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dimanche 23 février 2025

L’arrêt Friesen énonce des principes applicables tant pour les violences sexuelles à l’égard des enfants que des adultes

Casavant c. R., 2025 QCCA 20

Lien vers la décision


[58]      D’emblée, il faut rejeter la première erreur sur laquelle insiste l’appelant, qui est sans fondement. L’intimé a raison sur cette question. Il ne fait aucun doute que l’arrêt Friesen énonce des principes applicables tant pour les violences sexuelles à l’égard des enfants que des adultes : R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII)[2020] 1 R.C.S. 424, par. 117; voir aussi R. c. S.J.2024 QCCA 253, par. 225.

[59]      Par ailleurs, il faut souligner que l’intimé fait une lecture indûment étroite des principes de la détermination de la peine en amalgamant sans nuances les messages de la Cour suprême dans les arrêts R. c. Goldfinch2019 CSC 38 (CanLII)[2019] 3 R.C.S. 3R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424 et R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII)[2021] 3 R.C.S. 366. Or, les nuances sont au cœur de la détermination de la peine. En proposant une peine essentiellement orientée par la dissuasion et la dénonciation, il escamote de nombreux principes qui doivent tout autant guider les juges dans l’exercice de la détermination de la peine.

[60]      La Cour suprême a certes rappelé que certaines décisions canadiennes ont malheureusement banalisé l’agression sexuelle en la réduisant, par exemple, à un événement anodin en raison de gestes qualifiés de « moins invasifs ». Elle a rappelé qu’il n’en est rien et que l’agression sexuelle est intrinsèquement un crime grave en raison de sa nature et des conséquences généralement négatives dans la vie des victimes. Elle a pressé les tribunaux de réagir de manière plus appropriée et de ne plus prononcer de peines déconnectées de la réalité, tant du crime lui-même que de ce que la société en comprend aujourd’hui, et de ne pas le décrire comme un geste inoffensif aux conséquences négatives douteuses.

[61]      Du même souffle, elle réaffirme que les tribunaux doivent réagir de manière proportionnelle.

[62]      L’arrêt Parranto est rendu après l’arrêt Friesen. La Cour y discute des principes fondamentaux en matière de détermination de la peine. La majorité des juges ont profité du moment pour expressément réaffirmer que le but de la détermination de la peine est d’infliger des sanctions justes et que la proportionnalité en est le principe fondamental : R. c. Parranto, 2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366, par. 10-12 (jj. Brown et Martin, avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Kasirer), par. 102 et 111 (j. Rowe), par. 205 (j. Karakatsanis, avec l’accord de la juge Abella).

[63]      Plus particulièrement, les juges Brown et Martin ont précisé :

[10] Le but est d’infliger dans chaque cas une sanction équitable, juste et fondée sur des principes. La proportionnalité est le principe directeur qui permet d’atteindre cet objectif. À la différence des autres principes de détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel, la proportionnalité est un principe distinct qui est inscrit sous une rubrique intitulée « Principe fondamental » (art. 718.1). Par conséquent, « [t]oute détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 30). Bien qu’importants, les principes de parité et d’individualisation sont secondaires.

R. c. Parranto, 2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366 par. 10 [Je souligne].

[64]      Il faut réitérer le message voulant que l’agression sexuelle constitue un crime grave qui en soi comporte des conséquences graves. Il s’agit de la définition même du comportement prohibé. Il n’est toutefois pas impossible d’envisager une peine autre que l’emprisonnement dans un cas donné, si cette peine demeure proportionnelle aux circonstances et au délinquant. À tort ou à raison, ces cas seront peut-être rares, mais notre Cour a souvent répété que la sévérité d’une peine n’est pas l’apanage de l’emprisonnement : voir notamment R. c. Nadeau2020 QCCA 445, par. 55R. c. Bernard2019 QCCA 638, par. 28; R. c. Charbonneau2016 QCCA 1567, par. 18R. c. Houle2023 QCCA 99, par. 46.

[65]      Parallèlement aux discussions des tribunaux canadiens, et postérieurement aux arrêts évoqués de la Cour suprême, le législateur s’est de nouveau exprimé en novembre 2022 en rouvrant la possibilité de recourir à l’emprisonnement dans la collectivité, notamment pour cette infraction. Ce faisant, le législateur n’envoie pas le message qu’il faut être moins sévère dans l’approche de la peine, mais plutôt qu’il faut réfléchir autrement, même pour des crimes graves. Notamment, les circonstances se prêtent parfois à ce que des individus qui ne présentent pas une menace inacceptable pour la sécurité du public purgent leur peine d’emprisonnement dans la collectivité si la durée appropriée de celle-ci est de moins de deux ans.

[66]      Cela est sage puisque, si l’infraction demeure toujours grave, comme l’explique bien l’arrêt R. c. Lemieux2023 QCCA 480, personne ne nie que le crime d’agression sexuelle se décline dans des circonstances diverses et qu’il est commis par des délinquants aux profils très variés.

[67]      La question est toujours la même : « Pour cette infraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du Code criminel? » : R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII), [2021] 3 R.C.S. 366, par. 113, citant R. c. Gladue1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80 (soulignements dans le texte); R. c. Simard2024 QCCA 835, par. 63; R. c. V.L., 2023 QCCA 449, par. 42.

[68]      Les cours d’appel ne peuvent exercer une fonction parallèle à celle du législateur en établissant des paramètres de détermination de la peine qui, en droit, contraignent le juge de la peine au point de soustraire des réponses au crime qu’autorise la loi, que cela se traduisent par des « points de départ », des « fourchettes » ou autrement : R. c. Parranto2021 CSC 46 (CanLII)[2021] 3 R.C.S. 366, par. 153R. c. Friesen 2020 CSC 9 (CanLII)[2020] 1 R.C.S. 424, par. 37R. c. McDonnell1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33R. c. Harbour2017 QCCA 204, par. 78.

[69]      Personne ne conteste ici que l’emprisonnement dans la collectivité est une peine possible. J’examine maintenant pourquoi le juge erre en l’écartant, en abordant ensemble les deux autres moyens d’appel.

[70]      Une cour d’appel doit corriger les peines qui découlent d’une erreur de principe ayant eu une incidence sur la détermination de la peine et « lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste » : R. c. Friesen2020 CSC 9 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 424, par. 26 et 27.

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