, au paragraphe 20, la Cour d’appel de l’Ontario interprète cette disposition de la manière suivante :
[20] In my view, the interpretation that is most consistent with the wording of the Criminal Code is that there is no power to amend to conform to the evidence until the evidence has been heard. In addition to R. v. Callocchia, see for example, R. v. King (1956), 1956 CanLII 538 (ON CA)116 C.C.C. 284.  Admittedly, the cases are also almost universally to the effect that if the trial judge errs and permits a premature amendment, if the accused was not prejudiced the appeal will be dismissed, presumably by application of the proviso in s. 686(1)(b)(iii) or (iv) of the Criminal Code. Thus, in addition to R. v. Deal, see R. v. Fiore (1962), 1962 CanLII 593 (ON CA)132 C.C.C. 21337 C.R. 31 (Ont. C.A.) and R. v. S. (C.A.) (1997), 1997 CanLII 2519 (BC CA)114 C.C.C. (3d) 356 (C.A.), at pp. 360 and 364. But the fact that no prejudice was occasioned by the error cannot create a power of amendment outside the Criminal Code regime. [Nos soulignés]
[65]            Dans R. v. Callocchia, au paragraphe 53, la Cour d’appel du Québec émet une opinion qui va dans le même sens :
There was, as already noted, no preliminary inquiry in this case and the trial proceeded on a direct indictment. The trial judge appears to have considered that the Crown was entitled to amend that indictment at the outset of the trial, with or without the consent of the accused. Here, consent was sought and refused. I agree with Crown counsel that section 601 of the Criminal Code, which governs the matter, did not authorize Crown counsel, unilaterally, to amend the indictment at that stage.
[66]            Tenant compte de ces précédents, la position du ministère public sur la question du moment où un amendement peut être accordé est conforme au droit en vigueur.
[67]            Le Tribunal réaffirme que dans le contexte spécifique du présent dossier, il appartenait au ministère public de clarifier diligemment la portée temporelle des transactions criminelles reprochées avant que ne s’amorcent les discussions concernant les admissions.
[68]            En dépit de ce fait, il importe de rappeler qu’aucun élément de preuve n’a jusqu’à maintenant été présenté et que les admissions n’ont pas encore été déposées.  Bien que le défaut du ministère public d’informer diligemment les requérants puisse être considéré répréhensible, il est évident qu’aucun préjudice fatal et irréparable n’a été en l’espèce établi.
[69]            Les requérants connaissent maintenant l’intention du ministère public de solliciter un amendement et peuvent ainsi prendre leurs décisions stratégiques en conséquence.

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