Céré c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2024 QCCA 344
[76] Tracer la démarcation entre l’erreur de fait et l’erreur de droit se révèle être un exercice délicat. Dans l’arrêt Ledoux, le juge Vauclair souligne la difficulté que pose cette nécessaire délimitation : « [u]ne lecture des savants auteurs fait immédiatement ressortir que l’erreur de droit ou de fait et le droit criminel suivent une dynamique qui n’est ni claire ni simple. Aussi, une fois le principe clairement affirmé, ça se complique »[37].
[77] De plus, de fines nuances s’invitent dans l’analyse requise, car « [l]’erreur peut être une erreur de fait, une erreur de droit ou une erreur mixte de fait et de droit »[38].
[78] Dans son Traité de droit criminel, le professeur Parent différencie en ces termes l’erreur de fait de l’erreur de droit :
Si l’erreur de fait implique « une représentation inexacte de la réalité matérielle » (soit que l’individu croit à l’existence de faits inexistants ou à l’inexistence de faits existants), l’erreur de droit suppose, pour sa part, une mauvaise interprétation de sa signification au point de vue juridique (soit que l’individu ignore la règle de droit ou se méprend sur son contenu, sa portée ou son application)[39].
[Italiques dans l’original; renvois omis]
[79] Quant à elle, la Cour d’appel de l’Ontario renvoie dans l’arrêt Stucky[40] aux définitions suivantes :
[110] In R. v. Latouche (2000), 2000 CanLII 29664 (CACM), 190 D.L.R. (4th) 73 (Can. Ct. Martial App. Ct.), at para. 35, Ewaschuk J.A., citing R. v. Jones, 1991 CanLII 31 (CSC), [1991] 3 S.C.R. 110, described the distinction between a mistake of fact and a mistake of law in this way:
As a general rule, a mistake of fact, which includes ignorance of fact, exists when an accused is mistaken in his belief that certain facts exist when they do not, or that certain facts do not exist when they do. Ignorance of fact exists when an accused has no knowledge of a matter and no actual belief or suspicion as to the true state of the matter. By contrast, a mistake of law exists when the mistake relates not to the actual facts but rather to their legal effect.
[111] Professor Don Stuart explains the distinction in a similar fashion in Canadian Criminal Law: A Treatise, 5th ed. (Toronto: Carswell, 2007), at p. 366:
A mistake of fact is said to occur when the accused is mistaken in his belief that facts exist when they do not, or that they do not exist when they do. On the other hand, a mistake of law is said to occur when the mistake is not as to the actual facts but rather as to their legal relevance, consequence or significance.
[Renvoi omis]
[80] Dans un article intitulé Les soubresauts de Sault Ste-Marie et le droit pénal du Québec[41], les auteurs Jacoby et Létourneau tracent le pourtour de l’erreur de fait en insistant sur une caractéristique essentielle de celle-ci, soit la méprise du défendeur :
L’erreur est un « acte de l’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement. » L’erreur de fait appliquée aux infractions pénales consiste généralement en une méprise à l’égard de l’un des éléments matériels de l’infraction[42].
[81] Ces auteurs définissent de la manière suivante les critères subjectif et objectif qui encadrent l’erreur de fait :
Pour que l’erreur de fait puisse, dans le cas des infractions de responsabilité stricte, constituer un moyen de défense, il ne suffit pas que l’erreur soit honnête : il faut qu’elle soit raisonnable; le qualificatif « raisonnable » a pour effet d’introduire le test objectif et d’ajouter ce test au test subjectif déjà sous-jacent au concept d’erreur. La défense d’erreur raisonnable emporte donc deux tests : le premier, subjectif, et le second, objectif[43].
[82] Ainsi, l’erreur de fait consiste à se demander, d’une part, si le défendeur croyait honnêtement à un état de fait inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent et, d’autre part, si la croyance du défendeur était fondée sur des motifs raisonnables.
[83] En d’autres termes, il convient d’abord de se demander si le défendeur s’est mépris (critère subjectif) et par la suite de déterminer si sa méprise était raisonnable (critère objectif)[44]. S’il ne s’est pas mépris, il n’est pas nécessaire d’évaluer si sa méprise était raisonnable[45].
[84] Les auteurs Jacoby et Létourneau insistent également sur les différences entre l’erreur de fait et la diligence raisonnable : l’erreur de fait exige de « se demander si l’accusé s’est mépris »[46] alors que la diligence raisonnable requiert de vérifier si l’accusé « [a] pris les précautions nécessaires et raisonnables »[47] qu’aurait prises une personne raisonnable pour éviter la commission d’une infraction réglementaire.
[85] La raisonnabilité de la croyance du défendeur à l’égard des faits doit être évaluée en fonction d’une norme objective de la personne raisonnable se livrant à l’activité réglementée, comme le relève la professeure Halley dans un article pénétrant :
Le caractère « raisonnable » de l’erreur est, comme en matière de défense de diligence, un standard flexible. C’est-à-dire que le caractère raisonnable de l’erreur sur la présence des éléments constitutifs de l’infraction variera en intensité selon les obligations imposées par le type d’activité poursuivie[48].
[86] Comme l’explique l’arrêt Javanmardi, cette fois dans le contexte d’une accusation de négligence criminelle, même si la norme de diligence raisonnable ou de négligence « n’est pas établie en fonction des caractéristiques personnelles de l’accusé, elle est toutefois fondée sur l’activité »[49]. Ainsi l’exigence de prudence « fluctue selon l’activité exercée »[50].
[87] Cela dit, une condition essentielle s’ajoute à la définition de la défense d’erreur de fait, condition qui découle d’un recoupement entre l’erreur de fait et la diligence raisonnable : le défendeur doit faire preuve de diligence raisonnable pour connaître les faits pertinents sans quoi l’erreur de fait ne peut être considérée comme raisonnable.
[88] Je porte ma réflexion sur cette question, puisque le pourvoi l’exige, mais aussi parce qu’elle n’a pas reçu toute l’attention requise jusqu’à maintenant.
[89] Un défendeur ne peut invoquer l’erreur de fait raisonnable que s’il adopte le comportement d’une personne raisonnable qui se livre à une activité réglementée et cherchant à prendre connaissance des faits pertinents en lien avec cette activité.
[90] Dans l’arrêt Pierce Fisheries Ltd., une affaire concernant la pêche de homards immatures, le juge Ritchie énonce l’obligation de diligence raisonnable concernant la connaissance des faits :
Comme des employés travaillant sur les lieux dans le hangar « où le poisson est pesé et empaqueté » retiraient des homards de caisses « avant l’empaquetage » dans des cageots, et comme certains homards immatures ont été découverts « dans des cageots prêts à l’expédition », il ne semble pas qu’il aurait été difficile pour un « agent ou employé responsable » de prendre connaissance de leur présence sur les lieux[51].
[Le soulignement est ajouté]
[91] Dans l’arrêt Chapin, une décision rendue après l’arrêt Sault Ste-Marie, le juge Dickson explique que l’arrêt Pierce Fisheries Ltd. concerne la situation d’une compagnie qui « n’avait pas fait le nécessaire pour s’informer des faits constituant l’infraction »[52]. De même, dans l’arrêt Lévis (Ville) c. Tétreault, le juge LeBel constate que l’un des défendeurs « n’a justifié d’aucune démarche ou tentative de se renseigner »[53].
[92] Dans l’ouvrage Regulatory Offences in Canada, l’auteur Swaigen explique de manière persuasive la raison d’être de cette exigence qu’on pourrait appeler la diligence raisonnable factuelle :
In this respect, since there is an active, as well as a passive, aspect to the defence, mistake of fact involves establishing due diligence. To show that a mistake of fact was reasonable, the accused must establish that he or she took all reasonable steps and made all reasonable inquiries to find out the correct information. As several courts have said, mistake of fact and due diligence are closely related, if not the same, since both come down to the question of whether the accused exercised all reasonable care.
A perfunctory inquiry is not sufficient. […][54]
[Les soulignements sont ajoutés; renvois omis]
[93] Dans la seconde édition de cet ouvrage[55], les auteurs confirment que l’erreur de fait pourra être considérée comme raisonnable seulement si le défendeur fait preuve de diligence raisonnable pour connaître les faits pertinents :
[…] [I]n almost every case the defendant must testify in order to show what mistake was made and what efforts were made to find out the true state of affairs.
[…]
Even in cases where some inquiries were made, the reasonableness of those efforts will be examined and it is clear that a perfunctory inquiry is not sufficient. The length to which the accused must go to ascertain the true facts will depend upon the degree of danger or harm found in the particular circumstances.
[…]
Mistake of fact and due diligence are closely related and proving both comes down to whether the accused exercised all reasonable care. In fact, sometimes “due diligence” is used interchangeably with the notion of reasonable care, as illustrated by the Ontario Court of Appeal [in London Excavators[56]]: “the defence of due diligence may take one of two forms: (1) holding a reasonable belief in a mistaken set of facts, and (2) taking all reasonable steps to avoid the offending event.”
To show that a mistake of fact was reasonable, the accused must establish that she took all reasonable steps and made all reasonable inquiries to find out the correct information, in effect establishing due diligence. […][57]
[Renvois omis]
[94] Comme le révèle l’analyse qui précède, « l’erreur raisonnable sur les faits implique aussi que le défendeur a fait les efforts raisonnables pour bien connaître la situation qui le confronte ou qu’il n’a pas été négligent »[58]. En effet, « celui qui entreprend une activité qui exige des connaissances particulières a l’obligation d’acquérir au préalable ces connaissances »[59].
[95] En revanche, « [u]ne erreur de fait raisonnable fondée sur l’ignorance de certains faits constitutifs de l’infraction peut se produire lorsque l’accusé ignorait l’existence de certains faits malgré des tentatives raisonnables pour en connaître l’existence. Malgré l’erreur, l’accusé doit démontrer qu’il a tenté raisonnablement de remplir ses obligations légales »[60].
[96] Finalement, il faut toujours garder à l’esprit que l’erreur de fait « ne peut s’appliquer qu’aux faits qui constituent l’infraction » et non à l’égard du droit[61].
[97] Cela dit, je rappelle également que dans l’arrêt Raham, le juge Doherty souligne que l’erreur de fait se présente comme une forme de diligence raisonnable[62]. Une perspective similaire anime le juge Claude Gagnon (alors juge de la Cour supérieure) dans la décision Dorval dans laquelle il observe qu’il « est parfois nécessaire de fondre ces deux moyens de défense pour évaluer adéquatement la responsabilité d’un accusé »[63].
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