R. c. Brisson, 2023 QCCS 1973
[38] Le Tribunal est d’accord avec l’analyse faite par l’honorable Michel Pennou, j.c.s., dans la décision Lanthier c. R.[16], quant au statut d’un accusé pour invoquer la violation d’un droit constitutionnel d’un autre accusé et demander la suppression des paragraphes d’une dénonciation y référant :
[37] Le Tribunal est d’avis que les accusés ne peuvent demander et donc obtenir la rature de renseignements figurant à la dénonciation de Boily, et prétendument obtenus en violation de la Charte, que s’ils peuvent personnellement revendiquer une telle violation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[38] Deux situations peuvent entraîner la rature de renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire : Les renseignements sont inexacts, incomplets ou trompeurs; les renseignements ont été obtenus en contravention de la Charte.
[39] Dans les deux situations, on applique le même procédé correcteur, mais la raison d’être de son application diffère. Ce serait donc une erreur de mettre les deux situations sur le même pied, et d’affirmer qu’un seul et même régime de réparation automatique, différent de celui mis en place par l’article 24 de la Charte, s’applique alors et justifie la rature des renseignements.
[40] La rature de renseignements inexacts, incomplets ou trompeurs répond à l’obligation qu’a celui qui demande ex parte l’émission d’une autorisation judiciaire, de présenter au juge autorisateur de manière complète, simple et sincère les faits à considérer : Voir R. c. Araujo, 2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 RCS 992, § 46, 47. Que les renseignements concernent l’accusé ou des tiers importe peu. La même obligation vaut pour tout renseignement incorporé à une demande d’autorisation judiciaire. Le reliquat des motifs conforme à cette obligation de candeur et de transparence sera ensuite jugé suffisant, ou non, pour justifier l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.
[41] La rature des renseignements obtenus en contravention de la Charte s’inscrit plutôt dans une démarche d’exclusion de la preuve dérivée d’une violation antérieure à l’émission de l’autorisation judiciaire dont l’exécution entraîne la découverte. Elle constitue un des rouages du mécanisme d’exclusion de la preuve mis en place au par. 24(2) de la Charte. Elle ne peut donc entrer en jeu que si l’accusé est personnellement en mesure d’invoquer la violation survenue en amont de l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.
[42] Dans ce cas de figure, la rature de renseignements obtenus en contravention de la Charte ne sert pas seulement à apprécier la suffisance du reliquat des motifs présentés au soutien de la demande d’autorisation judiciaire. Elle sert aussi à vérifier si la preuve dont l’exclusion est demandée a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis par la Charte, et si l’admission de cette preuve déconsidérerait l’administration de la justice.
[43] Si après rature, le reliquat des motifs ne suffit pas à justifier l’émission d’une autorisation, la violation survenue en amont peut en entraîner une seconde en aval, chacune d’elles pouvant conduire à l’exclusion de la preuve obtenue en exécution de l’autorisation. Et si après rature, le reliquat des motifs suffit à justifier l’émission de l’autorisation, il y a alors lieu de s’interroger sur la connexité entre la violation survenue avant l’émission de l’autorisation judiciaire et les éléments de preuve obtenus en exécution de celle-ci. Si ce lien est jugé suffisant pour que les éléments de preuve obtenus constituent une preuve dérivée de la violation antérieure à l’autorisation émise et exécutée, la possible découverte de cette preuve, indépendamment de la violation survenue antérieurement à l’émission de l’autorisation, sera pertinente lors de l’examen des trois séries de facteurs à considérer sous le régime d’exclusion de la preuve du par. 24(2) de la Charte. Voir R. v. Manchulenko, 2013 ONCA 543, § 70-73; R. c. Côté, 2011 CSC 46 (CanLII), 2011 3 RCS 215, § 64‑74, 79. C’est une démarche de ce type qu’adopte la Cour suprême dans les arrêts Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 RCS 223, Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 RCS 281, Willey, 1993 CanLII 69 (CSC), [1993] 3 RCS 263, et Kokesh, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 RCS 3.
[44] Par ailleurs, ce qu’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 RCS 128, § 45, représente encore et toujours l’état du droit : Les droits garantis par la Charte sont des droits personnels; une demande de réparation fondée sur le par. 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés.
[45] Ainsi, sous ce régime d’exclusion de la preuve, il n’est pas incongru que la preuve incriminant plus d’un accusé ne puisse pas être utilisée contre celui dont les droits constitutionnels ont été violés pour l’obtenir, mais qu’elle puisse servir de preuve contre ceux dont les droits constitutionnels n’ont pas été violés. L’affaire considérée par la Cour d’appel dans l’arrêt Timm en offre une illustration.
[39] La Cour supérieure, dans Boyce-Dickson c. R.[17], adopte essentiellement la même position dans le contexte, cette fois, d’une requête de type Garofoli impliquant la contestation d’une autorisation d’écoute électronique.
[40] Bien que les accusés plaident certaines décisions rendues dans d’autres provinces qui adoptent parfois une approche différente de celle retenue par la Cour supérieure du Québec dans ces deux dernières décisions, le Tribunal considère qu’il est lié par la règle du stare decisis horizontal telle qu’énoncée dans R. c. Sullivan[18], mais qu’en plus les décisions Lanthier c. R.[19] et Boyce-Dickson c. R.[20] énoncent correctement le droit.
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